Rapport n° 311 (1995-1996) de M. Jean HUCHON , fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 17 avril 1996

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N° 311

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 17 avril 1996.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires économiques et du Plan (1) sur :

la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement par M. Jacques GENTON et la proposition de résolution, présentée en application de l'article 73 bis du Règlement Par M. Louis MINETTI, Mme Marie-Claude BEAUDEAU, M. Jean-Luc BÉCART, Mme Danielle BIDARD-REYDET, M. Claude BILLARD, Mmes Nicole BORVO, Michelle DEMESSINE, M. Guy FISCHER, Mme Jacqueline FRAYSSE-CAZALIS, MM Félix LEYZOUR, Paul LORIDANT, Mme Hélène LUC, MM. Robert PAGÈS, Jack RALITE, et Ivan RENAR sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes et sur la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes (n° E-613),

Par M. Jean HUCHON,

Sénateur.

Cette commission est composée de : MM. Jean François-Poncet, président : Gérard Larcher, Henri Revol, Jean Huchon, Fernand Tardy, Gérard César, Louis Minetti. Vice-présidents : Georges Berchet, William Chervy, Jean-Paul Émin, Louis Moinard, secrétaires : Louis Althapé, Alphonse Arzel, Mme Janine Bardou, MM. Bernard Barraux. Gérard Bécot, Jean Besson, Claude Billard, Marcel Bony, Jean Boyer, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Michel Charzat, Marcel-Pierre Cleach, Roland Courteau, Désiré Debavelaere, Gérard Delfau, Fernand Demilly, Marcel Deneux, Rodolphe Désiré, Jacques Dominati, Michel Doublet, Mme Josette Durrieu, MM. Bernard Dussaut, Jean-Paul Emorine, Léon Fatous, Philippe François, Aubert Garcia, François Gerbaud, Charles Ginésy, Jean Grandon, Francis Grignon, Georges Gruillot, Claude Haut, Mme Anne Heinis, MM. Pierre Hérisson, Rémi Herment, Bernard Hugo, Bernard Joly, Edmond Lauret, Jean-François Le Grand, Félix Leyzour, Kléber Malécot, Jacques de Menou, Louis Mercier, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean-Marc Pastor, Jean Pépin, Daniel Percheron, Jean Peyrafitte, Alain Pluchet, Jean Pourchet. Jean Puech. Paul Raoult, Jean-Marie Rausch, Charles Revet, Roger Rigaudière, Roger Rinchet, Jean-Jacques Robert, Jacques Rocca Serra. Josselin de Rohan, René Rouquet, Raymond Soucaret, Michel Souplet, Jacques Sourdille, André Vallet, Jean-Pierre Vial.

Voir les numéros :

Sénat : 305 et 308 (1995-1996)

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est saisie de deux propositions de résolution sur deux propositions de règlement du Conseil : l'une portant organisation commune des marchés (OCM) dans le secteur des fruits et légumes frais, autre réformant l'organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes (Corn (95) 434 final/n° E613).

La première proposition de résolution, déposée le 10 avril dernier, est présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne par M. Jacques Genton ; la seconde, en date du 12 avril, émane de M. Louis Minetti et des membres du groupe communiste républicain et citoyen.

Or, le dossier de la réforme des OCM fruits et légumes est ouvert depuis presque deux ans. C'est, en effet, en juillet 1994 que la Commission a transmis au Conseil et au Parlement européen une communication sur « l'évolution et l'avenir de la politique communautaire dans le secteur des fruits et légumes » .

Dans cette communication, la Commission analysait la situation du secteur des fruits et légumes, frais et transformés, et son évolution prévisible, tant en ce qui concerne le marché mondial que le marché communautaire. Elle tirait également les leçons de trente années d'organisation commune des marches et annonçait ses intentions quant à la réforme nécessaire de celle-ci.

Cette communication qui a fait l'objet de débats longs et approfondis au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social et avec l'ensemble des milieux professionnels concernés a servi de base à la proposition de règlement portant réforme des OCM, soumise au Conseil en octobre 1995.

Dans un premier temps, le Gouvernement avait considéré que cette proposition n'était pas de nature législative et n'avait donc pas à être soumise au Parlement en application de l'article 88-4 de la Constitution, avant de transmettre finalement ce texte aux Assemblées au début du mois d'avril.

Ce revirement -opportun- explique que la saisine des Assemblées intervienne à un stade déjà avancé de la procédure d'examen et dans des conditions qui leur permettront difficilement d'avoir une influence sur le débat communautaire. En effet, comme le souligne la délégation du Sénat pour l'Union européenne, ce projet de réforme « semble aujourd'hui être entré dans la phase finale du processus de décision ». Après l'avis du Parlement européen au mois de mars dernier qui a examiné près de deux cents amendements, le Conseil des ministres de l'Agriculture de l'Union européenne pourrait conclure cette réforme lors de sa réunion prévue les 29 et 30 avril.

Devant les réactions des producteurs, notamment français, et les critiques de certains Etats membres, parfois pour des raisons contradictoires, la présidence italienne de l'Union européenne a su faire preuve de beaucoup de dynamisme sur ce sujet.

La Commission estime en effet aujourd'hui cette réforme nécessaire, même si cette forme d'OCM a fonctionné de façon satisfaisante jusqu'au début des années 90, en dépit de quelques problèmes d'excédents structurels indéniables.

Après avoir rappelé l'importance économique et sociale d'un secteur qui pèse aussi lourd en chiffre d'affaires que celui des céréales ou du lait et constitue le premier employeur du monde agricole 2 ( * ) , votre commission a jugé nécessaire de présenter les grands traits de l'analyse de la Commission européenne et des modifications proposées aux actuelles OCM (I) avant d'exposer sa position, guidée par le double souci de mettre en oeuvre des mécanismes plus satisfaisants pour parvenir à un réel équilibre mais aussi de renforcer la compétitivité du secteur européen des fruits et légumes, gage du maintien de nos parts de marché (II).

I- L'ANALYSE DE LA COMMISSION EUROPÉENNE ET LE CONTENU DE SA PROPOSITION DE RÉFORME

A- L'ANALYSE DE LA COMMISSION : UNE RÉFORME NÉCESSAIRE

Contrairement à d'autres filières, la réglementation communautaire est particulièrement réduite dans le secteur des fruits et légumes. La Commission s'est donc orientée vers des propositions de réforme qui consolident les acquis positifs des actuelles OCM tout en les simplifiant et en éliminant les dérives et faiblesses qui ont pu être observées.

Dés 1993, la mission sénatoriale chargée d'étudier le fonctionnement des marchés des fruits et légumes et de l'horticulture avait relevé que :

« La plupart des personnes rencontrées par la mission à l'occasion auditions ou des déplacements qu'elle a conduits ont souligné le caractère peu satisfaisant du fonctionnement des organisations communes de marché dans le secteur des fruits et des légumes. Or les désajustements entre l'offre et la demande sont, pour ces produits, fréquents, compte tenu de leur très grande sensibilité aux circonstances climatiques ».

1. Un secteur en crise

a) Un secteur d'une grande importance économique et sociale


• En Europe

Selon les statistiques de la période 1990-1992, la production communautaire de fruits et légumes utilise 4,3 % de la superficie agricole utile ( soit 5,5 millions d'hectares), représente plus de 16 % de la production finale agricole et compte 1.800.000 exploitations d'une dimension moyenne de 1,3 hectare produisant des fruits et légumes frais. Les exploitations « professionnelles » spécialisées dans la production de légumes sont environ 100.000 avec une superficie moyenne de 4,2 hectares. Pour les fruits, ces chiffres sont respectivement de 350.000 exploitations et de 7 hectares. 3 ( * )

Ce secteur, qui utilise peu de terres et génère une plus forte valeur ajoutée à l'hectare que les exploitations moyennes, est également le principal employeur de main d'oeuvre agricole. Il est en outre localisé dans des régions souvent éprouvées par le chômage, où n'existent pas de réelles possibilités de diversification de l'emploi et joue par là-même un rôle important pour l'emploi rural.

En règle générale, le revenu des exploitations spécialisées en légumes est nettement supérieur au revenu des exploitations spécialisées en fruticulture. Cependant ces données englobent des situations très diverses qui correspondent à des conditions d'organisation de la production et à des critères d'efficacité très inégaux, tant en ce qui concerne les pays que les produits.

L'Union européenne, premier importateur mondial de fruits et légumes, avec 1.950 millions d'écus d'importations et un déficit commercial sur ces produits de 1.280 millions d'écus, constitue le marché le plus attrayant en raison des prix qui y sont pratiqués. La production communautaire de 22 millions de tonnes de fruits frais (auxquelles s'ajoutent 8 millions de tonnes d'agrumes) et de 47 millions de tonnes de légumes ne couvre, en effet, que 40 % de la demande intérieure. L'Union importe avant tout des fruits, frais et surtout transformés (jus d'agrumes et de pommes).

Le commerce intra-communautaire est très actif, puisqu'il dépasse 6,5 millions de tonnes (8,7 millions de tonnes avec les agrumes), soit environ 70 % des volumes de fruits et légumes qui circulent. Les principaux expéditeurs sont l'Espagne et l'Italie, tandis que l'Allemagne est le principal client.

Le secteur a un poids relatif dans la production agricole totale plus important dans les pays du Sud (Espagne : 27 %, Italie : 27 %, Grèce : 23 %, Portugal : 18 %) qu'en France (12 %) dont l'économie agricole est plus diversifiée.


• Sa place dans l'économie nationale est considérable

La production française moyenne de fruits et légumes s'établit à environ 10 millions de tonnes, dont 6 millions de légumes, hors pommes de terre, et 4 millions de fruits, pour une valeur estimée à environ 32 milliards de francs. Plus de 170.000 exploitations, réparties à peu près par moitié entre les fruits et les légumes, occupent environ 520.000 hectares et procurent 250.000 emplois, dont 190.000 pour l'activité légumière. Sept régions représentent Plus de 90 % du potentiel national.

La France joue un rôle important dans la production d'endives (39 % de la production européenne), de poireaux (28 %), d'haricots verts (27 %), de Petits pois (27 %) et de choux-fleurs (22 %).

Le circuit de distribution, constitué par un réseau regroupant environ 800 expéditeurs, 200 coopératives, 100 associations et syndicats de mise en marché, 2.000 grossistes et 80.000 points de vente, emploie également 250.000 personnes.

50 % environ des fruits et légumes commercialisés en France sont importés et proviennent principalement de la Communauté. La balance commerciale de la France est donc structurellement déficitaire (9,6, 8,4 et 8,3 milliards de francs respectivement en 1992, 1993 et 1994), en raison notamment de l'importation de produits à contre-saison. Pour les légumes, l'Espagne est de loin le premier fournisseur avec 37 % des importations, la tomate représentant 33 % en valeur des importations totales ; pour les fruits, le commerce extérieur est marqué par un déficit dû aux importations d'agrumes et de fruits tropicaux.

PRODUCTION EUROPÉENNE DE LÉGUMES FRAIS

1980

1990

1992

1993

Millions de tonnes

1

EUR 12

38,0

46,0

46,5

Italie

11,5

12,2

12,6

12,1

Espagne

8,4

11,5

10,5

France

4,6

5,5

5,6

5,7

Grèce

4,2

3,9

4,2

Autres pays

9,3

12,9

13,6

EUR 12

38,0

46,0

46,5

Tomate

11,1

13,5

12,7

12,6

Melon, pastèque

3,3

3,9

3,8

Chou

3,1

3,3

3,4

Oignon

2,6

3,1

3,2

Salade

2,3

3,0

3,0

Carotte

2,0

2,9

3,2

Chou-fleur

1,9

2,0

2,3

2,3

Aubergine, courge

1,2

1,4

1,4

Poivron, piment

1,2

1,5

1,5

Autres

9,4

11,4

12,1

PRODUCTION EUROPÉENNE DE FRUITS

1980

1990

1992

1993

Millions de tonnes

EUR 12

28,8

31,0

Italie

10,0

10,1

10,4

Espagne

6,7

8,7

Grèce

3,1

3,5

France

3,4

3,5

3,4

3,9

Allemagne 4 ( * )

3,3

3,0

3,0

3,3

EUR 12

Dont : pomme

8,2

8,0

8,8

9,1

Poire

3,0

2,5

2,5

2,7

Pêche 5 ( * )

2,7

3,8

4,0

4,3

b) Un secteur soumis à des tensions accrues

Le secteur des fruits et légumes se distingue des autres grands secteurs dotés d'une OCM à la fois par la multiplicité et la diversité des Produits qu'il concerne (plus d'une cinquantaine), par le caractère périssable de la plupart de ces produits (possibilités de stockage limités), par une plus forte orientation vers le marché (rôle plus limité de l'intervention) et par une décentralisation assez marquée de la régulation du marché qui, en bonne Partie, est confiée aux organisations de producteurs.

Jusqu'au début des années 90, le secteur des fruits et légumes a toujours su s'adapter aux oscillations conjoncturelles d'un marché réputé difficile.

Les difficultés rencontrées en 1992 tiennent principalement à des raisons d'ordre conjoncturel. Cependant les problèmes structurels du secteur des fruits et légumes ne doivent pas être sous-estimés. Production, consommation et importations semblent obéir à des tendances de fond que les mécanismes régulateurs des marchés, tels qu'ils sont aujourd'hui organisés, ne parviennent pas à compenser.

Tout d'abord, la consommation progresse moins et se déplace vers des produits exotiques ou transformés.

La mission sénatoriale sur les fruits et légumes avait déjà conclu, en 1993 à une stagnation, sur le long terme, de la demande intérieure de fruits et légumes en valeur absolue, en dépit de l'accroissement de la population et de "augmentation des prix.

Ensuite, on peut s'interroger sur une éventuelle situation de surproduction structurelle qui semble être engendrée davantage par une hausse des rendements que par une extension des superficies.

L'exemple de la pomme et de la poire illustre parfaitement l'évolution du verger, non seulement au niveau français mais européen, les retraits devenant systématiques pour certaines variétés de pommes et de Poires.

Il en est de même pour la tomate française et belge qui à certaines saisons subit la concurrence de la tomate des Canaries et du Maroc, ainsi que Pour les choux-fleurs.

De plus, le développement de la grande distribution, qui parfois « casse » les prix, sans pour autant augmenter les volumes vendus, accentue la pression sur ce secteur. En effet, aujourd'hui, trois achats de fruits sur cinq effectuent en grande et moyenne surface. La part de marché occupée par les grandes et moyennes surfaces dans la distribution s'accroît de manière constante (+ 3 % par an en moyenne).

Enfin, depuis quelques années, le marché des fruits et légumes a été fortement fragilisé par la multiplication d'accords multilatéraux ou bilatéraux conclus par la Communauté avec les pays tiers. La conséquence générale induite par ces accords est la désaisonnalisation des produits qui entraîne la suppression de l'effet « primeurs » et une disparition de l'effet « proximité ».

Ces déséquilibres structurels touchent aussi bien le secteur des fruits que celui des légumes pour lequel M. Jean-Michel Ferrand, député du Vaucluse, a dressé récemment un constat alarmiste en France dans son rapport au Premier ministre.

2. Des déséquilibres que l'OCM ne parvient plus à réguler

Le règlement 1035/72 portant sur l'OCM fruits et légumes frais ne permet pas, en l'état actuel, de régler le cas de crises profondes et généralisées. A l'évidence, comme en témoigne la crise de 1992, la réglementation communautaire et l'application qui en est faite, ne permettent ni d'intervenir efficacement sur le marché communautaire pour enrayer un effondrement généralisé, ni de réguler de façon satisfaisante les importations des pays tiers.

L'analyse approfondie des mécanismes de l'OCM permet de déceler un certain nombre de faiblesses qui s'expriment notamment à travers :

- le fonctionnement encore peu satisfaisant de certaines organisations de producteurs ;

- l'importance atteinte par les retraits subventionnés pour certaines productions et dans certaines régions de l'Union ;

- les critiques auxquelles est parfois confrontée la normalisation à l'échelle communautaire ;

- les statistiques et les contrôles encore trop lacunaires.


Une organisation économique insuffisamment structurée

Les organisations de producteurs constituent un des éléments clé de l'OCM et assurent le fonctionnement décentralisé de ses mécanismes. Excepté en cas de « crise grave », relativement limitées jusqu'à présent, les retraits subventionnés sont réservés aux organisations de producteurs qui les effectuent selon les règles communautaires.

Cela étant dit, le rôle des organisations de producteurs doit aller bien au-delà de la gestion décentralisée du retrait. Face à une demande toujours plus concentrée (centrales d'achat et grande distribution), le regroupement de l'offre par le biais des organisations de producteurs apparaît comme une nécessité économique en vue de renforcer la position des producteurs sur le marché.

Or, la Commission a constaté que « des organisations de producteurs sans grandes ambitions commerciales ne justifient leur existence que par le retrait qu'elles gèrent ou les subventions structurelles qu'elles reçoivent, et que des régions, où les organisations de producteurs sont minoritaires et où l'on trouve d'autres opérateurs commerciaux, semblent jouer leur rôle d'une manière jugée plutôt satisfaisante par un grand nombre de producteurs locaux ».


Des retraits subventionnés détournés de leur finalité

Le système des retraits subventionnés a été conçu pour faire face à des excédents conjoncturels de produits frais et périssables, excédents liés aux aléas climatiques.

Pour les cinq dernières années (1989 à 1993), les dépenses budgétaires pour les retraits étaient, en moyenne, de l'ordre de 310 millions d'écus par an. Plus de 90 % ont été dépensés pour les fruits et ce, presqu'exclusivement pour les pêches, les nectarines, les pommes et les agrumes. Dans le cas des légumes, le système n'a été appliqué en pratique que pour les tomates d'été et pour les choux-fleurs, plus quelques faibles quantités d'aubergines.

Quant à l'évolution des retraits, la tendance est plutôt à la hausse et il faut s'attendre à ce que l'augmentation tendancielle des retraits se poursuive, tant en volumes qu'en dépenses, en dépit de l'existence d'un régime de seuils d'intervention.

Dans certains cas lorsque les coûts de production sont bas, le retrait semble être devenu progressivement un véritable débouché. Parfois, on a l'impression que des producteurs se sont engagés dans un cercle vicieux : on produit pour le retrait ; on essaie donc de minimiser les coûts d'entretien et de pousser la quantité et non la qualité ; on s'éloigne ainsi de plus en plus des exigences du marché et on aboutit finalement à une production qui ne peut aller qu'au retrait.


Des normes de qualité mal comprises des consommateurs

Les normes de qualité constituent un langage spécifique en vue de faciliter le commerce. C'est un système de classification qui contribue à la transparence du marché en permettant de connaître certaines caractéristiques d'un produit commercialisé.

La normalisation a aussi été utilisée comme instrument de gestion du marché. A titre d'exemple, elle a ainsi conduit à deux mesures qui ont fait l'objet de certaines critiques :

- l'interdiction de principe de la commercialisation sur le marché du frais des produits de la catégorie III ;

- la fixation du calibre minimum des pommes communautaires des variétés à gros fruits à 65 mm au lieu des 60 mm initiaux.

Ces normes sont parfois mal perçues par les consommateurs qui ne peuvent pas disposer d'une marchandise apte à la consommation et parfois traditionnellement consommée dans leur région.


• Les lacunes statistiques évidentes

Lors de ses travaux d'analyse, la Commission a constaté des lacunes importantes en ce qui concerne l'information statistique disponible. Ainsi, personne n'est capable de dire précisément le volume des importations de fruits et légumes qui entre dans l'Union européenne.

Par ailleurs, au cours de son enquête, qui porte sur les campagnes 1990/1991 et 1992/1993, la Cour des comptes européenne a relevé « des insuffisances dans les contrôles et la gestion des opérations de retrait en France, en Italie et en Grèce entraînant des paiements injustifiés ». Selon elle, la plupart des groupements de producteurs sont loin de remplir le rôle que leur a été assigné par Bruxelles. «Le système d'inspection et d'approbation par les autorités nationales devrait être fortement renforcé », a souligné la Cour. « Il est nécessaire d'assurer un suivi régulier et substantiel des opérations des groupements afin que ceux-ci puissent s'acquitter correctement de la gestion des marchés qui leur incombe ». En France, la Cour a mis en avant le fait que les organisations de producteurs ne disposaient pas d'un fonds d'intervention propre pour assurer le financement des opérations de retrait. « Les organisations de producteurs ne procèdent pas au dédommagement de leurs adhérents avant d'avoir été payés par l'Office National Interprofessionnel des Fruits et Légumes et de l'Horticulture», a constaté la Cour. Ainsi le coût du retrait est-il supporté exclusivement par les exploitants ayant procédé à des retraits et non par l'ensemble des adhérents d'un même groupement.

B- LE CONTENU DE LA RÉFORME PROPOSÉE : UNE RÉFORME PERTINENTE DANS SES PRINCIPES

La Commission pouvait s'appuyer sur plusieurs logiques pour reformer ces OCM. La plus radicale aurait été d'envisager une réforme profonde dans le sens d'une mise en place de droits à produire ou de quotas, à l'instar des autres productions. A l'examen, cette voie a été écartée en raison des difficultés de mise en oeuvre, de l'incertitude sur l'application effective de cette maîtrise de la production dans les autres Etats, de la difficulté d'attribution initiale de ces droits à produire, puis de leur transmission. Une telle politique aurait d'ailleurs risqué d'entraver la dynamique indispensable pour « suivre » le marché, surtout à un moment où la concurrence de l'extérieur se renforce.

Un système de libéralisme encadré a été préféré, fondé sur un marché fixant le prix payé au producteur et déterminant ses revenus, mais tempéré par une réglementation garantissant sa transparence et empêchant des déséquilibres excessifs.

1. Les objectifs recherchés

Le Commissaire européen à l'agriculture, M. Franz Fischler, a résumé ainsi les quatre objectifs essentiels de la proposition de réforme :

- améliorer l'efficacité et la qualité de la production, à l'avantage aussi bien des producteurs que des consommateurs ;

- amener les producteurs à faire mieux correspondre leur offre à la demande et réduire progressivement les quantités de produits retirés et détruits en rendant aux mécanismes d'intervention leur caractère de « filet de sécurité » et non pas de débouché ;

- stopper l'augmentation des coûts et mieux utiliser les crédits disponibles. Le coût de l'OCM resterait à peu près inchangé et se situerait autour d'1,6 milliard d'écus par an, mais les crédits seraient davantage destinés à l'amélioration des structures et à la promotion de la qualité des produits qu'au retrait des excédents ;

- appliquer correctement les accords de l'Uruguay round concernant la diminution progressive des droits de douane à l'importation (qui doivent diminuer de 36 % en six ans).

2. Les mesures envisagées

Afin d'atteindre ces objectifs, la Commission propose de combiner différents types de mesures.

a) Remédier aux insuffisances de l'OCM des fruits et légumes frais


• Le renforcement des organisations de producteurs

Les organisations de producteurs (OP) deviennent la clef de voûte de la nouvelle OCM. Ce renforcement passe par l'introduction de nouvelles exigences relatives à la composition des organisations et aux moyens techniques et financiers dont elles disposeraient pour agir au niveau de la commercialisation. En particulier, ces organisations ou « groupements de producteurs rénovés » pourraient utiliser un nouvel instrument appelé fonds opérationnel cofinancé par les adhérents, l'Union et l'Etat membre (50 %, 40%, 10 %). Ce fonds financera les opérations de retrait communautaire, les compléments aux indemnités communautaires de retrait et les actions positives d'amélioration de la qualité et de mise en valeur commerciale. Ces différentes actions s'inséreraient dans un programme opérationnel, défini pour quatre ans, et qui devrait confirmer la vocation structurelle des actions de l'organisation : seuls 10% des montants du fonds seraient dévolus au retrait, à l'issue d'une période transitoire de cinq ans.

L'objectif de renforcement des OP conduit la Commission à prévoir que les producteurs ne pourraient adhérer qu'à une seule OP et les producteurs membres d'une OP devraient fournir à celle-ci au moins les neuf dixièmes de leur production.

Il est à noter que la Commission propose un régime plus favorable pour les OP opérant dans plusieurs Etats membres : la part des subventions publiques dans les opérations financées par leur fonds opérationnel passerait de 50 à 60 % des dépenses pour les opérations autres que celles relatives au retrait.


La diminution des coûts de l'intervention

La Commission considère que, si le maintien du système de retrait se révèle nécessaire, ce dernier doit cependant constituer un filet de sécurité et non un débouché en lui-même. Le prix des indemnités de retrait serait ainsi doublement diminué. La première année, il serait égal à la moyenne des prix mensuels les plus bas, sans distinction de catégorie, ce qui pourrait pour certains produits constituer une diminution considérable (par exemple - 65 % pour les pommes). Par la suite, cette indemnité serait réduite de 15%. Les volumes mis au retrait seraient également diminués et ne pourraient représenter que 10% des volumes commercialisés par l'organisation.

La réduction des dépenses liées au retrait et à la réorientation des crédits communautaires vers l'amélioration des conditions de production et de commercialisation devrait, selon la Commission, permettre de stabiliser durablement le coût de l'OCM autour de 1,6 milliard d'écus par an.


• La délégation de la fonction de classification des produits

La Commission prévoit, en mettant en avant un objectif de simplification, l'adoption des normes de qualité élaborées dans le cadre de la commission économique pour l'Europe de l'ONU, celles-ci étant généralement semblables aux normes communautaires. Toutefois, la \ proposition prévoit des exceptions dans certains cas (produits vendus par le producteur sur les marchés locaux ; produits vendus à des fins de préparation, conditionnement ou stockage ; existence, dans une région déterminée, de traditions culinaires ou d'habitudes de consommation spécifiques).


La reconnaissance des interprofessions

L'OCM reconnaît officiellement les organisations interprofessionnelles dans leur rôle d'équilibre du marché, d'amélioration de la qualité, et d'actualisation des informations concernant le marché pour les producteurs. Une incitation financière à leur mise en place serait mise en place.


L'harmonisation et le renforcement des contrôles nationaux et
communautaires

Le renforcement et l'harmonisation des contrôles sont des exigences maintes fois exprimées. Une mise en oeuvre efficace des accords du GATT et des orientations proposées n'est possible que s'il existe des dispositifs de contrôle adéquats tant au niveau national qu'européen.

Plus généralement, les orientations proposées vont dans le sens d'une simplification de la réglementation communautaire et d'une responsabilité accrue des producteurs et de leurs organisations. Leur mise en oeuvre nécessiterait donc, de la part des différentes administrations, des efforts de contrôle plus importants qu'aujourd'hui.

Ce renforcement des contrôles toucherait plus particulièrement la gestion des fonds de roulement par les organisations de producteurs, le respect des normes de qualité commerciales et sanitaires et le fonctionnement correct du régime des prix d'entrée. L'existence d'un noyau, réduit mais opérationnel, d'inspecteurs communautaires, contribuerait à garantir aux producteurs communautaires et des pays tiers, aux consommateurs et aux opérateurs de la filière l'application uniforme et non discriminatoire des contrôles.

b) Consolider le régime de l'OCM fruits et légumes transformés

L'organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes est définie par le règlement de base n° 426-86 du 24 février 1986.

La Commission propose de maintenir les principes de cette OCM fondée sur un régime d'aides versées aux transformateurs, sous réserve qu'ils aient payé aux producteurs un prix minimal qui détermine le revenu de ces derniers, en l'assortissant de quatre modifications. Ces mesures portent sur :

- la limitation de l'octroi des aides à la transformation aux seuls transformateurs ayant passé des contrats avec des organisations de Producteurs ;

- l'introduction d'un système plus flexible pour la gestion des quotas d aide à la transformation des tomates ;

- l'établissement d'une base juridique pour la mise en oeuvre d'actions spécifiques pour des produits d'importance locale ;

- la modification des conditions d'achat des raisins secs et des figues sèches par les organismes stockeurs.

En tout état de cause, la Commission a cherché à établir une relation équilibrée entre produits frais et transformés.

C. LES PROPOSITIONS DE RESOLUTION n° 305 ET n° 308

1 La proposition de résolution n° 305

La proposition de résolution n° 305 présentée par M. Jacques Genton au nom de la Délégation pour l'Union européenne, dont l'exposé des motifs s'avère très détaillé, invite le Gouvernement :

- à soutenir les orientations de ce texte relatives au renforcement du rôle et des moyens des organisations de producteurs, à la reconnaissance et au développement des interprofessions, à la limitation du rôle du retrait dans le fonctionnement des marchés ;

- à proposer un assouplissement des modalités prévues pour la réforme du mécanisme du retrait, tant en ce qui concerne la détermination des prix de retrait qu'en ce qui concerne la limitation des volumes retirables et des dépenses des fonds opérationnels pour le financement complémentaire des retraits, afin de garantir aux organisations de producteurs la marge de manoeuvre nécessaire à une gestion efficace compte tenu de la spécificité des marchés en cause ;

- à demander que soit pris sans délai l'ensemble des mesures nécessaires au fonctionnement de la clause de sauvegarde spéciale prévue par les accords de Marrakech ;

- à obtenir, par son action au sein du Conseil, une clarification de la politique commerciale de la Communauté dans le domaine agricole, afin de garantir le respect effectif de la préférence communautaire, menacée notamment par la multiplication des initiatives de la Commission européenne, menées sans mandat du Conseil, tendant à la conclusion d'accords de libre échange.

Votre commission souscrit à l'analyse et aux demandes formulées par la Délégation. Elle vous proposera donc de les retenir, tout en les complétant sur les points que n'avaient pas abordés les auteurs de la proposition de résolution.

2. La proposition de résolution n° 308

Présentée par notre collègue M. Louis Minetti et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, la proposition de résolution n° 308 conteste l'analyse présentée par la Commission européenne et, par conséquent, « demande au Gouvernement français d'intervenir dans ces conditions pour modifier en profondeur le texte élaboré par la Commission ».

Les critiques portent notamment sur les mesures envisagées par la Commission, tant en matière institutionnelle que financière, qui tendraient « à limiter de manière drastique la production européenne et, dans le même temps, de permettre l'ouverture inconsidérée du marché communautaire à des quantités importées de produits de qualité et de provenance souvent incertaines ».

Considérant que le texte ne rappelle à aucun moment le principe de la préférence communautaire et qu'il néglige toute notion « d'importations complémentaires en provenance des pays tiers, que son application mettrait en cause l'avenir de dizaines de milliers d'exploitations de l'Union européenne et qu'il conduirait à affaiblir l'ensemble de la filière communautaire des fruits et légumes », la proposition de résolution demande une révision fondamentale de la réforme proposée.

Elle propose tout d'abord comme base d'adoption les mesures envisagées dans le rapport de la mission sénatoriale d'information sur les fruits et légumes puis invite le Gouvernement à intervenir afin :

- que le principe de l'application de la préférence communautaire
soit réaffirmé et concrètement mis en oeuvre ;

- que les distorsions de concurrence dues aux pratiques de « dumping social » et aux dévaluations monétaires soient corrigées ;

- qu'il soit mis un terme aux délocalisations de productions ;

- que la notion de bassins traditionnels de production soit reconnue ;

- que le budget communautaire destiné aux interventions dans le secteur des fruits et légumes soit réévalué à hauteur des crédits alloués aux autres productions ;

- et que la transparence des relations commerciales dans l'ensemble de la filière soit instituée et contrôlée.

Votre commission partage, pour partie, les inquiétudes des auteurs de la proposition de résolution. Plusieurs des dispositions qu'elle vous proposera d'adopter répondent aux préoccupations formulées par nos collègues.

II- LA POSITION DE VOTRE COMMISSION

S'il n'est pas douteux que le secteur des fruits et légumes en France est pénalisé par le système en vigueur, il n'est pas assuré pour autant que la proposition de réforme de la Commission corresponde à son intérêt.

Devant les propositions de réforme de la Commission, deux attitudes étaient concevables : repousser l'ensemble des dispositions proposées ou en retenir les principales orientations en en corrigeant les faiblesses et en demandant des garanties. Il n'a pas paru souhaitable à votre commission de proposer le rejet du dispositif proposé : elle a donc opter pour la seconde attitude.

Les propositions de votre commission ont pour objet, tout d'abord, de modifier le dispositif proposé au niveau communautaire, afin d'en empêcher les dérives prévisibles et d'en infléchir les dispositions dans un sens plus conforme aux intérêts de la filière des fruits et légumes ; elles visent aussi à dénoncer, une nouvelle fois, l'absence de mise en place des mécanismes de protection du marché communautaire conduisant à considérer le secteur agricole, et notamment celui des fruits et légumes, comme une perpétuelle monnaie d'échange.

A- UNE RÉFORME INSUFFISANTE DANS SES MODALITÉS

Si votre commission souscrit, globalement, à l'esprit de cette réforme, elle propose la mise en oeuvre de mécanismes plus satisfaisants pour parvenir à un réel équilibre et renforcer la compétitivité du secteur des fruits et légumes.

Comme le souligne la Délégation du Sénat pour l'Union européenne les modalités de la réforme sont conçues avec une rigidité excessive, qui pourrait compromettre leur efficacité, et le dispositif proposé comporte des insuffisances notables.

1. Permettre un renforcement effectif de la filière au sein d'une profession organisée

a) Une organisation économique plus structurée


• Les organisations de producteurs et les interprofessions

Ces organisations pourront devenir la cheville ouvrière de ce secteur si elles sont réellement à même de remplir le rôle qui leur est assigné.

Les organisations de producteurs estiment qu'afin de mettre en place une organisation de la production à la fois la plus efficace possible et suffisamment souple, le principe d'une reconnaissance des organisations de producteurs par produit devrait être conservé, telle qu'il était prévu dans le règlement 1035/72, et imposer aux producteurs de n'être adhérents que d'une seule organisation de producteurs pour tous les produits pour lesquels cette organisation est reconnue.

En effet, l'obligation pour un producteur donné de n'être membre que d'une seule organisation de producteurs et de vendre soit la totalité de sa production au travers de cette organisation de producteurs, soit une partie seulement et l'autre partie au travers d'une autre organisation de producteurs, choisie par la première organisation de producteurs, risque de poser des problèmes comme, par exemple :

- l'octroi d'une « prime à l'inefficacité » à des structures non spécialisées dans la commercialisation de certains produits mais qui pourraient obliger leurs adhérents à livrer ces produits ;

- ou l'impossibilité pour un producteur produisant deux produits distincts et très spécifiques (pêche et tomate d'industrie, par exemple) de s'impliquer dans la gestion de deux organisations de producteurs différentes.

Enfin, l'absence de critères de reconnaissance des OP et la non attribution d'aides aux groupements de producteurs pour favoriser leur mise en conformité avec les nouvelles règles et les inciter au regroupement en bassins de production s'avèrent dommageables.

En ce qui concerne les interprofessions, les professionnels font observer qu'en préconisant la reconnaissance de plusieurs interprofessions de niveau régional dans un même Etat membre, le texte risque de provoquer le désordre dans l'ensemble de la filière. De plus leur rôle n'est pas clairement défini (par exemple, en matière de commercialisation).


L'industrie de la transformation

La difficulté particulière porte sur l'exclusivité des contrats entre le secteur de transformation et les organisations de producteurs. Il s'agit d'une mesure acceptable à moyen terme, mais qui va certainement provoquer, dans l'immédiat, de graves problèmes d'adaptation dans les Etats et les régions confrontés à des retards dans la structuration de leurs organisations de producteurs. Cela tend à montrer la nécessité de définir une période de transition adéquate dans la réforme de l'OCM.

D'autre part, la proposition visant à remplacer dans l'industrie de la transformation les quotas fixes par des quotas mobiles peut provoquer, arbitrairement, de sérieux problèmes en favorisant certains Etats membres au détriment d'autres.

b) La diminution des retraits doit être ni systématique ni globale

La proposition de la Commission visant à réduire progressivement les prix de retrait pour les rendre complètement dissuasifs au bout de quatre ans ne peut être acceptée.

S'agissant des retraits, il convient en effet d'établir une distinction entre excédents structurels et excédents conjoncturels, afin d'adapter le mécanisme d'élimination des premiers et de réserver le régime de retrait aux seconds. C'est pourquoi les réductions linéaires des prix institutionnels proposées par la Commission sont contestables, celles-ci ne pouvant être acceptées que pour certains produits et pour certaines variétés provenant d'un nombre limité de régions. Une réduction radicale de l'ensemble des prix de retrait pourrait entraîner les disparitions de dizaines d'exploitations, l'indemnisation ne couvrant même pas les frais de cueillette.

Ainsi, par exemple, la baisse du prix de retrait découlant du calcul de celui-ci à partir du prix mensuel moyen le plus bas de 1995/1996 serait négligeable pour les aubergines, les raisins, les abricots ; mais elle serait de 56 % pour les pommes, de 45 % pour les poires et de 30 % pour les choux-fleurs et les tomates. Si l'on prend en compte la baisse supplémentaire de 15 % prévue sur 5 ans, la réduction du prix de retrait paraît, pour certains produits, draconienne.

Jusqu'à présent, les retraits constituent le seul élément de soutien direct du secteur et représentent un filet de sécurité indispensable en raison des caractéristiques de la production (caractère périssable et irrégularité en raison des conditions climatiques). Or, la volonté de la Commission de plafonner les retraits à 10 % de la production commercialisée de chaque groupement de producteurs est en totale contradiction avec le fait qu'elle reconnaisse, dans son exposé des motifs, que l'apparition d'excédents conjoncturels est inhérente à la production des fruits et des légumes et que, dans ce cas, les retraits constituent un instrument efficace pour soutenir les prix de marché. Il faut donc impérativement supprimer cette notion de plafond mais, par contre, mettre en place un système de responsabilité des opérateurs par rapport aux quantités retirées. Ainsi, le système retenu paraît rigide, contraignant et inéquitable.

c) La réforme des fonds opérationnels doit s effectuer au bénéfice de l'ensemble de la filière

La Commission préconise la création d'un mécanisme de cofinancement public. La méthode du fonds de roulement unique -doté de missions très vastes- pour regrouper tous les mécanismes actuels de soutien interne au secteur amène votre commission à émettre un certain nombre de réserves. En effet le financement des opérations d'intervention ne doit pas se confondre avec les actions structurelles et les actions de promotion. De plus, en l'absence d'orientations sur son montant et sur sa dotation, se pose la question des capacités du fonds à accomplir les missions que lui assigne la Commission ; il est enfin également discutable que le montant du fonds soit limité en fonction de la dimension de l'organisation de producteurs.

2. Assurer une meilleure garantie de transparence du secteur

a) La carence actuelle de l'outil statistique n'est pas comblée

La proposition de la Commission, en ne prévoyant la compilation de statistiques qu'au niveau des groupements de producteurs et en n'envisageant ni le traitement de ces statistiques au niveau national et communautaire, ni l'obligation pour les producteurs hors groupement de fournir les mêmes informations, reste tout à fait insuffisante en la matière. Il apparaît de plus quelque peu irréaliste de prétendre confier à une organisation une collecte d'informations auprès des producteurs qui ne sont pas membres de cette dernière.

Il est enfin illusoire de prétendre gérer un marché si on ne connaît ni les potentiels de production, ni les flux physiques et financiers de commercialisation.

b) L'affirmation de la compétence communautaire en matière de normalisation

La normalisation est un instrument de transparence du marché trop important pour être déléguée au groupe de la Commission économique pour l'Europe de l'ONU.

L'adoption des normes recommandées par la Commission européenne pour l'Europe de l'ONU ne garantit pas l'indépendance de l'Union européenne en la matière. En outre, ces normes ne couvrent pas l'ensemble des produits commercialisés en Europe. En conséquence, il semble préférable que l'établissement des normes reste du ressort d'un groupe de travail européen qui s'engagerait à prendre comme base de travail, pour les produits pour lesquels elles existent, les normes CEE/ONU.

c) Un indispensable renforcement des contrôles

Les propositions de la Commission n'envisagent pas la définition et l'harmonisation des méthodes de contrôle, l'établissement d'un système de sanctions, la coordination des services nationaux et des services communautaires et le financement des ressources humaines et matérielles requises.

Les producteurs souhaitent, au contraire, une harmonisation des contrôles et des sanctions dans tous les Etats membres et une responsabilité du détenteur du produit à tous les stades de la commercialisation et non plus seulement du producteur, comme c'est le cas actuellement.

De plus une incertitude demeure quant à l'application effective de ces contrôles aux produits importés ; il serait en effet pour le moins inéquitable que les seuls fruits et légumes communautaires fassent l'objet d'un renforcement de ces contrôles.

Ainsi le renforcement des normes de qualité et surtout leur contrôle effectif, tout particulièrement pour les produits importés, permettraient d'atteindre un double objectif que la réforme de l'OCM néglige : l'amélioration de la qualité des produits offerts par une meilleure prise en compte de critères gustatifs et l'utilisation éventuelle de la normalisation comme moyen de gérer le marché (calibres, date de mise en marché...).

B. UNE RÉFORME DONT LE SUCCÈS RESTE CONDITIONNEL

En effet, cette réforme de l'OCM, si nécessaire soit-elle, se heurte à deux obstacles majeurs : le premier est la persistance des distorsions sociales, fiscales et monétaires, le second est l'absence de politique commerciale communautaire claire et équilibrée à l'égard des pays tiers.

Ainsi, même dans l'hypothèse où les mécanismes de la nouvelle OCM seraient substantiellement améliorés, la multiplication d'accords bilatéraux et multilatéraux dans lesquels ne serait pas respecté le principe de la préférence communautaire risque d'aboutir à une véritable faillite du secteur européen des fruits et légumes.

1. Le handicap des distorsions sociales, fiscales et monétaires

a) Entre Etats membres

Sur le plan strictement national, le secteur des fruits et légumes en France a subi, de plein fouet, les dévaluations monétaires compétitives de la livre et, surtout, de la lire et de la peseta.

Les producteurs français évaluent leurs pertes à 4 milliards de francs en 1995 compte tenu des fluctuations monétaires et de leurs conséquences notamment sur le coût du salaire horaire en France (base 100).

Pays

Août 1992

Moyenne 1994

Mars 1995

France

100,0

100,0

100,0

Italie

102,0

79,9

68,9

Le principe de l'attribution des aides communautaires aux différents Etats membres calculées en unité de compte et non en monnaie nationale vient accroître ces distorsions monétaires en favorisant les Etats qui pratiquent des dévaluations compétitives.

Cependant, le dumping social -dont les conséquences sur les coûts horaires du travail sont loin d'être négligeables-, fiscal et monétaire pénalise le secteur dans son ensemble, créant des distorsions de concurrence et désorganisant la production sur l'ensemble du marché communautaire qui se trouve, de ce fait, affaibli face à la concurrence des pays tiers.

b) Entre la Communauté européenne et les pays tiers

La Commission, alors qu'elle estime que seule la monnaie unique est à même de permettre un développement harmonieux du secteur des fruits et légumes, multiplie les zones de libre échange ne comportant aucun engagement des pays partenaires quant à la répudiation des manipulations monétaires et des distorsions sociales et fiscales. Afin de faire face à ce dumping social, fiscal et monétaire qui provoque des disparités de coût de production, il est urgent que la Communauté engage une politique commerciale claire et équilibrée.

2. La nécessaire mise en place des mécanismes de protection du marché communautaire

Le secteur agricole, et notamment celui des fruits et légumes, se révèle être une monnaie d'échange commode dans la plupart des accords bilatéraux ou multilatéraux conclus par la Communauté avec les pays tiers.

La réforme des OCM de cette filière peut s'avérer totalement inopérante si la Communauté ne réaffirme pas, tout d'abord, le principe de la préférence communautaire et ne décide pas à mettre en oeuvre les mécanismes de protection de ce marché.

L'une des mesures qui permettrait de réaffirmer la préférence communautaire serait, dans un premier temps, de favoriser la conclusion d'accords avec des pays tiers portant sur des productions complémentaires.

La réforme de l'OCM reprend à l'identique le régime des échanges avec les pays tiers défini par un règlement du Conseil CE n° 3290/94 à la fin de 1994, à la suite de la signature des accords de Marrakech. Ces accords ont prévu l'établissement de prix d'entrée, à partir desquels s'appliquent des droits fixes additionnels à la place des droits variables existant auparavant.

Or, la Commission européenne s'est jusqu'à présent montrée très réservée quant à la mise en oeuvre des certificats d'importations et de la clause spéciale de sauvegarde « prix et volume » . La Communauté européenne a accepté, seulement très récemment, d'établir des certificats d'importation pour les pommes et les poires.

Le régime de certification est généralement identique pour l'ensemble des secteurs :

- le certificat est délivré par les Etats membres à tout intéressé établi dans la Communauté ;

- le certificat est valable dans toute la Communauté ;

- la délivrance du certificat est subordonnée au dépôt d'une garantie qui n'est pas remboursée intégralement si l'opération (importation ou exportation), sauf cas de force majeure, n'est pas entièrement réalisée ;

- les modalités d'application, y compris la période de validité et la liste des produits (lorsque le certificat n'est pas rendu obligatoire par l'OCM), seront définies par la Commission en comité de gestion.

Cependant, le régime d'importation des fruits et légumes reste très particulier.

Comme le montant des droits à l'importation inscrit dans le tarif douanier commun (TDC) dépend, pour certains produits, du prix d'entrée, la réalité du prix d'entrée sera vérifiée sur la base d'une valeur forfaitaire à l'importation, elle-même calculée par la Commission par origine et par produit sur la base de la moyenne pondérée des cours des produits concernés sur les marchés représentatifs d'importation.

La mise en place des certificats d'importations permettrait, dans un premier temps, pour les produits les plus exposés, de remédier à la méconnaissance, tout à fait anormale, des flux d'entrée réels en permettant de disposer enfin de statistiques douanières fiables sur les volumes de marchandises entrant dans la Communauté.

Si la mise en oeuvre de certificats d'importation se révèle nécessaire, elle devrait être suivie dans les meilleurs délais par l'adoption d'un règlement permettant l'instauration de la clause spéciale de sauvegarde prévue par les accords de Marrakech.

Deux conditions peuvent déclencher l'application de la clause de sauvegarde et les droits additionnels :

- lorsque le prix mondial du jour se situe au-dessous d'un prix de référence mondial, une clause de sauvegarde « prix » peut être déclenchée ;

- lorsque les importations annuelles dépassent un certain volume, une clause de sauvegarde « volume » peut être mise en place. Le niveau de déclenchement de la clause de sauvegarde est fonction du niveau des importations déjà réalisées par le pays exportateur.

Les modalités d'application, y compris la liste des produits soumis à perception de droits additionnels de la clause de sauvegarde, sont définies par la Commission en comité de gestion.

Le refus de la Commission, tant dans des accords bilatéraux que multilatéraux, d'envisager la mise en oeuvre des mécanismes de préférence communautaire et sa propension à sacrifier sur « l'autel du libre-échange » le secteur des fruits et légumes pourrait ainsi interdire à la réforme de ces organisations communes de marché de produire les effets positifs espérés.

*

* *

Compte tenu des observations qui précèdent, votre commission vous demande d'adopter la proposition de résolution ci-après.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Le Sénat,

Vu l'article 88-4 de la Constitution,

Vu la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes et la proposition de règlement du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits transformés à base de fruits et légumes (n° E 613),

Considérant qu'il est nécessaire de procéder à la réforme des mécanismes des organisations communes des marchés des fruits et légumes,

Considérant que la réforme doit, dans ses orientations fondamentales, respecter la déclaration conjointe du Conseil et de la Commission du 20 septembre 1993, selon laquelle les deux institutions « s'engagent pour les secteurs dont les organisations communes de marché n `ont pas été modifiées (...) à prendre les dispositions nécessaires pour assurer les revenus agricoles et la préférence communautaire. Seront pris en compte, dans ces secteurs, les conditions et les principes agricoles et financiers qui ont été appliqués pour l'ensemble du secteur agricole. Il sera aussi tenu compte du contexte du cycle d'Uruguay »,

Considérant que cette réforme ne doit pas avoir pour effet de faire perdre des parts de marché aux producteurs de la Communauté ni de déstabiliser les productions qui disposent aujourd'hui d'un débouché,

Considérant que les mécanismes mis en oeuvre doivent viser un double objectif de rééquilibrage du marché et de renforcement de la compétitivité de l'ensemble de la filière,

Considérant que les propositions formulées par la Commission peuvent servir de base à la refonte des mécanismes des organisations communes des marchés des fruits et légumes mais qu'elles doivent être améliorées, Souscrit à l'esprit de la réforme et aux orientations relatives au renforcement du rôle et des moyens des organisations de producteurs et à la reconnaissance et au développement des interprofessions,

Mais invite le Gouvernement à n'approuver cette réforme qu'à la condition que des améliorations significatives et des garanties soient apportées sur les points suivants :

- ce secteur doit bénéficier, comme les autres secteurs lors des précédentes réformes d'organisations communes des marchés, des moyens budgétaires suffisants pour permettre à la réforme d'atteindre ses objectifs ;

- les modalités prévues pour le mécanisme du retrait, tant en ce qui concerne la détermination des prix de retrait qu'en ce qui concerne la limitation des volumes retirables doivent être assouplies afin de garantir aux organisations de producteurs la marge de manoeuvre nécessaire pour une gestion efficace, compte tenu de la spécificité des marchés en cause ; dans ce cadre, il convient de prévoir la réévaluation du plafond des dépenses des fonds opérationnels pour le financement complémentaire des retraits ;

- les aides communautaires en faveur du secteur des fruits et légumes doivent, dès l'entrée en vigueur des nouvelles organisations communes des marchés, être effectuées en monnaie nationale et non plus en Unités de compte, afin de ne pas porter préjudice aux Etats qui n'ont pas pratiqué de dévaluations monétaires ;

- les moyens de connaissance du marché, du potentiel de production comme des flux physiques et financiers de commercialisation, ainsi que les contrôles communautaires doivent être renforcés et les dispositifs nationaux de contrôles et de sanctions, trop hétérogènes et, pour certains, trop laxistes, harmonisés ;

- la compétence de l'Union européenne en matière de normalisation ne doit pas être déléguée au groupe de la Commission économique pour l'Europe de l'Organisation des Nations-Unies ;

- les mesures nécessaires au fonctionnement de la clause de sauvegarde spéciale prévue par les accords de Marrakech doivent être prises sans délai ainsi que les règlements concrets d'application, concernant les niveaux, les calendriers, les conditions d'importation des produits entrant sur le marché communautaire et les volumes stockés, permettant d'intervenir à temps pour prévenir les crises au moment de la commercialisation de la production européenne ;

Estime, en outre,

- qu'à l'avenir, toute proposition de la Commission en vue d'un accord de libre-échange devra être présentée sur la base d'un mandat explicite du Conseil qui ne pourra intervenir qu'après une évaluation précise de son impact pour l'agriculture européenne. De plus, un inventaire des concessions agricoles déjà accordées, permettant d'assurer un suivi de leur effet économique et social sur les différents secteurs professionnels concernés devra être établi ;

- que la politique commerciale de la Communauté dans le domaine agricole devra être clarifiée, afin de garantir le respect effectif de la préférence communautaire, menacée notamment par la multiplication des initiatives de la Commission européenne tendant à la conclusion d'accords de libre-échange et ne comportant aucun engagement des pays partenaires quant à l'abandon des manipulations monétaires ;

Souligne, enfin, la nécessité de veiller à l'équilibre du secteur des fruits et légumes, de plus en plus fréquemment utilisé comme monnaie d'échange dans les négociations d'accords bilatéraux, afin de freiner un processus susceptible d'accroître les difficultés d'un secteur qui est le plus important employeur de main d'oeuvre agricole tout en étant le moins aidé, et qui mériterait donc une attention particulière au titre de la priorité pour l'emploi.

* 2 Compte tenu des travaux menés par les deux Assemblées dans ce domaine, il n `a pas paru indispensable à votre rapporteur de réexaminer dans le détail chacun des points abordés pour le Sénat, rapport n° 303 (mai 1993) de MM. Jean Huchon et Jean-François Le Grand, au nom de la Commission des Affaires économiques et du Plan, dans le cadre d'une mission d'information chargée d'étudier le fonctionnement des marchés des fruits, des légumes et de l'horticulture et d'examiner leurs perspectives. Pour l'Assemblée nationale, rapport n° 2645 (mars 1996) de M. Paul Chollet, au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur la réforme de l'organisation commune des marchés des fruits et légumes

* 3 Eléments tirés du rapport d'information n°2645 de la Délégation de l'Assemblée nationale pour l Union européenne présenté par M. Paul Chollet

* 4 Ex-RFA

* 5 Y compris nectarines

Source : EUROTAST

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