Proposition de loi n° 361 (1994-1995) présentée par M. Hubert Haenel et plusieurs de ses collègues, visant à étendre aux districts les règles applicables à la responsabilité des syndicats de commune pour les accidents survenus aux membres de leur comité et à leur président, en complétant l'article L. 164-5 du code des communes
Article unique.
L'article L. 164-5 du code des communes est complété, in fine. par un alinéa ainsi rédigé :
« Les districts sont responsables, dans les conditions prévues par les articles L. 121-25 et L. 122-17 pour les conseillers municipaux et les maires, des accidents survenus aux membres du conseil et à leur président. »
Compte-rendu de la réunion de commission du mercredi 18 octobre 1995 consacrée à l'examen du rapport
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a tout d'abord indiqué que la proposition de loi n° 406 (1994-1995) reprenait la solution retenue par le groupe de travail sur la responsabilité pénale des élus locaux, constitué au sein de la commission à l'initiative du président Jacques Larché et présidé par M. Jean-Paul Delevoye, président de l'Association des maires de France.
Il a rappelé que la constitution de ce groupe de travail avait été décidée à la suite d'amendements déposés par M. Jean-Paul Delevoye lors de la discussion, en décembre 1994, de la proposition de loi relative au financement de la vie politique, afin de répondre à l'inquiétude ressentie par les élus locaux du fait de la multiplication des poursuites et des condamnations pénales les concernant.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a ajouté que le groupe de travail avait procédé à de nombreuses auditions, en particulier d'élus, de magistrats et de représentants du corps préfectoral.
Il a indiqué que le Conseil d'État avait, sur la demande de M. Edouard Balladur, constitué un groupe de travail, présidé par M. Jacques Fournier, sur la responsabilité des décideurs publics, dont les conclusions devraient être rendues avant la fin de l'année.
Il a justifié l'inscription de la proposition de loi à l'ordre du jour du Sénat par la nécessité de répondre à une forte attente des élus locaux exprimée en particulier dans les départements soumis au renouvellement sénatorial de septembre dernier.
Le rapporteur a précisé que ce texte se limitait à la délinquance non-intentionnelle, liées à des faits d'imprudence ou de négligence.
Il a ensuite évoqué certaines affaires ayant donné lieu à des poursuites pénales d'élus locaux, citant en exemple la mise en examen de certains pour homicide involontaire en raison d'accidents survenus lors de l'organisation de fêtes locales et la condamnation de maires Pour des dommages liés à un mauvais fonctionnement d'un équipement municipal, tels qu'une station d'épuration ou un lampadaire.
Il a considéré que le problème de la responsabilité pénale des élus locaux tenait à leur assimilation à des chefs d'entreprise par les tribunaux, ce qui avait pour conséquence d'exiger d'eux une véritable obligation de résultat en termes de prévention des dommages.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a estimé qu'une telle assimilation méconnaissait 'a nature réelle des conditions d'exercice d'un mandat local, l'élu n'étant pas un professionnel et n'agissant pas pour son propre compte mais étant au contraire investi, parfois sans l'avoir demandé, d'une mission d'intérêt général, pour laquelle il n'avait pas suivi de formation Particulière et ne percevait pas de véritable rémunération, alors que les textes législatifs et réglementaires ne cessaient d'étendre les obligations pesant sur lui.
Il a ensuite résumé les différentes solutions envisagées puis écartées par le groupe de travail de la commission pour remédier à cette situation.
Le rétablissement de règles particulières de procédure, supprimées par la loi du 4 janvier 1993, lui a paru constituer une solution difficile à justifier à une époque où la tendance du législateur consistait plutôt à aligner sur le droit commun le régime procédural des affaires impliquant des élus.
De même, la possibilité pour la collectivité locale de désigner pour la défense de l'élu poursuivi un avocat aux fins d'expliquer au juge le fonctionnement de l'administration, prévue notamment par la proposition de loi de M. Claude Huriet, lui a semblé ne pas résoudre le problème de fond. Au demeurant, le rapporteur a fait observer que rien n'interdisait à la collectivité, en l'état actuel du droit, de procéder à une telle désignation.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, s'est déclaré opposé à l'introduction dans le droit pénal de la notion de faute détachable comme en droit administratif, une telle solution ayant notamment pour conséquence d'empêcher toute condamnation pénale pour des faits en relation avec le service alors que ces faits pourraient parfois justifier une telle condamnation.
Il n'a pas non plus jugé opportun de transposer au droit pénal la notion de faute lourde ou inexcusable, estimant qu'il serait contestable d'exiger une telle faute pour la condamnation d'un élu alors que, pour des faits identiques, un particulier pourrait être poursuivi sur la base d'une faute légère.
Il a indiqué que le groupe de travail avait en définitive retenu une solution consistant à apprécier « in concreto » le comportement de l'élu au moment des faits, en tenant compte des moyens dont il disposait et des difficultés propres à ses missions. Il a rappelé que la proposition de loi visait à traduire cette solution en précisant qu'un chef d'exécutif local ne pourrait être condamné pénalement pour des faits d'imprudence ou de négligence commis dans l'exercice de ses fonctions que s'il était établi qu'il n'avait pas accompli toutes diligences normales, compte tenu des moyens dont il disposait et des difficultés propres aux missions que la loi lui confie. Il a précisé qu'une disposition analogue avait été adoptée au Sénat en 1978, à l'initiative de M. Lionel de Tinguy, dans le cadre d'un projet de loi qui n'avait pas été inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale.
Il a qualifié cette solution d'opérationnelle dans la mesure où elle imposerait au juge une motivation circonstanciée sur laquelle la Cour de cassation pourrait exercer son contrôle. Il a fait observer que la charge de la preuve serait en pratique partagée entre l'accusation et la défense, la première devant établir que l'élu n'avait pas accompli toutes diligences normales, la seconde devant invoquer le manque de moyens ou les particulières difficultés de la mission impartie à l'élu local.
Une telle solution lui est apparue conforme à la Constitution dans la mesure où, d'une part, l'appréciation « in abstracto » de la faute pénale résultait d'une pratique juridictionnelle et non d'un principe constitutionnel et que, d'autre part, le principe d'égalité devant la loi pénale ne s'opposait pas à l'édiction de règles particulières à certaines catégories de personnes dès lors que, comme en l'espèce, ces catégories étaient définies de manière objective.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a enfin suggéré de compléter la proposition de loi par un article reprenant la proposition de loi n° 361 (1994-1995) dont le premier signataire était M. Hubert Haenel afin de préciser que le district serait responsable des accidents survenus aux membres du conseil de district et à leur président.
Après avoir marqué la nécessité d'éviter les faux débats, M. Jean-Paul Delevoye a tenu à faire observer que le groupe de travail et les signataires de la proposition de loi n'avaient pas ignoré le risque pénal auquel étaient soumises d'autres catégories de personnes que les élus locaux, et en particulier les fonctionnaires ou les présidents d'association.
Il a déploré que les élus locaux soient au coeur d'une dérive comportementale marquée par le recours de plus en plus fréquent aux juridictions répressives, réputées plus rapides et plus sévères que le juge administratif, pour obtenir réparation d'un dommage lié à l'administration locale. Cette dérive lui a paru contenir en germe un risque de paralysie de la gestion locale, les élus hésitant de plus en plus à prendre des initiatives. 11 a souligné que cette dérive se situait dans le mouvement qui donnait l'avantage à celui qui assumait le moindre risque.
Il a rappelé que l'idée d'apprécier de manière concrète la faute pénale de l'élu local avait notamment été sollicitée par un magistrat entendu par le groupe de travail.
En conclusion, dans la mesure où la proposition de loi visait à prendre en compte la spécificité des conditions d'exercice d'un mandat électif local, il s'est déclaré réservé sur ' extension de ce texte aux fonctionnaires.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, s'exprimant à titre personnel, a noté que cette Proposition de loi serait soumise au Sénat en application du dernier alinéa de l'article 48 de la Constitution, réservant désormais une journée par mois à l'ordre du jour fixé en priorité par chaque Assemblée. Il a souhaité que cette procédure permette l'examen d'autres propositions de loi telles que celle déposée par lui-même et les membres du groupe socialiste, apparenté et rattachés, autorisant un accès direct à leur dossier des personnes mises en examen.
Il s'est interrogé sur l'utilité d'un texte propre à la responsabilité pénale des élus locaux, estimant que l'augmentation de leurs pouvoirs devait aller de pair avec l'accroissement de leur responsabilité. Il a considéré que les dernières élections municipales n'avaient pas révélé un déficit de candidatures.
Après avoir émis une réserve sur l'insertion de la proposition de loi dans le code des communes plutôt que dans le code pénal, il a estimé que l'appréciation « in concreto », si tant est qu'elle soit retenue, devrait concerner tous les justiciables ; il a ajouté que argumentation du rapporteur pouvait tout autant s'appliquer aux responsables d'associations qui sont bénévoles.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, lui a fait observer que près de 40 % des maires sortants ne s'étaient pas représentés aux dernières élections municipales dont certains en raison de leur crainte face à l'extension de leurs responsabilités. Il a précisé que, dans certaines petites communes, aucune candidature n'avait été enregistrée.
Il a par ailleurs estimé que la généralisation de l'appréciation « in concreto » Poserait des difficultés dans des cas où la mise hors de cause de l'auteur serait difficile à admettre, en particulier pour les accidents de la route ou du travail.
M. Christian Bonnet a tout d'abord mis l'accent sur une exigence d'équité à l'égard des fonctionnaires et la nécessité de retenir une démarche de prudence. A cet égard, il s'est inquiété du nouveau regard porté par le juge pénal sur l'action administrative, se traduisant notamment par la mise en cause de fonctionnaires d'autorité plusieurs décennies après la prise de décision. Il a noté le souci des pouvoirs publics de remédier à cette situation en procédant à de larges réflexions, notamment au sein de la Chancellerie et du Conseil d'État. Aussi a-t-il jugé souhaitable, pour des raisons d'équité et de prudence, de ne pas limiter la proposition de loi aux seuls élus locaux.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, lui a fait observer que la situation des élus et cette des fonctionnaires d'autorité n'étaient pas identiques, ces derniers étant notamment rémunérés et disposant d'un minimum de formation.
Il n'a cependant pas exclu que, avant l'adoption définitive par le Parlement de la proposition de loi, celle-ci soit complétée par un amendement ou reprise dans un projet de loi prenant en compte le cas particulier des fonctionnaires.
M. Charles Jolibois s'est interrogé sur l'opportunité de créer une catégorie de personnes soumises à un droit pénal particulier et de mettre en place un droit de la responsabilité pénale « à deux vitesses ».
Rappelant les débats relatifs à la création de la Cour de justice de la République compétente pour les ministres, il a indiqué que le Parlement avait préféré, pour éviter les poursuites abusives à l'encontre des membres du Gouvernement, instituer une commission des requêtes, plutôt que de créer un droit pénal particulier.
Tout en reconnaissant la nécessité de remédier à l'actuelle dérive de la responsabilité pénale, il a estimé que la proposition de loi ouvrait une réflexion globale dépassant le seul cas des élus locaux.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, lui a fait observer que le groupe de travail, constitué en janvier 1995, avait déjà mené une réflexion approfondie. Il s'est déclaré personnellement opposé à l'institution d'un mécanisme de « filtrage » des poursuites pénales contre les élus locaux, sur le modèle de ce qui avait été prévu pour les membres du Gouvernement.
Après avoir rappelé son refus de cosigner la proposition de loi, M. Jean-Marie Girault a considéré la responsabilité comme inhérente à la fonction de chef d'un exécutif local. Il a donc estimé inopportun, en l'état actuel de l'opinion, de créer un système propre aux élus, le problème de leur responsabilité pénale tenant moins à l'évolution du droit lui-même qu'à un changement dans les comportements, à savoir la tendance croissante à poursuivre des élus devant les juridictions répressives. Il a jugé difficile de remédier à cette évolution des mentalités par une modification des principes du droit pénal.
Il a également émis des doutes sur l'efficacité même de la solution proposée dans la mesure où, en l'état actuel du droit, une personne ne saurait être condamnée pour imprudence ou négligence si elle avait accompli toutes les diligences possibles pour éviter le dommage.
Il a conclu son intervention en réclamant le report de la discussion de la proposition de loi à une prochaine réunion de la commission afin de permettre aux nouveaux membres de celle-ci de réfléchir plus longuement sur le problème.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, a rappelé que l'utilité de la proposition de loi consistait à exiger des juges du fond une motivation concrète tenant compte des spécificités des conditions d'exercice d'un mandat local.
Après avoir apprécié la qualité du rapport de M. Pierre Fauchon, M. Robert Badinter a présenté trois observations.
Il a tout d'abord estimé que le texte de la proposition de loi, concernant la responsabilité pénale et non la responsabilité administrative, trouverait mieux sa place au sein du code pénal qu'au sein du code des communes.
Il a ensuite attiré l'attention de la commission sur la rédaction de ce texte laquelle, en disposant qu'un élu local « ne peut être condamné pénalement » que sous certaines conditions, paraît créer une excuse absolutoire au profit des élus de nature à susciter l'émotion de l'opinion.
En dernier lieu, il a considéré comme inutiles les termes « s'il est établi », soulignant que ceux-ci ne figuraient pas dans l'amendement adopté par le Sénat en 1979.
M. Robert Badinter a ensuite fait part de son scepticisme sur la portée de la solution proposée, estimant que les juges pourraient toujours se livrer à une interprétation de nature à la priver de toute efficacité, en distinguant entre le « bon » ou le « mauvais » maire.
Il s'est ensuite interrogé sur l'opportunité de l'adoption d'une proposition de loi concernant les représentants des collectivités locales par le Sénat dont le rôle constitutionnel était précisément de représenter les collectivités locales.
Il a ajouté que des catégories de personnes autres que les élus étaient soumises à une ample responsabilité pénale, citant en exemple les chefs d'entreprise et les présidents d'association.
Il a conclu son intervention en appelant de ses voeux une étude plus approfondie de la responsabilité pénale attachée aux fonctions d'autorité et a rejoint le souhait de M. Jean-Marie Girault de surseoir à l'examen de la proposition de loi.
Après s'être déclaré ouvert à toute suggestion d'amélioration du texte de la Proposition de loi, M. Pierre Fauchon, rapporteur, a estimé souhaitable d'engager la Procédure parlementaire pour apporter une solution à un problème grave pour la démocratie locale.
Il a estimé que l'opinion publique pourrait accepter la solution de la proposition de loi dans la mesure où, d'une part, elle se limitait aux faits d'imprudence ou de négligence et que, d'autre part, les élus locaux se trouvaient dans une situation spécifique.
M. Maurice Ulrich a considéré que les élus locaux n'étaient pas touchés par le sentiment de suspicion de l'opinion publique.
Il a expliqué le développement de la mise en cause de la responsabilité pénale des élus locaux par le recours de plus en plus fréquent au juge répressif pour la réparation des dommages mettant en cause une collectivité locale.
Il a précisé que certains particuliers estimaient en définitive plus expédient de saisir la juridiction pénale compte tenu des délais du contentieux administratif.
Il a rappelé que l'élu local n'était pas un chef d'entreprise et, en particulier, ne maîtrisait pas les moyens financiers ou administratifs de la collectivité territoriale. Il s'est en conséquence déclaré partisan d'une modification de la loi pour changer les méthodes d'interprétation du juge.
Il a cependant estimé difficile de changer le mode de raisonnement des juges par l'exigence d'une appréciation in concreto de la faute pénale.
11 a évoqué la possibilité de subordonner les poursuites pénales contre un élu pour des faits d'imprudence ou de négligence à une décision de la juridiction administrative. Il a précisé qu'un dispositif analogue existait déjà pour les poursuites engagées par un contribuable contre l'élu en cas de défaillance de la collectivité locale.
M. Pierre Fauchon, rapporteur, lui a objecté que cette solution, inspirée du filtrage prévu pour les ministres, inverserait un principe fondamental du droit français selon lequel le civil tient le criminel en l'état, et serait par ailleurs difficile à expliquer à l'opinion Publique.
M. Jean-Paul Delevoye a souscrit à la nécessité d'un débat sur la proposition de loi, qui provoquerait une réflexion d'ensemble sur le problème de la responsabilité pénale.
Tout en reconnaissant l'existence d'un problème nouveau lié à la responsabilité pénale des élus locaux, M. Guy Allouche a considéré que d'autres personnes étaient concernées, citant en exemple les proviseurs. Il a souhaité attendre les conclusions du groupe de travail du Conseil d'État avant de légiférer sur ce problème qui devrait être traité globalement.
Il a évoqué la possibilité d'un débat portant sur la responsabilité pénale dans son ensemble et non seulement sur celle des élus locaux.
M. Michel Rufin a estimé que l'acuité du problème de la responsabilité pénale des décideurs publics, et non seulement des élus locaux, rendait nécessaire l'adoption d'un texte législatif. Il a vu dans la suppression des règles particulières de procédure, qui permettaient d'éviter des poursuites intempestives, une des causes essentielles de ce problème.
M. François Blaizot s'est déclaré partisan de l'adoption de la proposition de loi. Reconnaissant l'existence d'un problème pour d'autres responsables publics que les élus locaux, il a estimé que cette adoption permettrait d'accélérer la réflexion à leur sujet.
M. Patrice Gélard a fait observer que la situation des présidents d'université était en tous points comparables à celle des élus locaux. Il a ensuite interrogé le rapporteur sur les solutions apportées par d'autres États européens au problème de la responsabilité des élus locaux.
M. Pierre Fauchon a jugé difficile la comparaison de jurisprudences rendues dans des États de cultures juridiques différentes.
Tout en insistant sur la nécessité de régler le problème de certains fonctionnaires comme les préfets et les présidents d'université, M. Lucien Lanier a insisté sur la simplicité de la solution de la proposition de loi, limitée aux seuls élus locaux. Tout en estimant que sa rédaction pourrait être améliorée, il a jugé nécessaire de ne pas mettre en place un dispositif par trop complexe.
A l'issue de ce débat, la commission a conclu à l'adoption d'une proposition de loi comprenant deux articles : le premier reprenant le texte de la proposition de loi n° 406, le second reprenant la proposition de loi n° 361.