B. UN EFFORT ACCENTUÉ EN FAVEUR DES HANDICAPÉS

Les priorités du Gouvernement en matière d'aide aux personnes handicapées ont été exposées le 13 mai 1996 devant le Comité national consultatif des personnes handicapées (CNCPH). Quatre axes sont envisagés :

- créer les conditions d'une socialisation précoce (établissements et services pour enfants de moins de six ans) et d'une intégration scolaire réussie ;

- faciliter le libre choix de vie des personnes handicapées en privilégiant le maintien à domicile ;

- développer l'insertion professionnelle, en permettant aux CAT de devenir davantage des lieux de transition vers le milieu du travail ;

- assurer la continuité des prises en charge tant des jeunes adultes que des adultes vieillissants.

Cette politique s'inscrit dans le cadre fixé par le Président de la République dans son discours de Bort-les-Orgues en juillet 1995 qui mettait l'accent sur l'insertion sociale et professionnelle des handicapés, dans le droit fil de la loi d'orientation du 30 juin 1975.

Il convient de rappeler que cette année aura été riche en modifications législatives dans le secteur du handicap.

La proposition de loi modifiant la loi du 30 juin 1975 relative aux institutions sociales et médico-sociales et tendant à assurer une prise en charge adaptée de l'autisme a été adoptée par l'Assemblée nationale dans la rédaction issue de la première lecture par le Sénat, sur le rapport de notre excellent collègue, Jacques Machet. Ce texte doit permettre à toute personne atteinte du handicap résultant du syndrome autistique et des troubles qui lui sont apparentés de bénéficier, quel que soit son âge, d'une prise en charge pluridisciplinaire qui tienne compte de ses besoins et de ses difficultés spécifiques.

Par ailleurs, cette année est également marquée par la mise en place de la prestation spécifique dépendance pour les personnes âgées.

Enfin le ministre du travail et des affaires sociales et le secrétaire d'État à la santé et à la sécurité sociale ont décidé de recueillir l'avis des associations représentatives des personnes handicapées et des différents acteurs de la politique sociale du handicap sur la question de la décentralisation et du partage des compétences.

A cet effet, un groupe présidé par Mme Roselyne Bachelot, député du Maine-et-Loire, président du Conseil national consultatif des personnes handicapées (CNCPH) doit travailler, d'ici la fin de l'année 1996, sur cette importante question inscrite parmi les axes prioritaires du plan d'action pour une politique d'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées.

S'agissant des handicapés, cinq aspects de ce budget doivent être soulignés.

1. Le financement de la création de 2.000 places nouvelles en centres d'aide par le travail (CAT)

a) Le rôle des CAT

Les centres d'aide par le travail sont des établissements qui offrent aux adultes handicapés qui ne peuvent, momentanément ou durablement, travailler ni dans les entreprises ordinaires ni dans un atelier protégé ou pour le compte d'un centre de distribution de travail à domicile, ni exercer une activité professionnelle indépendante, des possibilités d'activités diverses à caractère professionnel, un soutien médico-social et éducatif et un milieu de vie favorisant leur épanouissement personnel et leur intégration sociale.

Les centres sont créés sur autorisation du préfet, donnée après avis du comité régional de l'organisation sanitaire et sociale. Ils sont habilités par le préfet à recevoir des bénéficiaires de l'aide sociale de l'État dans le cadre d'une convention.

L'accès d'un handicapé à un CAT est subordonné à trois conditions :

- être orienté par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ;

- être âgé de plus de vingt ans : toutefois, les centres d'aide par le travail peuvent également accueillir les personnes handicapées dont l'âge est compris entre seize et vingt ans ; dans ce cas, la décision de la commission technique est prise après avis de la commission départementale de l'éducation spéciale ;

- avoir une capacité de travail inférieure à un tiers de la normale : toutefois, la commission technique peut orienter vers des centres d'aide par le travail des personnes handicapées dont la capacité de travail est supérieure ou égale au tiers de la capacité normale, lorsque leur besoin de soutien ou leurs difficultés d'intégration en milieu ordinaire de travail ou en atelier protégé le justifient. Elle peut prononcer pour les mêmes raisons le maintien en centre d'aide par le travail d'un travailleur handicapé qui aura manifesté, au terme de la période d'essai, une capacité de travail supérieure.

84.372 places de CAT étaient autorisées au 1er janvier 1995, le nombre de CAT agréés s'élève à environ 1.216. La dotation de l'État atteint 5,84 milliards de francs en 1997, faisant ainsi de la dotation aux CAT le premier poste de dépense d'aide sociale obligatoire de l'État.

La mesure nouvelle de 255 millions de francs prévue pour 1997 inclut un abondement de 135 millions de francs destiné à la mise en place de 2.000 places nouvelles.

Votre rapporteur souligne que le coût unitaire de la place a été relevé à 67.500 francs en 1997 au lieu de 55.000 francs à compter de la loi de finances pour 1989.

Le ministre, interrogé sur ce point en commission, a indiqué que cette progression était de 5 % en francs constants, soit une progression mesurée traduisant l'impact inévitable mais contenu des évolutions salariales, compte tenu des consignes de rigueur du financeur public et des efforts de gestion des structures.

b) La question persistante des effets pervers de l'amendement Creton

La création de 2.000 places nouvelles de CAT s'inscrit dans le droit fil des créations intervenues en 1994 (2.000), 1995 (2.000) et en 1996 (2.750) qui visent en priorité les jeunes adultes maintenus en instituts médico-éducatifs (IME) faute de places dans les structures appropriées.


Les blocages dus à l'amendement Creton

Il convient de rappeler en effet que, connu sous le nom de l'amendement « Creton », le I bis de l'article 6 de la loi d'orientation en faveur des handicapés du 30 juin 1975, introduit par la loi n° 89-18 du 13 janvier 1989 portant diverses dispositions d'ordre social, prévoit qu'un jeune adulte handicapé peut être maintenu dans l'établissement d'éducation spéciale au-delà de l'âge réglementaire s'il ne peut être admis immédiatement dans un établissement pour adultes handicapés désigné par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) ; « cette décision s'impose à l'organisme ou à la collectivité compétente pour prendre en charge les frais d'hébergement et de soins dans l'établissement pour adulte désigné par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnel (...) ».

L'amendement Creton procédait d'une intention généreuse puisqu'il visait à limiter les ruptures de prise en charge débouchant sur un retour mal adapté de la personne handicapée dans sa famille et à éviter le maintien prolongé de jeunes adultes dans des structures d'éducation spéciale réservées aux enfants et aux adolescents. L'objectif était de responsabiliser les collectivités et les organismes qui devaient favoriser l'adaptation de l'offre de places dans les établissements pour handicapés adultes sous l'effet d'une contrainte financière tenant au fait que la prise en charge de ces derniers est en moyenne deux fois inférieure au coût de la prise en charge d'un enfant handicapé dans un établissement d'éducation spécialisé.

Le dispositif n'a pas atteint ses objectifs : l'incitation à la création de places de CAT relevant de l'État n'a pas eu réellement d'effet ; les contentieux ont été nombreux entre les départements et les Caisses d'assurance maladie sur la nature des dépenses à prendre en charge ; au total, l'amendement a créé de véritables situations « d'embouteillage » dans les établissements d'éducation spécialisée dans l'obligation de maintenir de jeunes adultes au détriment des enfants handicapés plus jeunes.

Les niveaux de la contribution des différents organismes publics appelés à supporter les coûts de ces maintiens et leur opposabilité, ont abouti, en 1995, à une situation de quasi-blocage, les conseils généraux n'acceptant plus de prendre en charge la totalité du coût du maintien dans les instituts médico-éducatifs, et les caisses de sécurité sociale faisant connaître leur intention de suspendre leurs paiements.

Dans un avis du 11 juin 1993, le Conseil d'État a précisé que « les frais d'hébergement, d'une part, et les frais de soins, d'autre part, à l'exclusion de tous autres frais effectivement occasionnés par le maintien d'une personne handicapée dans un établissement d'éducation spéciale, doivent être supportés par la ou les personnes morales qui auraient été normalement compétentes pour prendre en charge les frais de même nature entraînés par le placement de cette personne dans la catégorie d'établissement vers laquelle elle a été orientée par la COTOREP ».

La circulaire n° 95-41 du 27janvier 1995 a été arrêtée après concertation avec la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et l'Assemblée des présidents de conseils généraux (APCG) afin de déboucher sur une solution.

Elle précise que le département n'est redevable que des seuls frais d'hébergement lorsque le placement aurait dû se faire en foyer occupationnel, en foyer de vie ou en foyer à double tarification. Elle demande à ce que la tarification intègre, en conséquence, une recette en atténuation correspondant à la participation des conseils généraux. Elle conclut que la recette en atténuation doit être calculée sur la base du tarif moyen constaté dans les foyers occupationnels ou de vie et, là où ils existent, des foyers à double tarification, placés sous compétence du département où la personne a conservé son domicile de secours. En cas d'absence de ces structures dans le département du domicile de secours, cette recette doit être calculée sur la base de la moyenne pondérée des tarifs des mêmes catégories d'établissements dans le département d'accueil.

Elle précise également la date d'effet des prises en charge par le département et instaure une sorte de priorité dans l'octroi des nouvelles places créées pour les jeunes adultes bénéficiant de « l'amendement Creton ». Les COTOREP sont invitées à traiter les dossiers de maintien au titre de l'amendement Creton, avant le vingtième anniversaire de l'intéressé, afin d'éviter les ruptures de prise en charge. Elle demande, de plus, au représentant de l'État dans les départements d'engager une concertation avec les parties concernées afin de tenter de trouver une solution aux contentieux antérieurs à l'intervention de cette circulaire.

Toutefois, pour faciliter l'application des nouvelles instructions sur le terrain et apprécier les difficultés qu'elles pourraient soulever, une mission d'appui a été confiée à M. Jean Bordeloup, Inspecteur général honoraire des affaires sociales.


Les conclusions de la mission d'appui de M. Bordeloup

Il ressort des principales conclusions de la mission, conduite d'avril 1995 à février 1996 les éléments suivants :

Les dispositions de la circulaire relative à la procédure de maintien ont été mises en place par la plupart des Commissions départementales d'éducation spéciale (CDES) et des Commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP) concernées.

Des difficultés subsisteraient sur les aspects financiers du dispositif.

Certes, les principes régissant la répartition des charges de maintien entre les conseils généraux et l'assurance maladie seraient acceptés par la « quasi-totalité » des financeurs. Une enquête effectuée en 1996 par la Direction de l'action sociale du ministère du travail et des affaires sociales fait ressortir que sur 55 départements, la participation moyenne des conseils généraux s'établit à 619 francs par jour et par personne, soit un montant global de 70 millions de francs (113.128 journées) représentant environ 3 % des dépenses des établissements.

Mais, les modalités d'application relatives notamment à la contribution financière des conseils généraux, seraient très diversement respectées. De plus, le règlement des sommes dues par les départements aux caisses d'assurance maladie pour la période antérieure au 1er janvier 1995, s'effectuerait difficilement. Le montant total des sommes en contentieux entre les départements et les caisses d'assurance maladie s'établirait, en novembre 1995, à 132 millions de francs.

M. Jean Bordeloup relève que si les relations entre partenaires concernés au plan local depuis la parution de la circulaire, s'organisent dans un climat moins conflictuel, le respect des règles posées « continue à dépendre essentiellement de la volonté des parties ».

Par ailleurs, il met en évidence la qualité des efforts entrepris par les autorités déconcentrées dans la recherche de solutions permettant de développer la capacité d'accueil du secteur des équipements pour adultes handicapés, tout en soulignant que ces efforts se trouvent souvent limités par trois difficultés tenant à l'actuelle répartition des compétences entre l'État et les collectivités territoriales, aux dispositions régissant la planification des équipements et au cloisonnement entre les secteurs sanitaire et médico-social.

Par ailleurs, les décisions d'orientation de certaines CDES et COTOREP ne prendraient pas toujours en compte la réalité des besoins des personnes handicapées.

Le rapport conclut :

- à la nécessaire clarification des compétences entre l'État et les conseils généraux dans le secteur social et médico-social ;

- à une utilisation maximale des potentialités offertes par le décloisonnement entre les secteurs sanitaire et médico-social, en faveur de ce dernier ;

- à l'amélioration des outils de connaissance (estimation des besoins locaux et outils statistiques) et des outils informatiques de gestion des CDES et des COTOREP ;

- au réexamen du problème de la tarification des équipements du secteur médico-social.

M. Bordeloup souligne dans sa conclusion qu'il convient aujourd'hui de compléter la nécessaire connaissance des besoins et des moyens pour les satisfaire par une maîtrise des évolutions et des flux. Sur cette base et par une meilleure concertation entre les acteurs et partenaires locaux, pourra s'esquisser le processus de résorption progressive du nombre de jeunes adultes concernés par l'amendement Creton auquel, note le rapporteur, beaucoup souhaitent qu'il soit mis un terme.


Un nouveau compromis à l'étude

Un nouveau recensement des effectifs relevant de l'amendement Creton a été effectué en 1995. Au 31 octobre, 5.567 jeunes adultes étaient maintenus dans les établissements de l'éducation spéciale en attente de placement, soit une diminution de 10,5 % par rapport à l'année précédente.

Cette diminution est la première constatée depuis l'entrée en vigueur du dispositif. Il reste que les besoins encore non satisfaits et la pression démographique de la population dans les établissements de l'éducation spéciale dans les prochaines années rendront nécessaire la poursuite des efforts des pouvoirs publics en matière de création de places dans le secteur adultes handicapés.

Au cours de la période 1990-1996, on peut estimer à 6.300 en moyenne annuelle, le nombre de jeunes qui sont ou auraient dû sortir de l'éducation spéciale en raison de leur âge (20 ans). Cette pression démographique est particulièrement forte depuis 1994 (et un pic est atteint en 1995 avec près de 10.000 jeunes).

Il reste que le dispositif de la circulaire du 27 janvier 1995, s'il a permis d'accueillir les jeunes adultes handicapés dans des conditions plus clairement définies, apparaît souvent mal compris.

C'est pourquoi le ministre de la santé a récemment annoncé que les services de l'État, les caisses de sécurité sociale et les représentants des conseils généraux allaient prochainement être « appelés à reprendre contact afin d'améliorer à nouveau les termes de l'accord ».

La situation a été compliquée par un arrêt récent de la Cour de Cassation du 30 mai 1996 2 ( * ) qui prévoit que la prise en charge des frais de séjour des jeunes handicapés comprend les frais d'hébergement et les frais de soins sans opérer de distinction selon la nature des frais. Cette décision ne paraît pas de nature à remettre en cause la mise en oeuvre du compromis atteint dans le cadre de la circulaire du 27 janvier 1995.

Votre rapporteur souligne que la question de l'amendement « Creton » devra être suivie avec une particulière attention au cours de cette année car il est essentiel de parvenir à un compromis qui permette à la fois de satisfaire les besoins en hébergement des jeunes adultes handicapés et de ne pas pénaliser les collectivités territoriales dans l'exercice de leur compétence.

* 2 Cour de Cassation Chambre social, le 30 mai 199, 6 arrêt n° 2474, Département de l'Allier contre la Caisse Primaire d'Assurance maladie de l'Allier.

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