2. Des effets potentiellement déstabilisateurs
La compétition fiscale n'est pas, par principe, une mauvaise chose. Si ses résultats conduisent à mettre en oeuvre des législations fiscales plus efficaces sur le plan économique, elle est source d'amélioration.
La capacité des Etats à répondre aux défis de la compétition fiscale est alors une question centrale.
Il faut toutefois noter dès ce stade que les Etats ne sont pas dans des situations égales pour manifester cette capacité.
L'aptitude de chacun à adopter le meilleur système fiscal possible varie en fonction de la situation d'origine de son système fiscal, des conditions économiques et sociales qui prévalent et de son système de préférences collectives.
Autrement dit, le passage d'un système fiscal peu économique à un système fiscal économiquement supérieur est plus ou moins douloureux selon les pays.
La désagrégation complète du système de prélèvements soviétiques offre un exemple spectaculaire des coûts d'adaptation d'un système fiscal non économique vers un système fiscal contraint par la concurrence économique mais aussi fiscale. A cet exemple extrême, on peut ajouter bien d'autres illustrations (en particulier, la très forte irritation américaine face aux pressions exercées sur le système fiscal intérieur qui se nourrit beaucoup de l'appréciation portée sur le rôle international des Etats-Unis) qui toutes renvoient à la fragilisation du rôle de l'impôt comme financeur de biens publics.
Mais, au-delà, il est à craindre que la compétition fiscale ne produise des effets surdéterminés.
Le champ de la compétition fiscale internationale "a priori" très vaste doit être apprécié au regard de l'influence fiscale.
La charge fiscale n'est qu'un élément du coût d'une activité sur laquelle elle pèse. De plus, des coûts bruts il faut déduire les avantages liés à une implantation donnée.
En ce qui concerne ces derniers, il est d'ailleurs remarquable qu'ils influencent souvent la valeur prise par la variable fiscale.
Dans les faits, on doit même penser que la variable fiscale prend une valeur dépendant de la valeur d'autres variables. Un exemple emprunté au prix des logements aide à le comprendre : les prix des logements varient selon les aménités du voisinage ; plus elles sont grandes, plus le prix des logements augmente.
Des phénomènes semblables se produisent certainement pour les impôts.
D'autres considérations doivent être prises en compte. La mobilité en constitue une de première importance. L'attractivité réelle d'un système fiscal dépend de ses caractéristiques mais aussi de la propension des activités ou des facteurs à en saisir les opportunités.
Dans ces conditions, il apparaît que la compétition fiscale
- doive porter principalement sur les revenus et facteurs les plus mobiles et les moins concernés par les contreparties de l'impôt ;
- et qu'elle n'est susceptible de contrebalancer les avantages nets d'une localisation concurrente que pour autant qu'elle les égale.
Pour s'en tenir à la première observation, il y a d'abord lieu de l'étayer un peu plus en faisant remarquer l'une des caractéristiques importantes des régimes fiscaux qui est leur mouvance.
Les coûts fiscaux sont en effet des coûts institutionnels susceptibles de variations brutales au gré de décisions politiques.
La mobilité est donc bien l'une des caractéristiques essentielles qu'empruntent les activités et revenus susceptibles d'être la cible de la compétition fiscale internationale.
Le degré de mobilité des facteurs et des richesses qui est susceptible de varier dans le temps à l'intérieur d'une même catégorie est donc le prisme à travers lequel doit se lire le degré de la compétition fiscale internationale.
Le sens de la compétition fiscale internationale doit lui-même être précisé.
Il diffère selon l'impact de l'impôt.
Les impôts "douaniers", c'est-à-dire ceux qui, renchérissant les biens et services importés pouvant être utilisés pour s'assurer un avantage compétitif direct, sont destinés à être augmentés.
En revanche, la diminution de la charge fiscale sera recherchée s'il s'agit d'attirer les activités.
Certains Etats peuvent, de ce point de vue, être tentés de pratiquer une politique fiscale réservant les avantages fiscaux aux non-résidents. Mais cette inégalité de traitement a ses propres limites. Si chacun agit ainsi, l'attraction réciproque des non-résidents risque de se traduire par des gains économiques nuls au prix d'une perte fiscale sèche.
Et c'est l'une des caractéristiques majeures de la compétition fiscale que d'être peu maîtrisable si elle n'est pas régulée.
Le risque de surenchère qui s'y attache est immense.
Les effets de la compétition fiscale, asymétriques selon les Etats, sont susceptibles d'être extrêmement déstabilisateurs.
La structure des prélèvements est susceptible d'être sensiblement modifiée par elle.
Les facteurs les plus mobiles peuvent être "inimposables", ce qui se traduit alors par un transfert de la charge fiscale sur les facteurs captifs.
Cette déformation structurelle, socialement contestable, n'est pas nécessairement injustifiée économiquement. Certains pays qui manquent d'épargne ou bien de technologies de l'épargne -puisque les activités financières étant les plus mobiles sont les plus concernées par la compétition fiscale internationale- peuvent trouver à cette situation des avantages.
Mais, pour les pays dans lesquels l'emploi n'est pas suffisamment développé -en un mot les pays où le chômage est un problème économique et social- le transfert d'imposition sur le travail est l'une des conséquences les plus négatives de la compétition fiscale internationale.