IV. LA MODERNISATION DE LA FILIÈRE PORTUAIRE : OMBRE ET LUMIÈRE
A. LA RÉFORME DE LA MANUTENTION SEMBLE ENCORE FRAGILE
1. Les objectifs immédiats de la loi du 9 juin 1992 sont atteints
Trois années après le vote de la loi du 9 juin 1992 la réforme de la manutention portuaire a été mise en oeuvre dans tous les ports concernés sans exception : des accords y ont été conclus, des plans sociaux d'accompagnement visant à résorber les sureffectifs y ont été appliqués et la plupart des dockers professionnels restant ont été mensualisés.
Entre fin juin 1992 et fin juin 1995, le nombre de dockers professionnels ayant la carte "G" (carte professionnelle instituée par la loi du 6 septembre 1947 et conférant à son possesseur la priorité d'embauche et l'indemnité de garantie en cas d'inemploi) est passé officiellement de 8151 à 4149, mais en fait à 3847 si l'on ne retient que les ouvriers dockers en situation d'activité.
La plupart de ces dockers professionnels sont maintenant mensualisés, et leur répartition est la suivante :
(1) Ce chiffre comprend les dockers intermittents en invalidité ou handicapés, ce qui ramène le chiffre des dockers professionnels restés au travail à 3 847 et celui des dockers intermittents à 486
Ces nombres représentent la situation actuelle mais des programmes de mensualisation sont toujours en cours. A la fin de cette année il ne devrait plus rester que de l'ordre de 360 intermittents, dont la 2/3 est à Marseille.
La mensualisation s'est donc largement développée, puisque, si l'on écarte les dockers intermittents handicapés ou en maladie de longue durée, dans 20 bureaux centraux de la main d'oeuvre (BCMO) sur 31 il n'y a actuellement plus aucun docker professionnel intermittent en situation d'activité.
Quant aux dockers occasionnels, leur dénombrement n'a guère de signification car il n'en n'existe pas officiellement de liste exhaustive : toute personne devenant docker occasionnel dès lors qu'elle accomplit une tâche de docker.
En trois ans. 4.079 dockers professionnels titulaires de la carte "G" ont quitté la profession dans le cadre des plans sociaux, soit en mesure d'âge, soit en reconversion.
2. Un coût considérable
Le coût total des plans sociaux accompagnant la réforme a été estimé à 4 milliards de francs.
Ce coût total se répartit en deux parts égales, 2.021 milliards à la charge de l'État, 2 029 milliards à la charge des places portuaires.
S'il est possible de distinguer pour chaque port la part de l'État et la part locale, il n'est par contre guère possible, et surtout non significatif, de préciser la part de chaque intervenant dans la part locale, tant les montages financiers sont différents et non comparables.
Ainsi, en ce qui concerne les collectivités locales, celles-ci ont également considéré, mais pas toujours, qu'elles n'avaient pas à intervenir dans le financement d'un plan social. Mais, souvent, eu égard à l'intérêt économique local de la réussite de la réforme, elles ont aidé financièrement le port par d'autres biais, par exemple par des aides à des investissements, si bien qu'elles ont en réalité participé au financement de la réforme.
De même, les ports autonomes ont pris à leur charge une part importante du financement des plans sociaux, le reliquat étant à la charge des employeurs.
Au total, les estimations de la part de l'État et de la part locale pour le financement des plans sociaux dans les différents bureaux centraux de la main-d'oeuvre (BCMO) sont les suivantes :
Il convient de souligner que pour l'État, l'essentiel de la charge est supportée par le Fonds National de l'Emploi. Le budget de la Mer ne prend en charge que trois catégories de mesures particulières :
- la contribution de l'État (100.000 F) à l'indemnité de reconversion au profit des ouvriers dockers volontaires :
- les mesures de reconversion et les mesures d'âge au-delà de la première période de 10 mois de droit commun, à hauteur de 50 % ;
- en cas de reclassement effectif avant l'échéance du congé de conversion de 18 mois, la prise en charge, par capitalisation, de la moitié d'une somme correspondant à 65 % des allocations restant dues jusqu'à la fin du congé de conversion.
Les crédits correspondants sont imputés sur le chapitre 46-37. Article 40, qui n'est pas abondé en loi de finances initiales, mais régulièrement alimenté en loi de finances rectificatives.
3. Une application conventionnelle pas toujours respectueuse de l'esprit de la loi
Conformément à la loi du 9 juin 1992. Une convention collective nationale de la manutention portuaire a été signée par l'Union Nationale des Industries de la Manutention (UNIM) et l'ensemble des syndicats le 18 avril 1994.
Globalement, la convention collective est un document qui apparaît équilibré et qui s'inscrit bien dans l'esprit de la réforme. Elle ne concerne pas exclusivement les personnels dockers titulaires d'une carte "G", mensualisés ou intermittents, mais l'ensemble des ouvriers dockers, conformément à la loi, ainsi que des salariés des entreprises de la branche, y compris les employés, les cadres et les ouvriers non dockers. Ses dispositions se fondent sur les principes du droit commun du travail et elle assure la liberté d'opinion et la liberté syndicale au sens le plus large.
Toutefois, la négociation des accords locaux complétant cette convention nationale a parfois été difficile. L'activité des deux plus grands ports français, Marseille et le Havre, a ainsi été encore perturbée au cours de l'année 1994. Ces perturbations ont affecté notamment le trafic conteneurisé, activité pour laquelle la manutention est cruciale. Alors que ce trafic a progressé en 1994 de 26 % à Rouen et de 12,7 % à Nantes, il a diminué de cette même année de 1.6 % au Havre et de 0.8 % à Marseille.
Les accords qui ont été finalement conclus dans ces deux ports devraient leur permettre de retrouver une activité plus normale, mais ils semblent déroger à l'esprit de la loi du 9 juin 1992. Au Havre. 200 apprentis ont été intégrés à la main-d'oeuvre permanente. A Marseille, un contingent de dockers "occasionnels" a été constitué.
La conclusion d'accords analogues dans les autres ports maritimes pourrait aboutir à remettre en cause, par voie conventionnelle, les acquis de la réforme de 1992.