B. LE « DROIT DE TIRAGE » AU SÉNAT
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 et sa transposition, en 2009, au sein du Règlement du Sénat, chaque groupe politique du Sénat a ainsi droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire1(*).
Communément appelé « droit de tirage », ce droit attribué à chaque groupe du Sénat, qu'il se soit ou non déclaré d'opposition ou minoritaire, a donné une réelle consistance aux articles 51-1 et 51-2 de la Constitution.
Lorsqu'un groupe demande la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information et fait connaître son intention d'utiliser à cette fin son « droit de tirage » annuel, la Conférence des présidents prend acte de la demande. Cette prise d'acte vaut création de la commission d'enquête ou de la mission d'information, sous la seule réserve du contrôle de sa conformité avec l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 (cf. infra).
Le groupe politique à l'origine de la demande de création a, en outre, le droit d'obtenir que la fonction de président ou de rapporteur soit confiée à l'un de ses membres2(*).
Ces règles figurent aux articles 6 bis et 6 ter du Règlement du Sénat.
Article 6 bis du Règlement du Sénat
« 1. - Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. La demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information est formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des Présidents qui doit en prendre acte.
« 2. - La fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres. »
Article 6 ter du Règlement du Sénat
« 1. - La demande de création d'une commission d'enquête en application de l'article 6 bis prend la forme d'une proposition de résolution qui détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.
« 2. - Les alinéas 3, 4 et 5 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition et à la désignation des membres de la commission d'enquête sont applicables. »
Ce droit de tirage est désormais fréquemment usité, démontrant son appropriation par les groupes politiques du Sénat. Depuis juin 2009 et la création de ce dispositif, trente-quatre commissions d'enquête ont été créées sur le fondement du « droit de tirage »3(*), soit une moyenne de deux par an, en augmentation sur les dernières années.
Les trente-quatre commissions d'enquête
créées au Sénat
sur le fondement
du « droit de tirage » :
- sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1), créée en 2010 ;
- sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée en 2012 ;
- sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, créée en 2012 ;
- sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée en 2012 ;
- sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée en 2013 ;
- sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée en 2013 ;
- sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, créée en 2013 ;
- sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée en 2014 ;
- sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays, créée en 2014 ;
- sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession, créée en 2015 ;
- sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, créée en 2015 ;
- sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée en 2015 ;
- sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, ainsi que sur l'impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, créée en 2016 ;
- sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi dans la durée, créée en 2016 ;
- sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen, créée en 2016 ;
- sur l'état des forces de sécurité intérieure, créée en 2018 ;
- sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État Islamique, créée en 2018 ;
- sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République, créée en 2018 ;
- sur la souveraineté numérique, créée en 2019 ;
- sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, créée en 2019 ;
- sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols, créée en 2020 ;
- sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, créée en 2020 ;
- sur l'influence croissante des acteurs du secteur privé sur la détermination et la conduite des politiques publiques, créée en 2021 ;
- sur les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et l'évaluation de l'impact de cette concentration dans une démocratie, créée en 2021 ;
- sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, créée en 2021 ;
- sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique des bâtiments, créée en 2022 ;
- sur la pénurie de médicaments et les choix de l'industrie pharmaceutique française, créée en 2022 ;
- sur l'utilisation du réseau social TikTok, son exploitation des données, sa stratégie d'influence, de propagande et de désinformation, créée en 2023 ;
- sur l'impact du narcotrafic en France et les mesures à prendre pour y remédier, créée en 2023 ;
- sur la production, la consommation et le prix de l'électricité aux horizons 2035 et 2050, créée en 2023 ;
- sur les moyens mobilisés et mobilisables par l'État pour assurer la prise en compte et le respect par le groupe TotalEnergies des obligations climatiques et des orientations de la politique étrangère de la France, créée en 2023 ;
- sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères visant notre vie démocratique, notre économie et les intérêts de la France sur le territoire national et à l'étranger afin de doter notre législation et nos pratiques de moyens d'entraves efficients pour contrecarrer les actions hostiles à notre souveraineté, créée en 2023 ;
- sur la paupérisation des copropriétés immobilières, créée en 2023 ;
- sur les pratiques des industriels de l'eau en bouteille et les responsabilités des pouvoirs publics dans les défaillances du contrôle de leurs activités et la gestion des risques, créée en 2024.
En outre, la commission des lois a constaté l'irrecevabilité de deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête au titre du « droit de tirage » :
- en 2017, sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie4(*), en raison de l'existence de plusieurs enquêtes et informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (diligentées au principal sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, au parquet de Paris ainsi qu'au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne) ;
- et en 2018, sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France5(*), en raison de l'existence de plusieurs informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (notamment sous les qualifications de corruption de mineurs, d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, de viols sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité ou sur personne vulnérable, ou encore de non-dénonciation et de non-assistance à personne en péril).
Depuis juin 2009, deux commissions d'enquête ont été créées selon la procédure normale, hors droit de tirage :
- sur les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, créée en 2019 ;
- et, en 2020, sur l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.
* 1 Introduites initialement le 2 juin 2009 à la suite de l'adoption de la résolution n° 85 (2008 - 2009) tendant à modifier le Règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat, ces dispositions figurent désormais à l'article 6 bis du Règlement du Sénat.
* 2 Dispositions introduites en mai 2015.
* 3 Ce chiffre n'inclut pas les travaux d'enquête exercés par les commissions permanentes auxquelles sont conférées, sur le fondement de l'article 22 ter du Règlement du Sénat, les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête.
* 4 Proposition de résolution n° 101 (2017-2018) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie.
* 5 Proposition de résolution n° 24 (2018-2019) tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France.