I. LE CONTEXTE JURIDIQUE DU PROJET DE LOI : UN DROITINTERNE INSUFFISAMMENT ADAPTÉ AUX ENGAGEMENTS INTERNATIONAUX DE LA FRANCE

A. LES EXIGENCES DE LA CONVENTION DE STRASBOURG

La convention de Strasbourg, qui liera la France dès son approbation par celle-ci. Contient deux séries d'obligations pour les Etats-parties : des mesures à prendre au niveau national et une coopération internationale renforcée.

1. Les mesures à prendre au niveau national

a) Les mesures de confiscation

L'article 2 de la convention impose à chaque Etat partie d'adopter les mesures (législatives et autres) nécessaires pour lui permettre de confisquer les instruments ou les produits d'infractions. Les articles 3 à 5 imposent aux Etats parties de se donner les moyens nécessaires à la recherche de ces biens aux fins de confiscation et à la préservation des droits des personnes affectées par leur confiscation.

b) L'incrimination du blanchiment

L'article 6 de la convention impose à chaque Etat partie d'adopter « les mesures législatives et autres pour conférer le caractère d'infraction pénale (...) lorsque l'acte a été commis intentionnellement » à certains faits et notamment à « la conversion ou au transfert de biens dont celui qui s'y livre sait qu'ils constituent des produits (d'infractions), dans le but de dissimuler ou de déguiser l'origine illicite desdits biens ou d'aider (l'auteur) de l'infraction principale à échapper aux conséquences juridiques de ses actes ».

2. La mise en oeuvre d'une coopération internationale

Le chapitre III de la convention impose aux parties de coopérer « dans la mesure la plus large possible les uns avec les autres aux fins d'investigations et de procédures visant à la confiscation des instruments et des produits (d'infractions) ».

a) Les modalités de la coopération internationale exigée par la convention

La convention de Strasbourg impose aux Etats parties trois obligations :

ï une obligation d'entraide aux fins d'investigations : elle résulte de l'article 8 en vertu duquel « les Parties s'accordent, sur demande, l'entraide la plus large possible pour identifier et dépister les instruments, les produits (d'infractions) et les autres biens susceptibles de confiscation » ;

ï l'obligation d'ordonner des mesures provisoires : elle est prévue par l'article 11 selon lequel « une Partie prend, à la demande d'une autre Partie qui a engagé une procédure pénale ou une action en confiscation, les mesures provisoires qui s'imposent, telles que le gel ou la saisie, pour prévenir toute opération, tout transfert ou toute aliénation relativement à tout bien qui, par la suite, pourrait faire l'objet d'une demande de confiscation... »


une obligation de confiscation : en vertu de l'article 13, paragraphe 1, de la convention « une Partie qui a reçu d'une autre Partie une demande de confiscation concernant des instruments ou des produits, situés sur son territoire, doit :

a. exécuter une décision de confiscation émanant d'un tribunal de la Partie requérante en ce qui concerne ces instruments ou ces produits ; ou

b. présenter cette demande à ses autorités compétentes pour obtenir une décision de confiscation et, si celle-ci est accordée, l'exécuter. »

On observera tout d'abord que lesdites obligations ne pèsent sur un Etat que dans la mesure où il a été sollicité par une autre partie à la convention.

Par ailleurs, ces obligations ont toutes trait à la confiscation d'instruments ou de produits du crime puisque la demande de coopération doit porter, soit directement sur cette confiscation, soit sur une entraide ou sur des mesures provisoires aux fins de confiscation.

b) Les possibilités de refus de la coopération internationale reconnues par la convention

L'article 18 de la convention énumère plusieurs motifs permettant à l'Etat requis de refuser sa coopération. Parmi ceux-ci figurent notamment les hypothèses suivantes :

- la mesure sollicitée serait contraire aux principes fondamentaux de l'ordre juridique de la partie requise ;

- l'exécution de la demande risque de porter atteinte à la souveraineté, à la sécurité, à l'ordre public ou à d'autres intérêts essentiels de la partie requise ;

- la partie requise estime que l'importance de l'affaire sur laquelle porte la demande ne justifie pas que soit prise la mesure sollicitée ou que cette mesure irait à l'encontre du principe ne bis in idem ;

- l'infraction sur laquelle porte la demande est de nature politique ou fiscale ou ne serait pas une infraction au regard du droit de la partie requise si elle était commise sur son territoire.

En revanche, ledit article 18 stipule qu' « une partie ne saurait invoquer le secret bancaire pour justifier son refus de toute coopération ».

B. LES INSUFFISANCES DU DROIT FRANÇAIS

En dépit des efforts réalisés depuis 1987, qui ont essentiellement porté sur le trafic de stupéfiants, la législation française ne répond pas aux exigences de la convention de Strasbourg en ce qui concerne le blanchiment de l'argent sale et la coopération internationale.

1. Une législation à mettre en conformité avec les exigences de la convention en matière de blanchiment

a) Un droit pénal traditionnel qui ne permet pas de sanctionner tous les cas de blanchiment

Les infractions traditionnellement prévues par le droit français permettent, dans une certaines mesure, de sanctionner des actes visés par l'article 6 de la convention précité. Il en va notamment ainsi du recel, incriminé par les deux premiers alinéas de l'article 321-1 du nouveau code pénal dans les termes suivants :

« Le recel est le fait de dissimuler, de détenir ou de transmettre une chose, ou de faire office d'intermédiaire afin de la transmettre, en sachant que cette chose provient d'un crime ou d'un délit.

Constitue également un recel le fait, en connaissance de cause, de bénéficier, par tout moyen, du produit d'un crime ou d'un délit. »

Cette double définition reprend en substance celle donnée par l'article 460 de l'ancien code pénal qui avait fait l'objet d'une interprétation extensive par la jurisprudence.

Elle n'en demeure pas moins insuffisante pour assurer la répression de tous les actes de blanchiment. Il en va notamment ainsi des justifications mensongères fournies sans contrepartie directe apparente.

C'est pourquoi, le législateur a consacré, mais dans un domaine limité, la notion de blanchiment.

b) Une législation relative au blanchiment limitée au trafic de stupéfiants

1.- L'article 222-38 du code pénal

En l'état actuel du droit, le blanchiment ne constitue une infraction autonome que dans la mesure où il porte sur des fonds provenant du trafic de stupéfiants. C'est ce qui résulte de l'article 222-38 du nouveau code pénal dont le premier alinéa est ainsi rédigé :

« Le fait de faciliter par tout moyen frauduleux, la justification mensongère de l'origine des ressources ou des biens de l'auteur (d'un trafic de stupéfiants) ou d'apporter sciemment son concours à toute opération de placement, de dissimulation ou de conversion du produit d'une infraction est puni de dix ans d'emprisonnement et de 1 000 000 F d'amende. »

Or, l'article 6 de la convention impose l'incrimination du blanchiment de manière générale.

2.- La loi n° 90-614 du 12 juillet 1990

La loi du 12 juillet 1990 relative à la participation des organismes financiers à la lutte contre le blanchiment des capitaux provenant du trafic des stupéfiants a soumis ces organismes à une déclaration de soupçons lorsque les sommes inscrites dans leurs livres leur paraissent provenir du trafic de stupéfiants ou, depuis 1993, de l'activité d'organisations criminelles.

Le service compétent pour recevoir ces déclarations, appelé « TRACFIN » (traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins), est placé sous l'autorité du ministre chargé de l'économie et des finances. Il doit saisir le Procureur de la République de toute information mettant en évidence des faits susceptibles de relever du trafic de stupéfiants ou de l'activité d'organisations criminelles.

Selon les statistiques fournis à votre rapporteur, TRACFIN avait reçu, au 29 septembre 1995, 2 570 déclarations de soupçons depuis février 1991. Depuis sa création, TRACFIN a transmis 82 dossiers à la justice.

La loi de 1990 soumet également les organismes financiers à une obligation de vigilance. Ainsi, les opérations financières qui ne justifient pas une déclaration de soupçons mais qui se caractérisent par leur importance (plus d'un million de francs), leurs conditions inhabituelles de complexité et leur défaut de justification économique doivent faire l'objet d'un « examen particulier ». L'organisme financier doit notamment se renseigner auprès du client sur l'origine et la destination de ces sommes ainsi que sur l'identité de la personne qui en bénéficie.

Cette loi a permis à la France d'être en conformité avec la directive du Conseil des communautés européennes relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, en date du 10 juin 1991. Cette directive astreignait notamment les établissements de crédit à une obligation de vigilance.

2. Une législation parcellaire relative à la coopération internationale

La législation française actuelle ne répond pas aux exigences de la coopération internationale fixées par la convention pour dépister les produits du crime.

Elle prévoit tout d'abord la possibilité d'une coopération administrative confiée à TRACFIN par l'article 22 de la loi du 12 juillet 1990 :

« Dans le respect des dispositions législatives et des conventions internationales applicables en matière de protection de la vie privée et de communication des données à caractère nominatif, le service peut communiquer, aux autorités des autres Etats exerçant des compétences analogues, les informations qu' 'il détient sur des opérations qui paraissent avoir pour objet le placement, la dissimulation, la conversion ou le transfert de sommes provenant (du trafic de stupéfiants) sous réserve de réciprocité et à condition que les autorités étrangères compétentes soient soumises aux mêmes obligations de secret professionnel que (TRACFIN). »

Par ailleurs, la loi n° 90-1010 du 14 novembre 1990 portant adaptation de la législation française aux dispositions de l'article 5 de la convention des Nations-Unies contre le trafic illicite de stupéfiants et de substances psychotropes, faite à Vienne le 20 décembre 1988, pose également des principes de coopération internationale en matière de confiscation des produits du crime. Mais cette coopération se limite également à la lutte contre le trafic de stupéfiants.

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