C. LA FRANCE A PRIS CONSCIENCE DE L'AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE ET A MULTIPLIÉ LES MESURES DEPUIS QUELQUES ANNÉES POUR LE JUGULER

1. L'arsenal législatif s'est progressivement renforcé pour lutter contre la fraude à la TVA

Le rapporteur spécial note que les outils pour lutter contre la fraude se sont considérablement enrichis au cours des dernières années.

Depuis la loi de lutte contre la fraude de 20188(*), il existe une obligation pour les commerçants d'utiliser des caisses certifiées par un organisme accrédité ou par une attestation individuelle fournie par le distributeur du logiciel de caisse9(*). D'autre part, sur l'initiative notamment du Sénat, des obligations fiscales ont été créées pour les plateformes internet en renforçant notamment leur responsabilité.

Par ailleurs, la DGFiP est engagée dans une démarche préventive visant à suspendre le numéro de TVA intracommunautaire (TVAI) de sociétés frauduleuses, en application de l'article 23 du règlement communautaire n° 904/2010 du 7 octobre 2010. Les sociétés identifiées présentant des niveaux de risque majeur font ainsi l'objet de demandes de suspension de leur numéro de TVAI. Il s'agit le plus souvent de sociétés défaillantes ou cessées (opérateurs « éphémères »), susceptibles de réaliser des opérations frauduleuses. Ces suspensions de numéros de TVAI ont ainsi fortement augmenté ces dernières années.

De surcroit, le développement de méthodes d'analyse de données mettant en oeuvre des techniques statistiques ou d'apprentissage automatique devrait faciliter la lutte contre les fraudes à la TVA. Les « alertes » provenant de travaux de datamining ou d'informations transmises par les services ont permis de mieux identifier les entreprises présentant des risques en matière de remboursements de crédits de TVA, qui sont, dès lors, automatiquement soumises à un examen approfondi (circuit long) en cas de dépôt d'une demande de remboursement.

En 2023, la compétence des officiers fiscaux judiciaires (OFJ) du service d'enquête judiciaire des finances (SEJF) a été étendue aux escroqueries liées à la TVA, ainsi qu'aux infractions connexes. Cette extension reprend la recommandation n°6 de la mission d'information de la commission des finances du Sénat visant à lutter contre la fraude et l'évasion fiscale10(*).

Dans le cadre du plan de lutte contre toutes les fraudes aux finances publiques, ce service a été transformé Office national anti-fraude aux finances publiques (ONAF), aux compétences élargies à toutes les infractions portant atteinte aux finances publiques, qu'elles se rapportent aux recettes, aux dépenses et aux fonds ou aux avoirs publics, y compris les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union européenne. Pour endosser ces nouvelles missions, le gouvernement a annoncé un doublement, d'ici 2025, du nombre d'officiers fiscaux judiciaires et la création d'un statut d'agent d'enquête judiciaire afin d'épauler les officiers douaniers et fiscaux judiciaires.

Le rapporteur spécial attend toutefois que ces annonces de renforcement se concrétisent. Alors qu'au 31 mai 2022, sur un total de 314 agents, le SEJF comptait 43 agents de la DGFiP, dont 40 disposant de la qualification d'OFJ, la douane communique désormais sur un effectif de 266 enquêteurs habilités dont 25 OFJ, effectif repris encore récemment par la Cour des comptes11(*).

La lutte contre la fraude à la TVA ne faiblit pas et deux nouveaux dispositifs ont été introduits par la loi de finances pour 2024. En premier lieu, depuis le 1er janvier 2024, un « dropshipper »12(*) peut être redevable de la taxe due à l'importation mais également sur la vente à distance des biens importés lorsque le prix de vente du bien facturé à l'acquéreur final est supérieur au prix d'acquisition du bien par ce dernier auprès du fournisseur établi hors Union européenne. En second lieu, elle a prolongé l'expérimentation de l'exploitation des données sur les sites internet pour deux années supplémentaires, et en a étendu le champ d'application.

Par ailleurs, la loi de finances a instauré une procédure de « mise en conformité fiscale » pour renforcer la lutte contre la fraude à la TVA dans le cas de prestations de services dans le secteur des services électroniques à des consommateurs français sans recourir à un opérateur de plateforme en ligne. La démarche de mise en conformité fiscale est assortie d'un mécanisme d'injonction au déréférencement, avec la possibilité d'appliquer une sanction pécuniaire.

2. Des contrôles plus nombreux, au rendement en hausse, et une baisse estimée de la fraude à la TVA

Ces nouveaux dispositifs se sont accompagnés de contrôles renforcés. Si le nombre de contrôles fiscaux externes (« contrôles sur place ») en matière de TBA est resté stable à un peu plus de 14 000 contrôles réalisés entre 2021 et 2023, le nombre de contrôles sur pièces (« contrôles de bureau ») a lui fortement cru, d'un peu moins de 100 000 en 2021 à un peu plus de 115 000 en 2023. Et les résultats sont au rendez-vous : les rappels de TVA se sont ainsi élevés à plus de 5,2 milliards d'euros en 2023 (dont 2,1 milliards d'euros de TVA mise en recouvrement et 3,1 milliards de rejets de demandes de remboursements de crédits de TVA), en hausse significative par rapport à 2021, où les rappels totaux s'élevaient à 3,7 milliards d'euros (dont 1,6 milliard d'euros de TVA mise en recouvrement et 2,1 milliards de rejets de demandes de remboursements de crédits de TVA)

Ces contrôles renforcés se sont déroulés dans un contexte où la fraude à la TVA estimée connait en France un recul significatif. La dernière étude de la commission européenne, publiée en décembre 2023, sur l'écart entre la TVA attendue et la TVA perçue (« VAT Gap ») évalue cet écart TVA à 9,6 milliards d'euros pour la France pour l'année 2021, ce qui représente un pourcentage de 4,9 % des recettes de TVA, en diminution significative par rapport à l'étude précédente sur l'année 2020 (écart évalué à 14 milliards d'euros soit 8 % du produit de TVA). Cet « écart TVA » reste, de surcroit, inférieur à la moyenne européenne (5,3 %). Pour mémoire, les résultats de l'année 2020 marquaient déjà un progrès par rapport à l'année 2019 (écart évalué à 16,4 milliards d'euros soit 8,6 % du produit de TVA).


* 8 Loi n° 2018-898 du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude.

* L'article 286-I-3° bis du Code Général des Impôts (CGI) présente l'obligation pour une personne assujettie à la TVA d'utiliser un logiciel ou un système de caisse qui satisfasse aux conditions d'inaliénabilité, de sécurisation, de conservation et d'archivage des données en vue du contrôle de l'administration fiscale. Le respect des quatre conditions précitées (inaliénabilité, sécurisation, conservation et archivage) peut être justifié par un certificat délivré par un organisme accrédité ou par une attestation individuelle de l'éditeur.

* 10 Rapport d'information n° 72 (2022-2023), déposé le 25 octobre 2022, « Fraude et évasion fiscales : faire les comptes et intensifier la lutte »

* 11 Cour des comptes, « la direction des enquêtes fiscales », octobre 2024.

* 12 Le dropshipping ou « livraison directe » est une vente sur internet dans laquelle le vendeur ne se charge que de la commercialisation et de la vente du produit. C'est le fournisseur du vendeur qui expédie la marchandise au consommateur final. Le consommateur n'a généralement ni connaissance de l'existence du fournisseur ni de son rôle.

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