- L'ESSENTIEL
- I. FACE À L'INFLATION, DES TRAVAILLEURS
TOUJOURS PLUS PRÉCARISÉS
- A. LA FORTE INFLATION RÉCENTE A INDUIT UNE
PERTE IMPORTANTE DU POUVOIR D'ACHAT POUR LES SALARIÉS
- B. LES GELS SUCCESSIFS DU POINT D'INDICE ONT
CONDUIT AU DÉCROCHAGE DU POUVOIR D'ACHAT DES FONCTIONNAIRES
- C. NI LE SMIC, NI LES SALAIRES MINIMA
HIÉRARCHIQUES NE PARVIENNENT À PROTÉGER EFFICACEMENT LE
POUVOIR D'ACHAT DES TRAVAILLEURS
- A. LA FORTE INFLATION RÉCENTE A INDUIT UNE
PERTE IMPORTANTE DU POUVOIR D'ACHAT POUR LES SALARIÉS
- II. DES EXEMPLES INSPIRANTS D'INDEXATION EN
BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
- III. LA PROPOSITION DE LOI ENTEND S'INSPIRER DU
MODÈLE BELGE AFIN DE MIEUX PROTÉGER LE POUVOIR D'ACHAT DES
TRAVAILLEURS
- I. FACE À L'INFLATION, DES TRAVAILLEURS
TOUJOURS PLUS PRÉCARISÉS
- EXAMEN DES ARTICLES
- Article 1er
Indexation annuelle des salaires sur le taux prévisionnel d'inflation
- Article 2
Indexation du point d'indice de la fonction publique
- Article 3
Obligation d'une négociation annuelle relative aux salaires
- Article 4
Minoration de la réduction dégressive des cotisations patronales selon
le respect de l'augmentation annuelle des salaires
- Article 5
Gage financier de la proposition de loi
- Article 1er
- EXAMEN EN COMMISSION
- RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE
L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
- LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- LA LOI EN CONSTRUCTION
N° 337
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2024-2025
Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 février 2025
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation,
Par Mme Silvana SILVANI,
Sénatrice
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Mouiller, président ; Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale ; Mme Pascale Gruny, M. Jean Sol, Mme Annie Le Houerou, MM. Bernard Jomier, Olivier Henno, Xavier Iacovelli, Mmes Cathy Apourceau-Poly, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge, vice-présidents ; Mmes Viviane Malet, Annick Petrus, Corinne Imbert, Corinne Féret, Jocelyne Guidez, secrétaires ; Mmes Marie-Do Aeschlimann, Christine Bonfanti-Dossat, Corinne Bourcier, Céline Brulin, M. Laurent Burgoa, Mmes Marion Canalès, Maryse Carrère, Catherine Conconne, Patricia Demas, Chantal Deseyne, Brigitte Devésa, M. Jean-Luc Fichet, Mme Frédérique Gerbaud, M. Khalifé Khalifé, Mmes Florence Lassarade, Marie-Claude Lermytte, Monique Lubin, Brigitte Micouleau, M. Alain Milon, Mmes Laurence Muller-Bronn, Solanges Nadille, Anne-Marie Nédélec, Guylène Pantel, M. François Patriat, Mmes Émilienne Poumirol, Frédérique Puissat, Marie-Pierre Richer, Anne-Sophie Romagny, Laurence Rossignol, Silvana Silvani, Nadia Sollogoub, Anne Souyris, MM. Dominique Théophile, Jean-Marie Vanlerenberghe.
Voir les numéros :
Sénat : |
208 et 338 (2024-2025) |
L'ESSENTIEL
La proposition de loi vise à indexer les salaires du secteur privé et le point d'indice des fonctionnaires sur le taux prévisionnel d'inflation. Elle propose également d'abroger l'interdiction légale d'introduire des clauses d'indexation dans les conventions collectives ou les accords professionnels.
La commission n'a pas adopté le texte.
*
**
I. FACE À L'INFLATION, DES TRAVAILLEURS TOUJOURS PLUS PRÉCARISÉS
A. LA FORTE INFLATION RÉCENTE A INDUIT UNE PERTE IMPORTANTE DU POUVOIR D'ACHAT POUR LES SALARIÉS
Accroissement annuel du salaire moyen annuel par tête dans le secteur marchand et l'évolution de l'inflation (en glissement annuel de série trimestrielle, en %) |
Source : Banque de France, Décembre 2024. |
Le choc exogène qu'a constitué la guerre en Ukraine a entraîné en France une inflation annuelle atteignant 5,2 % en 2022 et 4,9 % en 2023. Cette poussée inflationniste a provoqué une précarisation importante des salariés du secteur privé. L'évolution de l'indice des prix a, en effet, été supérieure à celle du salaire moyen annuel par tête. Le salaire net moyen a dès lors chuté de 1,0 % en 2022 et 0,8 % en 2023.
Si depuis la fin 2023, le ralentissement de l'inflation permet aux salaires réels de progresser de nouveau, le rattrapage des pertes de pouvoir d'achat ne sera pas complet. Les hausses de salaires négociées ont déjà ralenti en 2024, dans un contexte économique dégradé.
B. LES GELS SUCCESSIFS DU POINT D'INDICE ONT CONDUIT AU DÉCROCHAGE DU POUVOIR D'ACHAT DES FONCTIONNAIRES
La valeur du point d'indice, à partir duquel sont calculés les traitements des fonctionnaires des trois versants de la fonction publique, est définie par le Gouvernement. Elle a fait l'objet d'une augmentation quasi-annuelle jusqu'en 2010, avant de connaître des périodes de gel successives.
Faute de négociation annuelle obligatoire dans le secteur public, l'absence de revalorisation du point d'indice a abouti à un décrochage du pouvoir d'achat des fonctionnaires et à une augmentation des mesures dites « catégorielles », visant à répondre à l'urgence des situations matérielles des fonctionnaires dont le traitement est le plus faible (prime de pouvoir d'achat exceptionnelle, mesure de garantie individuelle du pouvoir d'achat, etc.).
Comparaison de l'évolution du point d'indice et de l'IPC depuis 1993 |
|
Source : Insee |
C. NI LE SMIC, NI LES SALAIRES MINIMA HIÉRARCHIQUES NE PARVIENNENT À PROTÉGER EFFICACEMENT LE POUVOIR D'ACHAT DES TRAVAILLEURS
17,3%
L'indexation générale des salaires est interdite en France, mais le salaire minimum légal bénéficie d'un dispositif d'indexation sur les prix depuis 1952. Cette indexation vise à la fois à garantir le pouvoir d'achat, en répercutant les évolutions de l'indice national des prix à la consommation, et à garantir la participation des salariés au développement économique de la Nation.
Depuis la crise sanitaire, et du fait de la forte inflation rencontrée, les augmentations du Smic se sont succédé. Cela a permis de protéger le pouvoir d'achat des salariés concernés, mais a également conduit à un tassement des grilles salariales.
De même, au niveau des branches, les salaires minima hiérarchiques (SMH) ont souvent été, lors de la période inflationniste, en état de non-conformité au Smic. Au 1er janvier 2024, 45% des branches du secteur général n'étaient pas conformes, dont 12% depuis plus de six mois. Il s'agit pourtant là d'une obligation légale sur laquelle les représentants syndicaux, entendus en audition, ont insisté.
En conséquence, les négociations au niveau des branches ou des entreprises semblent défaillantes, à elles seules, pour protéger le pouvoir d'achat des travailleurs en période d'inflation brutale.
II. DES EXEMPLES INSPIRANTS D'INDEXATION EN BELGIQUE ET AU LUXEMBOURG
A. DES MÉCANISMES D'INDEXATION PLUS QUE CENTENAIRES AUXQUELS LES SALARIÉS SONT ATTACHÉS
La rapporteure considère que les critiques émises sur le caractère utopique ou dangereux d'un mécanisme d'indexation des salaires sur l'inflation ne sont pas recevables au regard de l'existence de tels dispositifs en Belgique ou au Luxembourg.
L'indexation des salaires en Belgique, née en 1919, dépend des secteurs d'activité dans chacun desquels une des 164 commissions paritaires décide des modalités d'indexation. Les fonctionnaires ainsi que 44,3 % des salariés du secteur privé sont concernés par un mécanisme d'indice pivot dans lequel le franchissement de ce pivot par un « indice santé lissé » des prix à la consommation entraine une revalorisation de 2 % des rémunérations. De plus, 49,3 % des salariés bénéficient quant à eux d'une indexation à date fixe à échéance annuelle, semestrielle ou trimestrielle.
Au Luxembourg, depuis 1921, une indexation automatique et générale des rémunérations publiques comme privées est enclenchée chaque fois que l'indice des prix à la consommation nationale franchit le seuil de 2,5 %, depuis la dernière activation d'une « tranche indiciaire ».
Les auditions des organisations syndicales belges et du syndicat luxembourgeois OGBL ont révélé l'attachement fort des salariés à ces mécanismes d'indexation.
B. LE POUVOIR D'ACHAT DES TRAVAILLEURS BELGES ET LUXEMBOURGEOIS PROTÉGÉS SANS ENCLENCHEMENT D'UNE SPIRALE INFLATIONNISTE.
L'indexation des salaires en Belgique et au Luxembourg a permis de limiter efficacement les pertes de salaires réels en 2022 et 2023. Des pertes provisoires, inhérentes à toute indexation, sont présentes au sein des deux pays. Toutefois, la Belgique et le Luxembourg sont les pays où le salaire réel moyen a le plus progressé en 2023, alors même qu'il avait déjà moins chuté en 2022 que la moyenne de la zone euro. En outre, les mécanismes d'indexation en Belgique ou au Luxembourg ne créent pas de spirale prix-salaire. En Belgique, si l'inflation est structurellement supérieure aux autres pays européens en raison du coût plus élevé des prix de l'énergie, une désinflation a eu lieu à partir de 2023 à l'image de la France ou de l'Allemagne.
Évolution des salaires réels dans différents pays européens
Source : Graphique transmis par Bernard Conter et Jean Faniel
III. LA PROPOSITION DE LOI ENTEND S'INSPIRER DU MODÈLE BELGE AFIN DE MIEUX PROTÉGER LE POUVOIR D'ACHAT DES TRAVAILLEURS
A. INDEXER LES SALAIRES ET LE POINT D'INDICE SUR L'INFLATION TOUT EN FACILITANT LE DIALOGUE SOCIAL
L'article 1er propose une indexation annuelle des salaires du secteur privé sur le taux prévisionnel d'inflation. Il vise en outre à mettre fin à l'interdiction contenue dans le code du travail des clauses conventionnelles comportant une indexation automatique des salaires sur le Smic.
L'article 2 invite à mettre en place un mécanisme analogue concernant la valeur du point d'indice de la fonction publique.
L'article 3 impose la tenue annuelle de négociations sur les salaires au niveau des branches professionnelles, et réaffirme l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Enfin, il précise qu'aucun minimum de branche ne doit être fixé en dessous du Smic.
Enfin, l'article 4 vise à inciter les employeurs à augmenter les salaires à la mesure de l'inflation en réduisant, dans le cas contraire, les allègements généraux de cotisations patronales dont ils bénéficient.
B. DES CRAINTES INFONDÉES SUR UN MÉCANISME VERTUEUX
Au-delà des inquiétudes concernant l'existence d'une boucle prix-salaire, les organisations patronales soulignent le risque encouru par les entreprises qui devraient absorber ces hausses salariales. La rapporteure tient à souligner, à ce sujet, que les économistes auditionnés insistent plutôt sur le soutien à la croissance apporté par ces hausses et sur le maintien, in fine, des marges des entreprises.
De même, l'idée d'indexation n'est pas étrangère à la culture juridique française, puisque 17 millions de retraités, et 13 millions de bénéficiaires de prestations sociales voient leur prestations revalorisées chaque année au niveau de l'inflation. En la matière, les actifs font presque figure d'exception.
Enfin, selon la rapporteure, contrairement aux propos allégués par ses adversaires, l'indexation des salaires ne nuit pas au dialogue social. Ce dernier se résume aujourd'hui trop souvent à négocier les augmentations de salaires pour rattraper l'inflation dans les entreprises, occultant les négociations autour des emplois, de la formation, la santé et la sécurité au travail.
Réunie le mercredi 12 février 2025 sous la présidence de Philippe Mouiller, la commission des affaires sociales n'a pas adopté la proposition de loi, considérant que l'interdiction de toute indexation des salaires était utile pour éviter tout emballement inflationniste, que la proposition de loi risquait de nuire au dialogue social au niveau des branches et des entreprises, et qu'elle représentait un coût élevé pour les finances publiques s'agissant du traitement des fonctionnaires. La discussion en séance publique portera sur le texte déposé.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
Indexation annuelle des salaires sur le taux
prévisionnel d'inflation
Cet article propose une indexation annuelle des salaires du secteur privé sur le taux prévisionnel d'inflation. Il vise en outre à abroger les dispositions du code du travail qui interdisent, au sein des conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant une indexation automatique des salaires sur le Smic. Il autorise enfin les clauses dans ces mêmes conventions ou accords prévoyant une indexation en vue de la détermination ou la révision des salaires.
La commission n'a pas adopté cet article.
I - Le dispositif proposé
A. L'état du droit
1. Des clauses d'indexation des salaires formellement interdites
a) Le contexte historique de l'après-guerre : des hausses généralisées puis une possibilité d'indexer les salaires au sein des conventions collectives
À la Libération, le contexte social et économique justifie un régime provisoire dans lequel les salaires sont déterminés par le Gouvernement. Une ordonnance du 24 août 19441(*) octroie un premier relèvement généralisé des salaires. En 1945, des centaines d'arrêtés dits Parodi fixent les classifications pour tous les emplois et une échelle des salaires. Toutes les communes de France sont réparties dans des zones dans lesquelles un certain abattement s'applique aux salaires en vigueur à Paris pour déterminer le salaire local. Ce régime juridique est confirmé par la loi du 23 décembre 19462(*) laquelle interdit, à titre provisoire, les clauses portant sur les salaires dans les conventions collectives et maintient la compétence du pouvoir règlementaire dans cette matière.
Dans le cadre de ce régime, des rehaussements généraux des salaires et l'octroi d'indemnités exceptionnelles sont fréquemment décidés ; une fois en 1946, trois fois en 1947 et deux fois en 1948.
La loi du 11 février 19503(*) relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail met fin à ce régime provisoire et rétablit la détermination libre des salaires. Resurgit dès lors la question de l'indexation automatiques des salaires, de nouveau réclamée par les syndicats4(*), afin de ne pas perdre le bénéfice des augmentations générales des années 1944-1949. Quelques branches professionnelles se saisirent en 1950 et 1951 de la liberté contractuelle retrouvée pour prévoir des clauses d'indexation des salaires sur un indice des prix. Cette demande d'échelle mobile s'accentue notamment après les poussées inflationnistes induites par la Guerre de Corée5(*).
Texte de « compromis issu de longues discussions parlementaires »6(*), la loi du 18 juillet 19527(*) mis en place un mécanisme d'indexation du salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) qualifié alors d'échelle mobile des salaires. Toutefois, les débats parlementaires lors de l'examen de ce projet de loi écartèrent une véritable indexation générale des rémunérations. En vertu des dispositions adoptées, lorsque le montant du budget-type des ménages connaissait une augmentation de 5 %, le SMIG devait alors automatiquement être revalorisé dans cette proportion. C'est par ce biais que la revalorisation devait se transmettre à l'ensemble des salaires.
b) L'interdiction des clauses d'indexation devenue effective depuis 1982
Une ordonnance du 30 décembre 19588(*) interdit les stipulations conventionnelles ou contractuelles qui prévoient des indexations fondées sur le SMIG, sur le niveau général des prix ou des salaires ou sur les prix des biens, produits ou services n'ayant pas de relation directe avec l'objet du statut, ou de la convention ou avec l'activité de l'une des parties.
Cette interdiction désormais prévue à l'article L. 112-2 du code monétaire et financier, est complétée en 1973 d'un article du code du travail9(*) qui interdit également, dans les conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant des indexations sur le Smic ou des références à ce dernier en vue de la fixation et de la révision des salaires prévus par ces conventions ou accords.
Ainsi que le confirme la direction générale du travail (DGT), « cette prohibition des clauses d'indexation sur les salaires n'a jamais été levée ». Ces dernières ont pourtant été tolérées jusqu'en 1982, durant la période de blocage des prix et des salaires, date à laquelle le gouvernement de Pierre Mauroy s'est vivement opposé à ces clauses. La Cour de cassation a eu l'occasion depuis de confirmer l'interdiction de ces clauses d'indexation10(*).
Ainsi que le note la DGT, qui assure le contrôle de légalité des conventions de branche, des clauses d'indexation sur d'autres valeurs que le Smic ou sur les salaires peuvent être tolérées, « notamment si elles sont en relation directe avec l'objet du statut ou de la convention ou de l'activité d'une des parties. Ainsi, sont tolérées les clauses de rendez-vous ou les engagements généraux, les clauses qui réalisent une comparaison de l'évolution des rémunérations des salariés ainsi que l'indexation sur certains indices tels que le chiffre d'affaires, les bénéfices, les prix de vente de produits fabriqués par l'employeur, l'indice national des prix ou le salaire d'une catégorie de salariés déterminée ».
2. Une indexation du seul Smic sur l'inflation
Si l'indexation générale des salaires est donc interdite en France, le salaire minimum légal, qui existe depuis la loi précitée du 11 février 1950, bénéficie d'un dispositif d'indexation sur les prix depuis 1952 ainsi qu'il a été mentionné supra.
Aux termes de l'article L. 3231-2 du code du travail, le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) « assure aux salariés dont les rémunérations sont les plus faibles : 1° La garantie de leur pouvoir d'achat ; 2° Une participation au développement économique de la nation ». Le niveau du Smic est fixé par voie réglementaire selon plusieurs dispositifs précisés par les articles L. 3231-4 et suivants du code du travail.
Tout d'abord, la garantie de pouvoir d'achat11(*) est assurée par l'indexation du Smic sur l'évolution de l'indice national des prix à la consommation. Lorsque cet indice fait l'objet d'une hausse d'au moins 2 % par rapport à son niveau constaté lors de l'établissement du Smic immédiatement antérieur, le Smic est revalorisé dans la même proportion à compter du premier jour du mois suivant par un arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de l'agriculture et de l'économie et des finances12(*) ;
La participation des salariés au développement économique de la Nation est garantie par la détermination par le Gouvernement chaque année, avec effet au 1er janvier, du niveau du Smic13(*). Cette revalorisation est prise après un avis motivé de la Commission nationale de la négociation collective de l'emploi et de la formation professionnelle14(*), en fonction d'une formule qui prend également en compte l'évolution du pouvoir d'achat des salaires horaires de base des ouvriers et employés (cf. encadré) ;
Enfin, les mesures qualifiées de « coup de pouce »15(*) permettent au Gouvernement de rehausser le Smic, en cours d'année, à un niveau supérieur à celui qui résulterait de l'inflation. Le Gouvernement n'a toutefois pas recouru à ce procédé depuis juillet 2012.
La formule de revalorisation légale du Smic
Au titre de l'article L. 3231-6 du code du travail, la revalorisation légale annuelle du Smic s'effectue selon la formule suivante :
Avec :
- ? : le taux d'augmentation ;
- indice des prixQ1 : la progression de l'indice des prix à la consommation hors tabac du 1er quintile de revenu des ménages ;
-: la moitié de la progression du pouvoir d'achat du salaire horaire de base des ouvriers et employés.
Cette formule est favorable à l'augmentation du Smic dans la mesure où chacune des contributions, l'indice des prix et le pouvoir d'achat, sont bornées à zéro et ne peuvent donc entrer négativement dans la définition du Smic.
B. Des mécanismes d'indexation dans certains pays européens
Les travaux de la rapporteure se sont attachés à étudier les mécanismes d'indexation des salaires sur l'inflation présents en Belgique et au Luxembourg. Ces deux pays partagent cette singularité en Europe avec Chypre et Malte. Les auditions ont pu révéler que les deux dispositifs, assez différents dans leur fonctionnement, ont toutefois comme point de commun de faire l'objet d'un fort attachement de la part des salariés et la population, et ainsi d'avoir été maintenus au fil du temps malgré certaines critiques du patronat.
1. Le modèle belge : des indexations décentralisées et diverses
Né en 1919 au sortir de la Première guerre mondiale dans un contexte inflationniste, le mécanisme d'indexation des salaires en Belgique dépend des secteurs d'activité dans chacun desquels une des 164 commissions paritaires ou sous-commissions paritaires décide des modalités d'indexation16(*). Trois systèmes différents coexistent selon la commission paritaire de rattachement de l'entreprise :
- un mécanisme dit « indice pivot » dans lequel le franchissement de ce pivot par un « indice santé lissé » des prix à la consommation entraine la revalorisation de 2 % des allocations sociales et des traitements de la fonction publique, ainsi que les rémunérations de 44,3 % des salariés du secteur privé (92 commissions paritaires) ;
- une indexation à date fixe, laquelle peut être annuelle - généralement le 1er janvier - semestrielle ou trimestrielle, laquelle concerne 49,3 % des salariés du secteur privé (50 commissions paritaires) ;
- une absence d'indexation des salaires prévue par la commission paritaire, à l'exception du salaire minimum, qui concerne seulement 1,8 % des salariés du secteur privé (9 commissions paritaires).
La superposition de ces mécanismes explique que les revalorisations automatiques des salaires en Belgique sont désynchronisées et permettent de compenser, plus ou moins rapidement, les effets de l'inflation. Le dispositif de l'indice pivot a été plus efficace pour amortir plus vite les pertes de salaires réels dans le contexte de poussée inflationniste de 2021 et 2022 (voir graphique ci-après).
Comparaison des mécanismes d'indexation des salaires et de l'évolution de l'indice des prix à la consommation (2019-2023)
Source : Graphique transmis par Bernard Conter et Jean Faniel
Il convient de noter que plusieurs éléments peuvent modérer l'élasticité de l'indexation à l'inflation. D'une part, depuis 1994, l'indice retenu est un indice santé lissé qui ne prend en compte ni le tabac, ni les boissons alcoolisées, ni les carburants. L'évolution de cet indice de 1994 à 2022 a donc été inférieure de 3 points à l'indice des prix à la consommation17(*). D'autre part, le Gouvernement a la possibilité de réaliser des « sauts d'index » permettant de suspendre temporairement le mécanisme d'indexation.
Enfin, ce mécanisme s'accompagne d'une limitation des hausses de salaires pouvant être négociées au-delà de la revalorisation automatique tant au niveau des entreprises que des secteurs d'activité (voir encadré ci-dessous). En 2023 et 2024, la norme salariale déterminée s'élevait à 0 %, ce qui empêchait donc toute augmentation collective des salaires autre que l'indexation.
Les négociations salariales en Belgique
Les négociations salariales sont principalement régies par la loi du 26 juillet 1996 sur la promotion de l'emploi et la préservation préventive de la compétitivité, dite « loi sur la norme salariale », modifiée par la loi du 19 mars 201718(*). Le texte prévoit que l'évolution des coûts salariaux belges doit suivre celle des pays voisins (France, Allemagne, Pays-Bas), et détermine la marge d'augmentation des coûts salariaux tous les deux ans. Elle assure également les indexations et les augmentations barémiques.
Applicable au secteur privé et à certaines entreprises du secteur public, elle établit une procédure, selon laquelle le Conseil central de l'économie publie un rapport technique tous les deux ans, suivi par des négociations entre partenaires sociaux. En cas de désaccord, le gouvernement intervient pour fixer la norme salariale. Les négociations sectorielles au sein des commissions paritaires restent toutefois essentielles, notamment pour établir les salaires minimaux sectoriels.
Source : Direction de la législation comparée du Sénat, juin 2024.
2. L'exemple luxembourgeois : une indexation unique et uniforme
Existant depuis 1921 pour certains traitements et salaires, l'échelle mobile des salaires au Luxembourg est codifiée à l'article L. 223-1 du code du travail luxembourgeois qui dispose que « les taux des salaires résultant d'une loi, d'une convention collective et d'un contrat individuel de travail sont adaptés aux variations du coût de la vie (...) ».
L'indexation se fonde sur l'indice des prix à la consommation nationale (IPCN) qui exclut la consommation des non-résidents, considérant la part importante jouée par les transfrontaliers et les consommateurs en transit dans la consommation intérieure. Les accises sur les tabacs ainsi que sur certaines boissons alcooliques sont également retranchés mais non les produits en eux-mêmes.
L'indexation se déclenche dès que la moyenne de l'IPCN dépasse 2,5 % d'augmentation depuis la dernière activation de l'indexation - une tranche indiciaire est alors atteinte. À chaque échéance de tranche indiciaire, tous les salaires au niveau national augmentent ainsi que la plupart des prestations sociales.
C. Le dispositif proposé par le présent article : permettre l'échelle mobile des salaires
• Le I du présent article propose de prévoir que les salaires du secteur privé augmentent chaque année du taux prévisionnel de l'indice des prix à la consommation des ménages, hors tabac, annexé au projet de loi de finances de l'année de versement, arrondi au demi-entier supérieur.
Taux prévisionnel d'inflation des années 2022-2025
Année |
Taux prévisionnel de l'indice des prix à la consommation hors tabac annexé au PLF de l'année de versement |
2025 |
1,8 % |
2024 |
2,5 % |
2023 |
4,3 % |
2022 |
1,5 % |
Source : Rapports économiques, sociaux et financiers annexés au PLF
Ainsi que l'a confirmé la direction générale du travail à la rapporteure, un tel dispositif serait d'ordre public et s'imposerait donc aux conventions et accords collectifs ainsi qu'aux contrats de travail individuels.
• Le II vise à abroger l'article L. 3231-3 du code du travail qui interdit, au sein des conventions ou accords collectifs de travail, les clauses comportant une indexation des salaires automatique sur le Smic.
• Enfin, le III vise à compléter l'article L. 112-4 du code monétaire et financier afin d'autoriser expressément les clauses dans ces mêmes conventions ou accords stipulant que la détermination ou la révision de salaire se fait par indexation sur le Smic, l'inflation ou sur le prix de biens, services ou produits.
II - La position de la rapporteure et de la commission
A. Le système français des négociations salariales dont les défaillances ont été révélées par la poussée inflationniste de 2022 et 2023
1. Un pouvoir d'achat affecté lors des poussées inflationnistes des dernières années
Lors de la décennie 2010-2020, le salaire mensuel de base (SMB) et le salaire horaire de base des ouvriers et des employés (SHBOE) ont évolué plus rapidement que l'inflation - à l'exception de 2018. Cette tendance s'est complétement inversée de 2021 à 2023 ainsi que le montre le graphique ci-dessous.
Glissement annuel des salaires et des prix à la consommation (2021-2024)
En pourcentage
Source : Commission des affaires sociales du Sénat, d'après les données de la Dares (enquête trimestrielle Acemo) et Insee.
La rapporteure constate qu'en conséquence la poussée inflationniste des dernières années a entrainé une baisse importante du pouvoir d'achat des salaires nets. Selon l'Insee, la chute de 2022 du salaire net moyen (- 1,0 %) est la plus importante depuis 1996, à l'exception du repli de 202119(*). En 2023, la hausse des salaires nets est restée inférieure à l'inflation : dès lors, le salaire net moyen en euros constants a baissé de nouveau de 0,8 %. L'Insee note ainsi qu'« au total, le pouvoir d'achat du salaire net moyen est égal en 2023 à son niveau de 2019 »20(*). Plus globalement, le pouvoir d'achat du revenu disponible brut par unité de consommation a décru de 0,4 % en 2022 et n'a augmenté que de 0,3 % en 202321(*).
Cette baisse du pouvoir d'achat a toutefois pris fin au dernier trimestre de 2023 et en 202422(*). Le rattrapage entamé ne sera cependant pas complet, comme le note l'économiste Jonathan Marie dans les réponses au questionnaire de la rapporteure, en raison de la diminution de la dynamique des hausses salariales négociées. Ces dernières, selon les dernières projections macroéconomiques de la Banque de France23(*), ne progresseraient que de 2,7 % en glissement annuel au troisième trimestre 2024, alors qu'elles augmentaient de 4,8 % à la même période en 2023.
Accroissement annuel du salaire moyen annuel par tête dans le secteur marchand et l'évolution de l'inflation
Glissement annuel de série trimestrielle, en %
Source : Banque de France, Projections macroéconomiques de décembre 2024.
Selon Jonathan Marie, « cette progression devient alors très similaire à l'évolution de l'inflation (...), signifiant que le processus de progression des salaires réels s'arrête. Cette progression décevante des salaires est liée à la dégradation de la conjoncture macroéconomique, elle-même largement dégradée par la politique monétaire récessive menée depuis 2022. » Le risque de connaitre un rattrapage incomplet des pertes de salaire réel subies était d'ailleurs reconnu dès avril 2024 par le Haut Conseil des finances publiques (HCFP)24(*).
La rapporteure déduit donc que le système français d'interdiction de clause d'indexation des salaires sur le Smic ou sur l'indice général des prix ne permet pas d'éviter des pertes importantes de pouvoir d'achat pour les salariés. Le mécanisme de négociations salariales est à lui-seul défaillant.
2. En outre, les négociations salariales n'ont pas su éviter le tassement des salaires
La période de forte inflation des années récentes a conduit à une compression de la distribution des salaires observée depuis 2021 (voir graphique ci-après). Ce phénomène est notamment observé au niveau des salaires minima hiérarchiques (SMH) déterminés dans les conventions de branche. Comme le notait la mission d'information sur les négociations salariales de la commission : « ce resserrement est provoqué par les hausses successives du Smic et des premiers minima conventionnels, ainsi que par les moindres revalorisations s'appliquant sur les salaires élevés »25(*). En particulier, un phénomène de tassement des grilles salariales de branche se produit. Pour les branches du secteur général, l'éventail moyen total, exprimé par le ratio entre le salaire conventionnel maximal et le salaire conventionnel minimal, a baissé de 2,80 au 31 décembre 2021 à 2,68 au 31 décembre 202226(*).
Évolution de la distribution du salaire net en équivalent temps plein depuis 1996, en euros constants
Source : Rapport du groupe d'experts sur le Smic.
Au contraire, la rapporteure note qu'un mécanisme d'indexation de l'ensemble des salaires présente l'avantage de maintenir les écarts salariaux et d'éviter la compression de la distribution tout en protégeant les bas salaires d'une perte de pouvoir d'achat.
B. Un dispositif nécessaire pour préserver le salaire réel des travailleurs
1. Au contraire, une indexation du Smic qui a pu préserver le salaire réel au niveau des bas salaires
La diminution du pouvoir d'achat constaté en 2022 et 2023 a été croissante selon le niveau de rémunération. Ainsi, selon l'Insee, seuls les salaires en euros constants en bas de la distribution ont connu une relative stabilité en 2022 (- 0,1 % pour les rémunérations en deçà du 1er décile) à la faveur des revalorisations automatiques du Smic à hauteur de l'inflation. Le même phénomène s'est produit en 2023. Le pouvoir d'achat des salaires des deux premiers déciles a même légèrement crû (+ 0,3% pour le premier décile et + 0,1 % du second)27(*). L'indexation a donc bien permis de protéger les salariés de l'inflation au coeur de la crise.
2. Un salaire réel des travailleurs belges et luxembourgeois bien protégés
L'indexation des salaires en Belgique et au Luxembourg ont permis efficacement de limiter les pertes de salaires réels en 2022 et 2023, ainsi que l'ont révélé les travaux de la rapporteure. Bien entendu, des pertes provisoires, inhérentes à toute indexation, sont présentes au sein des deux pays et notamment au Luxembourg le temps que la tranche indiciaire soit dépassée. Toutefois, le graphique ci-dessous souligne que la Belgique et le Luxembourg sont les pays où le salaire réel moyen a le plus progressé en 2023 alors même qu'il avait déjà moins chuté en 2022 que la moyenne de la zone euro.
Évolution des salaires réels dans différents pays européens
Source : Graphique transmis par Bernard Conter et Jean Faniel
C. Des craintes économiques qui ne résistent pas à l'épreuve des faits
Dans le cadre de ses travaux, la rapporteure a bien noté la crainte répétée par le patronat ou par les administrations d'une boucle prix-salaire. Elle regrette que ces arguments peu originaux - déjà étaient-ils avancés lors de l'examen parlementaire de la loi de 1952 pour écarter une l'échelle mobile des salaires28(*) - soient plus empreints d'idéologie qu'étayés scientifiquement.
Le débat théorique sur la possibilité d'une spirale inflationniste n'est en réalité pas tranché. Certes, une partie de la littérature pointe le risque d'un emballement de l'inflation. Toutefois, une autre partie met en avant qu'un tel risque est en réalité surestimé et qu'un mécanisme d'indexation ne provoque pas à lui seul des hausses de prix29(*). Selon l'économiste Jonathan Marie, « cette boucle ne peut survenir que si on observe simultanément un fort pouvoir de négociation des travailleurs et un fort pouvoir de marché des entreprises. (...) La situation actuelle est marquée par une faiblesse historique du pouvoir de négociation des travailleurs ; elle n'offre donc pas les caractéristiques favorisant l'émergence d'une telle spirale ».
Enfin, les faits viennent contredire cette crainte. D'une part, les véritables spirales inflationnistes sont très rares ; selon le fonds monétaire international (FMI)30(*), sur vingt-deux épisodes inflationnistes étudiés, seuls trois présentent les apparentes de spirales prix-salaires.
D'autre part, les mécanismes d'indexation en Belgique ou au Luxembourg ne créent pas de telle spirale prix-salaire. Si l'inflation est certes structurellement supérieure en Belgique que dans les autres pays européens - en raison notamment du coût plus élevé des prix de l'énergie -, la désinflation en Belgique a également eu lieu à partir de 2023 sans aucun enclenchement d'une boucle prix-salaire.
Évolution des prix à la consommation
en France, Belgique, Allemagne
et au sein de la zone Euro.
Source : Ulysse Lojkine, « Indexation des salaires sur l'inflation : structurer un débat », Le grand continent, 19 juin 2024.
C. Un mécanisme facteur de paix sociale, à rebours des inquiétudes sur la détérioration du dialogue social
La rapporteure considère que le dispositif prévu au présent article ne portera pas atteinte à la qualité du dialogue social et aux négociations salariales.
Là encore, les exemples étrangers viennent contredire certaines anxiétés dogmatiques. Ainsi, Bernard Conter et Jean Faniel, chercheurs, pointent-ils s'agissant de la situation belge : « le mécanisme a aussi un effet pacificateur sur les relations sociales dans les secteurs et entreprises. Ce qui, ailleurs, fait l'objet de négociations, parfois entourées de tensions sociales et de mouvements de grève, est routinisé en Belgique ». L'attachement culturel des salariés belges pour le mécanisme, confirmé par les syndicats entendus en audition, plaide en faveur d'une utilité sociale forte d'un tel dispositif.
Ce constat est également partagé au Luxembourg. Ainsi que l'OGBL l'a indiqué à la rapporteure lors de l'audition « l'indexation des salaires est une part importante de la paix sociale au Luxembourg ; lors des négociations collectives de branche, les syndicats en prennent compte ». La négociation peut donc se concentrer sur une augmentation au-delà de l'inflation.
Enfin, la rapporteure constate que les organisations syndicales représentatives au plan national et interprofessionnel entendues en audition et, pourtant attachées au dialogue social, soutiennent l'entrée en vigueur d'un dispositif d'indexation salariale soit comme une revendication de premier ordre - pour la confédération générale du travail (CGT), Force ouvrière (FO) et la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC) - soit, s'agissant de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) comme un « un filet de sauvetage nécessaire pour prévenir le décrochage des salaires en période d'inflation brutale ».
Pour toutes les raisons évoquées ci-avant, la rapporteure soutient le dispositif prévu au présent article. Elle a toutefois noté avec intérêt certains d'ajustement suggérés lors des auditions. Un tel dispositif d'indexation doit nécessairement être davantage précisé par d'autres dispositions légales ou par décret quant à la date d'échéance de son application ou son articulation avec l'indexation du Smic.
*
**
Pour autant, la commission n'a pas suivi la position de la rapporteure. Considérant, dans sa majorité que, sur le long terme, les négociations entre partenaires sociaux constituent le meilleur mode de détermination de l'évolution des salaires et que les effets pervers d'une administration du processus l'emportent sur ses avantages, elle n'a pas adopté le présent article.
La commission n'a pas adopté cet article.
Article
2
Indexation du point d'indice de la fonction publique
Cet article propose d'indexer la valeur du point d'indice de la fonction publique sur l'évolution du taux prévisionnel de l'indice des prix à la consommation des ménages.
La commission n'a pas adopté cet article.
I°- Le dispositif proposé
A. Le gel du point d'indice a conduit à un décrochage du pouvoir d'achat des fonctionnaires et des agents publics
1. Le point d'indice, un mécanisme d'indexation du traitement des agents publics à la discrétion du Gouvernement
La rémunération des agents publics est composée d'un traitement indiciaire, ou traitement de base, et d'une part indemnitaire constituée de mesures catégorielles, de primes et d'indemnités.
La part indiciaire se fonde sur les grilles de rémunération de fonctionnaires qui figurent dans le décret du 24 octobre 198531(*) et s'appliquent « aux magistrats, militaires, fonctionnaires et l'État, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d'hospitalisation agents de la fonction publique de l'État, de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière, à l'exclusion du personnel rétribué sur la base des salaires pratiqués dans le commerce et l'industrie ».
Les agents publics, situés au sein d'un corps, avancent de droit d'échelon et sous conditions de grade. Ainsi, à cette position sur l'échelle de la grille de rémunération correspond un indice brut, qui permet le calcul de la part indiciaire du traitement « en multipliant le centième de la valeur du traitement par l'indice majoré correspondant à leur grade ou emploi et échelon »32(*). Cette part de la rémunération est la plus importante et permet également le calcul d'autres éléments de rémunération.
Pour aboutir à la somme versée à l'agent public, il faut multiplier son indice majoré par la valeur du point d'indice. Cette dernière est fixée par voie règlementaire, et correspond au centième de la valeur de l'indice 100 majoré.
La valeur du point d'indice ne fait pas l'objet d'une indexation automatique, et contrairement au secteur privé33(*), il n'existe pas non plus de négociation annuelle obligatoire sur les rémunérations avec les représentants syndicaux.
Date |
En euros |
Évolution en % |
Mars 2002 |
52,13 |
- |
Décembre 2002 |
52,49 |
0,70 % |
Janvier 2004 |
52,76 |
0,50 % |
Février 2005 |
53,02 |
0,50 % |
Juillet 2005 |
53,28 |
0,50 % |
Novembre 2005 |
53,71 |
0,80 % |
Juillet 2006 |
53,98 |
0,50 % |
Février 2007 |
54,41 |
0,80 % |
Mars 2008 |
54,68 |
0,50 % |
Octobre 2008 |
54,85 |
0,30 % |
Juillet 2009 |
55,12 |
0,50 % |
Octobre 2009 |
55,29 |
0,30 % |
Juillet 2010 |
55,56 |
0,50 % |
Juillet 2016 |
55,90 |
0,60 % |
Février 2017 |
56,23 |
0,60 % |
Juillet 2022 |
58,20 |
3,50 % |
Juillet 2023 |
59,07 |
1,50 % |
Source : DGAFP
La garantie d'un traitement égale au Smic
Pour répondre à une exigence jurisprudentielle34(*), l'article 6 du décret du 24 octobre 1985 modifié a instauré, un indice minimum de traitement garantit aux agents publics occupant un emploi à temps complet un traitement qui garantit au moins égal à la valeur du Smic. Pour garantir le respect du Smic, seule la rémunération indiciaire brute, ou traitement indiciaire brut (TIB), est prise en compte.
Lorsque le TIB de l'agent est inférieur au montant du Smic pour un emploi à temps complet, l'article 1er du décret n° 91-769 du 2 août 1991 prévoit qu'il peut bénéficier d'une indemnité différentielle égale à la différence entre le montant mensuel du Smic brut. Ce dispositif est d'application automatique, sans nécessiter la mise en oeuvre d'un vecteur juridique.
Le Gouvernement peut également relever l'indice minimum de traitement fixé par le décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié relatif à la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d'hospitalisation, en deçà duquel aucun agent ne peut être rémunéré. Dans ce cas, lorsque l'IM d'un agent est inférieur à l'indice minimum de traitement, son TIB est automatiquement calculé par référence à cet indice minimum de traitement.
Source : DGAFP
2. Un lent décrochage du pouvoir d'achat des agents publics dû au gel prolongé du point d'indice
Compte tenu du coût budgétaire d'une augmentation du point d'indice, et de son caractère discrétionnaire, le Gouvernement a choisi depuis 2010 de le geler durant de longues périodes. Dans la période récente, et après cinq années de quasi-stagnation, deux hausses sont intervenues en juillet 2022 et juillet 2023, à hauteur de 3,5 % puis de 1,5 %. Il faut noter que ces revalorisations ne compensent absolument pas l'inflation sur la même période, puisque l'indice des prix à la consommation (IPC) a augmenté de 5,7 % en 202235(*) puis de 3,7 %36(*) en 2023.
Comparaison de l'évolution du point d'indice et de l'IPC depuis 1993
Source : Insee
De plus, du fait des revalorisations successives du Smic depuis 2020, les trois versants de la fonction publique subissent un tassement des grilles salariales similaire à celui observé au niveau des salaires minima hiérarchiques (SMH) dans le secteur privé. Pour exemple, près de 6,7 % du total des agents de la fonction publique d'État avait un traitement indiciaire brut (TIB) égal au Smic en mai 2023.
Nombre d'agents publics d'État donc le TIB est égal ou proche du Smic
Source : DGAFP
C'est le même constat qui a conduit la rapporteure Catherine Di Folco, dans son avis budgétaire relatif au programme « Fonction publique » de la mission « Transformation et fonction publiques » du projet de loi de finances pour 2024, à souligner « l'urgente nécessité d'une refonte des grilles indiciaires, eu égard notamment au phénomène de « tassement des grilles » induit par les revalorisations successives du Smic et de l'indice minimum de traitement dans un contexte d'inflation élevée »37(*). Afin de limiter ces phénomènes de tassement, la mise en place d'une indexation du point d'indice a l'avantage, en ce point, de ne pas nécessiter une remise à plat complexe des grilles, qui induirait nécessairement des perdants.
B. Le dispositif proposé : une indexation du point d'indice de la fonction publique sur l'évolution anticipée de l'indice des prix
Le présent article propose d'indexer la valeur du point d'indice de la fonction publique sur l'évolution prévisionnelle de l'indice des prix à la consommation des ménages38(*) qui est annexé au projet de loi de finances, arrondi au demi-entier supérieur. La disposition permet, par ailleurs, au Gouvernement d'augmenter le point d'indice dans une large proportion sur une base discrétionnaire.
D'après les données fournies par la direction générale de l'administration et de la fonction publique, le coût direct de cette indexation en 2024 aurait été de 5,04 millions d'euros. Ce montant, qui peut paraître conséquent, est cependant à remettre en perspective avec les masses financières en jeu : la même année, le solde du glissement vieillesse-technicité39(*) (GVT) représentait une augmentation de 505 millions d'euros, tandis que le coût des créations de postes s'élevait à 447 millions d'euros. Plus largement, cette augmentation aurait seulement représenté 0,3 % des dépenses des administrations publiques en 2024.
Par ailleurs, une évaluation du coût de cette mesure devrait, pour être exacte, prendre en compte de nombreux autres paramètres. Il est nécessaire de prendre en compte les effets indirects de ces réévaluations salariales sur l'économie via la consommation des agents publics et le surplus de recettes fiscales. De même, il est raisonnable de considérer qu'une augmentation régulière du point d'indice conduirait à une diminution des mesures dites « catégorielles », qui tendent en partie à pallier l'absence de revalorisation du point d'indice, telles que la prime de pouvoir d'achat exceptionnelle, la mesure de garantie individuelle du pouvoir d'achat (Gipa) ou encore la revalorisation de 50 % à 75 % de la prise en charge des transports collectifs des agents de l'État. Ces mesures représentaient, à elles seules, 3,705 milliards d'euros en 2025.
Enfin, il faut noter que l'indexation du point d'indice aurait un effet non négligeable sur les cotisations employeurs et salariales, et donc sur l'équilibre des régimes de retraite des agents publics (service des retraites de l'État, Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales, régime additionnel de la fonction publique et retraite de base du régime général des travailleurs salariés pour les contractuels).
III - La position de la rapporteure et de la commission
La rapporteure considère que le dispositif prévu au présent article est nécessaire à plusieurs titres. D'abord parce que le décrochage du pouvoir d'achat des agents publics est parfaitement documenté, et qu'il fait l'objet d'un consensus entre les économistes et ce même jusqu'au sein de l'administration. Durant les vingt-dernières années, l'évolution du point d'indice n'a pas suivi le niveau moyen des revalorisations salariales, pas plus que l'évolution de l'IPC. Cette absence de revalorisation s'est traduite par une multiplication des mesures catégorielles, et des primes exceptionnelles, entraînant à la fois la précarisation des agents publics et les risques d'iniquités entre ses différents corps.
Par ailleurs, il n'est pas entendable d'exiger une indexation des salaires de la part des employeurs, sans que l'État ne se montre exemplaire en la matière également. A ce titre, il faut noter que la mise en place d'une négociation annuelle obligatoire, à l'instar de ce qui existe pour l'ensemble des branches représentatives, n'a toujours pas été actée par le Gouvernement en dépit des promesses répétées.
Plus fondamentalement, la rapporteure souligne que l'existence même d'un point d'indice, à partir duquel sont calculés les traitements des agents publics, vise précisément à en permettre une indexation simple et immédiate. L'augmentation du point d'indice était d'ailleurs, jusqu'au début des années 2010, quasiment systématique chaque année. Ce mécanisme explique que la mise en oeuvre du présent article, contrairement à celui qui concerne le secteur privé, ne nécessiterait même pas de déclinaison réglementaire.
La rapporteure est en outre consciente que la mise en place d'une indexation du point d'indice représenterait une charge réelle pour les employeurs publics que sont les collectivités territoriales et les hôpitaux. C'est pour cela que l'article 5 de la présente loi vise à gager cela par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement. Bien qu'elle ait conscience que les règles financières ne permettent pas de gager une charge, elle insiste sur l'importance pour l'État de prendre cette part des augmentations de la masse salariale des collectivités territoriales afin de ne pas dégrader la qualité des services publics concernés.
*
**
Dans sa majorité, la commission n'a cependant pas suivi la position de la rapporteure. Elle n'a pas adopté le présent article au regard, notamment, de son coût budgétaire dans une période très délicate pour les finances publiques.
La commission n'a pas adopté cet article.
Article
3
Obligation d'une négociation annuelle relative aux salaires
Cet article vise à imposer la tenue annuelle de négociations sur les salaires au niveau des branches professionnelles. Il propose également de réaffirmer l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes que ces négociations doivent prendre en compte. Enfin, il précise qu'aucun minimum de branche ne doit être fixé en dessous du Smic.
La commission n'a pas adopté cet article.
I°- Le dispositif proposé
A. L'état du droit
1. Les négociations salariales au niveau des branches
a) Le droit
En application de l'article L. 2241-8 du code du travail, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels doivent engager des négociations sur les salaires. Les dispositions législatives, qui résultent de la loi du 13 novembre 198240(*), portaient historiquement une obligation de négociation annuelle obligatoire (NAO).
Les réformes introduites par les ordonnances dites « Macron »41(*) sont toutefois revenues sur cette annualité de la négociation sur les salaires. Cette nécessité est désormais supplétive en l'absence d'accord de méthode entre les parties déterminant une autre périodicité de négociation ou si les stipulations de ces accords ne sont pas respectées.
Les accords de méthode concernant les négociations salariales
En vertu des articles L. 2241-4 et L. 2241-5 du code du travail, les organisations liées par une convention de branche peuvent conclure un accord de méthode sur plusieurs thèmes dont les salaires. Les parties peuvent alors déterminer le contenu du thème, la périodicité des négociations, le calendrier et les lieux des réunions, les informations que les organisations professionnelles d'employeurs remettent aux négociateurs ainsi que les modalités selon lesquelles sont suivis les engagements souscrits par les parties. La durée de l'accord de méthode ne peut excéder cinq ans.
En absence d'accord de méthode, des obligations légales quant au contenu de la NAO s'imposent aux organisations liées par un accord de branche. La négociation doit ainsi être l'occasion d'examiner « l'évolution économique, la situation de l'emploi dans la branche, son évolution et les prévisions annuelles ou pluriannuelles établies (...), ainsi que l'évolution des salaires effectifs moyens par catégories professionnelles et par sexe, au regard, le cas échéant, des salaires minima hiérarchiques »42(*). Ces négociations doivent également « [prendre] en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes, ainsi que les mesures permettant de l'atteindre43(*).
Enfin, même en cas d'accord de méthode, la loi prévoit une obligation d'ordre public absolu de mener des négociations salariales au niveau des branches au moins une fois tous les quatre ans44(*).
Si le code du travail impose que les négociations salariales fassent l'objet d'un « engagement sérieux et loyal », lequel « implique que la partie patronale ait communiqué aux organisations syndicales les informations nécessaires pour leur permettre de négocier en toute connaissance de cause et ait répondu de manière motivée aux éventuelles propositions des organisations syndicales »45(*), il ne dicte qu'une obligation de moyen, et non de résultat. L'absence d'accord n'est donc pas répréhensible juridiquement.
b) La pratique
Il convient de noter que les accords de méthode demeurent très peu utilisés sur la question des salaires si bien que, dans les faits, les négociations demeurent annuelles. Le rapport d'information de juin 2024 sur les négociations salariales de Frédérique Puissat et Corinne Bourcier au nom de la commission remarque ainsi :
« Introduits en 2017, les accords collectifs de méthode pouvant prévoir une négociation salariale moins récurrente, dans la limite d'une négociation tous les quatre ans, n'ont pas fait florès sur le thème des salaires ni dans les entreprises ni dans les branches. Aucune des personnes auditionnées par les rapporteures n'a eu connaissance de la conclusion d'un tel accord sur les questions salariales. Trop attachées aux négociations salariales, les organisations syndicales ne sont pas désireuses d'espacer les temps de discussions sur ce sujet central »46(*).
2. La conformité au Smic des salaires minima hiérarchiques
Les revalorisations du Smic sont des mesures d'ordre public qui priment donc les salaires minima hiérarchiques (SMH) définis par les conventions de branches et le salaire fixé par le contrat de travail.
En application de l'article L. 2241-10 du code du travail, lorsque le minimum conventionnel des salariés sans qualification est inférieur au Smic, les organisations liées par une convention de branche ou, à défaut, par des accords professionnels sont tenues de se réunir pour négocier sur les salaires.
Ainsi que le note la DGT, qui opère un suivi régulier de la négociation salariale de branche, « les revalorisations successives du Smic conduisent de nombreuses branches à basculer en situation de non-conformité, mais (...) la dynamique des négociations se poursuit toute l'année ». Ces situations de non-conformité au Smic des branches conventionnelles se sont multipliées depuis 2022 en raison de la période de forte inflation. En outre, certaines branches présentent un état de non-conformité structurelle en ce qu'elles disposent d'au moins un minimum conventionnel en deçà du Smic depuis plus d'un an.
Les gouvernements successifs depuis 202247(*) ont insisté sur la nécessité d'inciter les branches non conformes à conduire des négociations salariales fructueuses. La loi du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat48(*) dispose notamment que l'insuffisance d'accords collectifs tendant à mettre les minima conventionnels en conformité avec le Smic doit être considéré comme une condition permettant d'engager la fusion administrative de branches, en ce qu'elle dénote une faiblesse de l'activité conventionnelle.
Évolution du nombre de branches
professionnelles49(*)
en état
de non-conformité au Smic selon le suivi
opéré par la DGT
entre décembre 2021 et janvier
2025
Source : Direction générale du travail, réponse au questionnaire de la rapporteure
B. Le dispositif proposé
Le premier alinéa impose aux organisations liées par une convention de branche ou un accord professionnel de se réunir annuellement pour négocier sur le niveau des salaires.
Le second alinéa précise que ces négociations prennent en compte l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Enfin, le dernier alinéa dispose que ces négociations doivent « s'assur[er] qu'aucun minimum de branche ne soit fixé en dessous du salaire minimum de croissance, hors primes versées par l'employeur ».
II - La position de la rapporteure et de la commission
La rapporteure accueille favorablement cet article qui vise à réaffirmer le rôle essentiel des négociations salariales au niveau de branches pour assurer un salaire décent aux salariés d'un secteur malgré l'inflation.
La rapporteure constate que le présent article propose de revenir à l'état de la législation antérieur à 2017 et à une obligation annuelle inéquivoque de négociations salariales au niveau des branches. Si, dans les faits, ces négociations n'ont jamais cessé d'être annuelles, cet article permettrait de faire coïncider le droit et la pratique.
En outre, la rapporteure déplore que de trop nombreuses branches professionnelles demeurent chaque année en état de non-conformité. Au 1er janvier 2024, 45 % des branches du secteur général n'étaient pas conformes dont 12 % depuis plus de six mois50(*). Cet article établirait une obligation claire pour ces négociations de mettre tous les SMH en conformité avec le Smic. Il permettrait donc de créer une exigence de résultat, là où la loi n'établit qu'une obligation de moyens, ce que les représentants d'organisations syndicales, entendus en audition, ont déploré.
La commission n'a pas adopté cet article.
Article
4
Minoration de la réduction dégressive des cotisations
patronales selon
le respect de l'augmentation annuelle des salaires
Cet article propose de réduire à due concurrence l'allègement dégressif dont bénéficient les employeurs en deçà de 1,6 Smic dans le cas où l'augmentation annuelle des salaires n'est pas respectée.
La commission n'a pas adopté cet article.
I°- Le dispositif proposé
A. La réduction générale de cotisations patronale bénéficie à l'ensemble des employeurs, sans conditions
Les premiers allègements de cotisations sociales se sont concentrés sur les seuls travailleurs rémunérés au niveau du Smic, dès 1993, les cotisations d'allocations familiales ont ainsi été supprimées51(*) entre 1 et 1,1 Smic, et réduites de moitié jusqu'à 1,2 Smic. Cette logique visait initialement à protéger les emplois peu qualifiés, ce qui explique qu'ils soient considérés comme « généraux » puisque concernant l'ensemble des entreprises du secteur marchand. Cependant, ils ont progressivement vu leur périmètre élargis, en remontant les seuils de salaire qui en bénéficient, notamment via les allègements dits « Fillon »52(*) qui les portent à 1,6 Smic.
Résumé de l'empilement des différents allègements dits généraux
Date |
Dispositif |
Allègement |
Périmètre |
1995 |
« Ristourne Juppé »53(*) |
Modifie l'allègement de 1993 avec une exonération de cotisations sociales patronale dégressive pouvant aller jusqu'à 18,2 % |
Jusqu'à 1,33 puis 1,3 Smic |
2000 |
Accompagnement de la réduction du temps de travail54(*) |
Dispositif additionnel d'exonération dont le taux maximal est de 26 % pour les entreprises réduisant leur temps de travail |
Jusqu'à 1,8 Smic |
2003 |
Allègements Fillon55(*) |
Fusion des dispositifs préexistants en une réduction unique avec un taux maximal d'exonération de 26 % |
Jusqu'à 1,6 Smic |
2014 |
Allègements généraux dits « zéro charge Urssaf au niveau du Smic »56(*) |
Extension du champ des cotisations concernées par le taux maximal à la somme des taux des cotisations maladie, vieillesse, famille, AT-MP (part hors accidentalité), de la contribution au Fonds national d'aide au logement (FNAL) et de la contribution solidarité autonomie (CSA) |
Jusqu'à 1,6 Smic |
2019 |
Extension des exonérations hors champs du champ des régimes obligatoires de base de sécurité sociale (Robss)57(*) |
Extension du champ de cette réduction générale aux cotisations de retraite complémentaire et aux contributions patronales d'assurance chômage |
Jusqu'à 1,6 Smic |
Source : Rapport d'information de la commission des affaires sociales
À la faveur des revalorisations successives du Smic, montant à l'aune duquel les allègements généraux sont calculés, le volume de moindres recettes pour la sécurité sociale n'a cessé d'augmenter. En 2023, ils avoisineraient les 75 milliards d'euros selon le rapport d'Antoine Bozio et Etienne Wasmer58(*), ce qui en fait l'équivalent de la troisième dépense du budget de l'État.
Évolution du montant des exonérations patronales entre 2004 et 2022 (en Md €)
Face à ce constat, plusieurs voies ont été envisagée afin de réguler ce montant, ou d'en renforcer l'incitativité pour les employeurs.
L'article 20 de la LFSS pour 2024 a procédé au gel des bandeaux maladie59(*) et famille60(*), afin de désigner les seuils d'application des réductions par un montant en euros et non plus par un multiple du Smic. Cette évolution permet de limiter, à la marge, l'augmentation des dépenses fiscales induites par l'augmentation du Smic chaque année.
Lors de la commission mixte paritaire du PLFSS pour 2025, les membres de la CMP ont adopté une proposition de rédaction du député Jérôme Guedj (Socialistes et apparentés), qui visait à calculer les allègements généraux dont bénéficient les entreprises d'une branche donnée sur la base du salaire minima hiérarchique (SMH) lorsque ce dernier n'est pas au moins égal au Smic. Cette disposition, qui n'a pas été conservée dans le texte sur lequel le Gouvernement a engagé sa responsabilité au titre du 3ème alinéa de la Constitution, permettait d'inciter les employeurs à négocier au sein de la branche, ou par accord d'entreprise, sur le niveau des SMH.
Il faut souligner qu'une mesure équivalente avait déjà été adoptée au sein de la loi du 3 décembre 2008 en faveur des revenus du travail61(*) mais qu'elle n'est jamais entrée en vigueur faute de décret d'application.
B. La mise en place d'une conditionnalité de respect de l'indexation des salaires en vue du bénéfice des allègements généraux
Le présent article propose de compléter l'article L. 241-13 du code de la sécurité sociale, afin de préciser que la réduction de cotisation patronale dont bénéficient les employeurs en dessous de 1,6 Smic est minorée à due proportion du non-respect de l'augmentation annuelle des salaires au niveau de l'IPC hors tabac.
Concrètement, et bien que cela suppose une précision par voie règlementaire, cela reviendrait à déduire de l'avantage social de 26 points de pourcentage de cotisations employeurs l'équivalent de l'inflation attendue en loi de finances de l'année. Ainsi, les employeurs seraient incités à augmenter leurs salariés au niveau de l'inflation, plutôt que de voir augmenter les cotisations dont ils s'acquittent dans la même proportion.
II - La position de la rapporteure et de la commission
Le dispositif proposé par cet article se rapproche en grande partie du mécanisme récemment adopté dans le cadre de la CMP du PLFSS pour 2025. La seule différence réside dans le fait qu'il s'agit de l'augmentation de l'ensemble des salaires, et non des seuls minima hiérarchiques. À ce titre, la rapporteure rappelle que près de 2 % des salariés ne sont couverts par aucune branche, ce qui plaide pour la référence à l'ensemble des salaires.
Par ailleurs, puisque le montant des réductions générales a augmenté plus vite que l'inflation durant les dernières années, il ne paraît pas anormal d'inciter les employeurs à procéder à des augmentations visant à maintenir le pouvoir d'achat de leur salarié. En somme, ce dispositif semble permettre d'internaliser l'externalité négative pour la collectivité que représente la « trappe à bas salaire » de notre système socio-fiscal.
La commission n'a pas adopté cet article.
Article 5
Gage financier de la proposition de
loi
Cet article gage les conséquences financières de l'adoption de la présente proposition de loi sur une augmentation de la fiscalité sur les produits du tabac.
La commission n'a pas adopté cet article.
L'article 5 gage au II et au III l'incidence de la proposition de loi, respectivement, sur les finances de l'État et des organismes de sécurité sociale par une augmentation de la fiscalité sur les produits du tabac.
Le I du présent article entend compenser les pertes de recettes pour les collectivités territoriale par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
La commission n'a pas adopté cet article.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mercredi 12 février 2024, sous la présidence de M. Philippe Mouiller, président, la commission examine le rapport de Mme Silvana Silvani, sur la proposition de loi (n° 208, 2024-2025) visant à indexer les salaires sur l'inflation.
M. Philippe Mouiller, président. - Mes chers collègues, notre ordre du jour appelle l'examen du rapport de notre collègue Silvana Silvani sur la proposition de loi visant à indexer les salaires sur l'inflation, déposée par Mme Cathy Apourceau-Poly et plusieurs de ses collègues du groupe CRCE-K. Ce texte est inscrit dans le cadre de l'espace réservé du groupe CRCE-K le mercredi 19 février à seize heures trente.
Mme Silvana Silvani, rapporteure. - La proposition de loi de notre collègue Cathy Apourceau-Poly et des autres membres du groupe CRCE-K prévoit de mettre en place une indexation sur l'inflation des salaires et du point d'indice des fonctionnaires. Cette indexation, aussi appelée « échelle mobile des salaires », ne doit pas faire l'objet de contresens. Comme l'ont bien exprimé les représentants syndicaux que j'ai auditionnés, elle correspond non pas à une augmentation de salaire, mais à un maintien du pouvoir d'achat des travailleurs.
Entendons-nous d'abord sur des constats objectifs. La poussée inflationniste survenue en 2022 et 2023 a provoqué une précarisation importante des salariés du secteur privé. L'évolution de l'indice des prix a été supérieure à celle du salaire moyen annuel par tête. En conséquence, ce dernier a chuté de 1,0 % en 2022 et de 0,8 % en 2023. La diminution du pouvoir d'achat n'a toutefois pas été uniforme : en bas de la distribution des salaires, les revalorisations automatiques du Smic - il est indexé sur l'inflation -, ont permis de stabiliser le salaire réel des travailleurs concernés.
Cette situation a provoqué une compression de la distribution des salaires : la part de salariés rémunérés au niveau du Smic, qui a atteint le pic historique de 17,3 % en 2023, reste à un niveau élevé de 14,6 % au 1er janvier 2024. Les négociations salariales au niveau des branches ou des entreprises ne peuvent donc pallier l'absence d'échelle mobile des rémunérations pour éviter tout tassement des grilles salariales.
Au niveau des branches, les salaires minima hiérarchiques (SMH) ont souvent été, lors de la période inflationniste, en état de non-conformité au Smic. Au 1er janvier 2024, 45 % des branches du secteur général n'étaient pas conformes, dont 12 % depuis plus de six mois. Il s'agit pourtant là d'une obligation légale sur laquelle les représentants syndicaux ont insisté.
Dans la fonction publique, le constat est encore plus alarmant. Le point d'indice, à partir duquel sont calculés les traitements des fonctionnaires, peut être augmenté à la discrétion du Gouvernement. Si cette augmentation a été quasi annuelle jusqu'en 2010, les gouvernements successifs ont depuis choisi de geler le point d'indice durant de longues périodes, avec pour conséquence une perte progressive de pouvoir d'achat pour les agents publics. Ainsi, les deux seules hausses des huit dernières années, en 2022 et 2023, respectivement à hauteur de 3,5 % et 1,5 %, ne compensent même pas l'inflation de la seule année 2022. De même, selon l'Insee, entre 2012 et 2022, le salaire net moyen des fonctionnaires a augmenté de 1,4 % quand celui des salariés augmentait de 4 % et l'inflation de 14 %.
Permettez-moi également de réfuter quelques contre-vérités historiques. Il est souvent dit que l'échelle mobile des salaires a existé en France et qu'elle a nourri l'inflation, ce qui a justifié son abrogation. Il est vrai que le débat a souvent animé les syndicats et que le sujet fut débattu plusieurs fois au Parlement, notamment dans les années 1950. En réalité, la loi du 18 juillet 1952 a mis en place un mécanisme d'indexation du salaire minimum interprofessionnel garanti (Smig). Concomitamment, le législateur a autorisé les conventions collectives à contenir des clauses d'indexation automatique et quelques branches professionnelles se sont alors saisies de cette liberté contractuelle. Si l'indexation du salaire minimum légal a perduré, les clauses d'indexation sur l'inflation ou sur le Smic dans les conventions collectives furent, quant à elles, interdites : une première fois, en droit, par une ordonnance de 1958, puis lors du tournant de la rigueur en 1982. Je m'étonne que le législateur fasse aujourd'hui encore obstacle à un accord validement conclu entre syndicats et patronat en la matière.
La proposition de loi que nous examinons vise à répondre, en partie, aux problèmes que je viens d'exposer. L'article 1er prévoit une indexation annuelle des salaires du secteur privé sur le taux prévisionnel d'inflation. Il prévoit également de mettre fin à l'interdiction, contenue dans le code du travail, des clauses conventionnelles comportant une indexation automatique des salaires sur le Smic.
L'article 2 a pour objet d'indexer la valeur du point d'indice de la fonction publique sur l'inflation prévisionnelle. Le coût de cette indexation, qui aurait été de 5 milliards d'euros en 2024 pour les employeurs publics, doit être relativisé. En effet, en l'absence d'un tel dispositif, près de 3,5 milliards d'euros ont été utilisés pour des mesures dites catégorielles, afin de maintenir le pouvoir d'achat des fonctionnaires via diverses primes et mesures d'urgence.
L'article 3 impose la tenue annuelle de négociations sur les salaires au niveau des branches professionnelles et réaffirme l'objectif d'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. Enfin, il précise qu'aucun minimum de branche ne doit être fixé en dessous du Smic.
Enfin, l'article 4 vise à inciter les employeurs à augmenter les salaires à la mesure de l'inflation ou à réduire, dans le cas contraire, les allègements généraux de cotisations patronales dont ils bénéficient. Cette mesure poursuit la même logique que celle qui a été proposée par le député Jérôme Guedj et qui a été retenue dans le compromis issu de la commission mixte paritaire à l'article 6 du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).
Parmi les arguments avancés par les adversaires de l'indexation figure en bonne place le fameux risque d'une boucle prix-salaire. Rien de nouveau sous le soleil, puisque cette rengaine était déjà avancée lors de l'examen parlementaire de la loi de 1952... En réalité, la flambée inflationniste des années 1950 était due en grande partie à la guerre de Corée, soit à un choc exogène comparable aux sous-jacents de l'inflation des années 2022 et 2023.
Il ressort de mes auditions que le débat sur la possibilité d'une spirale inflationniste n'est pas tranché. Une partie de la littérature scientifique met en avant qu'un tel risque est en réalité surestimé et qu'un mécanisme d'indexation ne provoque pas à lui seul la hausse des prix. Surtout, cette objection ne résiste pas à l'épreuve des faits. Les mécanismes d'indexation existant en Belgique ou au Luxembourg ne créent nullement une telle spirale, quand bien même ils remontent respectivement à 1919 et 1921. La désinflation en Belgique a eu lieu comme en France à partir de 2023 sans qu'aucun phénomène d'emballement ne se produise.
J'en viens à un point important. Certains contempteurs de l'indexation y voient une douce utopie, dispendieuse et inapplicable. Pourtant, aux frontières de mon département, au Luxembourg, une indexation automatique et générale des rémunérations est enclenchée chaque fois que l'indice des prix à la consommation nationale franchit le seuil de 2,5 %. De même, en Belgique, des commissions paritaires pilotent, secteur par secteur, le mécanisme d'indexation qu'elles ont choisi. Or la Belgique est le pays européen où le salaire réel moyen a le plus progressé en 2023, alors même qu'il avait déjà moins diminué en 2022 que la moyenne de la zone euro. Nos voisins ont donc su trouver une solution pour protéger le pouvoir d'achat de l'ensemble de leurs salariés, les invitant - les plus cinéphiles d'entre nous apprécieront -, à dire : « merci patron ! »
Les organisations patronales, que je regrette de n'avoir pas pu auditionner, soulignent dans leurs contributions écrites le risque que l'indexation représente pour les entreprises. Or il faut mettre en avant également l'opportunité qu'elle constituerait. L'exemple de la Belgique démontre, là encore, que les marges des entreprises n'y sont pas nécessairement moindres, et que la consommation permise par ces hausses de salaire soutient efficacement la croissance.
Lors de leurs auditions, les administrations françaises se sont fait les relais du dogme libéral, suscitant des craintes diverses. Elles ont d'abord considéré que l'indexation des salaires était contre-nature, étrangère à la culture juridique française et nuisible au fonctionnement de la société. Les faits sont pourtant têtus. La non-indexation de la rémunération des 27 millions de salariés en France est à comparer aux 17 millions de retraités et aux 13 millions de bénéficiaires de prestations sociales, qui voient leurs prestations revalorisées chaque année au niveau de l'inflation. Ainsi considéré, il est plutôt étonnant que les actifs, qui travaillent, voient leur pouvoir d'achat moins bien protégé que les autres parties de la population.
Selon ses détracteurs, l'indexation des salaires nuirait par ailleurs au dialogue social, en dépossédant les partenaires sociaux d'une prérogative qui leur serait propre. On peut leur répondre que les sujets de dialogue social, que ce soit au niveau de la branche ou de l'entreprise, ne manquent pas. Il faut au contraire faire confiance aux partenaires sociaux pour mettre à profit le temps ainsi économisé pour évoquer d'autres points d'intérêt.
Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi est bienvenue, utile et même nécessaire.
Enfin, et bien qu'aucun amendement n'ait été déposé à ce stade, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution. Je considère que ce périmètre comprend des dispositions relatives à l'indexation des salaires du secteur privé et du point d'indice de la fonction publique sur l'inflation ; aux modalités d'organisation et au contenu des négociations salariales au niveau des branches professionnelles ; au conditionnement des allègements généraux de cotisations sociales patronales au niveau de salaire ou au mécanisme de négociations salariales dans les entreprises ou dans les branches.
Mme Frédérique Puissat. - Cette proposition de loi présente une configuration économique et sociale correspondant à des valeurs et à des idées politiques que nous respectons, sans pour autant les partager. Corinne Bourcier et moi avons d'ailleurs fait, dans le cadre d'une mission d'information sur les négociations salariales, des propositions qui ne vont pas dans ce sens. En France en effet, nous n'administrons pas les salaires. Ces derniers sont fixés librement, dans le cadre d'un contrat de travail, dans le respect du Smic, des grilles salariales d'entreprise et bien entendu d'une négociation salariale qui donne lieu à des conventions de branche.
C'est grâce à ce système, d'ailleurs, que nous évitons le décrochage. Ainsi, les salaires dans le secteur privé ont été revalorisés de 4,6 % en 2023 et de 3,5 % en 2024. Pour 2025, les revalorisations devraient être supérieures à l'inflation. Nous avons donc un système et un dialogue social qui fonctionnent et qui nous permettent d'être compétitifs.
Je le dis d'autant plus que la commission des affaires économiques vient d'auditionner la branche chimie et que nous avons vu à quel point les questions de coût du travail, de simplification et de dialogue social devaient se régler à l'échelle des branches. Si nous voulons gagner des parts de marché, préserver nos emplois et nos industries, nous devons rester dans cette logique de souplesse, qui s'adapte aux branches et à la concurrence.
Cela ne veut pas dire pour autant que nous sommes indifférents aux enjeux de pouvoir d'achat. Nous considérons que la solution proposée au travers de cette proposition de loi n'est pas la bonne. Comme vous l'avez dit, elle a été expérimentée dans les années 1950 et jusqu'au début des années 1980, et c'est même un gouvernement de gauche qui est revenu sur cette logique. Nous sommes donc alignés avec la gauche de 1983 et proposerons de voter contre cette proposition de loi.
Nous sommes toutefois heureux de ce débat, qui apportera des éclairages. Nous avons discuté, à l'occasion du projet de loi de finances, des difficultés rencontrées par les collectivités territoriales et de notre capacité à maintenir les fonds que nous leur consacrons. En l'occurrence, si nous adoptions cette proposition de loi, nos collectivités ne pourraient pas l'appliquer.
Madame la rapporteure, je voudrais enfin rétablir une vérité. Les branches dans lesquelles les revalorisations salariales sont en deçà de l'inflation sont au nombre de trois. Le dialogue social fonctionne dans notre pays, et nous devons le préserver.
Mme Monique Lubin. - Cette proposition de loi me semble particulièrement intéressante. Elle pointe en effet un problème : en période d'inflation, les employeurs ne se posent pas la question de répercuter ou non la montée des prix, par exemple des matières premières. Dans les entreprises de production, ils sont bien obligés de faire avec et donc d'augmenter le prix de leurs produits pour faire vivre leur entreprise. La seule question qu'un certain nombre d'employeurs - pas tous - ne se posent pas est celle de l'augmentation des salaires.
Ne soyons pas angéliques. Oui, le dialogue social se passe bien dans de nombreuses entreprises. Oui, certaines ont augmenté les salaires au regard de l'inflation. Mais il y en a aussi beaucoup qui n'ont rien fait, notamment dans les secteurs du commerce et de l'artisanat. Les entreprises de ces secteurs avaient pourtant augmenté leurs tarifs pour répercuter la hausse du coût des fournitures, mais l'augmentation des salaires étant facultative, les salariés n'en ont pas bénéficié. Ils ont donc perdu en pouvoir d'achat.
Dans ce contexte, je veux bien faire confiance au dialogue social et aux employeurs. On ne peut pas continuer à dire que l'on est conscient du problème et ne pas tenter d'y remédier. Je ne suis pas favorable à une « économie administrée ». Pour autant, j'estime qu'une disposition légale obligeant tout employeur à indexer l'ensemble des salaires au minimum sur l'inflation serait bienvenue.
J'ai bien conscience des problèmes que la mise en oeuvre de cette mesure pourrait poser. J'ai également retenu des auditions que l'effet inflationniste d'une augmentation des salaires n'était pas avéré. Je proposerai donc à mon groupe de voter cette proposition de loi. Elle permettra d'ancrer le débat et, peut-être, d'inscrire certaines dispositions dans la loi, y compris dans des modalités légèrement différentes de celles que proposent nos collègues.
Quant au secteur public, il fait face à des difficultés budgétaires sur l'origine desquelles je ne m'étendrai pas. Néanmoins, pouvons-nous décemment considérer que les agents publics ne sont pas des salariés comme les autres et qu'ils ne bénéficient jamais d'augmentations, au prétexte que les finances de l'État ou des collectivités territoriales sont en mauvais état ?
Mme Cathy Apourceau-Poly. - Exactement !
Mme Monique Lubin. - Demandons-nous plutôt comment nous pouvons améliorer nos finances publiques et en faire profiter nos agents, qui le méritent bien.
M. Olivier Henno. - Ce sujet est totalement légitime et mérite discussion sur le plan économique, car, en effet, les principaux perdants de l'inflation sont les salariés qui vivent de leur travail.
Ce sujet a un autre mérite, celui de nous rajeunir, et un bain de jouvence, à mon âge, cela ne se refuse pas ! Il a fait l'objet d'un grand débat lancé par Raymond Barre dans les années 1970 et 1980, à un moment où l'inflation était à deux chiffres et où nous n'étions pas protégés par l'euro. C'est paradoxalement avec Jacques Delors et Pierre Mauroy, lors du tournant de la rigueur, que la décision de désindexer les salaires a été prise, afin de ralentir la machine infernale qui appauvrissait les Français. Cela a fonctionné, puisque l'inflation a baissé et que nous avons basculé dans une autre dimension économique. De mon point de vue, il serait extrêmement périlleux d'entrer à nouveau dans le cycle infernal de l'inflation.
On ne peut pas faire confiance au paritarisme et, comme aurait dit André Bergeron, ne jamais lui « donner de grain à moudre ». L'auteure de la proposition de loi pose une bonne question, mais la réponse est mauvaise. Il arrive parfois que l'enfer soit pavé de bonnes intentions.
Mme Raymonde Poncet Monge. - Il n'est pas étonnant que ce type de proposition de loi, souvent débattue au Parlement, revienne après un choc exogène. Au cours des auditions, nous avons vu s'affronter deux types de positions. D'un côté, celle des administrations, qui faute d'éléments, spéculent sur les effets d'une telle mesure sur la compétitivité des entreprises ; de l'autre celle de ceux qui, confirmés par leur expérience, pratiquent cette indexation. Je veux parler de ces pays qui ne me semblent pas être totalement administrés, le Luxembourg et la Belgique, où l'on considère d'ailleurs que le débat est en France très idéologisé.
Aujourd'hui, la boucle qui nous enserre est la boucle prix-profit. Pendant le choc inflationniste, nous avons vu des branches entières - l'agroalimentaire ou encore le transport - augmenter leurs prix de 110 % au prétexte de l'augmentation des prix de l'énergie. On nous avance souvent le fait que les salaires suivent. Ils suivent, certes, mais avec du retard. En attendant, les salariés doivent en quelque sorte payer l'augmentation des prix. Nous parlons bien d'une boucle prix-salaire et non d'une boucle salaire--prix.
D'après la direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), les salaires réels ne suivent plus l'inflation depuis 2017. Ils ont même baissé de 3 % à 4 %. Depuis la fin de l'indexation dans les années 1980, il y a eu certes des augmentations, mais le partage de la valeur ajoutée s'est fait au détriment des salariés. Quant aux marges des entreprises, elles augmentent également.
Par ailleurs, la négociation salariale ne doit pas être une course après les prix !
Mme Monique Lubin. - Absolument !
Mme Raymonde Poncet Monge. - La négociation salariale, c'est le moment où l'on devrait discuter partage de la productivité ou égalité entre les hommes et les femmes. Or les négociations annuelles obligatoires (NAO) sont polluées par cette course au maintien du pouvoir d'achat, qui est pourtant un minimum. On crée de la conflictualité là où, dans les pays précités, les négociations sont apaisées. En tant qu'économiste, je peux vous dire que les soubassements idéologiques d'une compétitivité-coût appuyée sur les bas salaires ne rendent pas service à l'économie française. Nous ferions mieux d'essayer de monter en gamme et de rechercher une compétitivité hors coût plus intéressante. Quand votre coût salarial représente 10 % à 15 % de vos charges, une augmentation de 2 % ne devrait pas vous mettre à mal. Si tel est le cas, alors votre compétitivité globale est problématique.
Enfin, l'indexation des salaires aurait un effet sur la demande. Beaucoup d'industries - je pense à la restauration notamment - préféreraient que les salariés ne perdent pas pendant plusieurs années une partie de leur pouvoir d'achat.
Mme Brigitte Devésa. - L'intention sous-tendue par cette proposition de loi est louable. Nous sommes tous concernés par l'enjeu du pouvoir d'achat et il est indéniable que de nombreux Français voient ce dernier s'éroder chaque année en raison de l'inflation. Par ailleurs, la revalorisation automatique du Smic sans ajustement équivalent pour les autres salaires contribue largement à un nivellement par le bas. La classe moyenne, qui voit son écart de rémunération avec le Smic se réduire, nourrit un sentiment de déclassement. En 2021, 12 % des travailleurs percevaient le Smic. Ils sont aujourd'hui 17 %.
Cependant, la question n'est pas tant de savoir si cette mesure est souhaitable, mais plutôt si elle est viable. Or dans le contexte économique actuel, elle ne semble pas l'être. Tout d'abord, les entreprises, en particulier les plus petites, n'ont ni la trésorerie ni les marges nécessaires pour garantir une revalorisation automatique des salaires. Une telle contrainte pourrait les pousser à licencier, voire à fermer, entraînant une hausse du chômage qui serait contraire à l'objectif.
Par ailleurs, dans un contexte de forte compétitivité internationale, imposer une rigidité supplémentaire pourrait freiner notre réindustrialisation.
Enfin, concernant le secteur public, la situation budgétaire de l'État et des collectivités locales est déjà préoccupante. La revalorisation automatique des salaires de l'ensemble des fonctionnaires représenterait un coût de plusieurs milliards d'euros par an, soit une charge insoutenable pour les finances publiques.
Bien que cette proposition parte d'une intention légitime et compréhensible, elle apparaît donc économiquement irréaliste. C'est la raison pour laquelle le groupe Union Centriste ne la votera pas.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. - Je partage les points de vue de mes collègues Brigitte Devésa, Frédérique Puissat et Olivier Henno, mais aussi ce qu'a dit fort intelligemment Raymonde Poncet Monge.
Je comprends tout à fait la logique de Cathy Apourceau-Poly et de la rapporteure ; elle correspond à leur système de pensée. Toutefois, nier la boucle inflationniste serait une erreur. Je l'ai personnellement vécu - c'est le privilège de l'âge -, et je peux vous dire que pour obtenir un crédit dans les années 1980, il fallait pouvoir assumer un taux de 15 %. C'était dément : les prix augmentaient, on augmentait les salaires et il a fallu l'intervention de Raymond Barre et surtout de Jacques Delors pour casser la spirale inflationniste.
On peut prendre les références que l'on veut. Vous avez choisi pour votre démonstration la période 2012-2022, mais en considérant uniquement l'indice d'augmentation des salaires. Or la réalité est que les salaires augmentent, comme le disait Mme Poncet Monge, avec la productivité. Les augmentations du salaire réel sont ainsi beaucoup plus importantes que celles qui sont repérées au moyen du seul indice. Le maintien du pouvoir d'achat en période inflationniste passe par le paritarisme et par le dialogue social. Voilà ce qui est créateur de richesse, mais aussi de responsabilité.
M. Daniel Chasseing. - Frédérique Puissat a rappelé que les salaires avaient augmenté en 2022 et 2023. Quant à Olivier Henno et Jean-Marie Vanlerenberghe, ils ont souligné le lien important entre les salaires et l'inflation. Je me souviens ainsi avoir souscrit dans les années 1980 un crédit à 13 % pour acheter ma maison.
Nous sommes non pas dans un social-étatisme, mais dans un social-libéralisme : dans notre système, ce sont les entreprises qui créent la richesse et qui apportent les cotisations nécessaires à la gestion de nos acquis sociaux. En minorant les exonérations de chaque employeur en fonction de l'augmentation annuelle des salaires, l'article 4 me semble être une usine à gaz de nature à freiner le développement des entreprises.
Depuis les lois El Khomri et Pénicaud, nous notons une amélioration du dialogue social et surtout une incitation au dialogue social. Le texte qui nous est proposé conduirait au contraire à un social-étatisme et à un affaiblissement du dialogue social. Les entreprises qui se développent sont celles dans lesquelles il y a une harmonie entre les employés et l'employeur. Dès lors que l'entreprise est en croissance, l'employeur souhaite garder ses salariés et les augmente. C'est du gagnant-gagnant, même s'il peut y avoir des problèmes en cas de baisse d'activité. Attaché au social-libéralisme, je ne voterai pas cette proposition de loi.
Mme Céline Brulin. - Parmi les arguments qui ont été développés, celui d'une économie qui serait « administrée » me fait sourire. Voyez-vous, ce n'est pas tout à fait l'image que j'ai du Luxembourg, qui ressemble davantage à un paradis fiscal.
L'indexation des salaires sur l'inflation pourrait certes poser quelques difficultés, mais uniquement aux petites entreprises. L'éventuel problème de compétitivité de la branche chimie n'a rien à voir les salaires des travailleurs de ces entreprises. Il est plutôt dû aux coûts de l'énergie et au fait que des industriels qui, par le passé, cherchaient à produire utile, attendent aujourd'hui des taux de rendement irréalistes. Si le groupe Exxon - 36 milliards d'euros de bénéfice en 2023 - supprime 650 emplois dans mon département, cela n'a rien à voir avec le montant des salaires. La direction préfère d'ailleurs mettre dans un plan social une somme équivalente à ce que coûteraient les investissements pour regagner en compétitivité...
À l'inverse, les petites entreprises, qui pourraient légitimement s'inquiéter d'une telle mesure, estiment plutôt que l'effet sur la consommation viendra doper leur carnet de commandes. L'indexation des salaires serait donc plutôt un atout qu'un obstacle.
Par ailleurs, le rapport pointe le fait que les prestations sociales et les retraites sont, pour tout ou partie, indexées sur l'inflation, entraînant un décrochage des salaires. Quand on est, comme certains d'entre vous le disent à juste titre, des défenseurs de la valeur travail, on devrait trouver logique que le travail rémunère mieux que des prestations sociales. Je vous invite à en tirer toutes les conclusions.
Enfin, mon cher collègue, votre bain de jouvence pourrait bien durer longtemps. Au-delà du rattrapage du pouvoir d'achat, c'est le partage de la valeur produite par le travail dans les entreprises qui est en jeu. Ce débat n'est pas derrière nous. Le rapport de forces fait qu'il est parfois en faveur des uns, parfois en faveur des autres, mais il continuera d'animer les salariés comme l'ensemble de la société.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Ce débat mérite notre plus grande attention et je rejoins Brigitte Devésa : le pouvoir d'achat nous préoccupe tous. Cependant, toutes les entreprises ne sont pas en mesure d'augmenter les salaires. Celles qui le peuvent ont la responsabilité de le faire, mais la France ne compte pas que des grandes entreprises enregistrant de très gros profits ! Or je n'imagine pas une entreprise dont la trésorerie serait insuffisante ne pas répercuter le coût du travail sur son produit final et, ainsi, obérer le pouvoir d'achat des consommateurs. C'est un peu le serpent qui se mord la queue.
Ce genre de proposition devrait être accompagné, me semble-t-il, d'une étude d'impact sur les entreprises. Si la mesure était applicable, je l'approuverais volontiers, mais je doute fort que toutes les entreprises puissent la mettre en oeuvre. Cela m'inquiète pour leur compétitivité qui, soit dit en passant, n'est pas un gros mot.
Mme Cathy Apourceau-Poly, auteure de la proposition de loi. - Je suis assez surprise du sort qui semble réservé à ma proposition. Nous savons que l'inflation est galopante. Nous recevons tous dans nos permanences des travailleurs pauvres de plus en plus nombreux. Disons les choses : il y a dans ce pays des travailleurs qui, chaque matin, vont au turbin et qui doivent s'adresser aux associations caritatives pour boucler leurs fins de mois. Il y a longtemps que certains ne prennent plus de vacances, longtemps que la seule sortie se résume à une après-midi dans un parc, si tant est qu'ils puissent encore payer une crêpe ou une gaufre à leurs enfants.
C'est en réaction à cette situation que nous avons déposé cette proposition de loi. Comment voulez-vous qu'une aide à domicile qui touche 900 euros par mois ou qu'un agent de la fonction publique en catégorie C qui dispose de 1 500 euros nets puisse faire face à l'inflation galopante ?
En parallèle les entreprises du CAC 40 ont réalisé en 2023 - je me réjouis que cela ait été souligné - pas moins de 145 milliards d'euros de bénéfices. Ce sont tout de même les salariés qui produisent la richesse des entreprises ! Les patrons du CAC 40, dont le salaire annuel moyen est de 7,1 millions d'euros se sont par ailleurs augmentés de 6 %. Or une augmentation de 6 % n'a pas le même effet lorsque l'on gagne 7 millions d'euros ou que l'on gagne 1 500 euros ! Le patron de Stellantis, qui a touché en 2023 un salaire de 36,5 millions, a augmenté ses salariés de 3,5 %... Enfin, tout de même, un peu de justice sociale ! Il serait juste de prévoir une répartition de la richesse.
Je rejoins Céline Brulin : en France, 19 % des salariés sont pauvres et 12 % des travailleurs indépendants n'arrivent plus à s'en sortir. Au travers de cette proposition de loi, nous réclamons tout simplement que le travail soit reconnu, qu'il paye et qu'il soit indexé sur l'inflation pour permettre aux salariés de vivre dignement.
Mme Silvana Silvani, rapporteure. - Certains ont parlé d'augmentation des salaires. Je rappelle que cette proposition de loi a pour objet non pas d'augmenter les salaires, mais bien de les ajuster à l'inflation. L'augmentation des salaires doit relever des négociations. Les syndicats salariés regrettent d'ailleurs que leur temps de négociation soit essentiellement consacré à travailler sur cet ajustement. Ils aimeraient aussi réfléchir aux emplois, aux qualifications et aux métiers. Ne les réduisons pas à des fauves dont le seul objectif serait d'obtenir des augmentations de salaire !
Je remarque par ailleurs que mes contradicteurs font peu ou pas référence aux modèles belge et luxembourgeois sur lesquels j'ai volontairement insisté. Entendons-nous sur le fait que les gouvernements belge et luxembourgeois peuvent difficilement être taxés d'idéologie gauchiste. Les dispositifs d'indexation des salaires qui, en Belgique, existent depuis plus de cent ans, sont régulièrement discutés et font l'objet d'accords entre les employeurs et les salariés.
J'ai au moins un point d'accord avec Mme Puissat : nous sommes opposés sur le plan des valeurs et du positionnement politique. Mais les faits sont là. Aujourd'hui, 12 % des personnes qui ont recours à l'aide alimentaire sont en CDI. C'est anormal. Nous ne réglerons pas cette question par des ajustements ponctuels.
Mme Anne-Sophie Romagny. - Ces gens-là travaillent-ils dans de grandes entreprises du CAC 40 ?
Mme Émilienne Poumirol. - Il y en a.
Mme Silvana Silvani, rapporteure. - En Belgique aussi il y a des petites entreprises. Et contrairement aux idées reçues, si les salaires sont beaucoup plus élevés au Luxembourg qu'en France, cela concerne uniquement 30 % des salariés, les 70 % restants occupant des emplois industriels. Nous parlons donc bien là des plus bas niveaux de qualification. Ce sont ces catégories de salariés qui ont besoin de ce filet de sécurité.
Nous sommes d'accord, l'indexation des salaires n'est qu'une partie du problème. Nous devons considérer l'ensemble du modèle social : si l'on ne contrôle pas les prix par ailleurs, si l'on ne soutient pas les petites entreprises, cela ne peut pas fonctionner.
EXAMEN DES ARTICLES
Articles 1er, 2, 3, 4 et 5
Les articles 1er, 2, 3, 4 et 5 ne sont pas adoptés.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE
45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU
RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)
Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 62(*).
De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie63(*).
Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte64(*). Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial65(*).
En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 12 février 2025, le périmètre indicatif des articles de la proposition de loi n° 208 (2024-2025) visant à indexer les salaires sur l'inflation
Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives :
- à l'indexation des salaires du secteur privé et du point d'indice de la fonction publique sur l'inflation ;
- aux modalités d'organisation et au contenu des négociations salariales au niveau des branches professionnelles ;
- au conditionnement des allègements généraux de cotisations sociales patronales au niveau de salaire ou au mécanisme de négociations salariales dans les entreprises ou dans les branches.
LISTE DES
PERSONNES ENTENDUES
· Bernard Conter, chargé de recherche direction de la recherche et de l'évaluation
· Jean Faniel, directeur général, centre de recherche et d'information socio-politiques CRISP
· Confédération générale du travail (CGT)
Thomas Vacheron, membre du bureau confédéral
Michel Roques, conseiller confédéral
· Jonathan Marie, professeur en économie, Institut des hautes études de l'Amérique latine (IHEAL), Université Sorbonne Nouvelle
· Ulysse Lojkine, professeur, chercheur en économie et en philosophie à l'Université de Paris-Nanterre et à l'école d'Économie de Paris
· Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGLSB)
Olivier Valentin, secrétaire national
· Confédération des syndicats chrétiens (CSC)
Marie-Hélène Ska, secrétaire générale
· Fédération générale du travail de Belgique (FGTB)
Giuseppina Desimone, conseillère économique au service d'études
· Force ouvrière (FO)
Patrick Privat, trésorier confédéral
· Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)
Pierre Jardon, membre du conseil confédéral en charge du dialogue social
· Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE - CGC)
Nicolas Blanc, secrétaire national à la transition économique
Marielle Mangeon, déléguée nationale à la transition économique
Hugo Bernard, chargé d'études économiques
· Direction générale du travail (DGT)
Eva Jallabert, sous directrice des relations du travail
Aurélie Baquié, cheffe du bureau de la durée et des revenus du travail
· Direction générale de l'administration et de la fonction publique (DGAFP)
Philippe Charpentier, chef du service des politiques sociales, salariales et des carrières
Jérémie Vencatachellum, sous-directeur de la politique salariale et des parcours de carrière
· Direction générale du trésor
Albane Sauveplane, sous-directrice « politiques sociales et Emploi » au service des politiques publiques et des politiques sociales (SSOFIA)
Héloïse Tournoux, cheffe du bureau « institutions & évaluation des politiques sociales et de l'emploi » au SSOFIA
Mme Floriane Jouy Gelin, adjointe à la cheffe du bureau « institutions & évaluation des politiques sociales et de l'emploi » au SSOFIA
Nicolas Baakini, adjoint à la cheffe du bureau « marché du travail & politiques de l'emploi » au SSOFIA
Sofien Abdallah, conseiller parlementaire et relations institutionnelles de la direction générale du Trésor par interim, chargé de mission auprès de la secrétaire générale
· Confédération Syndicale Indépendante du Luxembourg (OGBL)
Jean Luc De Matteis, secrétaire central
Sylvain Hoffmann, directeur de la chambre des salariés
LA LOI EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl24-208.html
* 1 Ordonnance du 24 août 1944 relative au relèvement provisoire des salaires à la Libération de la France.
* 2 Loi n° 46-2924 du 23 décembre 1946 relative aux conventions collectives de travail.
* 3 Loi n° 50-205 du 11 février 1950 relative aux conventions collectives et aux procédures de règlement des conflits collectifs de travail.
* 4 Cette question avait été débattue entre-deux-guerres sans qu'un grand nombre de conventions collectives ne comprennent des clauses d'indexation automatique.
* 5 Guglielmi J.-L. « "Échelle mobile" ou "indexation" des salaires en France ? », Revue économique, volume 6, n°2, 1955. pp. 218-235.
* 6 A. Philbert, « Le problème de l'échelle mobile des salaires », Droit social, 1952, p. 592, cité par J-L Guglielmi, ibid.
* 7 Loi n° 52-834 du 18 juillet 1952 relative à la variation du salaire minimum national interprofessionnel garanti, en fonction du coût de la vie
* 8 Article 79 de l'ordonnance n° 58-1374 du 30 décembre 1958 portant loi de finances pour 1959.
* 9 Article L. 141-9 du code du travail devenu l'article L. 3231-3.
* 10 Cass. Soc. 18 mars 1992, n°88-43.434
* 11 Art. L. 3231-4 du code du travail.
* 12 Art. L. 3231-5 du code du travail.
* 13 Art. L. 3231-6 du code du travail.
* 14 Art. R. 3231-7 du code du travail.
* 15 Art. L. 3231-10 du code du travail.
* 16 Voir Bernard CONTER, Jean FANIEL, « Belgique. Hausse des salaires nominaux, aides publiques ponctuelles et perte de pouvoir d'achat », Chronique internationale de l'IRES, n° 180, décembre 2022, p. 123-138.
* 17 Bernard Conter et Jean Faniel, ibid.
* 18 Loi du 19 mars 2017 modifiant la loi du 26 juillet 1996 relative à la promotion de l'emploi et à la sauvegarde préventive de la compétitivité.
* 19 Insee, novembre 2023.
* 20 Insee, « Les salaires dans le secteur privé en 2023 », 23 octobre 2024.
* 21 Insee, France, portrait social, édition 2024
* 22 Dares, Évolution des salaires de base dans le secteur privé : résultats provisoires du 1er trimestre 2024, mai 2024.
* 23 publiées en décembre 2024
* 24 Avis n° HCFP-2024-2 relatif aux prévisions macroéconomiques associées au Programme de stabilité pour les années 2024 à 2027, 16 avril 2024, p. 11.
* 25 Rapport n° 689 (2023-2024) de Mmes Frédérique Puissat et Corinne Bourcier, 12 juin 2024.
* 26 Bilan de la négociation collective 2022, p. 296.
* 27 Insee, parution citée du 23 octobre 2024.
* 28 Voir par exemple les propos du rapporteur Abel-Durand lors de la séance du 11 décembre 1951 consacrée à l'examen du texte au Conseil de la République : « (...) si ces hausses se produisent massivement, à la suite d'une mesure générale portant simultanément sur toutes les professions et dans toute l'étendue du territoire, la poussée inflationniste sera irrésistible. La hausse continue des prix annule plus ou moins rapidement mais sûrement tout relèvement des salaires ».
* 29 Eduardo F Bastian, Sébastien Charles, Jonathan Marie, « Inflation regimes and hyperinflation : a Post-Keynesian/structuralist typology », Cambridge Journal of Economics, Volume 48, Issue 4, July 2024, Pages 681-708
* 30 FMI, World Economic Outlook, 2022.
* 31 Décret n° 85-1148 du 24 octobre 1985 modifié relatif à la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des personnels des établissements publics d'hospitalisation.
* 32 Ibid.
* 33 Article L. 2241-8 du code du travail.
* 34 CE, Section, 23 avril 1982, ville de Toulouse c/ Aragnou, 36851, publié au recueil Lebon.
* 35 Décret n° 2022-994 du 7 juillet 2022 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d'hospitalisation.
* 36 Décret n° 2023-519 du 28 juin 2023 portant majoration de la rémunération des personnels civils et militaires de l'État, des personnels des collectivités territoriales et des établissements publics d'hospitalisation.
* 37 Catherine Di Folco, avis n° 134 (2023-2024), 25 novembre 2023.
* 38 Cet indice des prix s'entend hors tabac, mais comprend l'énergie et les transports.
* 39 Il correspond à l'effet mécanique des progressions de carrière sur la masse salariale.
* 40 Loi n° 82-957 du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail.
* 41 En l'occurrence l'ordonnance du 22 septembre 2017 relative au renforcement de la négociation collective.
* 42 Article L. 2241-9 du code du travail.
* 43 Article L. 2241-8 du même code.
* 44 Article L. 2241-1 du même code.
* 45 Article L. 2241-3 du même code.
* 46 Rapport d'information précité, p. 31.
* 47 Voir les déclarations d'Elisabeth Borne lors de la conférence sociale du 16 octobre 2023 ou de Gabriel Attal lors du discours de politique générale au Sénat du 31 janvier 2024.
* 48 Article 7 de la loi n° 2022-1158 du 16 août 2022 portant mesures d'urgence pour la protection du pouvoir d'achat.
* 49 Nombre de branches concernés sur les 171 branches du secteur général comptabilisant au moins 5 000 salariés.
* 50 Chiffres de la DGT, cités par le rapport d'information précité.
* 51 Loi n° 93-353 du 27 juillet 1993 relative au développement de l'emploi et de l'apprentissage.
* 52 Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi et loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.
* 53 Loi n° 95-882 du 4 août 1995 relative à des mesures d'urgence pour l'emploi et la sécurité sociale.
* 54 Loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail.
* 55 Loi n° 2003-47 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi et loi n° 2004-1484 du 30 décembre 2004 de finances pour 2005.
* 56 Loi n° 2014-892 du 8 août 2014 de financement rectificative de la sécurité sociale.
* 57 Lois n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement de la sécurité sociale pour 2018 et n° 2017-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019.
* 58 Antoine Bozio et Etienne Wasmer, Mission sur l'articulation entre les salaires, le coût du travail et la prime d'activité.
* 59 Exonération de cotisations d'assurance maladie qui a succédé au dispositif du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) mis en place en 2012 pour améliorer la compétitivité des entreprises et favoriser l'emploi.
* 60 Exonération de cotisations d'allocations familiales visant à la création d'emploi via le Pacte de responsabilité et de solidarité mis en place en 2014.
* 61 Article 27 de la loi n° 2008-1258 du 3 décembre 2008.
* 62 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.
* 63 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.
* 64 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.
* 65 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.