EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Renforcer la lutte contre les usages récréatifs du protoxyde d'azote

Cet article vise à renforcer la lutte contre les usages récréatifs du protoxyde d'azote. À cette fin, il prévoit notamment :

- de pénaliser l'usage détourné de protoxyde d'azote pour en obtenir des effets psychoactifs ;

- de pénaliser la détention de protoxyde d'azote par les mineurs ;

- de relever les sanctions prévues en cas d'incitation d'un mineur à faire un usage détourné du protoxyde d'azote et en cas de violation des interdictions de vente de protoxyde d'azote.

La commission a adopté cet article modifié par plusieurs amendements.

I - Le dispositif proposé

A. Le développement de la consommation récréative de protoxyde d'azote ces dernières d'années requiert d'interroger l'adéquation du cadre législatif en vigueur

1. Une hausse préoccupante et manifeste des usages détournés de protoxyde d'azote

a) Un usage récréatif ancien en recrudescence depuis les années 2010

L'usage récréatif du protoxyde d'azote est ancien. Historiquement, il a d'ailleurs précédé son utilisation à des fins médicales après qu'un chimiste anglais, Humphrey Davis, en a découvert les propriétés euphorisantes en 1799. La consommation récréative de protoxyde d'azote se développe ainsi en Europe dès le début du XIXe siècle, en particulier dans la bourgeoisie britannique.

En déclin au cours de la seconde moitié de ce siècle, elle connaît un nouvel essor à compter des années 1980, à la faveur du mouvement techno aux États-Unis et en Angleterre16(*). À compter des années 2000, les soirées étudiantes des filières médicales semblent avoir joué un rôle dans la popularisation de l'usage récréatif du protoxyde d'azote. Une recrudescence plus marquée des consommations détournées de protoxyde d'azote s'observe enfin à compter des années 201017(*).

Dans la période récente, la facilité d'accès au protoxyde d'azote a indéniablement contribué au développement de cette consommation récréative, de même que la disponibilité de contenants de grand format, qui ciblent délibérément le marché récréatif. La diversité des circuits de distribution du protoxyde d'azote, vendu aussi bien en grande surface sous forme de cartouche qu'en bombonne ou bouteille sur internet, participe inévitablement à la diffusion des usages récréatifs.

L'observatoire européen des drogues et des toxicomanies constate que ces évolutions ont permis de réduire le coût d'achat du protoxyde d'azote, favorisant une utilisation plus large, plus régulière et plus intensive18(*). Des bombonnes permettant de confectionner jusqu'à 80 ballons sont ainsi vendues moins de 30 euros, tandis que le prix des bouteilles contenant l'équivalent de 1 000 à 2 000 ballons dépasse 200 euros19(*).

Consommation récréative de protoxyde d'azote : comment ça marche ?

L'usage récréatif de protoxyde d'azote est principalement motivé par la recherche d'une sensation d'euphorie et d'une altération de l'état de conscience.

Pour pouvoir être inhalé sans risque de brûlure, le protoxyde d'azote contenu dans une cartouche, une bombonne ou une bouteille, doit être transféré dans un ballon à l'aide d'un siphon à chantilly ou d'un cracker.

Le cracker est un dispositif cylindrique qui permet de percer la cartouche pour la vider dans un ballon de baudruche (cf. image ci-dessous).

Pour réduire les risques associés à cette consommation récréative, plusieurs associations de prévention des addictions formulent les conseils suivants :

- ne pas inhaler le gaz directement en sortie de cartouche, bombonne ou bouteille, pour éviter les risques de brûlures cutanées ou oropharyngées par le froid ;

- privilégier une position assise lors de la consommation, pour limiter les risques de chute ;

- avant l'inhalation du gaz, aspirer de l'air pour éviter les risques d'hypoxie ;

- respirer de l'air entre chaque inhalation et éviter les inspirations-expirations en continu dans le ballon, en raison du risque d'asphyxie.

Source : European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (EMCDDA), Recreational use of nitrous oxide : a growing concern for Europe, 2022

En France, le protoxyde d'azote (N2O) est à la fois un médicament, utilisé comme adjuvant en anesthésie générale et en analgésie, et un produit de consommation courante. Il est librement vendu dans les rayons alimentaires de la grande distribution, sous réserve des restrictions prévues par la loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote, alors qu'en parallèle, son usage médical fait l'objet d'un encadrement particulièrement strict (cf. encadré infra).

Ce double statut ne facilite pas la perception des risques liés à la consommation de protoxyde d'azote. Au contraire, son caractère licite véhicule une image d'innocuité, en dépit de sa dangerosité avérée. Ces dernières années, l'augmentation des intoxications au protoxyde d'azote dans le cadre de consommations récréatives a conduit les autorités sanitaires à alerter sur les risques que comportent ces usages. Dans ce contexte, en janvier 2023, l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) a publié un guide à l'attention des professionnels de santé pour les aider à repérer et à prendre en charge les symptômes cliniques associés à une intoxication au protoxyde d'azote.

Médicament strictement encadré et produit de consommation courante : le double jeu du protoxyde d'azote

Comme médicament, le protoxyde d'azote est administré par inhalation en mélange avec l'oxygène, comme adjuvant de l'anesthésie générale et de l'analgésie. Il est notamment utilisé au bloc opératoire, en pédiatrie, en odontologie, ainsi que dans les services d'urgences hospitaliers. Le Meopa, mélange d'oxygène et de protoxyde d'azote employé en anesthésie, bénéficie en France d'une autorisation de mise sur le marché depuis 2001.

Le protoxyde d'azote est soumis à prescription médicale et réservé à l'usage professionnel. En raison des risques d'abus, de dépendance et de détournements qu'il présente, il est inscrit sur la liste 1 des substances vénéneuses20(*) depuis 2021. Selon l'article L. 5132-6 du code de la santé publique, cette liste comprend « les substances ou préparations, et les médicaments à usage humain et produits présentant les risques les plus élevés pour la santé ».

Une partie de la réglementation applicable aux stupéfiants est également appliquée au protoxyde d'azote, s'agissant des conditions de sécurisation de son stockage et de ses accès par les professionnels de santé21(*).

Au titre de l'addictovigilance, il fait l'objet d'une surveillance spécifique de l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), qui s'appuie sur le réseau des centres d'évaluation et d'information de la pharmacodépendance-addictovigilance (CEIP-A).

Contrastant avec cet encadrement très strict, le protoxyde d'azote est également un produit de consommation courante, utilisé comme additif alimentaire (E942), vendu en grande surface dans des petites cartouches destinées à la préparation de crèmes de type chantilly. Il est aussi employé dans l'industrie automobile, l'horlogerie ou la photographie comme gaz de compression pour le nettoyage de pièces mécaniques.

L'usage du protoxyde d'azote dans le domaine médical tend aujourd'hui à reculer, tant en raison des effets indésirables qu'il comporte22(*) que de son impact environnemental majeur. Doté d'un pouvoir de réchauffement près de 300 fois supérieur à celui du dioxyde de carbone (CO2), le protoxyde d'azote est un gaz à effet de serre particulièrement puissant.

La feuille de route pour la planification écologique du système de santé (PESS) publiée en décembre 2023 propose de réduire l'usage des gaz anesthésiants à fort effet de serre et d'interdire la construction de réseaux de protoxyde d'azote dans les nouveaux projets immobiliers. Souscrivant à cette proposition, la Société française d'anesthésie-réanimation préconise de privilégier le recours à des bouteilles de protoxyde d'azote, pour éviter la construction de nouveaux réseaux. La Fédération hospitalière de France indique que la pollution que génèrent ces réseaux « est d'autant plus préoccupante que les fuites (80 %) dépassent largement les quantités de gaz réellement utilisées pour les soins anesthésiques (20 %) »23(*).

b) Une augmentation spectaculaire des signalements aux autorités sanitaires

L'ANSM assure sa mission d'addictovigilance24(*) en s'appuyant sur le réseau des CEIP-A, au nombre de treize. Ces dernières années, ceux-ci rapportent une hausse significative du nombre de cas notifiés par les professionnels de santé : 458 ont ainsi été recensés en 2023 contre 120 en 2020, soit près de 4 fois plus en 3 ans. L'augmentation du nombre de cas graves suit la même évolution, passant de 84 en 2020 à 314 en 2023. Les données collectées auprès des huit centres antipoison et de toxicovigilance sont également en hausse25(*).

Il est pourtant difficile de relier l'augmentation du nombre de signalements relevés par le réseau d'addictovigilance à une hausse équivalente ou proportionnelle de la consommation de protoxyde d'azote. En effet, ces données ne reflètent que les cas ayant donné lieu à une prise en charge médicale au sein d'un établissement. Elles ne témoignent pas de la prévalence de la consommation récréative de protoxyde d'azote en population générale ni de son évolution. Au-delà d'une explication tenant à l'augmentation de la consommation récréative de protoxyde d'azote, ces données peuvent notamment résulter d'une meilleure sensibilisation des professionnels de santé au repérage et au signalement des cas de détournements d'usage.

L'observatoire français des drogues et des conduites addictives (OFDT)26(*) comme l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (EMCDDA)27(*) soulignent la connaissance encore très lacunaire de la prévalence de cette consommation et de son évolution. Les premières enquêtes en population générale ont en effet été conduites en 2022, par Santé publique France et l'OFDT ; les prochaines le seront en 2027. Les données recueillies en 2022 constituent donc des mesures en T0, qui ne permettent pas d'objectiver les dynamiques de consommation.

Elles proposent néanmoins une photographie du phénomène qui, si on le compare aux données de consommation du tabac, de l'alcool ou même du cannabis, reste circonscrit sans pour autant être négligeable.

Expérimentation et consommation de protoxyde d'azote
en population adulte en France, 2022

Source : Santé publique France

En 2022, en France métropolitaine, 4,3 % des adultes déclarent avoir déjà expérimenté le protoxyde d'azote à des fins récréatives, mais seulement moins de 1 % indique en avoir consommé dans l'année28(*).

La majorité des expérimentations et des consommateurs concerne les jeunes adultes, dans la tranche des 18-34 ans. Parmi les expérimentations déclarées, 61 % s'étaient produites entre 18 et 24 ans et 19,4 % avant l'âge de la majorité29(*). Concernant l'âge moyen du consommateur, il se situe entre 22 ans et 25 ans selon les données disponibles30(*). Selon l'étude Enclass de l'OFDT, en 2022, 5,4 % des lycéens de 15 à 18 ans disaient avoir déjà consommé du protoxyde d'azote.

Enfin, la proportion de mineurs parmi les cas notifiés aux centres d'addictovigilance est inférieure à 10 %.

Présentation des symptômes évocateurs d'une intoxication au protoxyde d'azote et consignes de prise en charge

Source : ANSM, Usage détourné du protoxyde d'azote - Aide au diagnostic et à la prise en charge d'une intoxication31(*)

Les risques immédiats d'une consommation ponctuelle non massive de protoxyde d'azote sont bien documentés : céphalées, nausées, vertiges, désorientation, troubles de la conscience et pertes de connaissance, chutes, hypoxie et convulsions, brûlures cutanées et oropharyngées... Lorsque la consommation survient dans l'espace public, ces situations peuvent engendrer des accidents de la voie publique.

En outre, les données d'addictovigilance témoignent de consommations de doses de plus en plus élevées, augmentant les risques et la gravité des symptômes cliniques recensés : en 2023, les troubles de l'usage sont les plus fréquemment rapportés (92 % des cas), suivis des complications neurologiques (82 % des cas)32(*), tandis que les troubles psychiatriques (13 % des cas) et les complications cardiovasculaires de type thrombotique (10 % des cas) sont en hausse.

c) Une multiplication des troubles à l'ordre public et le développement d'un marché illégal structuré

La recrudescence des usages récréatifs du protoxyde d'azote est également perceptible au travers des perturbations qu'elle engendre en matière de tranquillité, de sécurité et de salubrité publiques.

Les collectivités territoriales sont directement confrontées aux conséquences de cette consommation récréative, qui s'accompagne d'attroupements, de comportements agressifs et de prises de risque sur la voie publique. La responsabilité du protoxyde d'azote dans la survenue d'accidents de la route est régulièrement pointée du doigt, mais elle ne peut reposer que sur des observations subjectives des officiers de police judiciaire, aucun dispositif technique ne permettant d'attester d'une consommation de protoxyde d'azote, à l'instar des tests d'alcoolémie.

Concernant la gestion des déchets, l'abandon de bombonnes et de bouteilles de protoxyde d'azote sur les bords de route ou dans les parkings est devenu une problématique aiguë pour les municipalités. La mairie de Saint-Ouen indique par exemple avoir ramassé plus de 2 000 bouteilles en 2024, hors ramassage de voirie, contre moins de 300 en 2021. En 2023, la ville de Lyon indiquait avoir collecté 7 tonnes de bombonnes de gaz de protoxyde d'azote. Or, ces déchets qui s'amoncellent sans solution systématique de recyclage exposent les travailleurs des usines de traitement et d'incinération des déchets à des risques d'explosion, du fait de l'absence de dégazage préalable des contenants.

Par ailleurs, la diversification de l'offre en dehors des circuits traditionnels a conduit à la structuration de réseaux d'importation et de revente illicite de protoxyde d'azote, calqués sur le modèle des trafics de stupéfiants. L'Observatoire européen des drogues et des conduites addictives note ainsi qu'« une chaîne d'approvisionnement rentable et en expansion s'est développée, avec des magasins spécialisés sur internet qui font directement la promotion du gaz pour son usage récréatif ou qui le proposent sous couvert de son utilisation pour faire de la crème fouettée »33(*). Dès 2019, des sites spécialisés dans la vente de protoxyde d'azote sont identifiés. La grande majorité des ventes semble désormais se réaliser sur internet et via des applications telles que Snapchat34(*). De ce point de vue, les réseaux sociaux, qui jouent un rôle important dans la promotion des usages récréatifs, favorisent le développement des ventes illégales.

La mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) abonde dans le même sens, en indiquant que « la livraison des produits se fait au domicile des acheteurs, acheminés depuis des pays étrangers où siègent les entreprises de production (Belgique, Autriche, Pays-Bas, Pologne...). Ces sites commercialisent également les accessoires (cracker) et les produits dérivés (billes d'arômes). Depuis 2019, le trafic de bombonnes s'organise, les réseaux d'approvisionnement se structurent, avec des achats en gros puis des reventes au détail. »35(*)

Les collectivités territoriales et les élus locaux, premiers spectateurs de ces évolutions, alertent sur les ventes à la sauvette qu'alimentent ces trafics émergents et l'importation massive de contenants non réglementaires. La direction nationale de la police judiciaire (DNPJ) confirme par ailleurs la vente de protoxyde d'azote sur les points de deal de produits stupéfiants.

Ces dernières années, la multiplication des saisies d'envergure par les services de police illustre incontestablement ce phénomène nouveau : 11 tonnes ont ainsi été saisies en 2021 à Noisiel (77) et à Villeurbanne (69), 14 tonnes en Seine-et-Marne (77) en 2022, 21 tonnes à Vénissieux (69) en 2023, 30 tonnes en Île-de-France en 202436(*). Des vols de produits dans des camions ont également été recensés par la direction nationale de la police judiciaire (DNPJ).

Le classement d'une substance comme stupéfiant :
une évaluation sanitaire complexe menée par l'ANSM

Le protoxyde d'azote n'est pas un stupéfiant ; son usage et sa détention sont légaux.

La décision de classement d'un produit comme stupéfiant est fondée sur une évaluation de l'ANSM, réalisée sur la base de critères établis par l'organisation mondiale de la santé (OMS). Ces critères sont notamment les suivants37(*) :

- la pharmacologie générale de la substance ;

- sa toxicologie ;

- ses effets indésirables sur l'homme ;

- le potentiel de dépendance qu'elle présente ;

- son potentiel d'abus ;

- ses applications thérapeutiques ;

- l'existence d'autorisations de mise sur le marché en tant que médicament ;

- l'existence d'utilisations industrielles ;

- la nature et l'ampleur des problèmes de santé publique liés à l'abus et à la dépendance de la substance évaluée ;

- l'existence d'une production, d'une consommation et d'un commerce international licites.

Environ 200 substances sont actuellement classées comme stupéfiants38(*) par l'ANSM, inscrites à ce titre dans l'arrêté du 22 février 1990 fixant la liste des substances classées comme stupéfiants. Un classement en tant que stupéfiant a pour conséquence l'interdiction de fabriquer, de vendre ou de distribuer, de détenir et de faire usage de la substance, sous peine de sanctions pénales.

2. Un encadrement législatif récent et perfectible des usages dangereux du protoxyde d'azote

a) Un objectif prioritaire : protéger les mineurs

La loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote a fixé un premier cadre législatif visant prioritairement à protéger les mineurs de ces mésusages. Elle est marquée par la recherche d'un équilibre entre la régulation des conditions de vente du protoxyde d'azote et la sensibilisation aux dangers associés à sa consommation à des fins récréatives.

L'objectif de protection des mineurs est plus particulièrement matérialisé par deux dispositions :

- d'une part, la création un délit d'incitation d'un mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs39(*). Ce délit est puni de 15 000 euros d'amende ;

- d'autre part, l'interdiction de la vente de protoxyde d'azote à des mineurs, quel qu'en soit le conditionnement40(*). La violation de cette interdiction est punie de 3 750 euros d'amende.

La sensibilisation des collégiens et des lycéens à l'ensemble des conduites addictives, également inscrite dans la loi, poursuit le même objectif de protection des mineurs41(*).

Plus largement, la loi du 1er juin 2021 a prévu diverses dispositions visant à réguler les conditions de vente du protoxyde d'azote aux particuliers, notamment :

l'interdiction de vendre ou d'offrir du protoxyde d'azote à des majeurs dans les débits de boissons et les débits de tabac42(*) ;

- l'interdiction de vendre ou de distribuer des produits destinés à faciliter l'extraction de protoxyde d'azote pour en obtenir des effets psychoactifs43(*) ;

- le renvoi à un arrêté ministériel de la fixation d'une quantité maximale autorisée pour la vente aux particuliers de protoxyde d'azote44(*). Celle-ci a été limitée par un arrêté du 19 juillet 2023 à des conditionnements ne dépassant pas un total de 10 cartouches dont le poids individuel ne doit pas excéder 8,6 grammes45(*) ;

- l'obligation de mentionner la dangerosité de l'usage détourné du protoxyde d'azote sur chaque unité de conditionnement46(*). Le décret n° 2023-1224 du 20 décembre 2023 relatif à l'apposition d'une mention sur chaque unité de conditionnement des produits contenant uniquement du protoxyde d'azote en a défini les modalités.

La loi du 1er juin 2021 n'a pas prévu de disposition spécifique visant à lutter contre l'abandon sur la voie publique de déchets issus de la consommation de protoxyde d'azote. À cet égard, il convient de rappeler que le code pénal sanctionne d'une contravention de la quatrième classe47(*) le dépôt ou l'abandon, en dehors des emplacements désignés à cet effet, de tout déchet, matériau ou objet de quelque nature qu'il soit48(*). Une contravention de cinquième classe49(*) est par ailleurs prévue en cas d'abandon ou de dépôt sur la voie publique de déchets transportés à l'aide d'un véhicule50(*).

Règlementation du protoxyde d'azote à l'échelle européenne

En janvier 2022, la France a saisi le comité d'experts de l'Agence européenne des produits chimiques (ECHA) d'une proposition de classification harmonisée du protoxyde d'azote, sur la base du règlement relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage, dit règlement CLP51(*). Ce règlement a pour objet d'assurer un niveau élevé de protection de la santé humaine et de l'environnement, tout en garantissant la libre circulation des substances, des mélanges et des articles. Il vise notamment à déterminer si une substance ou un mélange présente des propriétés justifiant de procéder à sa classification comme substance ou mélange dangereux, et à définir des modalités d'étiquetage appropriées des produits pour alerter sur les risques que comporte la substance ou le mélange.

À la suite de la saisine de la France, l'ECHA a décidé, en mars 2023, de classer le protoxyde d'azote comme produit neurotoxique et reprotoxique de catégorie 1B, confirmant à nouveau sa nocivité.

À ce stade de la procédure, il revient à la Commission européenne de confirmer cet avis en inscrivant le protoxyde d'azote dans l'annexe XVII du règlement Reach52(*) et de décider, le cas échéant, de nouvelles restrictions de vente du protoxyde d'azote. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) indique qu'à sa connaissance, « les services de la Commission européenne proposent l'inclusion du protoxyde d'azote dans [l'annexe du règlement Reach] tout en prévoyant une exemption pour les petits volumes de protoxyde d'azote mis sur le marché en tant qu'additif alimentaire et utilisé comme tel par les consommateurs. »53(*)

Actuellement, les cartouches de protoxyde d'azote à usage alimentaire vendues aux particuliers sont régies par le chapitre IV du règlement (CE) n° 1333/2008 du 16 décembre 2008 sur les additifs alimentaires, et par le règlement (UE) n° 1169/2011 du 25 octobre 2011 concernant l'information des consommateurs sur les denrées alimentaires [...], dit règlement Inco.

b) Un premier bilan en demi-teinte, qui plaide en faveur d'une consolidation de la loi

Entrée en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel, la loi n° 2021-1695 du 1er juin 2021 est d'application récente. Elle ne pouvait par ailleurs produire ses pleins effets que sous réserve de la publication de ses textes réglementaires d'application. Or l'arrêté précité du 19 juillet 2023 et le décret n° 2023-1244 du 20 décembre 2023 ne sont respectivement entrés en vigueur que les 1er janvier 2024 et 20 juillet 2024.

Il en résulte une difficulté évidente pour évaluer les conditions de sa mise en oeuvre. Malgré tout, un premier bilan, partiel, semble pouvoir être dressé.

La connaissance par les officiers de police judiciaire des infractions spécifiquement liées au protoxyde d'azote demeure lacunaire, eu égard à leur caractère récent. Néanmoins, les statistiques des ministères de l'intérieur et de la justice témoignent d'une appropriation progressive de ces dispositions par les forces de l'ordre.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi, soit le 3 juin 2021, 156 personnes ont été mises en cause et orientées pour une infraction liée au protoxyde d'azote, dont 74 en 2023, 65 en 2022 et 17 en 2021. Près de 80 % des affaires orientées font l'objet d'une poursuite pénale. Parmi elles, 84,8 % donnent lieu à des poursuites correctionnelles et 13 % à l'ouverture d'une information judiciaire.

Nombre d'affaires recensées pour une infraction liée au protoxyde d'azote et traitement des affaires orientées depuis le 3 juin 2021

 

2021

2022

2023

Affaires orientées

17

65

74

Affaires poursuivables

16

54

61

Réponse pénale

16

53

59

Taux de réponse pénale

100,0%

98,1%

96,7%

Procédures alternatives

<5

5

13

Taux de procédures alternatives

25,0%

9,4%

22,0%

Source : Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI), réponse de la direction nationale de la police judiciaire au questionnaire de la rapporteure

Le nombre d'affaires orientées apparaît toutefois très limité. Les autorités de police relatent leur difficulté à matérialiser certaines infractions, qui exigent des constatations en flagrant délit, alors que des actes d'investigation seraient bien souvent nécessaires pour prouver certaines d'entre elles.

Le caractère peu dissuasif des peines est également pointé du doigt : à l'exception du délit d'incitation d'un mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante, sanctionné de 15 000 euros d'amende, mais complexe à démontrer, seule une amende de 3 750 euros est actuellement prévue pour l'ensemble des autres infractions à la loi.

Enfin, aucune sanction n'a été prévue par la loi ni par aucun texte réglementaire en cas d'infraction aux dispositions relatives aux quantités maximales pouvant être vendues aux particuliers.

Au cours des auditions, l'impossibilité de réprimer la conduite sous l'empire de protoxyde d'azote a également été regrettée, tant par les élus locaux que par la direction nationale de la police judiciaire, en dépit de situations jugées manifestes de consommation au volant. La rapporteure a entendu ces alertes, qui se heurtent à l'inexistence de dispositif technique permettant de détecter une inhalation de protoxyde d'azote, empêchant tout constat objectif.

Confrontées aux perturbations engendrées par la consommation de protoxyde d'azote sur la voie publique, nombre de municipalités et de préfectures ont usé de leurs pouvoirs de police pour fixer par arrêté des mesures d'interdiction complémentaires à la loi54(*). Elles consistent notamment à interdire la détention et la consommation à des fins récréatives de protoxyde d'azote sur la voie publique, ainsi qu'à interdire sa vente la nuit. Ainsi, à Lyon, un arrêté municipal daté du 25 novembre 2024 interdit « la détention ou l'utilisation détournée à des fins récréatives du protoxyde d'azote [...] sur l'espace public ou dans les parkings privés ouverts à la circulation ».

Toutefois, en vertu du principe de proportionnalité des mesures de police et du respect des libertés publiques, ces mesures sont nécessairement limitées dans le temps et dans l'espace.

B. Une maîtrise plus rigoureuse des usages du protoxyde d'azote nécessite de consolider le cadre législatif fixé par la loi du 1er juin 2021

Dans un souci de clarté, les diverses mesures proposées par le présent article sont présentées en fonction de leur objet, et non suivant l'ordre des alinéas de l'article.

1. Dissuader la consommation récréative de protoxyde d'azote par la pénalisation de son usage détourné et de sa détention par les mineurs

a) Pénaliser l'usage détourné de protoxyde d'azote pour en obtenir des effets psychoactifs

Il est proposé de pénaliser l'usage détourné de protoxyde d'azote pour en obtenir des effets psychoactifs, en insérant un nouvel alinéa au début de l'article L. 3611-1 du code de la santé publique55(*).

Cette nouvelle infraction se verrait érigée au rang de délit eu égard au niveau de sanctions prévu56(*). En effet, l'usage détourné de protoxyde d'azote pour en obtenir des effets psychoactifs serait sanctionné d'une peine d'un an d'emprisonnement et de 3 750 euros d'amende, sous réserve de l'application des articles 495-17 à 495-25 du code de procédure pénale. Ces articles permettent de simplifier le mode de jugement et d'aménager le régime de peine prévu pour certains délits, en lui substituant le paiement d'une amende forfaitaire. La procédure de l'amende forfaitaire délictuelle représente la réponse pénale la plus fréquente à l'infraction d'usage de produits stupéfiants57(*).

Toutefois, ainsi que le précise l'article 495-17 précité, « la procédure de l'amende forfaitaire n'est pas applicable si le délit a été commis par un mineur ou si plusieurs infractions, dont l'une au moins ne peut donner lieu à une amende forfaitaire, ont été constatées simultanément. Elle n'est pas non plus applicable en état de récidive légale, sauf lorsque la loi en dispose autrement. »

Surtout, la rapporteure relève que le quantum de peine proposé est identique à celui prévu en cas d'usage de stupéfiants58(*). Or, comme cela a été indiqué, le protoxyde d'azote est un produit licite et n'est pas classé comme stupéfiant par les autorités sanitaires. La rapporteure s'interroge donc particulièrement sur ce point, au regard du principe de proportionnalité des peines59(*).

b) Pénaliser la détention par un mineur de protoxyde d'azote

Il est également proposé de pénaliser la détention de protoxyde d'azote par un mineur, quel qu'en soit le conditionnement, en complétant le premier alinéa de l'article L. 3611-3 du code de la santé publique60(*).

Cette interdiction de détention, qui peut s'analyser comme un prolongement de l'interdiction prévue par l'article L. 3611-3 précité de vendre ou de distribuer du protoxyde d'azote à un mineur, serait sanctionné d'une amende de 7 500 euros61(*). Ce faisant, cette infraction serait également érigée en délit.

Là encore, la rapporteure s'interroge sur l'opportunité de ce délit, tant au regard du principe de nécessité des délits et des peines que des garanties prévues par la justice pénale des mineurs.

2. Renforcer les sanctions en les alignant sur celles applicables en matière de lutte contre l'alcoolisme et d'encadrement des débits de boissons

a) En cas d'incitation d'un mineur à faire un usage détourné de protoxyde d'azote

Depuis la loi du 1er juin 2021, le fait de provoquer un mineur à faire un usage détourné d'un produit de consommation courante pour en obtenir des effets psychoactifs est puni de 15 000 euros d'amende62(*).

Il est proposé d'aggraver la sanction en la complétant d'une peine d'un an d'emprisonnement63(*), afin d'aligner le niveau de sanction prévu pour ce délit sur celui applicable en cas de provocation directe d'un mineur à une consommation excessive d'alcool64(*).

b) En cas d'infraction aux interdictions de vente de protoxyde d'azote à des mineurs ou à des majeurs dans les débits de boissons et les débits de tabac

La loi du 1er juin 2021 a également fixé des interdictions de vente et de distribution du protoxyde d'azote, à des mineurs d'une part, à des majeurs dans les débits de boissons et les débits de tabac d'autre part. La violation de ces interdictions est punie d'une amende de 3 750 euros.

Il est proposé de doubler le montant de cette amende, qui atteindrait 7 500 euros, soit un montant équivalent à celui prévu en cas de vente de boissons alcooliques à des mineurs65(*).

3. Encadrer les conditions de vente et les circuits de distribution du protoxyde d'azote

a) Inscrire un avertissement, sur chaque unité de conditionnement, relatif aux dangers liés à l'usage détourné de protoxyde d'azote

Afin d'informer les consommateurs sur les risques associés à l'usage détourné de protoxyde d'azote, il est proposé que les unités de conditionnement destinées à la commercialisation aux particuliers affichent un avertissement spécifique relatif à ces risques, dont les modalités seraient définies par un arrêté du ministre chargé de la santé66(*).

Cette disposition apparaît néanmoins redondante avec l'article L. 3621-1 du code de la santé publique (cfsupra).

b) Réserver la vente aux particuliers de protoxyde d'azote à des professionnels disposant d'un agrément

Actuellement, la loi du 1er juin 2021 restreint la vente de protoxyde d'azote aux particuliers au travers de deux interdictions : une interdiction générale de vente aux mineurs, et une interdiction de vente aux majeurs circonscrite aux débits de boissons et aux débits de tabac.

Le présent article propose d'encadrer plus strictement la vente de protoxyde d'azote aux particuliers en la réservant à des professionnels disposant d'un agrément, octroyé à la condition d'avoir suivi avec succès une formation portant sur les dangers liés à ses usages détournés. Ce dispositif s'inspire du système des licences des débits de boissons67(*). L'obtention de la licence est précédée de la délivrance d'un permis d'exploitation, après suivi d'une formation spécifique68(*).

Poursuivant l'objectif d'une régulation et d'un contrôle renforcés de ses conditions de vente, il est également proposé d'interdire la vente de protoxyde d'azote aux particuliers entre 22 heures et 5 heures, et de garantir la traçabilité des ventes grâce à un système de consignes.

De telles dispositions, qui doivent être regardées comme créant une entrave à la libre circulation des marchandises dans l'Union européenne, exigeraient une saisine de la Commission européenne sur le fondement de la directive (UE) 2015/1535 du Parlement européen et du Conseil du 9 septembre 2015. Cette directive prévoit une procédure d'information de la Commission européenne dans le domaine des réglementations techniques et des règles relatives aux services de la société de l'information, les États membres ayant obligation de lui notifier tout projet de réglementation afin de garantir leur conformité avec le droit européen.

4. Punir spécifiquement le dépôt ou l'abandon sur la voie publique de tout contenant de protoxyde d'azote pour responsabiliser les utilisateurs

Afin de limiter les nuisances environnementales, il est proposé de créer une amende spécifique de 1 500 euros en cas d'abandon ou de dépôt sur la voie publique de tout contenant de protoxyde d'azote. Tel serait l'objet du nouvel article L. 3611-4, inséré dans le chapitre unique du titre Ier du livre VI de la troisième partie du code de la santé publique.

II - La position de la commission

En préambule, la commission a relevé que l'Assemblée nationale avait adopté, le 29 janvier dernier, une proposition de loi portant sur le même objet mais porteuse d'une ambition très différente69(*). Le texte dont il est question prévoit en effet une interdiction générale de la vente de protoxyde d'azote aux particuliers, seules certaines catégories de professionnels énumérés par décret pouvant bénéficier de dérogations.

La commission a pris acte de l'augmentation significative des signalements d'intoxications au protoxyde d'azote, ainsi que de l'aggravation des symptômes cliniques liés à la consommation de quantités de plus en plus importantes. Elle a également été sensible à l'inquiétude des élus locaux et aux difficultés relayées par les municipalités et les préfectures pour réguler les perturbations engendrées par les usages récréatifs du protoxyde d'azote dans l'espace public.

Dans ce contexte qu'elle juge préoccupant, la commission souscrit à la nécessité de renforcer la législation en vigueur pour mieux maîtriser les usages du protoxyde d'azote et circonscrire sa consommation récréative. Elle relève que la proposition de loi s'inscrit dans le prolongement de la loi du 1er juin 2021, d'initiative sénatoriale, qui poursuivait le double objectif de dissuader fermement les usages détournés de protoxyde d'azote tout en agissant dans le champ de la prévention.

À l'invitation de sa rapporteure, la commission s'est néanmoins interrogée sur plusieurs dispositions du texte, au regard des principes de nécessité des délits et des peines et de proportionnalité des peines. En effet, le protoxyde d'azote étant un produit licite, son usage ne peut être assimilé à celui des stupéfiants. En revanche, elle a considéré que les dispositions prévues par le code de la santé publique en matière de lutte contre le tabagisme et contre l'alcoolisme pouvaient utilement éclairer sa réflexion, sans pour autant constituer des références indépassables. Elle a notamment relevé que si la vente et l'offre à titre gratuit de tabac ou d'alcool à des mineurs sont prohibées, tel n'est pas le cas de leur consommation ni de leur détention par les mineurs70(*).

Enfin, il a paru utile à la rapporteure de rappeler que la justice pénale des mineurs, qui traduit dans le droit pénal l'objectif de protection des mineurs, a été consacrée par le Conseil constitutionnel comme principe fondamental reconnu par les lois de la République dans une décision du 29 août 200271(*). Or, le respect de ce principe exige une appréciation prudente des dispositions susceptibles d'être appliquées aux seuls mineurs dans le cadre de l'examen du présent article.

En conséquence de ces observations, la commission a adopté sept amendements de sa rapporteure visant à :

- adapter le niveau de sanction prévu en cas d'usage détourné de protoxyde d'azote pour en obtenir des effets psychoactifs (COM-1) ; dans un souci de proportionnalité des peines, la sanction a été transformée en contravention de la troisième classe ;

- créer une sanction en cas de non-respect des quantités maximales de vente de protoxyde d'azote aux particuliers (COM-2) ;

- transformer le système d'agrément des vendeurs de protoxyde d'azote en un système déclaratif, afin de ne pas pénaliser les circuits de vente légaux de protoxyde d'azote, notamment les acteurs de la grande distribution (COM-3) ;

- supprimer l'interdiction de détention de protoxyde d'azote par les mineurs, c'est-à-dire la création d'une infraction pénale spécifique aux mineurs, alors même que la majorité des expérimentations et des consommations de protoxyde d'azote concerne la tranche des 18-34 ans (COM-4) ;

- compléter d'une mesure de fermeture administrative la peine d'amende prévue en cas de violation de l'interdiction de vendre du protoxyde d'azote aux majeurs dans les débits de boissons et les débits de tabac (COM-5) ;

- reconnaître et conforter le rôle des centres d'addictovigilance en matière d'information et de formation des professionnels de santé (COM-6) ;

- procéder à diverses coordinations juridiques (COM-7).

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

Article 2
Sensibiliser aux dangers liés à l'usage détourné de protoxyde d'azote dans les collèges et les lycées

Cet article propose de sensibiliser les collégiens et les lycéens aux dangers liés à l'usage détourné de protoxyde d'azote au cours de séances d'information sur les conduites addictives et leurs risques.

La commission a adopté cet article modifié par un amendement de réécriture globale, afin de renforcer plus généralement la prévention des conduites addictives en milieu scolaire.

I - Le dispositif proposé

A. Des campagnes de prévention des usages détournés de protoxyde d'azote qui manquent de visibilité

1. Un axe préventif inscrit dans la loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote

La loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote poursuit l'objectif de circonscrire les usages détournés de protoxyde d'azote, d'une part en encadrant ses conditions de vente et de distribution, d'autre part en prévoyant des actions de prévention en direction des adolescents dans le milieu scolaire.

En premier lieu, en fixant une obligation d'apposer une mention relative à la dangerosité de l'usage détourné du protoxyde d'azote sur chaque unité de conditionnement72(*), cette loi a entendu améliorer l'information des consommateurs et, ainsi, contribuer à la prévention des usages détournés.

En second lieu, la loi du 1er juin 2021 a directement mobilisé le levier de la prévention en élargissant le champ des séances d'information réalisées au moins annuellement dans les collèges et les lycées au titre des enseignements sur les toxicomanies73(*) à l'ensemble des conduites addictives74(*). Auparavant, ces séances ne portaient que sur les conséquences de la consommation de drogues sur la santé, excluant les usages détournés de produits de consommation courante tels que le protoxyde d'azote.

2. En pratique, une prévention qui se structure très progressivement

Diverses actions de communication et de sensibilisation sont menées depuis quelques années par les services de l'État et les acteurs associatifs, témoignant d'une prise de conscience consécutive aux alertes des autorités sanitaires.

Depuis 2021, la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca) diffuse des supports visuels destinés à informer sur les risques associés à la consommation récréative de protoxyde d'azote, ainsi que sur le cadre législatif en vigueur. Elle a également produit un podcast « Le protoxyde d'azote, en vrai, c'est quoi ? » et noué un partenariat avec Snapchat pour diffuser de courtes vidéos d'information. Néanmoins, ces actions demeurent peu visibles et, surtout, apparaissent globalement éloignées des usagers.

À l'échelle déconcentrée, certaines agences régionales de santé (ARS) se démarquent par les initiatives qu'elles mènent, en fonction de la prévalence des usages récréatifs dans leurs territoires respectifs. Ainsi, l'ARS des Hauts-de-France et l'ARS d'Île-de-France ont lancé à l'automne 2023 une campagne de sensibilisation remarquée, ciblant les jeunes de 15 à 25 ans, « Le proto, c'est trop risqué d'en rire ». Cette campagne, dont l'objectif est d'améliorer l'information des publics ciblés pour dissuader les usages détournés du protoxyde d'azote, s'appuie notamment sur des spots audiovisuels diffusés sur les réseaux sociaux et sur la plateforme YouTube. Un kit de prévention contenant divers supports digitaux est mis gratuitement à la disposition des partenaires institutionnels des ARS - collectivités territoriales, services de l'Éducation nationale, professionnels de santé, acteurs de prévention.

Affiches diffusées par les ARS des Hauts-de-France et d'Ile-de-France dans le cadre des campagnes de prévention des usages détournés du protoxyde d'azote

Source : Site internet de l'ARS d'Île-de-France

Certains établissements de santé adaptent également leur offre pour proposer des services à l'interface de la prévention et de la prise en charge, à l'instar des Hospices civils de Lyon (HCL) qui ont créé en 2024 le premier dispositif de téléconsultation en France pour dépister le plus tôt possible les consommateurs abusifs de protoxyde d'azote. Le Dr Christophe Riou, addictologue aux HCL et membre du service universitaire d'addictologie de Lyon, indique ainsi : « Avec la téléconsultation, notre but, c'est de cibler les consommateurs au stade infraclinique. »75(*)

Enfin, des associations portent également des actions de prévention plus larges, embrassant l'ensemble des conduites addictives et visant le développement de compétences psychosociales auprès des publics jeunes76(*).

B. Une volonté réaffirmée d'agir en faveur de la prévention auprès des publics les plus vulnérables

L'article propose de modifier l'article L. 312-18 du code de l'éducation pour inscrire explicitement la sensibilisation aux dangers liés à l'usage détourné du protoxyde d'azote dans le champ des séances d'information sur les conduites addictives et leurs risques, réalisées chaque année dans les collèges et les lycées.

II - La position de la commission

En 2019, lors de l'examen en première lecture du texte désormais connu comme la loi du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote, la commission soulignait déjà qu'« une politique de lutte contre la consommation de protoxyde d'azote par les plus jeunes ne saurait être très efficace sans une forte politique d'information et de prévention »77(*). Depuis, l'usage récréatif du protoxyde d'azote semble être en hausse, même s'il demeure relativement circonscrit en comparaison des données de consommation du tabac, de l'alcool ou du même du cannabis78(*).

Le caractère contenu de la prévalence des usages détournés du protoxyde d'azote explique que la prévention de cette consommation récréative ne figure pas parmi les axes d'intervention prioritaires des acteurs agissant dans le champ de la prévention, qu'il s'agisse de la Mildeca ou d'associations telles qu'Addictions France ou l'Observatoire français des drogues et des conduites addictives (OFDT).

Toutefois, face à l'augmentation des signalements d'intoxications recensés par les autorités sanitaires, la commission a jugé utile et pertinent de consolider la base législative de ces actions de prévention. Elle a pourtant rappelé que ces actions relevaient essentiellement d'une impulsion politique et se situaient largement hors du domaine de la loi. À cet égard, la commission a regretté la faiblesse persistante des dépenses nationales de prévention institutionnelle, qui ne témoigne pas du « virage préventif » pourtant annoncé et attendu.

En conséquence, à l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté un amendement de réécriture globale de l'article (COM-8) portant deux séries de modifications :

- d'une part, l'amendement complète l'article L. 121-4-1 du code de l'éducation afin d'inscrire le repérage des conduites addictives dans le champ de la mission de promotion de la santé à l'école ;

- d'autre part, il inscrit explicitement la sensibilisation aux dangers liés aux usages détournés de produits de consommation courante, dont le protoxyde d'azote, dans le périmètre des séances d'information dédiées à la prévention des conduites addictives dans les collèges et les lycées ; il prévoit également que les services de l'État compétents en matière de lutte contre les drogues et les conduites addictives peuvent être associés à ces séances de prévention.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.


* 16 OFDT, Les usages psychoactifs du protoxyde d'azote, Tendances, août 2022, et Gérome C., Développement des usages de protoxyde d'azote : retour sur une panique morale, Swaps, 2021, n° 96-97, pp. 7-11.

* 17 European Monitoring Centre for Drugs and Drug Addiction (EMCDDA), Recreational use of nitrous oxide : a growing concern for Europe, november 2022.

* 18 EMCDDA, Recreational use of nitrous oxide : a growing concern in Europe, november 2022.

* 19 OFDT, Les usages psychoactifs du protoxyde d'azote, Tendances n° 151, août 2022.

* 20 Arrêté du 17 août 2021 portant classement sur les listes des substances vénéneuses.

* 21 Article R. 5132-80 du code de la santé publique, et arrêté du 21 décembre 2001 portant application de la réglementation des stupéfiants aux médicaments à base de protoxyde d'azote.

* 22 Nausées et vomissements, augmentation temporaire de pression et/ou de volume des cavités aériques de l'organisme, troubles hématologiques, effets euphorisants et troubles psychodysleptiques, addictions et complications neurologiques.

* 23 FHF, « Appel à l'arrêt immédiat de l'approvisionnement des réseaux de protoxyde d'azote (N2O) dans les établissements de santé : une mesure urgente pour réduire les émissions de gaz à effet de serre », communiqué du 11 octobre 2024.

* 24 Selon l'article L. 5133-1 du code de la santé publique, « l'addictovigilance a pour objet la surveillance, l'évaluation, la prévention et la gestion du risque des cas d'abus, de dépendance et d'usage détourné liés à la consommation, qu'elle soit médicamenteuse ou non, de tout produit, substance ou plante ayant un effet psychoactif, à l'exclusion de l'alcool éthylique et du tabac. »

* 25 Selon l'ANSM, 305 cas ont été rapportés en 2023 contre 256 en 2022.

* 26 OFDT, Les usages psychoactifs du protoxyde d'azote, Tendances, août 2022.

* 27 EMCDDA, Recreational use of nitrous oxide : a growing concern for Europe, november 2022.

* 28 Santé publique France, Niveaux de consommation du CBD et du protoxyde d'azote en population adulte en France métropolitaine en 2022, 26 octobre 2023.

* 29 Ibid.

* 30 Les données collectées par les CEIP-A indiquent un âge moyen de 22 ans tandis que celles issues de l'enquête conduite en 2022 par Santé publique France indiquent 25 ans.

* 31 Document à l'attention des professionnels de santé, janvier 2023.

* 32 Dans sa réponse au questionnaire de la rapporteure, l'ANSM indique que parmi les signalements de complications neurologiques, notamment des neuropathies ou des atteintes médullaires, l'évolution des symptômes est majoritairement non établie ou non connue.

* 33 EMCDDA, Recreational use of nitrous oxide : a growing concern for Europe, p. 5, november 2022.

* 34 Aucune donnée chiffrée ne permet aujourd'hui d'attester de cette supposition très largement partagée.

* 35 Réponse de la Mildeca au questionnaire de la rapporteure.

* 36 Réponse de la DNPJ au questionnaire de la rapporteure.

* 37 Réponses de l'ANSM au questionnaire transmis par la rapporteure.

* 38 Selon la Mildeca.

* 39 Article L. 3611-1 du code de la santé publique.

* 40 Article L. 3611-3 du code de la santé publique, premier alinéa.

* 41 Article 2 de la loi n° 2021-695 du 1er juin 2021 tendant à prévenir les usages dangereux du protoxyde d'azote.

* 42 Article L. 3611-3 du code de la santé publique, deuxième alinéa.

* 43 Article L. 3611-3 du code de la santé publique, troisième alinéa.

* 44 Article L. 3611-2 du code de la santé publique.

* 45 Arrêté du 19 juillet 2023 fixant la quantité maximale autorisée pour la vente aux particuliers de produits mentionnés à l'article L. 3611-1 du code de la santé publique contenant du protoxyde d'azote.

* 46 Article L. 3621-1 du code de la santé publique.

* 47 Amende de 750 euros maximum, conformément à l'article 131-13 du code pénal.

* 48 Article R. 634-2 du code pénal.

* 49 Amende de 1 500 euros maximum, pouvant être relevée à 3 000 euros en cas de récidive, conformément à l'article 131-13 du code pénal.

* 50 Article R. 635-8 du code pénal.

* 51 Règlement (CE) n° 1272/2008 du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relatif à la classification, à l'étiquetage et à l'emballage des substances et des mélanges [...].

* 52 Règlement (CE) n° 1907/2006 du Parlement européen et du Conseil du 18 décembre 2006 concernant l'enregistrement, l'évaluation et l'autorisation des substances chimiques, ainsi que les restrictions applicables à ces substances (Reach), instituant une agence européenne des produits chimiques [...].

* 53 Réponses de l'Anses au questionnaire de la rapporteure.

* 54 Parmi les villes ayant agi en ce sens, peuvent être citées notamment Paris, Lyon, Marseille, Montpellier, et parmi les départements, l'Essonne, la Seine-et-Marne, le Val d'Oise, la Drôme, l'Hérault.

* 55 Alinéas 2 à 4 du présent article premier.

* 56 Selon la gradation des sanctions pénales, la contravention est punie au maximum d'une amende de 1500 euros (3000 euros en cas de récidive) et n'est assortie d'aucune peine de prison. Le délit est puni d'une amende minimale de 3750 euros, qui peut être réduite par l'application d'un régime de forfaitisation ; il peut également être assorti d'une peine d'emprisonnement.

* 57 77,8 % de la réponse pénale en 2023 selon la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.

* 58 Article L. 3421-1 du code de la santé publique.

* 59 Décision DC n° 86-215 DC du 3 septembre 1986, loi relative à la lutte contre la criminalité et la délinquance.

* 60 Alinéa 14 du présent article.

* 61 Alinéa 17 du présent article.

* 62 Article L. 3611-1 du code de la santé publique.

* 63 Alinéa 5 du présent article.

* 64 Article 227-19 du code pénal et article L. 3353-4 du code de la santé publique.

* 65 Article L. 3353-3 du code de la santé publique.

* 66 Alinéa 8 du présent article.

* 67 Articles L. 3332-1 à L. 3332-17 du code de la santé publique.

* 68 Articles L. 3331-4 et L. 3332-1-1 du code de la santé publique.

* 69 Proposition de loi visant à restreindre la vente de protoxyde d'azote aux professionnels et à renforcer les actions de prévention des consommations détournées, déposée le 19 novembre 2024 par M. Idir Boumertit, député LFI-NFP.

* 70 Articles L. 3512-12 et article L. 3342-1 du code de la santé publique.

* 71 Décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002. Le Conseil constitutionnel a notamment considéré qu'avaient continûment été reconnus « l'atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de leur âge » et « la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ».

* 72 Article L. 3621-1 du code de la santé publique.

* 73 Section 10 du chapitre II du titre Ier du livre III de la deuxième partie du code de l'éducation.

* 74 Article L. 318-12 du code de l'éducation.

* 75 Site internet des Hospices civils de Lyon, « Une téléconsultation dédiée aux consommateurs de protoxyde d'azote », https://www.chu-lyon.fr/teleconsultation-consommateurs-protoxyde-dazote.

* 76 Exemple du programme « Good Behavior Game » au déploiement duquel contribue Addictions France.

* 77 Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi tendant à protéger les mineurs des usages dangereux du protoxyde d'azote, par Mme Jocelyne Guidez, décembre 2019.

* 78 Selon une enquête de Santé publique France, seuls 4,3 % des adultes déclaraient avoir expérimenté le protoxyde d'azote à des fins récréatives en 2022 en France métropolitaine.

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