N° 185
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996
Annexe au procès-verbal de la séance du 30 janvier 1996.
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale(1) sur la proposition de loi, ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, tendant à créer un Office parlementaire d'amélioration de la législation,
Par M. Michel RUFIN,
Sénateur.
Voir les numéros :
Assemblée nationale (l0ème législ.) : 2104. 2161 et T. A. 383.
Sénat : 390 (1994-1995).
Parlement.
(1) Cette commission est composée de : MM. Jacques Larché. président : René-Georges Laurin, Germain Authié, Pierre Fauchon. François Giacobbi, vice-présidents ; Robert Pagès, Michel Rufin, Jacques Mahéas, Jean-Jacques Hyest. secrétaires ; Guy Allouche, Jean-Paul Amoudry, Robert Badinter, Pierre Biarnès, François Blaizot, André Bohl, Christian Bonnet, Mme Nicole Borvo, MM. Philippe de Bourgoing, Charles Ceccaldi-Raynaud, Raymond Courrière, Jean-Patrick Courtois, Charles de Cuttoli, Luc Dejoie, Jean-Paul Delevoye, Christian Demuynck, Michel Dreyfus-Schmidt, Patrice Gélard, Jean-Marie Girault, Paul Girod, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Paul Masson, Daniel Millaud, Georges Othily, Jean-Claude Peyronnet, Claude Pradille, Louis-Ferdinand de Rocca Serra, Jean-Pierre Schosteck, Jean-Pierre Tizon, Alex Türk. Maurice Ulrich.
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION
Lors de sa réunion du 30 janvier 1996, la commission des Lois, réunie sous la présidence de M. Jacques Larché, président, a examiné, sur le rapport de M. Michel Rufin, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, tendant à créer un office parlementaire d'amélioration de la législation.
La commission a rejeté la nouvelle rédaction proposée par son rapporteur pour l'article unique de la proposition de loi. En conséquence, elle a adopté un amendement tendant à supprimer cet article.
« Il ne faut point de lois inutiles ; elles affaibliraient les lois nécessaires ».
Portalis.
Mesdames, Messieurs,
Dans son message au Parlement, le 9 mai 1995, le Président de la République a fait valoir que « trop de lois tuent la loi » et estimé que « l'inflation normative est devenue paralysante » . Il a appelé en conséquence le Parlement à « s'atteler » à « une remise en ordre, par un exercice général de codification et de simplification des textes » dont il lui laissait le soin de définir « les voies et les moyens » .
C'est dans cette perspective que, le 19 juillet dernier, l'Assemblée nationale a adopté une proposition de loi, présentée par le Président Pierre Mazeaud, tendant à instituer un office parlementaire chargé « d'évaluer l'adéquation de la législation aux situations qu'elle régit » .
Finalement dénommée « office parlementaire d'amélioration de la législation » , cette nouvelle délégation parlementaire, dont les travaux seraient naturellement dépourvus de toute portée législative, serait commune aux deux Assemblées et constituée à parité de députés et de sénateurs désignés dans le respect de la composition politique de chaque Assemblée.
La proposition de loi se situe dans une double perspective de lutte contre « l'inflation législative », d'évaluation des lois votées et de revalorisation du rôle du Parlement, tant il est vrai, ainsi que l'écrit très justement le rapporteur de la commission des Lois de l'Assemblée nationale, notre collègue M. Arnaud Cazin d'Honincthun, que « l'évaluation législative contribue à approfondir la démocratie » . Quelques réflexions préalables ont toutefois paru indispensables à votre commission des Lois, d'une part sur la réalité et la diversité du foisonnement normatif, d'autre part sur la pertinence de l'institution d'un office parlementaire alors même que le Parlement dispose d'ores et déjà d'un certain nombre de moyens d'évaluation législative.
L'INFLATION NORMATIVE EN QUELQUES CHIFFRES
A. Normes applicables en 1991
ï 7 500 lois sans compter les lois de codification, les lois purement modificatives et les lois de ratification
ï 82 000 décrets réglementaires en vigueur
ï plus de 21 000 règlements communautaires
B. Production annuelle
• 1991 : 88 lois
4 583 décrets
1 687 arrêtés
481 décisions, 106 directives et 1 457 règlements communautaires
• 1994 : 129 lois
1 693 décrets réglementaires
1 080 décisions, 94 directives et 1 138 règlements communautaires
« Le volume du Journal officiel a plus que doublé, toutes choses égales d'ailleurs, entre 1976 et 1990, passant de 7 070 pages à 17 141. Une évolution similaire affecte le Journal officiel des Communautés dont la taille a augmenté de 30 % en six ans.
La taille moyenne d'une loi était de 93 lignes en 1950, elle atteignait 200 lignes en 1970 et elle dépasse aujourd'hui 220 lignes. Le gonflement est encore plus marqué pour les décrets (...). » ( ( * )2) .
I. LES ÉVOLUTIONS DU CORPUS JURIDIQUE ET LES EFFORTS ENGAGÉS APPELLENT UNE APPROCHE NUANCÉE DE LA SITUATION ACTUELLE
La dénonciation de l'inflation normative est un thème plus qu'ancien. Le développement de la législation inquiétait déjà les Romains comme il a plus tard nourri les préoccupations de philosophes et de juristes ; ainsi Montaigne, Montesquieu, Rousseau et bien d'autres.
L'État de droit exige en effet le respect du principe de nécessité juridique, lequel s'appuie sur l'accessibilité, la lisibilité et la stabilité des normes juridiques. Ainsi que Portalis le rappelait dans son discours de présentation du code civil, « il faut être sobre de nouveautés en matière de législation parce que s'il est possible dans une institution nouvelle de calculer des avantages que la théorie nous offre, il ne l'est pas de connaître tous les inconvénients que la pratique seule peut découvrir... qu'en corrigeant un abus, il faut voir les dangers de la correction même » .
Relayant la doctrine, le Conseil d'État s'est à son tour inquiété, notamment dans son rapport public pour 1991, d'une dérive qui lui semblait s'être encore accélérée au cours des années récentes et qu'analysent trois développements consacrés respectivement, par ce rapport, à « la prolifération des textes » , « l'instabilité des règles » et « la dégradation de la norme » .
Ces réflexions sont désormais suffisamment connues pour qu'il ne soit pas besoin d'y revenir ici en détail. Elles ont été reprises par des chefs de Gouvernement, depuis la circulaire de M. Michel Rocard en 1983, ou le Président du Sénat, M. René Monory, qui recommandait récemment de « ne plus légiférer à crédit » .
Sans écarter, ce qui serait d'ailleurs difficile, les griefs articulés par le Conseil d'État, votre commission des Lois a souhaité avancer quelques éléments de réflexion complémentaires.
A. LA LOI N'EST QUE MARGINALEMENT RESPONSABLE DE L'INFLATION NORMATIVE
Sous les effets conjugués de la répartition des compétences entre la loi et le règlement, introduite par la Constitution de 1958, et de l'expansion du droit communautaire, le champ d'intervention de loi s'est sensiblement réduit au cours des trente dernières années.
Il n'en reste pas moins que la loi déborde parfois les limites du cadre fixé par l'article 34 de la Constitution et que, loin de lui rappeler ces limites en recourant à l'article 41, le Gouvernement a souvent tendance à truffer ses projets de loi de dispositions de nature réglementaire, soit par souci d'affichage, soit par désir de sécurité juridique : contrairement au règlement, la loi promulguée n'est plus contestable. Quant à la procédure de déclassement prévue par l'article 37-2, elle n'est qu'exceptionnellement mise en oeuvre.
Le foisonnement législatif est en outre alimenté par la prolifération des règles internationales et singulièrement des directives communautaires qu'elle seule peut transposer en droit interne lorsque celles-ci touchent aux matières de l'article 34. Or, à ce jour, on ne recense pas moins de 1 675 directives.
La loi n'est toutefois pas le principal responsable de l'inflation normative : pour l'essentiel, celle-ci se nourrit de règlements tant nationaux que communautaires et on estime qu'un article de loi suscite en moyenne dix articles réglementaires.
On observera par ailleurs, avec Portalis, que s' « i l ne faut point de lois inutiles » , une société et une économie développées, et donc complexes et diverses, « ne sauraient comporter des lois aussi simples que celles d'une société pauvre ou plus réduite » . Dès lors, c'est une évolution naturelle que l'accroissement du corpus législatif, mais encore faut-il que celui-ci ne soit pas affaibli par la multiplication des cas particuliers et le trop grand détail de ses dispositions : ainsi que l'écrivait le doyen Carbonnier, « l'inflation se grossit de l'enflure » .
* (2) Rapport public du Conseil d'État pour 1991