EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 8 novembre 1995 sous la présidence de M. Christian Poncelet, président, la commission a procédé à l'examen des principaux éléments de l'équilibre du projet de loi de finances pour 1996, sur le rapport de M. Alain Lambert, rapporteur général.
Après avoir rappelé que la commission avait auditionné à deux reprises le ministre de l'économie et des finances, M. Alain Lambert, rapporteur général, a souhaité que cette réunion soit l'occasion de répondre aux interrogations que suscite l'actualité économique. Il a ainsi souligné la nécessité pour la commission d'adopter une attitude constructive, et de réaliser un véritable effort de pédagogie en direction des Français.
Évoquant l'évolution de la conjoncture, M. Alain Lambert, rapporteur général, a mis en évidence un certain décalage entre les données économiques, qui sont favorables dans de nombreux cas, et la relative morosité de nos concitoyens, qui semblent anticiper un ralentissement de l'activité. Il a alors insisté sur le caractère déterminant du cadrage économique initial pour le déroulement de l'exécution de la loi de finances de l'année.
Dans ce contexte, M. Alain Lambert, rapporteur général, s'est déclaré convaincu que le projet de budget pour 1996 reposait sur une analyse sincère et objective de la situation, et a émis le voeu que la commission soit en mesure de faire partager cette conviction. Il a d'ailleurs estimé que la fin des interrogations sur le financement des régimes sociaux devrait contribuer à dissiper une source légitime d'inquiétude pour les Français.
Le rapporteur général, a ensuite rappelé la rapidité des mouvements économiques, qui contraste avec l'inertie des procédures budgétaires.
Puis M. Alain Lambert, rapporteur général, a estimé que le projet de budget pour 1996 se caractérise par un réel effort de maîtrise des dépenses, avec une progression des charges inférieure à celle de l'inflation. A cet égard, il a fait valoir que l'évolution des dépenses devait s'apprécier par rapport au collectif de 1995, et regretté que le Gouvernement retienne ponctuellement une autre référence pour les besoins de la démonstration statistique.
Le rapporteur général a alors noté que l'effort d'économie budgétaire proposé pour 1996 provenait essentiellement de quatre ajustements principaux :
- la non revalorisation des rémunérations de la fonction publique, qui s accompagne toutefois de la création nette de 3.557 emplois dont l'effet d'"affichage" est fâcheux ;
- une rigueur accrue pour le budget d'équipement militaire, dont le montant s'avère inférieur de 16 milliards de francs aux prévisions figurant dans la loi de programmation ;
- l'élaboration d'un pacte de stabilité avec les collectivités locales qui, dans son principe répond à un voeu des élus locaux, mais dont certaines modalités sont critiquables ;
- enfin, une économie de 19 milliards de francs, liée au non versement de la contribution de l'État à l'UNEDIC et à un décalage temporel dans le processus de budgétisation des allocations familiales.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a ainsi constaté que ce projet courageux marquait une rupture et permettait de s'engager résolument dans une ère du "refus" de l'endettement public.
Rappelant brièvement l'expérience du passé, le rapporteur général, a mis en évidence les mauvaises habitudes engendrées par l'aisance budgétaire, dont les conséquences s'avéraient lourdes lorsque la conjoncture ralentissait. Il a notamment évoqué la période 1989-1992, marquée par une progression des dépenses plus rapide que celle du PIB, puis souligné les efforts réalisés depuis 1994 pour corriger cette dérive. Il a toutefois fait valoir l'extrême difficulté d'un tel exercice en relevant que l'État assumait aujourd'hui des charges assez éloignées du coeur de ses interventions traditionnelles, et qui, de surcroît, ont connu au cours du passé récent une croissance soutenue et autonome. Il s'est alors inquiété de cette situation, qui enserre le budget dans un réseau de contraintes particulièrement fort.
Abordant les mesures fiscales contenues dans le projet de loi de finances, M. Alain Lambert, rapporteur général, a estimé qu'elles font apparaître l'amorce d'une inflexion dans trois grands domaines :
- la fiscalité de l'épargne, secteur dans lequel les dispositions proposées ont certes un objectif immédiat de rendement, mais qui organisent également une certaine redistribution des avantages fiscaux au bénéfice de l'épargne à risque ;
- la transmission des entreprises, le Gouvernement préférant toutefois une mesure ciblée à la remise en cause du barème des droits de mutation issu de la réforme de 1984 ;
- la taxe professionnelle, qui fait l'objet de trois mesures importantes, ayant notamment pour effet de stabiliser le coût supporté par l'État au titre des dégrèvements afférents à cet impôt.
Rappelant que des mesures devront également être prises pour assurer le financement des régimes sociaux, M. Alain Lambert, rapporteur général, a alors regretté que de telles dispositions interviennent avant que le Parlement ait eu à débattre du projet de loi d'orientation sur les prélèvements obligatoires.
Au plan strictement budgétaire, M. Alain Lambert, rapporteur général, a toutefois noté que l'ensemble du dispositif fiscal de la loi de finances suscitait peu de ressources nouvelles, les mesures les plus importantes ayant été prises dans le cadre du collectif du mois d'août. Il a d'ailleurs précisé que ces mesures correctrices expliquaient plus des trois quarts de l'évolution des ressources fiscales attendues entre 1995 et 1996, tandis que l'effet lié à la croissance économique était extrêmement faible. 11 s'est vivement inquiété de cette dernière tendance, qui se manifestait depuis plusieurs années, et qui témoignait d'un décalage persistant entre le dynamisme de l'économie et l'aisance fiscale de l'État.
M. Alain Lambert, rapporteur général, a alors constaté qu'un tel contexte appelait à l'évidence une nouvelle réflexion sur la politique de maîtrise des dépenses, et souhaité que la commission participe pleinement à ce débat. A cet effet, il a fait état des enseignements des expériences étrangères, puis analysé la marge de flexibilité qu'offraient les différents types de dépenses du budget de l'État.
En conclusion, M. Alain Lambert, rapporteur général, a souhaité que la commission puisse élaborer une doctrine d'action et s'est efforcé d'en dessiner les premiers contours, en indiquant quatre pistes de réflexion :
- la relative faiblesse des dépenses dites "de train de vie de l'État", qui ne représentent en fait que 2,8 % des dépenses nettes du budget ;
- l'intérêt d'un débat d'orientation budgétaire donnant au Parlement l'occasion d'indiquer ses souhaits à l'exécutif ;
- la nécessité d'ouvrir de nouvelles perspectives, en réfléchissant notamment aux possibilités de substitution aux interventions de l'État ;
- enfin, l'utilité pour le Parlement de disposer d'une capacité d'expertise, lui permettant d'élaborer une nouvelle méthodologie en matière de politique active de recherche d'économies.
A l'issue de cette présentation, M. Maurice Blin s'est interrogé sur la compatibilité des lois de programme pluriannuelles avec le principe d'un budget annuel dont l'architecture est d'ailleurs régulièrement modifiée en cours d'exercice. Après s'être inquiété de l'évolution récente des recettes fiscales de l'État, il a estimé qu'en matière de déficit public, le déséquilibre de nos comptes sociaux reste le véritable problème et suppose des réformes exigeantes que la France mettrait en oeuvre avec un certain retard par rapport à ses principaux voisins européens.
Il a enfin souligné les conséquences économiques et sociales d'une révision de la loi programmation militaire sur une industrie d'armement qui connaît déjà des difficultés structurelles graves.
Ayant rappelé que le "train de vie" de l'administration était finalement modeste, M. Jacques Oudin a fait valoir qu'une part importante des dépenses de l'État étaient "ordonnées" par des centres de décision extérieurs à l'État, comme les collectivités locales ou l'Europe, ce qui ne facilite pas la mise en place d'une politique cohérente.
S'agissant de la taxe professionnelle, il a estimé que la stabilisation de la participation financière de l'État n'était pas anormale car les mécanismes de compensation automatique n'apparaissaient pas compatibles avec une logique de rigueur budgétaire. Il a cependant souligné la nécessité de préserver les dépenses publiques les plus riches en emploi tels les investissements autoroutiers. Enfin, il a précisé que l'évolution décevante des recettes fiscales trouvait sans doute une partie de son origine dans une adaptation du comportement des agents économiques, induite par le poids excessif des impôts.
Après avoir rappelé que l'opinion publique ne partageait pas les critiques récemment adressées aux fonctionnaires, Mme Maryse Bergé-Lavigne a souhaité connaître l'importance des charges de rémunération et de pension dans l'ensemble du budget de l'État.
M. Alain Richard a tout d'abord estimé que la réduction du déficit annoncée pour 1996 présentait un caractère largement comptable, car elle reposait sur deux éléments discutables : une hypothèse de croissance fragile et une économie de 19 milliards de francs partiellement due au non respect des engagements de l'État à l'égard de l'UNEDIC.
Constatant que la situation était préoccupante, il s'est inquiété d'un certain décalage entre les ambitions affichées par le Gouvernement et la méthode retenue. Il a alors estimé que cette situation traduisait une certaine ambiguïté sur le rôle réel de l'État. Rappelant qu'une diminution des dépenses supposait de renoncer à des interventions ou prestations publiques, il s'est étonné que personne n'annonce les postes concernés.
Il a défendu les choix budgétaires effectués entre 1988 et 1992, et a souhaité connaître ceux qui pouvaient être remis en cause aujourd'hui.
Il s'est déclaré favorable à la création d'un office parlementaire d'évaluation, qui selon lui, doit éviter au Parlement d'être un simple "commentateur" de l'action du Gouvernement.
Enfin, il a reconnu que le décrochage entre l'évolution des recettes fiscales et celle de la croissance constituait un phénomène particulièrement inquiétant, tout en constatant que les explications généralement avancées n'étaient guère satisfaisantes.
Après avoir émis des doutes sur la vigueur de la croissance en 1996, Mme Marie-Claude Beaudeau s'est élevée contre une politique de réduction du déficit qui nourrit de nouvelles perspectives de chômage et d'austérité. Elle a vivement regretté l'effort d'économie supplémentaire souhaité par l'Assemblée nationale, en constatant que les moyens budgétaires étaient insuffisants dans de nombreux domaines. Elle a refusé la perspective d'une aggravation de la fiscalité sur les salaires en 1996, et préconisé une taxation accrue des revenus financiers.
M. Roland du Luart s'est félicité de l'effort de maîtrise des dépenses réalisé dans le cadre du projet de budget, tout en regrettant les créations d'emplois publics envisagées pour 1996. Il s'est toutefois interrogé sur la possibilité de respecter les objectifs fixés en termes de réduction des déficits publics d'ici à 1997, et a souhaité obtenir des précisions sur la politique monétaire conduite par la France.
M. René Régnault a demandé des informations sur le coût réel du chômage pour l'État, puis il a fait valoir que l'augmentation du nombre des fonctionnaires a accompagné le développement des missions publiques. Il s'est élevé contre le pacte de stabilité proposé par l'État aux collectivités locales, qui intervient après plusieurs années marquées par des ponctions importantes sur les dotations concernées.
Il a enfin regretté que le produit de la cotisation minimum de taxe professionnelle alimente le budget, en estimant que l'État sollicite ainsi l'assiette de l'impôt des collectivités locales.
M. Henri Collard a constaté que la France vivait au-dessus de ses moyens depuis plusieurs années, puis il a insisté sur l'opportunité d'assurer une programmation pluriannuelle des dépenses d'investissement de l'État.
M. René Trégouët a estimé que la politique de maîtrise des dépenses supposait une véritable mobilisation des Français et avancé quelques pistes de réflexion pour tenter de maîtriser les dépenses sociales.
M. Joël Bourdin s'est interrogé sur les relations entre le taux de change et les taux d'intérêt.
Après avoir constaté que l'activité de la commission était loin d'être celle d'un simple "commentateur", M. Philippe Marini a souligné l'intérêt d'un projet de loi d'orientation sur les prélèvements obligatoires. Il a estimé indispensable d'assurer le développement d'une épargne de long terme, puis s'est interrogé sur l'efficacité réelle de la mesure proposée en matière de transmission des entreprises, compte tenu de la rigidité des conditions posées par le texte.
Enfin, il s'est déclaré favorable à la mise en place, au sein du Parlement, de procédures d'évaluation des politiques publiques.
Après s'être félicité de la qualité du débat de la matinée, M. Alain Lambert, rapporteur général, a répondu aux différents intervenants.
S'agissant de la fonction publique, il a indiqué que le coût total des rémunérations et pensions atteignait 567 milliards de francs, soit un tiers des dépenses de l'État.
Après avoir rappelé que 50.000 fonctionnaires partaient à la retraite chaque année, il a insisté sur la nécessité de rénover le mode de gestion des effectifs, et d'évaluer les besoins réels de chaque ministère tout en recherchant une plus grande mobilité au sein de l'administration. Il a rappelé que la France disposait d'ailleurs d'une excellente fonction publique, mais que celle-ci devait impérativement s'adapter aux défis du monde moderne.
S'agissant de la politique de l'emploi, M. Alain Lambert, rapporteur général, a précisé que l'État lui consacre 138 milliards de francs sous forme de crédits budgétaires, mais que son coût total atteint 250 milliards de francs environ lorsqu'on tient compte de son impact en termes de parts de recettes fiscales ou sociales.
Il a reconnu la nécessité de préserver les dépenses les plus riches en emploi, mais s'est interrogé sur les méthodes à mettre en oeuvre pour évaluer ce contenu.
En revanche, il a fait valoir que la suppression de la subvention destinée à l'UNEDIC ne pouvait être assimilée à un artifice comptable, cet organisme paritaire dégageant désormais des excédents significatifs qui supprimaient toute justification aux versements de l'État.
Répondant aux interrogations portant sur la réforme fiscale, M. Alain Lambert, rapporteur général, a reconnu la nécessité de développer l'épargne longue, et d'améliorer le dispositif prévu pour favoriser la transmission des entreprises.
Il a constaté que le décalage entre l'évolution des recettes et celle du PIB n'était pas encore totalement expliqué, mais que quelques facteurs importants avaient déjà été identifiés. Il a cependant souligné le caractère préoccupant de cette évolution, qui rendait d'autant plus indispensable la maîtrise des dépenses, et posait clairement le problème de la structure de nos prélèvements obligatoires.
Puis, M. Alain Lambert, rapporteur général, a relevé que les nombreuses questions concernant le pacte de stabilité trouveraient une nouvelle dimension lors de l'examen des crédits des collectivités locales. Il a rappelé que le principe du pacte répondait à un souhait de nombreux élus, mais que les modalités envisagées permettaient d'habiller de façon un peu différente les pratiques habituelles, et regrettables, constatées ces dernières années. Il s'est toutefois interrogé sur les solutions alternatives qui pourraient être envisagées.
Détaillant les dispositions envisagées en matière de taxe professionnelle, M. Alain Lambert, rapporteur général, a admis qu'il fallait mettre un terme à des dispositifs alimentant de façon automatique les dépenses de l'État. Il a ensuite rappelé l'initiative prise par l'Assemblée nationale, en vue d'affecter le produit de la cotisation minimale au fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.
En réponse aux interrogations portant sur les problèmes monétaires, M. Alain Lambert, rapporteur général, a reconnu que l'incidence des taux de change sur taux d'intérêt ne pouvait être niée, notamment en ce qui concerne les taux d'intérêt à court terme. Il a constaté que la pression exercée sur la parité franc-mark conduisait notre pays à maintenir une prime de risque relativement élevée par rapport à la monnaie allemande. Mais il s'est déclaré convaincu que seule l'union monétaire européenne permettrait de faire disparaître ce phénomène.
Puis M. Alain Lambert, rapporteur général, a rappelé l'importance du problème financier posé par la sécurité sociale, dont la dette représente aujourd'hui 4.000 francs par Français. Il a estimé nécessaire de réexaminer le rôle de l'État, qui en ce domaine était plus souvent un payeur qu'un décideur.
Enfin, s'agissant de maîtrise des dépenses publiques, M. Alain Lambert, rapporteur général, a réaffirmé le caractère obligatoire de cette démarche, en rappelant que la réduction du déficit était devenu un impératif en soi, indépendamment de nos engagements européens. Il a relevé la complexité des mécanismes budgétaires, l'extension progressive du domaine d'intervention de l'État, et l'inégale flexibilité des dépenses publiques.
Il a alors conclu en observant que la remise en cause de certaines dépenses supposait au préalable que soit résolue la question de l'évaluation des interventions budgétaires.