III. LES ADAPTATIONS PROPOSÉES PAR LE PROJET DE LOI
Selon l'article 25 de la charte de l'ONU, les résolutions du Conseil de sécurité s'imposent directement aux États. S'agissant plus particulièrement de la résolution 955, il est demandé aux États de prendre « toutes mesures nécessaires en vertu de leur droit interne pour mettre en application » ses dispositions ainsi que celles du statut du Tribunal international.
Plusieurs États ont d'ores et déjà modifié leur législation interne pour l'adapter auxdites dispositions. Tel est notamment le cas de l'Italie, de la Suisse, de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. Le Parlement de Belgique a été saisi en janvier dernier d'un projet de loi « relatif à la coopération judiciaire avec le Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie et le Tribunal international pour le Rwanda ».
Le projet de loi soumis à notre examen vise également à adapter la législation française aux dispositions de la résolution 955, conformément au principe « Pacta sunt servanda ». Ce texte apparaît relativement simple dans sa présentation en ce qu'il rend applicables au Tribunal pour le Rwanda les adaptations prévues par la loi n° 95-1 du 2 janvier 1995 à propos du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie. Il ne se distingue donc de celle-ci que par son champ d'application.
A. LE CHAMP D'APPLICATION DU PROJET DE LOI
L'article premier pose le principe de la participation de la France à la répression des infractions entrant dans la compétence du Tribunal international et de sa coopération avec cette juridiction.
Il détermine ensuite le champ d'application du projet de loi selon la technique dite de la « double incrimination », déjà retenue à propos du Tribunal international pour l'ex-Yougoslavie. Ainsi, les infractions concernées doivent constituer à la fois :
- des infractions entrant dans la compétence du Tribunal international (génocides, crimes contre l'humanité ou violation des conventions de Genève) ;
- et des crimes ou des délits définis par la loi française.
Votre rapporteur s'est interrogé sur l'opportunité de recourir à cette technique de la double incrimination dans la mesure où, en vertu de l'article 8 du statut, la compétence des juridictions françaises porte sur les « violations graves du droit international humanitaire » sans exiger que ces infractions soient définies par le droit interne.
En effet, la spécificité du droit international humanitaire le rend applicable indépendamment des incriminations définies par les législations internes.
Ainsi, l'article 15, paragraphe 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques précise que le principe de non-rétroactivité de la loi pénale « ne s'oppose (pas) au jugement ou à la condamnation de tout individu en raison d'actes ou omissions qui, au moment où ils ont été commis, étaient tenus pour criminels, d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations ». La Convention européenne des Droits de l'Homme apporte une précision identique en son article 7, paragraphe 2. La spécificité du droit international humanitaire est par ailleurs implicitement reconnue par le projet de loi qui, par dérogation aux règles d'application de la loi pénale dans l'espace, confère, ainsi que nous le verrons, une compétence universelle aux juridictions françaises, susceptibles de connaître des infractions visées par le statut du tribunal quel que soit le lieu où elles ont été commises, quand bien même leurs auteurs ou les victimes n'auraient pas la nationalité française.
Aucune considération juridique n'impose donc le recours à la double incrimination. Le statut du tribunal et la spécificité du droit international humanitaire interdisent même de subordonner la coopération d'un État à la définition par le droit interne de celui-ci des crimes entrant dans la compétence du tribunal.
Telles sont les raisons pour lesquelles il paraît souhaitable de définir le champ d'application du projet de loi par référence à la compétence du Tribune international.
B. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMPÉTENCE ET AU DESSAISISSEMENT DES JURIDICTIONS FRANÇAISES
Conformément au statut, le projet de loi prévoit, par renvoi à la loi n° 95-1, la compétence des juridictions françaises avec primauté au Tribunal international. Il vise à donner une traduction concrète au droit de préemption internationale.
1. La compétence universelle des juridictions françaises
Aux termes de l'article 2, premier alinéa, de la loi n° 95-1, les auteurs ou complices d'une infraction entrant dans le champ d'application de celle-ci « peuvent être poursuivis et jugés par les juridictions françaises, s'ils sont trouvés en France ». Est ainsi reconnue la compétence universelle des juridictions françaises, dérogation au droit commun, que le statut du Tribunal n'exigeait pas des États et qui marque la solidarité de la France dans la lutte contre les crimes commis dans le cadre du conflit rwandais, conformément au principe aut dedere, aut punire.
En effet, s'agissant d'un crime par hypothèse commis hors du territoire de la République, l'application du droit commun aurait cantonné la compétence des juridictions françaises aux faits commis par ou sur des Français (articles 113-6 et 113-7 du code pénal).
Le projet de loi permet en revanche de poursuivre tout criminel justiciable du Tribunal international qui chercherait refuge en France, quelles que soient sa nationalité et celle de ses victimes. Ce faisant, il reprend une solution qui, pour être dérogatoire au droit commun, ne constitue pas pour autant une innovation. En effet, le premier cas de compétence universelle remonte à une loi du 10 avril 1825, toujours en vigueur, qui permet aux tribunaux maritimes de connaître de certains actes de piraterie sans distinguer selon la nationalité des prévenus. Plus récemment, la compétence universelle des juridictions françaises a été reconnue pour l'application de plusieurs conventions internationales telles que :
- la convention de New-York du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (article 689-2du code de procédure pénale) ;
- la convention européenne pour la répression du terrorisme (article 689-3 du code de procédure pénale) ;
- la convention de La Haye du 16 décembre 1970 sur la répression de la capture illicite d'aéronefs (article 689-6 du code de procédure pénale).
La compétence universelle ne joue cependant qu'à l'égard des personnes trouvées en France, comme l'a précisé la loi n° 95-1.
2. Le dessaisissement des juridictions françaises
Les articles 3 à 6 de la loi n° 95-1 organisent le dessaisissement des juridictions françaises, conformément à la primauté donnée au Tribunal international par le statut. Comme le fait observer la circulaire d'application du 10 février 1995, « l'économie générale de ces dispositions repose sur la compétence exclusive conférée à la Chambre criminelle de la Cour de cassation pour ordonner le dessaisissement, étant précisé que les demandes de la juridiction internationale transitent par le ministère de la justice ».
La Chambre criminelle exerce ce que l'on pourrait appeler, par analogie avec le droit administratif, un « contrôle minimum » puisqu'il lui appartient de vérifier que les faits, objet de la demande de dessaisissement, entrent dans le champ d'application de la loi « et qu'il n'y a pas d'erreur évidente ». Elle ordonne alors le dessaisissement et le dossier de la procédure est adressé par le ministre de la justice au Tribunal international.
C. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA COOPÉRATION JUDICIAIRE
La loi n° 95-1 distingue sur ce point entre l'entraide judiciaire et les demandes d'arrestation et de remise.
1. L'entraide judiciaire
Dans un souci de simplification et de rapidité, les demandes d'entraide judiciaire émanant du Tribunal ou de son procureur -qui, sauf urgence, doivent être adressées au ministre de la justice- sont centralisées à Paris. Il appartient au procureur de la République ou au juge d'instruction de les exécuter. À cette fin, la compétence de ces magistrats est étendue à l'ensemble du territoire national.
2. L'arrestation et la remise
Comme le souligne la circulaire d'application, les dispositions de la loi n° 95-1 qui traitent de l'arrestation et de la remise sont largement inspirées de la procédure de la loi du 10 mars 1927 relative à l'extradition des étrangers. Il convient toutefois de noter deux différences essentielles :
- d'une part, l'obligation d'arrestation et de remise ne résulte pas d'un texte de nature conventionnelle mais du devoir de tout État membre de l'ONU d'exécuter les décisions du Conseil de sécurité ;
- d'autre part, comme le note la circulaire, la remise n'est pas effectuée au profit d'une autorité étatique mais d'une juridiction, le Tribunal international.
Ces différences, et particulièrement la seconde, ont des conséquences importantes : l'autorité judiciaire française n'a notamment pas à vérifier que les conditions de fond de l'extradition sont effectivement remplies. C'est la raison pour laquelle la chambre d'accusation de Paris, à laquelle est confiée la procédure, exerce un contrôle minimum, limité à la constatation que les faits, objet de la demande d'arrestation aux fins de remise, entrent dans le champ d'application de la loi et qu'il n'y a pas d'« erreur évidente » ».
La décision de la chambre d'accusation est susceptible de faire l'objet d'un pourvoi en cassation.