Rapport n° 49 (1995-1996) de M. Jacques HABERT , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 26 octobre 1995

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N° 49

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès-verbal de la séance du 26 octobre 1995.

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées(1) sur :

1°) le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant l'approbation d'un accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Kirghizistan sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements,

2°) le projet de loi, ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, autorisant la ratification d'un traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la République française et la République du Kirghizistan,

Par M. Jacques HABERT,

Sénateur.

Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin. président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique Ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet, Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

Voir les numéros :

Assemblée nationale (l0ème législ.) : 1915, 2067, 2126, T.A. 400 et 405

Sénat : 9 et 13 (1995-1996). -

Traités et conventions

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Les deux projets de loi qui font l'objet du présent rapport visent à autoriser l'approbation de deux accords internationaux conclus à Paris le 3 juin 1994 entre la France et la république du Kirghizistan : un Traité d'entente, d'amitié et de coopération d'une part, un accord sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements d'autre part.

La France a négocié des accords comparables avec les autres républiques d'Asie centrale -à l'exception du Tadjikistan- issues de la désintégration de l'Union soviétique. Le développement de nos relations bilatérales avec ces pays nous importe à deux titres :

- l'évolution politique des nouvelles républiques asiatiques, les liens qu'elles entretiennent avec leurs voisins, conditionnent la stabilité de la région ;

- leur potentiel économique en partie sous-exploité suscite l'intérêt des investisseurs occidentaux au sein desquels les entreprises françaises doivent trouver leur place.

La conclusion des deux accords avec la république du Kirghizistan revêtait cependant une dimension supplémentaire : elle consacrait l'attachement aux valeurs démocratiques dont ce pays a voulu, dans un environnement troublé, faire sa spécificité.

Ainsi, la formule déclaratoire du préambule du Traité d'amitié rappelant le respect des deux parties pour «  les valeurs universelles de liberté, de démocratie et de justice  », il a paru utile d'évoquer la situation intérieure et extérieure du Kirghizistan. Le rapport se proposera ensuite d'examiner l'état de nos relations bilatérales et le contenu du Traité d'amitié qui vise à resserrer ces liens avant de procéder à l'analyse plus particulière de la situation économique du Kirghizistan et des espoirs que l'on peut placer dans l'accord sur la protection réciproque des investissements.

I. LE KIRGHIZISTAN : UN PÔLE DE RELATIVE STABILITÉ DANS UN ENVIRONNEMENT TROUBLÉ

Situé aux confins de l'ancienne Union soviétique, encadré au sud-est par la Chine, au nord par le Kazakhstan, à l'ouest et au sud-ouest par l'Ouzbékistan et le Tadjikistan, le Kirghizistan déploie un paysage de montagnes -plaines et vallons ne représentant qu'un cinquième d'un territoire de 198 000 km 2 .

Les 4,4 millions d'habitants ne se concentrent que pour une faible part dans les villes (37,2 % de la population), principalement à Bichkek (ex-Frounzé), la capitale, et Och.

Longtemps dominés par le Khanat de Kokand, l'actuel Ouzbékistan, placés sous le protectorat russe en 1876, les Kirghiz bénéficient pour leur territoire du statut de région autonome en 1924, puis de République fédérée en 1936. L'indépendance est proclamée le 31 août 1991.

A. UNE ÉVOLUTION INCONTESTABLE MAIS ENCORE FRAGILE VERS LA DÉMOCRATIE

La constitution d'un État de droit reste menacée en effet par les incertitudes des rapports de forces au sein du pouvoir ainsi que par le problème des minorités.

1. Un État de droit en formation

La construction de la démocratie passe au Kirghizistan par trois voies principales :

- une vie politique qui fait place au multipartisme ;

- une organisation institutionnelle reposant sur la séparation des pouvoirs ;

- la garantie accordée aux droits et libertés publiques.

L'essor d'une réelle vie politique doit beaucoup à la personnalité de M. Askar Akaev, ancien président de l'Académie des sciences du Kirghizistan, alors que les présidents du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan, du Turkménistan ont tous exercé la charge de Premier Secrétaire du Parti communiste avant les indépendances.

Le mandat présidentiel de M. Akaev. que lui avait confié le Soviet Suprême issu des élections de 1990, avait reçu la confirmation du suffrage universel en octobre 1991.

Depuis cette date, deux éléments fondamentaux d'un paysage démocratique se sont mis en place : la création de partis politiques d'une part, l'organisation d'élections d'autre part.

Comme le rappelait l'excellent rapport de M. Aymeri de Montes qui ou vice-président de la commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale, consacré à l'Asie centrale 1 ( * ) : « Les partis politiques se forment librement. Seul le parti de la renaissance islamique a été interdit. De nombreux partis ont pu être enregistrés, entre autres : « l'Erk » qui prône l'économie de marché et la propriété privée ; « l'Association slave ». « l'Och Aymachi » : « l'Adalet Ouzbek » qui défendent respectivement les minorités slaves, kirghizes et ouzbèkes et même le Parti communiste qui a pu se reconstituer en 1992 ».

Parallèlement, plusieurs scrutins ont été organisés : deux référendums le 30 janvier 1994 et le 22 octobre 1994, ainsi que des élections législatives en février 1995.

Celles-ci, de l'avis des observateurs étrangers invités par le gouvernement kirghiz à surveiller le bon déroulement du premier tour, n'ont donné lieu à aucune irrégularité grave. Du reste la création d'une « commission d'enquête indépendante sur les prétendues violations de la loi électorale » a témoigné de la bonne volonté du président Akaev.

En second lieu les amendements constitutionnels approuvés par voie référendaire le 22 octobre 1994, par 70 % des électeurs, tout en conférant au président des pouvoirs conséquents (désignation du gouvernement, initiative des lois et droit de veto législatif que seul un deuxième vote du parlement peut surmonter) assure la séparation des pouvoirs. Un parlement bicaméral aux effectifs réduits (105 membres) se substitue à une chambre unique de 350 membres. Quant au système judiciaire, il fait l'objet d'une restructuration inspirée par le souci de consolider les principes du droit.

Enfin, l'affirmation des libertés ne relève pas seulement de la rhétorique. Ainsi la publication de 90 journaux dont deux seulement soutiennent ouvertement le gouvernement, atteste la liberté de la presse que seuls quelques excès (commis par une presse ultranationaliste) conduiraient à réviser. Pour une population qui se partage principalement entre l'islam sunnite (70 % de la population), et l'orthodoxie (20 %). la liberté de religion revêt une importance particulière. La Constitution confirme cette liberté dans le cadre d'un État laïc. Le Président Akaev n'a d'ailleurs pas prêté serment sur le Coran, au moment de son investiture. Cette tolérance relative explique sans doute que les droits de la femme bénéficient dans ce pays d'une protection relativement satisfaisante en dépit des discriminations de fait. Des postes de responsabilités (et notamment le ministère des affaires étrangères) ont été ainsi confiés à des femmes 1 ( * ) .

La protection des minorités apparaît également un enjeu essentiel de la Constitution d'un État de droit. Les tensions au sein de la population du Kirghizistan pourraient en effet remettre en cause la stabilité du pays, hypothéquée également par l'évolution de l'équilibre des forces au sein du pouvoir.

2. Une stabilité hypothéquée par les tensions ethniques et les incertitudes politiques

La population du Kirghizistan n'est guère homogène. Les Kirghiz. certes majoritaires (52.4% de la population) côtoient d'importantes minorités au premier rang desquelles les Russes (21,5 %). les Ouzbeks (12.9 %), les Ukrainiens (2.5 %) -Allemands (2.4 %). Kazakhs (0.9 %). Tadjiks (0.8 %) occupent une place plus marginale.

Les préoccupations du gouvernement kirghiz concernent essentiellement les Russes et les Ouzbeks. Cependant les problèmes posés par ces deux minorités ne sont pas de même nature et ont appelé d'ailleurs un traitement différent de la part des autorités.

Parmi les Russes, certains sont installés au Kirghizistan depuis plusieurs générations, depuis, parfois, la colonisation entreprise sous l'empire tsariste à partir de 1876. Comme pour les autres Républiques soviétiques devenues indépendantes, de nombreux départs ont réduit le nombre des Russes passés de 1.1 million en 1990 à 900 000 en 1994. Cette évolution alarme les responsables kirghizes à deux titres. D'une part, le départ des Russes qui forment une part essentielle des cadres de l'économie et de l'administration risque de compromettre le développement du pays. D'autre part, cette évolution menace de remettre en cause les équilibres ethniques, les Ouzbeks pouvant devenir le deuxième groupe ethnique du pays.

Or, la cohabitation avec les Ouzbeks est compliquée par l'existence de deux enclaves sous souveraineté ouzbèke au sud du Kirghizistan ainsi que par les revendications irrédentistes dans la région d'Och. Autour de cette ville des affrontements meurtriers entre Ouzbeks et Kirghiz en 1990 avaient rendu nécessaire une intervention de l'armée soviétique.

Ainsi la politique conduite à l'égard des minorités demeure très prudente (aucun quota n'est réservé pour les minorités dans l'administration) et n'encourage ouvertement que les Russes : une politique de bons rapports avec la Russie, la création à Bichkek d'une université russophone manifestent indéniablement le souci de stabiliser la population russe sur place.

Les clivages ethniques recoupent en partie seulement les clivages géographiques qui opposent le nord du Kirghizistan plus industrialisé d'où sont issus la plupart des cadres de l'administration et de l'économie et un Sud plus rural où l'influence de l'Islam trouve davantage d'assise.

Cet antagonisme s'est exprimé en 1993 quand le vice-président Koulov, originaire de la ville d'Och, s'est opposé au Premier ministre Tchynguichev représentant lui-même les intérêts du Nord.

A ce facteur d'incertitude politique s'ajoute le poids que représentent encore les anciens communistes dans la vie politique. Ces derniers dominent le Parlement où le Président Akaev n'a pu susciter un mouvement politique à la mesure des réformes qu'il entend promouvoir. Confronté à l'inertie d'une nomenklatura peu soucieuse de liquider ses avantages, fort d'un réel soutien populaire que fragilise cependant les difficultés sociales, Askar Akaev n'a pas cédé à la tentation du recours à un référendum comme les présidents turkmène, ouzbek et kazakh pour prolonger son mandat. En revanche il a décidé d'avancer à décembre prochain la date des élections présidentielles prévues normalement en 1996, afin de prévenir la menace d'une coalition potentiellement dangereuse entre les communistes et le parti agraire.

B. UNE DIPLOMATIE ÉQUILIBRÉE

La politique extérieure du Kirghizistan cherche à cultiver de bonnes relations avec la Russie, et les autres voisins asiatiques ainsi qu'avec l'Occident.

1. Le resserrement des liens avec la Russie

La forte présence russe au Kirghizistan, et notamment au sein de l'armée dont 50% des officiers sont d'origine russe, la nécessité de renouer des liens économiques déterminants pour le développement du pays, tels sont les deux facteurs qui expliquent le souci du Kirghizistan d'entretenir de bons rapports avec la Russie.

Cette préoccupation s'exprime toutefois mieux dans la coopération militaire que dans les relations économiques restées en deçà des espoirs kirghiz.

Cette coopération revêt trois aspects principaux :

- la signature d'un traité de coopération militaire (dans les domaines de la formation des forces nationales, et du contrôle de l'espace aérien notamment), et du traité de défense collective de la Communauté des États Indépendants (CEI) ; à ce titre, le Kirghizistan a envoyé un bataillon de 500 hommes dans le cadre des opérations de maintien de la paix au Tadjikistan ;

- la présence de 3 000 militaires russes chargés principalement de la surveillance de la frontière sino-kirghize :

- le contrôle des industries d'armement par les Russes.

Dans le domaine économique, soucieux de rétablir les intérêts économiques et commerciaux existant avant la désintégration de l'URSS, le Kirghizistan a souhaité rejoindre l'Union douanière formée par la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan. Mais ce voeu ne s'est pas encore concrétisé. Aussi le Kirghizistan a-t-il développé ses liens avec ses voisins immédiats.

2. Une politique d'équilibre avec les voisins asiatiques

Les relations nouées avec les autres républiques d'Asie centrale ainsi qu'avec la Chine permettent au Kirghizistan de ne pas s'enfermer dans un dialogue exclusif avec l'ancienne puissance tutélaire, la Russie.

Ainsi, le Kirghizistan a constitué avec le Kazakhstan et l'Ouzbékistan une union économique et douanière afin de surmonter les insuffisances du système de paiement entre monnaies inconvertibles.

La coopération entre les Républiques d'Asie centrale apparaît également indispensable pour la mise au point d'un règlement de paix au Tadjikistan. La guerre civile dont cette République est le théâtre a pour le Kirghizistan trois conséquences déstabilisatrices : la présence de 7 000 réfugiés tadjiks dans la région d'Och, le réveil d'un irrédentisme tadjik dans la vallée du Ferghana, le trafic d'armes et de drogue via le Pamir.

Le principe d'équilibre auquel obéit la diplomatie kirghize inspire également la position à l'égard de la Chine avec laquelle le Kirghizistan présente près de 8 000 km de frontières communes.

Le souci de ménager un voisin si puissant imposait que le danger présenté par trois contentieux potentiels soit désamorcé. Ainsi un accord bilatéral a permis de régler un différend frontalier en juin 1994, en second lieu le maintien d'un dialogue politique atténue les tensions que suscitent les retombées des essais nucléaires chinois de Lop Nor, enfin le sécessionnisme Ouigour en Chine ne trouve aucun encouragement au Kirghizistan.

Par ailleurs, dans le domaine économique, les échanges se sont intensifiés au point que la Chine est devenue le premier partenaire commercial hors CEI du Kirghizistan . En outre un accord de transit signé par la Chine, le Pakistan, le Kazakhstan et le Kirghizistan permet de développer une voie terrestre reliant Kashgar en Chine à Islamabad et désenclaver ainsi des régions que ne favorise pas leur environnement naturel.

3. La diversification des rapports en direction des puissances occidentales et du Japon

La diplomatie kirghize s'est efforcée de nouer des liens avec les grandes économies de marché. Cette politique de rapprochement facilitée par l'image démocratique du Kirghizistan lui permet d'obtenir auprès de l'Occident, mais aussi des institutions financières internationales, des concours financiers importants.

Ainsi, le Japon, intéressé par les ressources énergétiques du Kazakhstan, de l'Ouzbékistan et du Turkménistan, considère le développement de ses liens avec le Kirghizistan comme le premier jalon d'une expansion économique vers les pays de la zone. Son soutien financier s'élève à 60-75 millions de dollars par an.

Un accord de partenariat et de coopération a été signé avec l'Europe le 9 février 1995.

Enfin les États-Unis où le président Akaev s'est rendu à deux reprises en 1991 et 1993, ont consenti un effort financier particulier (140 millions de dollars par an en 1993 et 1994)

Compte tenu de l'« exceptionnalité » kirghize dans une région agitée, mais aussi de l'intérêt manifesté pour ce pays par nos partenaires occidentaux, la France se devait de nouer avec le Kirghizistan des liens plus étroits.

II. DES RELATIONS BILATÉRALES ACTUELLEMENT TRÈS RÉDUITS QUE LE TRAITÉ D'AMITIÉ ET DE COOPÉRATION CHERCHE À DÉVELOPPER

Les stipulations contenues dans le Traité d'amitié reprennent les formulations d'un accord type et distinguent classiquement dans leurs différents articles les cadres dans lesquels peut s'établir la coopération des domaines sur lesquels elle porte.

A. LA DIVERSIFICATION DES MODES DE COOPÉRATION

1. Le renforcement dos relations bilatérales

Au niveau politique les échanges entre la France et le Kirghizistan sont demeurés limités. En effet, outre la visite du président Akaev en juin 1994 en France, seul le Secrétaire d'État aux Affaires étrangères s'était rendu dans notre pays en février 1992.

Au-delà des stipulations très générales appelant à développer les contacts entre les membres des gouvernements des deux parties, l'article 3 du traité prévoit de façon précise que les ministres des affaires étrangères devront se rencontrer au moins une fois par an. Par ailleurs leurs représentants pourront se réunir en tant que de besoin.

S'agissant de la représentation des intérêts français au Kirghizistan et des intérêts kirghizes en France, les moyens existants ne paraissent pas à la mesure d'une véritable volonté de coopération. L'ambassadeur de France à Moscou est accrédité à Bichkek, tandis que le Kirghizistan n'a qu'une représentation en Europe (Bruxelles).

Nous n'avons par ailleurs aucune représentation consulaire.

Dans ces conditions la coopération dans le domaine consulaire envisagée à l'article 19 risque de rester lettre morte.

En second lieu le Traité entend promouvoir dans son article 14 les relations entre les parlements des deux États. La dernière réforme constitutionnelle du Kirghizistan a permis à ce pays de se doter d'un système bicaméral. Cette nouvelle organisation ne peut que faciliter les liens avec le Sénat et l'Assemblée nationale. Au cours de sa visite à Paris. M. Akaev avait été reçu par le Président Monory, puis par le groupe d'amitié Asie Centrale. A cette occasion une proposition sénatoriale de coopération technique interparlementaire avait retenu l'attention de la délégation kirghize. Il faut espérer qu'elle puisse rapidement se concrétiser.

Enfin, l'article 16 considère les relations entre collectivités locales et encourage en particulier les jumelages entre communes. Une seule opération de ce genre est pour l'heure envisagée entre la région d'Issyk-Koul et la ville de Bichkek d'une part, la région Rhône-Alpes et la ville de Lyon d'autre part.

Parallèlement à cette coopération bilatérale le Traité prévoit la recherche de positions communes dans le cadre des instances multilatérales.

2. Le rapprochement des positions au sein des organisations internationales

La coopération doit se nouer principalement dans le cadre de trois instances internationales :

- l'Organisation des Nations Unies (art. 5) ;

- la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe (art. 7. 9) ; le Kirghizistan a signé la charte de Paris de la CSCE en juin 1994 ;

- les organisations économiques et les institutions financières internationales (art. 17).

Par ailleurs le préambule et plusieurs articles font référence à l'Union européenne : l'article 6 appelle la France à favoriser les liens entre le Kirghizistan et l'Union européenne, l'article 8 reconnaît l'importance du rôle de la construction européenne pour la stabilité dans le monde.

En revanche, le Traité ne fait guère mention de la communauté des Etats indépendants à laquelle appartient pourtant le Kirghizistan. Malgré la qualité des relations entre le Kirghizistan et la Russie, cette omission n'est pas indifférente au regard de l'importance attachée à la CEI par le Kirghizistan.

B. LES DOMAINES DE LA COOPÉRATION

Si l'on excepte l'assistance économique évoquée plus loin, trois domaines de coopération apparaissent prioritaires : les questions diplomatiques et militaires, la culture, la constitution d'un État de droit.

1. La diplomatie et les problèmes de défense

Des différents domaines ouverts à la concertation entre les deux parties, un pôle d'intérêt commun se dégage fortement : les questions de sécurité en Europe (art. 2. 3. 4. 7. 9). L'article 4 en particulier insiste sur la nécessité d'une position concertée dans l'hypothèse où les circonstances affecteraient directement la sécurité de la France ou du Kirghizistan. L'article 9 souligne l'attachement commun au processus de désarmement et plus particulièrement la décision du Kirghizistan d'adhérer au traité de non-prolifération nucléaire en tant qu'État non doté d'armes nucléaires.

Sur un plan proprement bilatéral, l'article 10 prévoit des échanges de vues sur les problèmes de défense nationale. Dans le domaine de la coopération militaire, la seule opération conduite à ce jour concerne la formation en langue française de jeunes officiers kirghiz.

2. La coopération culturelle et scientifique

L'article 17 considère plusieurs champs de coopération : l'enseignement, la culture, la science et la technique, pour lesquels il prévoit l'élaboration de programmes communs et le développement des contacts entre établissements d'enseignement supérieur. Sans que les moyens d'action précis soient envisagés, les médias, le sport et le tourisme appellent également la coopération entre les deux pays.

Qu'en est-il aujourd'hui de la coopération culturelle avec le Kirghizistan ? Pour 1995, les crédits réservés aux actions de ce type s'élèvent à 1 million de francs (contre 0,7 million de francs en 1995) : 0,59 million de francs pour la coopération culturelle et linguistique, 0,40 million de francs pour la coopération scientifique et technique. 10 000 francs pour l'action audiovisuelle extérieure.

Des actions engagées, semble se dégager une priorité en faveur de la formation linguistique, bien que l'enseignement du français se heurte à la concurrence des langues anglaise, allemande et turque. Les actions de formation sur place bénéficient de la présence d'un attaché linguistique en poste depuis 1992 et d'une cinquantaine de professeurs de français. En outre, quelques bourses ont été accordées. En 1995 la politique linguistique privilégiera la rédaction de manuels du primaire, la fourniture de matériels pédagogiques aux établissements secondaires, ainsi que l'amélioration de la formation des professeurs de français.

3. L'aide au renforcement de l'État de droit

La coopération dans ce domaine -que l'article 20 du traité entend promouvoir- passe par deux voies distinctes : la coopération juridique et la sécurité publique. Seule l'assistance administrative s'est aujourd'hui concrétisée : formation à l'Institut international d'administration publique de trois hauts fonctionnaires kirghiz en 1993 et 1994 ; organisation cet automne, sous les auspices de la France, d'un séminaire destiné à présenter aux fonctionnaires kirghiz l'organisation de notre administration et de notre justice.

La coopération juridique, mais aussi et surtout celle portant sur la lutte contre le trafic de stupéfiants à laquelle fait référence l'article 20, souhaitée très vivement par nos partenaires, n'a pour l'heure fait l'objet d'aucune réalisation. Voilà deux domaines où, d'après votre rapporteur, la France devrait pourtant porter ses efforts.

Ainsi le champ d'action envisagé apparaît très vaste, même s'il convient de relever l'absence de stipulation particulière relative au domaine de la santé où pourtant les besoins du Kirghizistan sont considérables (la France du reste a été le premier des partenaires européens à apporter en 1992 une aide sanitaire au Kirghizistan).

Le bilan de la coopération reste mince ; le Traité pose un cadre juridique favorable au développement de l'action française.

L'article 22 précise que l'accord est conclu pour une durée de dix ans, tacitement reconductible de cinq ans en cinq ans.

Les articles 11 et 12 du Traité appelaient la mise en oeuvre d'une coopération économique (en particulier dans les domaines de l'agriculture, des ressources minières. du tourisme, des transports et des télécommunications). L'accord sur la protection réciproque des investissements signé le même jour que le traité d'amitié, apporte à cette action les garanties nécessaires.

III. L'ACCORD DE PROTECTION RÉCIPROQUE DES INVESTISSEMENTS POSE UN CADRE CLASSIQUE VISANT À ENCOURAGER AU KIRGHIZISTAN LES INVESTISSEURS FRANÇAIS ENCORE PRUDENTS

A. UNE ÉCONOMIE EN DÉVELOPPEMENT QUI LAISSE PLUS DE PRISE À L'AIDE QU'À L'INVESTISSEMENT

1. La difficile construction d'une économie de marché

Le même mouvement qui, sur le plan politique, s'efforce de conduire le Kirghizistan sur la voie de l'État de droit inspire le souci de mettre en place une économie de marché.

Cette volonté réformatrice doit surmonter nombre d'obstacles.

Cependant le Kirghizistan dispose de quelques atouts.

En premier lieu, il est autosuffisant en électricité grâce à l'importance de la production hydroélectrique. Il pourrait en outre extraire quelques produits miniers : l'or, le mercure, l'uranium.

Surtout, cette république s'est engagée sur les voies de la réforme économique. Les privatisations en premier lieu, concernent 70 % du commerce de détail, 60 % de l'agriculture et 30 % de l'industrie. Ensuite, le Kirghizistan est la première république d'Asie centrale à avoir introduit sa monnaie nationale, le som, en mai 1993. Parallèlement, la hausse des prix, de l'ordre de 45 % par mois en 1993, a pu être maîtrisée et s'établit à un rythme mensuel de 4,5 % en 1994, soit l'un des taux les plus bas de la Communauté des États Indépendants.

Cependant, la politique monétaire restrictive conduite par la Banque centrale, la chute de la production (- 43 % en 1993), la défaillance du système de paiement avec les autres républiques de l'ancienne URSS, sont autant de facteurs dont la combinaison hypothèque le redressement économique du Kirghizistan.

Au premier rang des handicaps de l'économie, l'environnement naturel ingrat (10 % du territoire se situent au-dessus de 1 000 mètres d'altitude, soumis à un rude climat continental) condamne l'agriculture qui occupe le tiers de la population à un développement limité. Ce secteur économique produit essentiellement du blé. du coton, de la laine, des cuirs et peaux, du tabac et des moutons.

Par ailleurs, le Kirghizistan dispose de peu de ressources naturelles. L'absence de combustibles fossiles est totale.

L'économie du pays souffre également des difficultés héritées de son histoire. D'une part, comme les autres républiques d'Asie centrale, elle a subi la lourdeur de la centralisation soviétique et sa médiocre efficacité économique. D'autre part, la désintégration de l'URSS a désorganisé les circuits de distribution et coupé le Kirghizistan de ses anciens marchés.

Ainsi, l'économie du Kirghizistan, avec un revenu par habitant estimé à 1 200 dollars en 1992, demeure marquée par les traits du sous-développement.

Compte tenu de ces perspectives on ne saurait s'étonner que les investissements étrangers dans ce pays restent négligeables.

2. Un contexte encore peu favorable aux investissements

Sans doute le Kirghizistan s'est-il efforcé de promouvoir une législation destinée à encourager les investissements, à garantir la liberté d'entreprise et à lutter contre les monopoles. La signature du présent accord s'inscrit également dans cette politique favorable aux investissements étrangers.

En second lieu, certains domaines d'activité restent susceptibles d'intéresser les entreprises étrangères. Citons pour la France, l'exploitation des ressources naturelles (COGEMA -l'uranium- BRGM-antimoine et or-), l'amélioration des infrastructures (Thomson -contrôle aérien-) ou encore la conversion des industries de défense (SOFINFRA). Aucun projet ne s'est encore concrétisé. Singulièrement un potentiel touristique important, notamment autour du lac Issyk-Koul, jadis villégiature de la nomenklatura soviétique, a laissé indifférents les grands groupes étrangers spécialisés dans ce domaine.

En définitive, le Kirghizistan bénéficie davantage de l'aide internationale que d'un réel mouvement d'investissement.

La république a ainsi reçu l'appui des organisations financières internationales sous la forme d'une facilité d'ajustement structurel renforcé par le FMI ou de prêts de la Banque mondiale (30 millions de dollars) pour la réorganisation des entreprises d'État et du système de paiement interentreprises, et 20 millions de dollars pour couvrir certains besoins sociaux) et de la Banque européenne de développement (48 millions de dollars).

Nous l'avons vu précédemment, l'aide bilatérale de certains pays, spécialement les États-Unis et le Japon, n'est pas négligeable. Or, comme le constatait le rapport précité de M. de Montes qui ou, les lignes de crédits commerciaux accordés par la France au Kirghizistan restent très réduites au regard notamment de celles accordées au Kazakhstan, à l'Ouzbékistan et au Turkménistan. A cet égard, l'effort méritoire accompli par le Kirghizistan (même s'il reste encore très fragile) pour approcher le modèle démocratique, justifierait sans doute une plus grande attention de notre pays.

B. L'ACCORD DU 2 JUIN 1994 : DES STIPULATIONS CLASSIQUES

1. L'encouragement des investissements

En premier lieu, le champ d'application de l'accord est défini de façon traditionnelle

Le champ d'application géographique comprend le territoire mais aussi la zone maritime de chacune des parties. En l'occurrence, des deux pays, seule la France dispose d'une zone maritime.

Les investissements concernés sont, comme à l'accoutumée, définis de façon large "tous les avoirs, les biens, droits et intérêts de toutes natures (art. 1-1).

En second lieu, des stipulations classiques visent à encourager les investissements.

Le principe de cet encouragement est posé par l'article 2 de l'accord.

Il se traduit par :

- l'encouragement dans le cadre de la législation nationale des investissements effectués par l'autre partie (art. 2) ;

- l'octroi d'un "traitement juste et équitable" à ces investissements, conformément aux principes du droit international (art. 3) ;

- le bénéfice de la clause de la nation la plus favorisée (art. 4).

Ce régime d'encouragement ne s'étend cependant pas -il s'agit là d'une limitation habituelle- aux avantages consentis dans le cadre d'accords particuliers à l'instar d'une zone de libre-échange, d'une union douanière, d'un marché commun ou de tout autre accord international, régional ou subrégional (art. 4).

2. Un régime de protection des investissements

Cinq stipulations garantissent la protection des investissements des États contractants :

- Le droit à une indemnité "prompte et adéquate" en cas de dépossession (nationalisation, expropriation...) est reconnu (art. 5.2).

- En cas de dommages et pertes provoqués par des événements politiques tels un conflit armé, l'état d'urgence, une révolte, une insurrection, une émeute .... les investisseurs étrangers doivent bénéficier d'un traitement aussi favorable que celui des investisseurs nationaux (art. 5.3).

- Le libre transfert des produits de la liquidation de l'investissement (y compris les plus-values), de ses revenus, des remboursements d'emprunts contractés ainsi que des indemnités précitées est assuré (art. 6).

Il s'agit là d'une garantie essentielle pour les investisseurs.

- Les investissements dûment agréés par l'État d'accueil pourront bénéficier d'une garantie de l'État d'origine de l'investisseur (art. 7). A cet égard, il convient d'observer que la COFACE n'offre pas pour le Kirghizistan la couverture d'assurance crédit à moyen terme.

- L'application de stipulations plus favorables que celles du présent accord, prises dans le cadre d'engagements particuliers en matière d'investissements par l'un des États à l'égard des investisseurs de l'autre État, est garantie (art. 10).

3. La procédure de règlement des différends

Comme à l'accoutumée, elle comprend deux dispositifs distincts.

Le premier s'applique en cas de différend entre l'une des Parties et un investisseur de l'autre État.

Dans cette hypothèse, et lorsqu'un règlement à l'amiable n'a pu intervenir passé un délai de six mois, le différend est soumis à l'arbitrage du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) créé, sous l'égide de la Banque mondiale, par la convention de Washington du 18 mars 1965 (art. 8).

Le second dispositif concerne les différends relatifs à l'interprétation ou à l'application du présent accord

A défaut de règlement amiable par la voie diplomatique dans un délai de six mois, ces différends sont soumis à un tribunal d'arbitrage dont les décisions sont définitives et exécutoires de plein droit par les États contractants (art. 11).

Les clauses relatives à l'entrée en vigueur, à la durée et à l'expiration de l'accord figurent à l'article 12.

Leur rédaction est traditionnelle. Il convient juste de noter que l'accord :

- est conclu pour une durée initiale de 10 ans et restera en vigueur après ce terme sauf dénonciation par l'une des Parties précédée d'un préavis d'un an,

- prévoit, à son expiration, une protection complémentaire de 20 ans pour les investissements déjà réalisés à cette date.

CONCLUSION

Sans doute, l'intérêt de notre diplomatie peut nous paraître sollicité par des questions plus essentielles pour notre pays que les rapports avec le Kirghizistan. Il ne faut guère se dissimuler que les handicaps naturels comme la lourdeur du passif soviétique, les incertitudes politiques, ne favorisent pas le Kirghizistan et pèsent sur les perspectives d'investissements dans ce pays.

Cependant, le Kirghizistan est l'une des rares républiques issues de l'éclatement de l'empire soviétique soucieuse de s'inscrire dans la voie de la construction d'un état de droit et d'une économie de marché. Cette voie est périlleuse mais ce sont ces périls mêmes qui doivent justifier le soutien de la France. Encourager un pôle de paix aux confins orientaux de la Russie ne peut qu'exercer une influence stabilisatrice sur la Russie et, partant, sur la sécurité en Europe. L'intérêt manifesté par nos partenaires, en Europe et aux États-Unis, pour le Kirghizistan, paraît significatif à cet égard. Le traité d'amitié et l'accord de protection des investissements posent un cadre juridique pour une coopération qu'il importe de développer. Sous le bénéfice de ces observations, votre rapporteur vous propose d'émettre un avis favorable sur les deux accords conclus avec le Kirghizistan.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du jeudi 26 octobre 1995.

A l'issue de l'exposé du rapporteur. M. Nicolas About s'est interrogé sur les raisons qui poussaient le Kirghizistan, à la différence de ses voisins, vers la démocratie. Le rapporteur lui a répondu que le président Askar Akaev, seul des actuels présidents des républiques d'Asie centrale à ne pas avoir exercé, avant son élection, la charge de premier secrétaire du parti communiste, avait joué un rôle prépondérant dans la construction en cours d'un État de droit.

M. Jacques Habert, rapporteur, a par ailleurs indiqué à M. Guy Penne que le revenu national au Kirghizistan était de 1.200 dollars environ par habitant. M. Xavier de Villepin, président, a rappelé à cet égard que le Kirghizistan se situait plutôt dans la moyenne haute des pays en développement.

A la suite de ce débat, la commission a approuvé les deux projets de loi qui lui étaient soumis.

PROJET DE LOI

(Texte adopté par l'Assemblée nationale)

Article unique

Est autorisée la ratification du traité d'entente, d'amitié et de coopération entre la République française et la république du Kirghizistan, signé à Paris le 3 juin 1994, et dont le texte est annexé à la présente loi 1 ( * ) .

PROJET DE LOI

(Texte adopté par l'Assemblée nationale)

Article unique

Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Kirghizistan sur l'encouragement et la protection réciproques des investissements, signé à Paris le 2 juin 1994, et dont le texte est annexé à la présente loi 1 ( * ) .

* 1 Asie centrale Une indépendance inachevée. Assemblée nationale. Rapport d'information n° 1851.

* 1 M. Akaev. dans un entretien accordé au journal Le Monde du 14 octobre 1992, rappelait « La place accordée aux femmes repose sur d'anciennes traditions », et il citait le cas d'une femme au siècle dernier « Elue Khan du sud du Kirghizistan, où elle a gouverné pendant 50 ans ».

* 1 Voir document annexé au document Sénat n° 13

* 1 Voir document annexé au document Sénat n° 9

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