II. LES OBJECTIFS ET LES MOYENS DE L'ACTION AUDIOVISUELLE EXTÉRIEURE EN 1996
A. LE RAPPORT BALLE : UN DÉBUT DE DOCTRINE
Remis à M. le ministre des Affaires étrangères en décembre 1995, le rapport rédigé par M. Francis Balle sur « L'Action audiovisuelle extérieure de la France » évalue, avec lucidité, cette politique publique audiovisuelle et propose d'intéressantes pistes de réflexion pour procéder à une remise en ordre de cet outil indispensable pour assurer la présence de la France dans le monde audiovisuel.
1. Une analyse lucide des nouveaux défis de l'action audiovisuelle extérieure et de ses moyens
L'Action audiovisuelle extérieure de la France se situe dans un contexte marqué par la mondialisation de la circulation de l'information. Celle-ci s'accélère grâce au progrès technologique et à la concentration du marché de la communication, qui pousse au rapprochement des chaînes de télévision et des grands studios, quand ces derniers ne créent pas leurs propres réseaux de diffusion. La banalisation des systèmes d'accès conditionnels ouvre, en outre, de nouvelles perspectives quant au financement des chaînes et à la consommation télévisuelle, conduisant également à fractionner et segmenter les audiences.
Dans ce contexte, la rareté a changé de camp et concerne désormais les programmes, et non les vecteurs : la diffusion devient, grâce au numérique, bon marché, alors que la demande d'images croît fortement. Le contrôle des programmes, de la production d'images, des droits afférents, devient donc un enjeu capital.
De nombreuses questions subsistent cependant quant au comportement du téléspectateur devant cette abondance d'images. Il semble que la relation entre durée d'écoute et nombre de chaînes disponibles soit peu élastique, que les productions nationales demeureront pendant plusieurs années encore les plus populaires, et qu'il n'existe pas de lien évident entre le taux d'équipement des ménages en câble et satellite et les parts d'audience des chaînes généralistes.
Sous l'angle géopolitique, le nouvel ordre mondial se traduit par l'ouverture de nouveaux marchés aux programmes audiovisuels de l'Occident. Dans les pays émergeants - Asie du sud-est, Chine, Amérique Latine, Afrique du Sud -, l'audiovisuel français était, jusqu'à récemment, très discret.
Notre action audiovisuelle extérieure se heurte, de surcroît, à une concurrence accrue, tant de la part des nouveaux opérateurs nationaux, qui montent en puissance, que des entreprises publiques des États les plus développés, BBC World Service, DeutscheWelle, NHK, Voice of America. Ceux-ci disposent, en général, d'un budget supérieur à celui des opérateurs français, ou encore de la part des groupes multinationaux de communication. Cette concurrence est riche d'enseignements : les chaînes nationales ne sont pas conçues pour une diffusion internationale, alors que les opérateurs adoptent des stratégies sur mesure en fonction des caractéristiques propres de chaque public.
2. Un bilan en demi-teinte
La France s'est dotée, depuis le début des années 80, d'un dispositif d'action audiovisuelle extérieure caractérisé par un volontarisme certain, notamment sur le plan financier, et une complexité non moins évidente, que pour son manque d'efficacité et son coût trop élevé votre rapporteur a maintes fois dénoncée.
Sur le plan administratif, si le ministère des Affaires étrangères apparaît comme le chef de file de cette politique publique, eu égard a l'importance prise par la diplomatie culturelle au sein de l'action diplomatique de la France, de nombreux autres ministères se sentent également concernes : le ministère de la Coopération, dès qu'un pays « du champ » est impliqué, le ministère de la Culture, qui a une vocation générale pour favoriser le rayonnement international de la culture française et la francophonie, le ministère en charge des télécommunications, via la politique satellitaire, voire le ministère du commerce extérieur, compte tenu de la création de l'OMC faisant suite au GATT, ou le ministère de l'Économie et des Finances. Tous ces intervenants sont censés se concerter au sein du Conseil audiovisuel extérieur de la France, qui se réunit depuis 1989 au moins une fois par an.
Les objectifs de cette politique (diffusion de l'image de la France, politique de coopération, exportation de programmes audiovisuels) ont évolué , notamment sous l'influence de deux rapports majeurs : le rapport Péricard, de 1987, qui préconisait un renforcement de RFI, la valorisation de la diffusion de programmes télévisés par satellite, l'amélioration de la diffusion internationale d'images d'actualité, le renforcement des crédits, la rationalisation des modalités de rémunérations des artistes-interprètes, mais aussi le rapport Decaux, de 1989, qui proposait de différencier l'action audiovisuelle extérieure selon la solvabilité des pays, de mieux distinguer stratégie française et stratégie francophone multilatérale, de favoriser la complémentarité public-privé, de développer une banque d'images mondiale par satellite et de mieux commercialiser les produits audiovisuels français.
Jusqu'en 1993, l'action audiovisuelle extérieure s'est caractérisée par une politique de l'offre - sur laquelle votre rapporteur est toujours demeuré sceptique - et par une mondialisation du dispositif . En 1994, les deux Conseils audiovisuels extérieurs de la France qui se sont tenus ont décidé de rationaliser les structures, en renforçant les spécificités de TV5, chaîne francophone, et de CFI, chaîne de l'image de la France, de régionaliser les programmes des opérateurs RFI, TV5 et CFI, de constituer des bouquets satellitaires, en dotant l'action audiovisuelle extérieure de moyens budgétaires renforcés.
Au regard des objectifs, l'évaluation portée par le rapport Balle est, malgré les précautions méthodologiques rendues nécessaires par la généralité et le caractère évolutif des objectifs poursuivis, ou par l'insuffisance de données qualitatives, contrastée.
Si la présence télévisuelle mondiale de la France est assurée, hormis des lacunes importantes (Inde, Australie - Nouvelle-Zélande, États-Unis, et, pour RFI, l'Amérique du Sud, l'est de l'Afrique et l'Asie), les programmes sont de valeur moyenne, non du fait de leur qualité intrinsèque mais en raison de leur inadaptation à la demande locale. De ce fait, les instruments d'évaluation des programmes et de l'audience demeurent moins développés que dans d'autres pays. Les opérateurs français sont surtout concentrés sur l'Afrique et développent leur implantation en Europe de l'Est et au Moyen-Orient. Mais leurs résultats sont insuffisants dans le reste du monde : Europe occidentale, États-Unis, Amérique Latine, Asie.
La politique audiovisuelle extérieure souffre également de nombreux handicaps : une politique de diffusion par satellite marquée par la priorité donnée à la desserte du territoire national ou des DOM, des redondances ponctuelles fâcheuses (RFI Africa n° 1 et TV5/CFI en Afrique, TV/diffuseurs nationaux en Europe et au Maghreb, RFI/RMC-MO au Proche-Orient). L'exportation n'est pas considérée comme une composante de la politique audiovisuelle extérieure. La langue française est parlée par un nombre relativement réduit de groupes, éparpillés sur les cinq continents : ce qui peut représenter un atout par ailleurs est, en la matière, une faiblesse, dans la mesure où le français n'est pas parlé dans les marchés les plus dynamiques et où cette situation impose de prévoir des moyens de diffusion mondiaux couvrant tous les continents quand bien même la taille des communautés francophones est très réduite. En outre, l'industrie française des programmes est encore faible et soumise aux marchés locaux. La législation sur le droit d'auteur et les droits voisins constitue, comme l'a amplement démontré le rapport Anelli de mars 1995, un frein puissant aux exportations de programmes. Les objectifs assignés à l'action audiovisuelle extérieure sont multiples et parfois contradictoires (Défense du français ou promotion de l'image de la France, y compris dans les langues nationales ? Message de souveraineté ou stratégie d'image ? Stratégie de coopération ou d'influence ? diffusion gratuite ou commerciale ?). Les moyens de cette politique ne sont pas toujours très clairs : les acteurs publics développent des stratégies d'alliances multiples par l'intermédiaire d'opérateurs différents dont le contrôle échappe partiellement aux pouvoirs publics. Le développement de la présence française s'effectue largement au gré des circonstances, la synergie avec le secteur privé - rôle dévolu à la SOFIRAD - reste insuffisante. Les moyens financiers demeurent faibles (cf. infra ) . La concurrence entre opérateurs publics perdure, malgré la création des Conseils audiovisuels extérieurs de la France, faute d'unité opérationnelle dans l'exercice du pilotage et de la tutelle des opérateurs.
Fixer un cap, se doter des moyens nécessaires pour le garder sont donc les deux grands axes des propositions du rapport Balle.
3. Des propositions audacieuses
a) Une nouvelle définition de l'objectif de la stratégie audiovisuelle extérieure de la France
La politique audiovisuelle extérieure doit se diversifier et ne plus privilégier autant la cible des Français de l'étranger mais également viser l'ensemble des francophones et francophiles et des étrangers « curieux et intéressés par le point de vue de la France ». Tout en maintenant la priorité aux zones d'influences historiques de la France, l'ambition de cette politique doit être mondiale : les ondes et les images de la France doivent pouvoir être captées partout. Mais cette mission de souveraineté ne doit plus être exclusive et doit être rééquilibrée au profit des missions d'exportation de l'image de la France, de la culture et de sa langue, des programmes français. À cet effet, il faut diversifier le contenu des programmes à exporter, réduire le déséquilibre entre radio et télévision, en faveur de celle-ci, rééquilibrer l'information et les programmes ainsi que les aides à l'exportation en faveur des programmes audiovisuels -par rapport à celles destinées au cinéma, élargir l'offre de programmes, accroître, enfin, la part des programmes spécifiques.
Pour atteindre ces objectifs, les moyens doivent être adaptés et diversifiés. En particulier, les programmes doivent être adaptés à la demande , à l'exportation (ce qui suppose le double, le sous-titrage, voire, hélas, le reformatage), et surtout régionalisés. De surcroît, les vecteurs doivent être diversifiés et toutes les formes de transmission et de réception encouragées.
b) Une nouvelle organisation de l'action audiovisuelle extérieure
En matière d'action audiovisuelle extérieure, comme ailleurs, le rôle de l'État doit être redéfini et s'inspirer du principe de subsidiarité. L'État, coordonnateur des actions publiques, devra favoriser la recherche de partenariats avec les diffuseurs privés nationaux ou locaux. La réciprocité devra être encouragée. Les stratégies française et francophone, mulitalérale, devront être distinguées.
À cet égard, le rapport Balle propose la création d'une chaîne française internationale , TV5 International, et la modification profonde du dispositif institutionnel.
Afin d'affirmer solennellement l'intérêt porté par l'État à l'action audiovisuelle extérieure, une loi de programmation sur cinq ans serait votée par le Parlement et l'exposé des motifs de cette loi constituerait la Charte de l'audiovisuel extérieur . Pour l'exécution de cette politique, une instance spécifique serait créée, l'Agence audiovisuelle extérieure.
Structure légère, elle serait doté des différentes lignes budgétaires affectées à cette action et négocierait avec les holdings opérationnels des contrats d'objectifs pluriannuels. Elle nommerait les représentants de l'État au sein des conseils d'administration de ces sociétés holding et leur verserait une subvention annuelle.
L'audiovisuel extérieur serait organisé en deux pôles : France International Radio, d'une part, de France International Télévision, d'autre part.
•
Les
opérateurs radio
,
RFI et
RMC/MO seraient rapprochés, une banque de programmes radiophoniques et
une société holding de gestion des participations minoritaires
dans des radios étrangères seraient créées.
•
Le
nouvel
opérateur télévisé,
France
International Télévision, assurerait la synergie avec les
opérateurs publics nationaux, reprendrait les participations de
l'État au sein de TV5, et de la SOFIRAD au sein de MCM et de Canal
Horizons. Elle posséderait deux filiales : CFI et TV5
International, la nouvelle chaîne internationale française. Une
délégation à l'exportation serait créée au
sein de cet holding.
Enfin, la SOFIRAD serait supprimée.
Un dispositif d'évaluation de l'action audiovisuelle extérieure serait institué.