IV. UNE INTERRUPTION DE LA DIFFUSION DES INDICATEURS RELATIFS À LA DISPONIBILITÉ DES MATÉRIELS ET À L'ACTIVITÉ DES FORCES, ALORS QUE DES INSUFFISANCES ONT ÉTÉ CONSTATÉES PAR LE PASSÉ

A. DES INSUFFISANCES CONSTATÉES LES ANNÉES PRÉCÉDENTES PAR RAPPORT AU NIVEAU REQUIS PAR LA HAUTE INTENSITÉ

Comme l'avait déjà rappelé le rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de finances pour 202435(*), la disponibilité des matériels pèse fortement sur l'activité opérationnelle.

Or, comme l'a récemment montré le rapporteur spécial dans un rapport de contrôle sur le maintien en condition opérationnelle (MCO) des matériels militaires36(*), la disponibilité technique opérationnelle (DTO)37(*) des équipements militaires ne s'est pas réellement améliorée sur les dernières années d'un point de vue global.

Certes, les efforts portés sur le MCO, notamment ces dernières années, ont produit des effets réels.

D'une part, le niveau de disponibilité de certains parcs d'équipements a progressé. Celui des Rafale version marine a ainsi par exemple augmenté de 12,2 % depuis 2018, tandis que pour les hélicoptères Fennec, le coût à l'heure de vol a été divisé par deux et le taux de disponibilité a été multiplié par deux entre 2018 et 2021.

D'autre part, le système de MCO connaît une modernisation progressive significative, tant dans ses principes que dans ses modalités concrètes. À titre d'exemple, alors que le système de MCO traditionnel est fondé sur des contrôles périodiques des matériels, certains équipements innovants, comme les avions Rafale, permettent de mettre en oeuvre une maintenance « conditionnelle », opérée en fonction de l'état réel du matériel, qui détecte ses propres avaries.

Néanmoins, d'un point de vue global, les données fournies par l'indicateur de DTO38(*) sont insatisfaisantes, et ce pour les trois armées. À fin 202239(*), sur les 21 matériels structurants répertoriés par l'indicateur, seuls 2 avaient une DTO supérieure à 90 %, correspondant à un niveau proche ou conforme aux contrats opérationnels, tandis que 12 avaient une DTO inférieure à 75 %, dont 2 en-dessous de 50 %.

Or, si ce constat d'une DTO générale insuffisante n'est pas nouveau et n'est pas spécifique à la France, il ne s'améliore pas d'un point de vue global sur la dernière décennie (depuis 2014), en dépit des efforts réalisés et de progrès pour certains types de flottes.

Évolution de la disponibilité technique opérationnelle (DTO)
de quatre équipements structurants de l'armée de terre

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cet état de fait peut être expliqué par différents facteurs, qui échappent largement au système de MCO en lui-même :

- un niveau élevé d'engagement de nos forces armées ces dernières années, qui constitue par nature une contrainte très forte pesant sur le MCO ;

- des parcs de matériels en partie hétérogènes et de générations différentes, réduisant la possibilité pour le MCO de s'appuyer sur des économies d'échelle ;

- des limites de capacités de maintenance au sein la BITD française et européenne ;

- des cessions non anticipées de matériels à des pays étrangers qui alourdissent les besoins en MCO des équipements restants dans le parc, davantage sollicités.

En tout état de cause, si cette situation a en partie été compensée par la capacité d'adaptation de nos forces armées (mobilisation de simulateurs, utilisation des chars sans faire tourner les moteurs, etc.), elle induit de facto des capacités réduites d'engagement, d'entraînement et de formation.

Le lien direct, à taille de parc constant, entre le taux de disponibilité des matériels et celui de l'activité des forces se manifeste dans le fait que le niveau d'activité (emploi des forces et entraînement) suit, depuis 2014, une évolution en moyenne comparable à la DTO, selon les données disponibles dans les documents budgétaires jusqu'en 202240(*).

Évolution du niveau d'activité de différents types de personnels
des forces armées entre 2014 et 2022

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

En 202241(*), sur les 9 types d'activités mentionnés ci-dessus, seul un satisfaisait la norme correspondante fixée par la loi de programmation militaire pour les années 2019 à 202542(*), à savoir les heures des pilotes de chasse de la marine. Pour tous les autres, la norme n'est pas atteinte et parfois de façon significative, comme pour les heures de vol des pilotes de transport de l'armée de l'air.

Indicateurs du niveau d'activités des forces armées en 2022,
en comparaison de la norme LPM 2019-2025

(en jours ou en heures selon le cas)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et la LPM 2019-2025

Cette situation induit des capacités réduites d'engagement et d'entraînement. Pourtant, l'invasion de l'Ukraine lancée par la Russie le 24 février 2022 et la guerre qui se poursuit depuis lors ont confirmé un tournant géostratégique majeur, qui avait d'ailleurs déjà été amorcé depuis plusieurs années. Le risque d'« engagement majeur » fait aujourd'hui partie des hypothèses sérieuses d'engagement des forces, nécessitant de s'y préparer.

Or, le système de MCO des armées n'est aujourd'hui pas adapté à ce nouveau contexte, à plusieurs égards. Alors que notre modèle actuel est notamment fondé sur des interventions dans un calendrier relativement maîtrisé, sur une large externalisation de la maintenance lourde et sur un niveau de stocks très limité, le nouveau contexte stratégique impose au système de MCO :

- une grande réactivité (dans un calendrier subi et impérieux) ;

- une capacité de monter fortement en puissance dans des délais courts ;

- et une faculté à tenir dans la durée.

Dans ce contexte, des efforts importants sont fournis depuis plusieurs années en matière de MCO, notamment d'un point de vue budgétaire.


* 35 Annexe n° 9 au rapport général n° 128 (2023-2024) de M. Dominique de Legge, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2023.

* 36 Rapport d'information n° 4 (2024-2025), déposé le 2 octobre 2024, fait au nom de la commission des finances, sur le maintien en condition opérationnelle des équipements militaires, M. Dominique de Legge.

* 37 On distingue en général, d'une part, la disponibilité technique (DT), dont le ratio correspond au nombre de matériels du parc concerné en état de fonctionnement par rapport à la totalité du parc, et d'autre part, la disponibilité technique opérationnelle (DTO), dont le ratio renvoie au nombre de matériels en état de fonctionnement par rapport au nombre de matériels disponibles nécessaires afin d'honorer le scénario le plus dimensionnant des contrats opérationnels fixés en loi de programmation militaire. Si la DT est le critère le plus simple pour mesurer la disponibilité des matériels, les données correspondantes ne sont pas intégrées aux documents budgétaires et ne sont pas publiables en raison de leur confidentialité.

* 38 Dont les résultats sont publiés deux fois par an dans les documents budgétaires.

* 39 Les données postérieures à 2022 sont classées « Diffusion restreinte - spécial France » et ne peuvent être divulguées. Voir infra.

* 40 Qui contiennent chaque année un indicateur portant sur le « niveau de réalisation des activités ». Les chiffres ne sont plus publiables à partir de 2023, voir infra.

* 41 Les données postérieures à 2022 sont classées « Diffusion restreinte - spécial France » et ne peuvent être divulguées. Voir infra.

* 42 Loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 relative à la programmation militaire pour les années 2019 à 2025 et portant diverses dispositions intéressant la défense.

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