EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er A
(nouveau)
Information des responsables académiques en cas de mise en
examen
ou de condamnation pour une infraction terroriste
Reprenant l'article 15 ter de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, et adopté par la commission à l'initiative du rapporteur, l'article 1er A met en place un mécanisme d'information obligatoire des responsables académiques en cas de mise en examen ou de condamnation pour une infraction terroriste des personnes scolarisées ou ayant vocation à être scolarisées dans un établissement.
Les articles 138-2 et 712-22-1 du code de procédure pénale prévoient, respectivement en cas de mise en examen et en cas de condamnation pour l'une des infractions sexuelles ou violentes mentionnées à l'article 706-47 du même code (donc pour un crime ou un délit donnant lieu à l'application d'une procédure spécifique susceptible, entre autres, d'emporter l'inscription de la personne au Fijaisv), une information obligatoire des responsables académiques de l'établissement dans lequel la personne concernée est scolarisée ou a vocation à l'être. Ce mécanisme, qui concerne tant les établissements publics que les établissements privés, consiste :
- en cas de mise en examen, en une transmission à l'autorité académique et au chef d'établissement de l'ordonnance de mise en examen par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention ;
- en cas de condamnation, en une transmission de la décision de condamnation aux mêmes personnes par le juge de l'application des peines.
Dans les deux cas, une obligation de confidentialité s'impose aux personnes auxquelles ces informations sensibles ont été transmises : elles ne peuvent les évoquer, dans la stricte mesure du nécessaire, qu'auprès des responsables de la sécurité et de l'ordre dans l'établissement et des professionnels, soumis au secret, chargé du suivi social et sanitaire des élèves. La violation de cette obligation est punie d'une amende pénale de 3 750 euros.
Afin d'appliquer le même régime aux infractions terroristes (donc celles qui sont mentionnées au titre II du livre IV du code pénal ou aux articles L. 224-1 et L. 225-7 du code de la sécurité intérieure), le Sénat avait adopté, en janvier 2024, à l'occasion de l'examen de la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste, un amendement du rapporteur Marc-Philippe Daubresse complétant les deux articles précités. Une telle modification apparaît en effet nécessaire au regard de l'évolution des profils des mineurs radicalisés : sur le plan quantitatif, « le nombre cumulé de mineurs déférés devant le pôle anti-terroriste de Paris pour association de malfaiteurs en vue d'une entreprise terroriste s'élevait à 58 entre 2012 et le 1er avril 2017, tandis que, selon les informations communiquées par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse (DPJJ), 19 mineurs ont été déférés pour la seule année 2023 » ; sur le plan qualitatif, de même, « les mineurs concernés sont de manière générale plus jeunes et présentent des projets d'attentats relativement aboutis »15(*).
C'est dans ce contexte que la commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement COM-10) prévoyant l'information obligatoire des responsables académiques, déjà avisés en cas d'infraction sexuelle ou violente, en cas de mise en examen ou de condamnation pour une infraction terroriste. Ce choix permettra de transposer au terrorisme un mécanisme déjà éprouvé pour la prévention de la récidive des infractions violentes ou sexuelles, et qui s'entoure de nombreuses garanties pour les personnes mises en examen ou condamnées.
La commission a adopté l'article 1er A ainsi rédigé.
Article 1er
Encadrement des changements de nom et de
prénom
des personnes inscrites au Fijaisv et au Fijait
L'article 1er vise, d'une part, à mettre en place un pouvoir d'opposition du procureur de la République en cas de changement de nom demandé par une personne condamnée pour l'une des infractions figurant sur une liste fixée par décret en Conseil d'État et, d'autre part, à imposer aux inscrits au Fijaisv et au Fijait, au titre des mesures de sûreté qui leur sont applicables, de déclarer leurs éventuels changements de nom ou de prénom.
La commission des lois a modifié cet article pour en renforcer la sécurité juridique et opérationnelle, tout en respectant l'objectif poursuivi par les auteurs ; elle a ainsi précisé les conditions dans lesquelles l'officier de l'état civil pourra être informé des condamnations susceptibles de constituer une menace pour l'ordre public, fixé la liste des infractions concernées et consolidé les nouvelles mesures de sûreté imposées aux inscrits au Fijaisv et au Fijait.
1. Les difficultés posées par la nouvelle procédure de changement de nom « de droit » depuis 2022
La loi n° 2022-301 du 2 mars 2022 relative au choix du nom issu de la filiation, dite « loi Vignal », a introduit à l'article 61-3-1 du code civil une procédure de changement de nom « de droit ». S'inspirant étroitement de la procédure de changement de prénom prévue par l'article 60 du code civil, elle a supprimé l'exigence d'un décret autorisant le nouveau nom et, corrélativement, la possibilité d'une opposition à ce changement dans un délai de deux mois à compter de la publication dudit décret au Journal officiel.
La procédure simplifiée de changement de nom issue de la loi « Vignal »
[L]'article 2 de la loi [« Vignal » du 2 mars 2022] a modifié l'article 61-3-1 du code civil afin de créer une procédure simplifiée de changement de nom ouverte à toute personne majeure permettant à celle-ci de prendre :
- soit l'un des noms mentionnés sur l'extrait d'acte de naissance de la personne (nom du père, nom de la mère, leurs deux noms accolés dans l'ordre choisi par le demandeur) ;
- soit, en cas de double nom d'un ou des parents, une partie de ces doubles noms.
Les seules limites enserrant cette procédure résident dans le nombre de fois où celle-ci peut être utilisée par une personne, à savoir : une seule fois dans sa vie, son applicabilité aux seules personnes majeures et la limitation du changement au nom de la parentèle.
Deux différences majeures ont été introduites avec la procédure de changement de nom préexistante et prévue au premier alinéa de l'article 61-3-1 précité :
- aucune formalité préalable de publicité n'est requise pour procéder à un tel changement ;
- aucun contrôle tenant à la légitimité de la demande n'est opéré par l'état civil. Autrement dit, ce changement de nom est réalisé de droit.
[...] L'application d'une telle procédure, à l'inverse de celle « non simplifiée », ne requiert pas la saisine obligatoire du procureur de la République, celle-ci n'étant prévue en application du quatrième alinéa de l'article 61-3-1 du code civil qu'en cas de « difficultés ». Ces difficultés, comme le précise la circulaire mentionnée ci-avant, résident principalement en « un doute quant à l'existence du lien de filiation du demandeur avec le parent dont il sollicite de porter le nom »57( *). En pareil cas, soit le procureur de la république estime que la demande satisfait aux conditions légales et ordonne à l'officier de l'état civil d'y procéder, soit il estime qu'elle ne satisfait pas lesdites conditions et avise le demandeur sans délai de son opposition. La copie de cette décision d'opposition est versée aux pièces annexes de l'acte de naissance.
Eu égard à la facilité d'opérer un changement de nom selon la procédure ainsi décrite, certains individus condamnés pour des faits de terrorisme ont pu changer de nom sans que l'autorité judiciaire n'ait été avertie ou qu'il ne soit possible d'en retrouver, de manière centralisée via une publication au Journal officiel de la République française, la traçabilité.
Source : rapport n° 258 (2023-2024) de Marc-Philippe Daubresse.
Ce mécanisme simplifié connaît, depuis sa création, un indéniable succès : selon l'INSEE, « Entre le 1er août 2022 et le 31 décembre 2023, 144 100 personnes nées en France ont changé de nom de façon substantielle (substitution, ajout, suppression et autres cas complexes). Les changements substantiels de nom ont été multipliés par plus de trois depuis la loi Vignal ; il y en avait 44 000 entre le 1er mars 2021 et le 31 juillet 2022, période de même durée avant l'application de la loi, soit en moyenne 2 600 par mois ». Après un pic à la fin 2022, le « rythme de croisière » semble désormais s'établir à 6 500 changements de nom par mois16(*).
Source : INSEE17(*).
Comme le rappelait Marc-Philippe Daubresse dans son rapport sur la proposition de loi instituant des mesures judiciaires de sûreté applicables aux condamnés terroristes et renforçant la lutte antiterroriste adoptée par le Sénat le 30 janvier 202418(*), cette nouvelle procédure a été génératrice de difficultés pour les services du ministère de l'intérieur - et notamment pour les services d'enquête et de renseignement - du fait de détournements qui ont permis à certaines personnes inscrites au Fijaisv ou au Fijait d'échapper aux obligations découlant de cette inscription.
Lors de son audition par le rapporteur, les représentants de la direction des libertés publiques et des affaires juridiques (DLPAJ) du ministère de l'intérieur ont indiqué que des palliatifs juridiques et techniques avaient été mis en place pour répondre aux difficultés créées par la procédure simplifiée de changement de nom. Ainsi, les informations relatives à l'identité des personnes ayant changé de nom ou de prénom enregistrées dans le répertoire national d'identification des personnes physiques (RNIPP, tenu par l'INSEE) sont désormais transmises régulièrement au ministère de l'intérieur19(*), permettant que soient tenus à jour les fichiers sur lesquels il s'appuie pour exercer ses missions ; de même, depuis avril 2024, un système d'information ad hoc permet aux services du ministère de consulter l'identité des personnes ayant changé de nom à la seule fin de mettre à jour cette identité dans les traitements de données à caractère personnel qu'ils mettent en oeuvre20(*). Enfin, le fichier des titres d'identité (TES) intègre désormais l'invalidation automatique sous trois mois des cartes nationales d'identité et des passeports des usagers ayant changé de nom ou de prénom21(*), empêchant toute utilisation dolosive d'une pluralité de titres d'identité.
Pour autant, ces procédés n'ont pas permis de résoudre l'ensemble des problèmes posés par la nouvelle rédaction de l'article 61-3-1 du code civil : en pleine cohérence avec l'analyse présentée par les auteurs de la présente proposition de loi, la DLPAJ a relevé auprès du rapporteur que la procédure simplifiée de changement de nom « offre à des individus ayant fait l'objet de condamnations pour des faits graves, notamment de terrorisme, la possibilité d'échapper à l'identification en modifiant leur nom de famille » et permet « à des personnes nées à l'étranger et n'ayant pas transcrit leur acte de naissance en France de disposer de deux identités distinctes, aucune disposition ne permettant la mise à jour automatique des actes de naissance détenus hors de France une fois le changement de nom consigné dans les registres français d'état civil ».
La situation semble moins défavorable au sein du ministère de la justice qui bénéficie, contrairement au ministère de l'intérieur, d'un accès direct au RNIPP, permettant une comparaison automatisée des états civils rattachés à une même personne. Lors de leur audition, les représentants de la direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) ont par ailleurs fait valoir que le code de procédure pénale autorisait, depuis sa modification en 202222(*), l'enregistrement des empreintes digitales au sein du casier judiciaire national, ce qui constitue une garantie substantielle de fiabilité du lien entre l'état civil et l'identité réelle.
Les difficultés créées par la procédure simplifiée de changement de nom sont d'autant plus importantes que, si le législateur a assorti l'inscription au Fijaisv et au Fijait d'obligations permettant de localiser les personnes inscrites (article 706-53-5 du code de procédure pénale pour le premier et article 706-25-7 pour le second), il n'a pas prévu de mesures de sûreté relatives à la vérification de leur état civil.
En effet, les obligations applicables sont à ce jour les suivantes :
- les personnes inscrites au Fijaisv doivent, pour toute la durée de leur inscription23(*), justifier de leur adresse a minima tous les ans et déclarer d'éventuels changements dans un délai de quinze jours. Les personnes condamnées pour un crime ou un délit grave (puni de plus de dix ans d'emprisonnement, ou vingt ans pour les mineurs) doivent justifier de leur adresse tous les six mois. La juridiction de jugement ou le juge de l'application des peines peut également, « si la dangerosité de la personne le justifie », prévoir une présentation de la personne tous les mois auprès du commissariat ou de la gendarmerie. Ce régime de présentation mensuelle s'applique de plein droit en cas de condamnation en récidive légale ;
- certaines des personnes inscrites au Fijait24(*) doivent justifier de leur adresse tous les trois mois et déclarer, dans un délai de quinze jours, d'éventuels changements d'adresse et projets de déplacements à l'étranger (ou de retour en France si la personne réside à l'étranger). Ces obligations sont valables pendant dix ans pour les majeurs et cinq ans pour les mineurs, cette durée ne commençant à courir qu'à leur libération pour les personnes incarcérées.
Les déclarations se font au commissariat ou à la brigade de gendarmerie dont dépend le domicile de la personne inscrite au fichier (ou, pour les inscrits qui résident à l'étranger, au consulat ou à la section consulaire de l'ambassade de France le plus proche de son domicile). Le non-respect de ces obligations est passible d'une peine de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende, de même que la tentative de se déplacer à l'étranger sans déclaration préalable pour un inscrit au Fijait. Ces sanctions ne sont pas théoriques : selon le ministère de la justice, environ 10 000 condamnations sont prononcées chaque année pour une infraction commise par des inscrits au Fijaisv, et un millier pour des inscrits au Fijait.
Pour résoudre les difficultés liées à la procédure simplifiée de changement de nom, les auteurs du texte proposent - comme l'a prévu le Sénat en adoptant l'article 15 bis de la proposition de loi précitée - au I de l'article 1er une procédure reposant sur le mécanisme suivant :
- l'officier d'état civil serait chargé de saisir le procureur de la République pour toute procédure de changement de nom, même simplifiée, lorsqu'un tel changement est « susceptible de constituer une menace pour l'ordre public en raison de la condamnation du demandeur pour l'une des infractions dont la liste est fixée par décret en Conseil d'État » ;
- le procureur pourrait s'opposer au changement de prénom ou de nom ;
- cette opposition pourrait être contestée par le demandeur ou son représentant (devant le tribunal judiciaire pour un changement de nom, et devant le juge aux affaires familiales pour un changement de prénom).
Pour compléter ce dispositif, il est par ailleurs prévu, au II de l'article 1er, d'élargir la liste des mesures de sûreté applicables aux inscrits au Fijaisv et au Fijait en y intégrant l'obligation de déclarer tout changement de nom ou de prénom.
2. La position de la commission : assurer le caractère opérationnel et la régularité juridique du dispositif proposé
Sans remettre en cause les objectifs qui ont animé les auteurs de la proposition de loi, la commission a souhaité rendre plus effectif le contrôle des changements de nom ou de prénom. Outre un amendement de coordination (COM-8), elle a apporté à l'article 1er plusieurs modifications afin de conforter le dispositif proposé sur le plan juridique et à mieux assurer sa pertinence opérationnelle.
Tout d'abord, constatant qu'en l'état du droit les officiers de l'état civil n'avaient accès ni au casier judiciaire, ni au Fijaisv ou au Fijait, la commission a voulu leur donner les moyens d'exercer réellement leur nouvelle compétence de saisine du procureur de la République. C'est ainsi qu'elle a adopté un amendement du rapporteur (amendement COM-6) afin de :
- prévoir que les personnes qui demandent un changement de nom selon la procédure simplifiée de la loi Vignal ou un changement de prénom devront joindre à leur demande le bulletin n° 2 de leur casier judiciaire et une attestation établie par la préfecture faisant apparaître l'existence, ou non, d'une fiche à leur nom au Fijaisv ou au Fijait ;
- fixer dans la loi la liste des infractions pour lesquelles la condamnation du demandeur sera considérée comme constitutive d'un risque potentiel pour l'ordre public devant conduire à la saisine du procureur : seraient visées les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation prévues par le code pénal, y compris les infractions terroristes, et les infractions violentes ou sexuelles graves dont la liste permet la mise en oeuvre de la procédure spécifique du titre XIX du code de procédure pénale, exposée ci-avant ;
- prévoir la saisine du procureur en cas d'inscription du demandeur au Fijaisv ou au Fijait ;
- maintenir la possibilité pour les personnes concernées de faire une demande de changement de nom auprès de l'officier de l'état civil de leur lieu de résidence, la suppression (proposée par les auteurs) de cette faculté n'apparaissant pas nécessaire à un meilleur contrôle de tels changements.
S'agissant, par ailleurs, des mesures de sûreté qui s'imposent aux inscrits au Fijaisv et au Fijait, la commission a, à l'initiative du rapporteur et d'Olivia Richard (amendements identiques COM-4 rect. bis et COM-7), précisé les modalités de mise en oeuvre de la nouvelle obligation de déclarer un changement de nom : elle a prévu que cette déclaration se ferait dans un délai de quinze jours après la demande de changement, puis dans le même délai après que le changement aura été accordé.
En outre, par les mêmes amendements, elle a introduit une nouvelle obligation pour les personnes inscrites au Fijaisv : en cas de particulière dangerosité, et sur décision expresse de la juridiction de jugement, celles-ci pourront - comme les inscrits au Fijait- être soumises à l'obligation de déclarer leurs déplacements hors du territoire national.
Enfin, en adoptant deux amendements du groupe écologiste - solidarité et territoires (GEST), la commission a supprimé unerestriction que la proposition de loi entendait introduire et qui aurait eu pour effet de priver les personnes dont l'acte de naissance n'est pas détenu par un officier de l'état civil français de procéder à un changement simplifié de nom de famille ou à un changement de prénom (amendement COM-2 et sous-amendement COM-14). Cette condition nouvelle ne présente, en effet, pas de lien manifeste avec l'objectif poursuivi par les auteurs : il a dès lors semblé préférable d'en rester à l'état actuel du droit et de ne pas mettre en place une limitation supplémentaire.
La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.
Article 2
Extension
de la liste des infractions donnant lieu
à une inscription au
Fijaisv
L'article 2 vise à intégrer, au sein de la liste permettant l'application de la procédure spécifique aux infractions sexuelles et aux infractions violentes commises sur les mineurs (catégorie qui emporte, notamment, l'inscription des condamnés au Fijaisv), deux nouveaux délits récemment créés.
La commission a adopté cet article sans modification.
1. La procédure spécifique applicable aux infractions de nature sexuelle ou des infractions violentes commises sur les mineurs
Les articles 706-47 et suivants du code de procédure pénale fixent, au sein d'un titre dédié (le titre XIX), la procédure applicable aux infractions sexuelles et commises sur des mineurs, mais aussi à des infractions violentes particulièrement graves et/ou commises en état de récidive légale. Elle concerne à ce jour une vaste liste de crimes et de délits.
Les infractions entrant dans le champ du titre XIX du code de procédure pénale (articles 706-47 à 706-53-22)
Aux termes de l'article 706-47 du code de procédure pénale, sont soumis à une procédure spécifique fixée par le titre XIX du code :
- les crimes de meurtre ou d'assassinat prévus aux articles 221-1 à 221-4 du code pénal, lorsqu'ils sont commis sur un mineur ou lorsqu'ils sont commis en état de récidive légale ;
- les crimes de tortures ou d'actes de barbarie prévus aux articles 222-1 à 222-6 du même code et les crimes de violences sur un mineur de quinze ans ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente prévus à l'article 222-10 dudit code ;
- les crimes de viol prévus aux articles 222-23 à 222-26 du même code, et le délit prévu à l'article 222-26-1 du même code consistant à faire des offres, promesses ou dons à un tiers pour qu'il commette un viol (ou « viol à distance ») ;
- les délits d'agressions sexuelles prévus aux articles 222-27 à 222-33 du même code ;
- les délits et crimes de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur prévus aux articles 225-4-1 à 225-4-4 du même code ;
- les délits et crimes de proxénétisme à l'égard d'un mineur prévus au 1° de l'article 225-7 et à l'article 225-7-1 du même code ;
- le délit de recours à la prostitution en récidive, à l'encontre d'une personne vulnérable ou avec une circonstance aggravante (habitude, par l'utilisation d'un réseau de communication en ligne, avec une relation d'autorité entre l'auteur et la victime, mise en danger de la victime ou commission de violences à son encontre), prévu aux articles 225-12-1 et 225-12-2 du même code ;
- le délit de corruption de mineur prévu à l'article 227-22 du même code ;
- le délit de proposition sexuelle faite par un majeur à un mineur de quinze ans ou à une personne se présentant comme telle en utilisant un moyen de communication électronique, prévu à l'article 227-22-1 du même code ;
- le délit de captation, d'enregistrement, de transmission, d'offre, de mise à disposition, de diffusion, d'importation ou d'exportation, d'acquisition ou de détention d'image ou de représentation pornographique d'un mineur, ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d'un paiement d'un service de communication au public en ligne mettant à disposition une telle image ou représentation, prévus à l'article 227-23 du même code ;
- le délit de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, prévus à l'article 227-24 du même code ;
- le délit d'incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation, prévu à l'article 227-24-1 du même code ;
- les délits d'atteintes sexuelles et de tentatives d'atteinte sexuelle prévus aux articles 227-25 à 227-27-2 du même code ;
- le délit d'incitation à commettre un crime ou un délit à l'encontre d'un mineur, prévu à l'article 227-28-3 du même code ;
- le délit d'atteinte sexuelle sur un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité prévu par l'article 521-1-1 du même code.
Source : commission des lois du Sénat.
Cette procédure particulière se caractérise notamment par :
- la possibilité que soit prononcée une injonction de soins à l'encontre des condamnés, lors de la condamnation ou postérieurement à celle-ci, avec le cas échéant un traitement inhibiteur de libido, et l'exigence d'une expertise médicale avant tout jugement au fond (article 706-47-1) ;
- l'information écrite de l'administration, par le procureur de la République, de toute condamnation (même non définitive) prononcée à l'encontre d'une personne qui exerce une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l'exercice est contrôlé (article 706-47-4) ;
- l'existence de mesures particulières de protection et d'accompagnement des mineurs victimes : expertise médico-psychologique, désignation d'un administrateur ad hoc s'il apparaît que les représentants légaux du mineur n'assurent pas complètement la protection de ses intérêts, assistance obligatoire d'un avocat lorsque le mineur victime est entendu par le juge d'instruction, enregistrement audiovisuel de ses auditions, etc. ;
- l'inscription des condamnés au Fijaisv, dans les conditions et selon les modalités décrites ci-avant25(*), avec notamment une inscription automatique pour les infractions punies de cinq ans d'emprisonnement ou commises sur un mineur sauf décision spécialement motivée du magistrat compétent, et une inscription facultative dans les autres cas (article 706-53-2 du code), qui s'accompagne de l'obligation de se soumettre à certaines mesures de sûreté, elles aussi déjà évoquées ci-dessus26(*) (et prévues par l'article 706-53-5).
L'application de cette procédure ouvre également à l'autorité judiciaire la possibilité de prononcer une mesure de rétention ou de surveillance de sûreté définie aux articles 706-53-13 à 706-53-22 du code de procédure pénale. La rétention de sûreté (qui consiste « dans le placement de la personne intéressée en centre socio-médico-judiciaire de sûreté dans lequel lui est proposée, de façon permanente, une prise en charge médicale, sociale et psychologique destinée à permettre la fin de cette mesure », et constitue donc une mesure privative de liberté s'étendant au-delà de l'exécution de la sanction pénale) n'est encourue que par les personnes condamnées à une peine de réclusion criminelle d'au moins quinze ans pour les crimes, commis sur une victime mineure, d'assassinat ou de meurtre, de torture ou actes de barbarie, de viol, d'enlèvement ou de séquestration ou, sur une victime majeure, pour les mêmes crimes dès lors qu'ils sont aggravés et/ou commis en récidive ; dans tous les cas, elle ne peut être prononcée que lorsqu'« il est établi, à l'issue d'un réexamen de [la] situation [des personnes condamnées] intervenant à la fin de l'exécution de leur peine, qu'elles présentent une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité » (article 706-53-13). La surveillance de sûreté peut succéder à la rétention de sûreté lorsque celle-ci n'est pas prolongée ou lorsqu'il y est mis fin. Elle comporte des obligations identiques à celles qui sont applicables dans le cadre d'une surveillance judiciaire : elle peut donc, entre autres, donner lieu à une injonction de soins et à un placement sous surveillance électronique mobile.
Les auteurs du texte proposent, avec l'article 2, d'élargir la liste des infractions donnant lieu à l'application de la procédure du titre XIX du code de procédure pénale pour y inclure deux nouveaux délits : l'incitation d'un mineur, par un moyen de communication électronique, à commettre un acte sexuel sur lui-même ou avec ou sur un tiers (article 227-22-2 du code pénal) et la sollicitation d'images pornographiques auprès d'un mineur (article 227-23-1 du même code). Ces deux infractions sont lourdement réprimées : elles sont en effet punies de sept ans d'emprisonnement et de 100 000 euros d'amende dans leur forme simple, et de dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros (voire un million d'euros en cas de commission en bande organisée) si elles sont commises sur un mineur de quinze ans.
Une telle extension permettrait, selon l'exposé des motifs, « d'exploiter encore davantage les potentialités du Fijaisv, un outil qui a fait ses preuves dans la prévention des violences sexuelles sur mineurs ».
2. La position de la commission
La commission a constaté que l'article 2 ne soulevait aucune objection juridique ; tout à l'inverse, l'ajout des deux délits précités à la liste des infractions sexuelles graves permettra de combler une lacune et rendra plus cohérent encore le périmètre du Fijaisv.
La commission a adopté l'article 2 sans modification.
Article 3
Contrôle de l'inscription au Fijaisv
des personnels des entreprises de transport public de personnes
L'article 3 permet aux entreprises de transport public de personnes de vérifier les antécédents des personnes qu'ils emploient via l'application du dispositif de consultation indirecte du Fijaisv déjà en vigueur pour les maires et les présidents d'exécutifs locaux.
La commission a substantiellement remanié cet article pour mettre en place un véritable régime d'incapacité légale qui interdira aux personnes condamnées pour des infractions sexuelles, violentes ou terroristes graves ainsi qu'aux personnes inscrites au Fijaisv ou au Fijait d'exercer des activités dans le transport collectif de mineurs ou de majeurs vulnérables.
1. Le contrôle de l'inscription au Fijaisv de certains professionnels en contact avec les mineurs ou avec des majeurs vulnérables
Aux termes de l'article 706-53-7 du code de procédure pénale, le Fijaisv est accessible à divers acteurs par l'intermédiaire d'un système de télécommunication sécurisé. Il peut ainsi être consulté par :
- les autorités judiciaires ;
- les officiers de police judiciaire, dans le cadre des procédures relatives à des crimes d'atteinte volontaire à la vie, d'enlèvement ou de séquestration ou à l'une des infractions mentionnées à l'article 706-47 du code de procédure pénale (voir supra) ;
- les agents des greffes pénitentiaires spécialement habilités ;
- les préfets et les personnels de certaines administrations de l'État27(*) pour les procédures de recrutement, d'affectation, d'autorisation, d'agrément ou d'habilitation dans certaines professions, ou pour le contrôle de leur exercice ; il s'agit des activités ou professions impliquant un contact avec des mineurs ou avec des majeurs vulnérables (la liste des professions tombant dans la seconde hypothèse est fixée par plusieurs décrets sectoriels en Conseil d'État28(*)). Dans ce cas, le Fijaisv ne peut être interrogé qu'à partir de l'identité de la personne29(*).
Aux termes du dernier alinéa de l'article précité, les maires et les présidents d'exécutifs locaux disposent d'un accès indirect au Fijaisv : ils « sont destinataires, par l'intermédiaire des préfets ou des administrations de l'État [...], des informations contenues dans le fichier » pour les procédures de gestion des ressources humaines et le contrôle des activités et professions déjà citées, lorsque celles-ci sont placées sous leur responsabilité. Selon les indications recueillies par le rapporteur au cours de ses auditions, cette consultation médiée repose sur un principe de « hit / no hit », dans lequel le demandeur est informé d'une éventuelle inscription au Fijaisv - sans, toutefois, que lui soient communiquées la nature des infractions commises ou des peines prononcées.
Ce système semble prendre une certaine ampleur et explique, selon les personnes entendues par le rapporteur, la nette augmentation du nombre de consultations du Fijaisv depuis cinq ans : selon le ministère de l'intérieur, « La généralisation du contrôle d'honorabilité des personnes travaillant en lien avec les enfants (article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles dans sa version issue de la loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants), entrée en vigueur le 1er novembre 2022, a conduit à une forte croissance des demandes de consultations du FIJAIS. Ce sont 157 729 consultations qui ont été réalisées par les préfectures en 2023 représentant une hausse substantielle de 109,5 % par rapport à l'année 2022 (75 204 consultations en 2022) ».
Le processus sera, à brève échéance, rendu plus fluide encore grâce à la mise en oeuvre de modalités simplifiées de contrôle de l'honorabilité : la direction des affaires criminelles et des grâces a ainsi précisé au rapporteur qu'un décret du 28 juin 202430(*) permet de passer d'une consultation manuelle du fichier par les préfectures à la demande des élus locaux, au cas par cas, à « un service de consultations massives et automatisées » mis en expérimentation en septembre 2024.
La facilitation du contrôle des antécédents judiciaires dans le secteur de la protection de l'enfance et de l'accueil du jeune enfant
Selon la DLPAJ, un travail a été mené en interministériel pour aboutir au décret n° 2024-643 du 28 juin 2024 relatif au contrôle des antécédents judiciaires des personnes mentionnées à l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles intervenant auprès de mineurs ou demandant l'agrément prévu à l'article L. 421-3 du même code. Celui-ci précise les nouvelles modalités du contrôle des antécédents judiciaires dans les champs de la protection de l'enfance et des modes d'accueil du jeune enfant.
Le décret prévoit ainsi que la demande de contrôle sera effectuée à l'initiative de la personne souhaitant être embauchée ou intervenant à quelque titre que ce soit auprès de personnes mineures, via un portail national permettant de délivrer une attestation d'honorabilité.
Le président du conseil départemental sera l'autorité chargée de délivrer cette attestation. Les conseils départementaux seront aidés, dans l'exercice de cette mission, par une task force au niveau national placée auprès de la DGCS.
L'article 3 du décret précise que les modalités de déploiement du SI Honorabilité et l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 1er du décret sont prévues par un arrêté. Cet arrêté a été signé le 8 juillet 2024 (arrêté du 8 juillet 2024 fixant le calendrier de déploiement du système d'information mis en oeuvre pour le contrôle des antécédents judiciaires dans le champ de l'accueil du jeune enfant et de la protection de l'enfance) et fixe le calendrier de déploiement et d'entrée en vigueur en trois vagues avec, à terme, une généralisation des nouvelles dispositions au deuxième trimestre 2025.
Source : DLPAJ.
Les chiffres communiqués par le ministère de la justice témoignent de cette évolution : alors qu'en 2021, environ 2,3 millions de consultations administratives pouvaient être recensées, on en décomptait 3,5 millions en 2023 et 4,2 millions pour les neuf premiers mois de l'année 2024, laissant présager un total de 5 millions de consultations en année pleine. Le contraste est plus saisissant encore si l'on compare ces statistiques avec des chiffres plus anciens. En effet, comme le relevait le rapport de la mission commune d'information du Sénat de 2019 sur la répression des infractions sexuelles sur mineurs, « [d]e son ouverture en 2005 jusqu'au 30 avril 2019, le FIJIAISV a été consulté à 6 803 922 reprises »31(*), tous types de consultations confondus : en d'autres termes, le fichier a été davantage consulté pendant les deux dernières années qu'il ne l'avait été pendant ses 14 premières années d'existence.
Nombre de consultations du Fijaisv (par an), 2018-2024
Source : ministère de la justice.
Ces évolutions apportent une réponse aux défaillances mises au jour par le rapport sénatorial d'information de Bernard Bonne de juillet 2023 sur l'application des lois relatives à la protection de l'enfance32(*), qui avait tiré un bilan mitigé du dispositif en vigueur. Le rapport déplorait notamment « que les contrôles des antécédents judiciaires ne soient pas encore effectifs en raison d'un système trop complexe et trop lent [...], à plus forte raison lorsque le recrutement se fait en urgence (professionnels intérimaires, contrat à durée déterminée - CDD) » ; cette situation découlait en particulier du fait que « tous les départements n'[avaient] pas contractualisé avec les représentants de l'État pour la mise en place d'un circuit d'obtention des informations du Fijaisv ». Comme en attestent les informations transmises par les ministères de l'intérieur et de la justice, ce problème semble être en voie de résolution, notamment grâce à l'extension récente de la liste, traditionnellement limitée aux seules préfectures, des administrations de l'État autorisées à mettre en oeuvre le système de consultation médiée des fichiers.
Au-delà de ces difficultés logistiques, des régimes juridiques différenciés demeurent. En effet, la consultation indirecte du Fijaisv par les acteurs locaux n'est pas adossée à une incapacité de principe des inscrits au fichier, sauf exceptions sectorielles explicitement prévues par la loi. En d'autres termes, hors des cas où le législateur a interdit aux personnes inscrites au Fijaisv d'exercer certaines professions ou de se livrer à certaines activités, l'information dont les maires et les présidents d'exécutifs locaux sont destinataires ne leur impose pas de renoncer à recruter ou à maintenir en poste auprès de mineurs ou de majeurs vulnérables une personne dont il leur aurait été indiqué qu'elle apparaît sur le fichier.
Ce principe est tempéré par deux éléments :
- d'une part, la commission des infractions qui conduisent à une inscription au Fijaisv donne à la juridiction de jugement la possibilité de prononcer une peine complémentaire d'interdiction d'exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact habituel avec les mineurs. Tel est notamment le cas les hypothèses d'atteinte volontaire à l'intégrité de la personne, d'atteinte à l'intégrité de la personne résultant d'une intoxication volontaire, de proxénétisme et de recours à la prostitution, de trafic de stupéfiants ou d'atteinte aux mineurs et à la famille, mais surtout en cas de viol, d'inceste et d'agression sexuelle : dans ce dernier cas, et lorsque l'infraction est commise sur un mineur, l'article 222-48-4 du code pénal prévoit que la peine complémentaire est forcément prononcée à titre définitif, sauf décision spécialement motivée de la juridiction, de même que pour les autres infractions sexuelles commises sur les mineurs (corruption de mineur, détention ou transmission de contenus pédo-criminels...) ;
- d'autre part, comme on l'a déjà relevé, des interdictions sectorielles ont été prévues par le législateur afin de mettre en place, pour certaines activités et professions, un régime d'inaptitude en cas de condamnation33(*) pour certaines infractions donnant lieu à une inscription au Fijaisv (ou figurant au bulletin B2 du casier judiciaire34(*)), ce qui emporte un accès indirect à ce fichier. Là encore, la consultation est fondée sur un fonctionnement en « hit / no hit » ; elle s'effectue au moyen de systèmes d'information dédiés, souvent regroupés sous l'appellation générique « SI honorabilité ».
Sont soumises à de telles interdictions les personnes qui enseignent, animent ou encadrent une activité physique ou sportive, ou qui entraînent ses pratiquants (article L. 212-9 du code du sport), celles qui exploitent un établissement dans lequel sont pratiquées des activités physiques ou sportives (article L. 322-1 du même code), ainsi que celles qui interviennent à quelque titre que ce soit35(*) dans les établissements, services ou lieux de vie et d'accueil régis par le code de l'action sociale et de la famille (c'est-à-dire les établissements médico-sociaux, les accueils collectifs de mineurs et de majeurs, les pouponnières, les hébergements de personnes âgées, les centres pour handicapés adultes, les centres d'hébergement et de réinsertion sociale, les centres d'accueil pour demandeurs d'asile, les centres provisoires d'hébergement, etc.), les services accueillant des enfants de moins de six ans, dans les services à la personne portant sur la garde d'enfants ou l'assistance aux personnes vulnérables à domicile36(*). Dans ce second cas, le contrôle intervient « avant l'exercice des fonctions de la personne et à intervalles réguliers lors de leur exercice »37(*).
On rappellera que, dans le secteur médico-social, l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles permet au responsable de l'établissement de suspendre la personne qui, bien qu'inscrite au Fijaivs, n'a pas fait l'objet d'une condamnation définitive génératrice d'une inaptitude professionnelle dès lors que le motif d'inscription au fichier (condamnation non-définitive ou mise en examen) est de nature à créer des « risques pour la santé ou la sécurité des mineurs ou des majeurs en situation de vulnérabilité avec lesquels elle est en contact ». Le même article permet de mettre fin au contrat ou aux fonctions de la personne en cas d'incapacité légale avérée.
La liste des infractions donnant lieu à une incapacité d'exercice au titre du code de l'action sociale et des familles
Aux termes de l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles, sont soumises à une interdiction d'exercice les personnes condamnées définitivement pour un crime ou pour l'un des délits suivants :
- atteintes volontaires à la vie de la personne ;
- attentes volontaires à l'intégrité physique ou psychique de la personne (y compris, donc, le viol, les agressions sexuelles, le harcèlement ou le trafic de stupéfiants) ;
- mise en danger et atteintes à la liberté ou à la dignité de la personne ;
- recel de contenus pédocriminels ;
- appropriations frauduleuses ;
- destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes ;
- atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation ;
- terrorisme.
L'incapacité s'applique également en cas de condamnation définitive à une peine supérieure à deux mois d'emprisonnement sans sursis pour les délits d'atteinte involontaire à la vie ou à l'intégrité de la personne, de recel et d'infractions voisines, de corruption passive et de trafic d'influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, de soustraction ou de détournement de biens, de corruption active et de trafic d'influence commis par les particuliers, d'entrave à l'exercice de la justice, de faux et de provocation à l'usage illicite de stupéfiants.
Le périmètre de ces interdictions individuelles ou sectorielles est d'ores et déjà particulièrement - et légitimement - vaste. S'y ajoute la procédure d'information, d'initiative (article 11-2 du code de procédure pénale) ou obligatoire (article 706-47-4), de l'administration par le parquet en cas de commission de certaines infractions. L'information obligatoire a une portée large : elle s'applique en effet aux condamnations, même non définitives, pour toute infraction susceptible de donner lieu à l'inscription au Fijaisv dès lors que celle-ci a été « prononcée à l'encontre d'une personne dont il a été établi au cours de l'enquête ou de l'instruction qu'elle exerce une activité professionnelle ou sociale impliquant un contact habituel avec des mineurs et dont l'exercice est contrôlé, directement ou indirectement, par l'administration »38(*).
En dépit de cet arsenal déjà relativement complet, certaines professions pourtant sensibles restent exclues du régime d'inaptitude fondée sur une condamnation pénale (et celles-ci, a fortiori, ne disposent pas d'un accès indirect au Fijaisv) : tel est notamment le cas des conducteurs de transports collectifs de mineurs ou de majeurs vulnérables.
C'est dans ce contexte que les auteurs de la proposition de loi souhaitent rendre les « entreprises de transport public de personnes » destinataires des informations contenues dans le Fijaisv, dans les mêmes conditions que les élus locaux (donc avec un accès indirect au fichier et une consultation seulement fondée sur l'identité de la personne) ; sur ce point, le texte reprend l'article 18 bis de la proposition de loi relative au renforcement de la sûreté dans les transports, adoptée par le Sénat le 13 février 2024.
2. La position de la commission : aller au bout de la logique de protection des usagers et opter pour une véritable incapacité légale
Légitime dans son principe, le dispositif proposé à l'article 3 soulève plusieurs difficultés juridiques et opérationnelles.
Sur le plan juridique, le renvoi aux « entreprises de transport public de personnes » constitue, comme l'a indiqué la DACG au questionnaire du rapporteur, « une extension particulièrement large des accès aux données sensibles contenues dans le FIJAIS et dont la divulgation est susceptible de préjudicier au respect de la vie privée et de la présomption d'innocence, dès lors que ce fichier comprend les condamnations définitives mais également les condamnations non définitives, réhabilitées, amnistiées ainsi que les mises en examen ». La notion couvre en effet des entreprises privées dont le nombre est conséquent et qui, bien qu'elles assurent un service public pour le compte de l'Etat ou des collectivités territoriales, ne sauraient (sous peine de remettre en cause l'équilibre sur lequel repose la législation actuelle, qui régule les accès au Fijaisv selon une logique proche du « besoin d'en connaître ») être placées au même niveau que les maires ou les présidents d'exécutifs locaux dans la consultation d'informations éminemment sensibles. Une telle évolution serait, en outre, potentiellement contraire aux principes fixés par le Règlement général sur la protection des données (RGPD) - celui-ci impose un niveau élevé de protection des « données relatives à des condamnations pénales et à des infractions, ou encore à des mesures de sûreté connexes » et une limitation étroite des accès à celles-ci (paragraphe 75), et qui prohibe tout traitement par des responsables ou des sous-traitants établis hors de l'Union européenne (paragraphe 80) - et à la Constitution - étant rappelé que le Conseil constitutionnel n'a admis la possibilité d'un accès administratif au Fijaisv qu'au vu des limitations strictes dont il était assorti39(*) : au vu de ses décisions successives et de leurs commentaires, il est plausible qu'il jugerait contraire à la Constitution toute forme de consultation, même indirecte, accordée à un acteur privé.
Plus encore, un simple accès aux informations contenues dans le Fijaisv sous la forme d'une consultation médiée du fichier ne répond pas, en pratique, à l'objectif poursuivi par les auteurs40(*) : à supposer qu'un employeur apprenne par ce biais qu'un de ses salariés, pourtant en contact avec des mineurs ou des majeurs vulnérables, est inscrit au Fijaisv, il ne serait en l'état du texte tenu d'en tirer aucune conséquence et ne disposerait pas, dans le silence de la loi, de la possibilité de suspendre ou de licencier le salarié en question.
C'est pourquoi, sur le modèle des incapacités légales prévues en matière médico-sociale par l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles, la commission a adopté un amendement du rapporteur (amendement COM-11) instaurant une véritable incapacité légale d'exercice dans le secteur du transport public de mineurs ou de majeurs vulnérables à l'encontre de toutes les personnes définitivement condamnées pour des infractions violentes ou sexuelles (donc celles qui donnent lieu à la mise en oeuvre du régime spécifique du titre XIX du code de procédure pénale, en application de l'article 706-47 du même code) ainsi que pour une infraction à caractère terroriste. De même que dans le secteur médico-social, une suspension pourrait également être mise en oeuvre par l'employeur en cas de condamnation non définitive ou de mise en examen mentionnée au Fijaisv, dès lors que le maintien en fonction crée un risque pour la sécurité ou la santé des usagers.
En pratique, et afin de ne pas remettre en cause le principe d'une régulation des accès au Fijaisv, l'incapacité serait garantie par le contrôle, avant toute entrée en fonction puis chaque année au cours de l'exercice des fonctions, du bulletin n° 2 du casier judiciaire et d'une attestation de non-inscription au Fijaisv ou au Fijait - ces documents n'étant pas transmis directement à l'employeur, mais demandés par le responsable de la collectivité territoriale en charge de l'organisation et du fonctionnement du service de transport (maire, président d'intercommunalité, président de conseil départemental ou régional) à la préfecture puis envoyés à la personne faisant l'objet du contrôle afin qu'elle les remette à son employeur.
Ce système équilibré permettra non seulement de mieux atteindre l'objectif poursuivi par les auteurs, mais aussi d'éviter toute contrariété avec des normes européennes ou constitutionnelles.
La commission a adopté l'article 3 ainsi rédigé.
Article 4
(nouveau)
Possibilité de prolongation de la rétention d'un
étranger condamné à une interdiction du territoire en cas
d'infraction sexuelle ou violente grave
Inséré par la commission à l'initiative du rapporteur, l'article 4 permet, sur le modèle des dispositions existantes en matière de terrorisme, de prolonger jusqu'à 180, voire 210 jours la rétention d'un étranger condamné à une interdiction du territoire pour une infraction sexuelle ou violente grave.
L'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (Ceseda) permet de prolonger jusqu'à 180 jours, sur décision du magistrat compétent du siège du tribunal judiciaire, la rétention d'un étranger dès lors que plusieurs conditions cumulatives sont réunies :
- la rétention doit résulter d'une condamnation à une peine d'interdiction du territoire prononcée « pour des actes de terrorisme prévus par le titre II du livre IV du code pénal » ou d'une expulsion « édictée pour un comportement lié à des activités à caractère terroriste pénalement constatées » ;
- l'éloignement de l'étranger doit constituer une « perspective raisonnable » ;
- l'assignation à résidence doit ne pas être suffisante pour assurer le contrôle de la personne concernée.
Dans les mêmes conditions, et « à titre exceptionnel », la rétention peut être à nouveau prolongée par un magistrat jusqu'à 210 jours (article L. 742-7).
Il apparaît paradoxal qu'une telle prolongation, pourtant étroitement encadrée et soumise à la décision d'un magistrat du siège, soit applicable en matière de terrorisme mais non dans le cas où la peine d'interdiction du territoire a été prononcée par la juridiction de jugement dans le cadre d'une condamnation pour une infraction sexuelle ou violente grave - alors même que le taux de récidive de ces infractions est important, faisant de toute remise en liberté un facteur de risque pour la population.
C'est pourquoi, adoptant un amendement du rapporteur, la commission des lois a prévu que les étrangers interdits du territoire français après avoir commis l'une des infractions prévues à l'article 706-47 du code de procédure pénale41(*) pourront être maintenus en rétention jusqu'à 180, voire 210 jours (amendement COM-13).
La commission a adopté l'article 4 ainsi rédigé.
Article 5 (nouveau)
Application outre-mer
Inséré par la commission à l'initiative du rapporteur, l'article 5 rend les innovations permises par la présente proposition de loi applicables en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna ainsi que, pour ce qui concerne le droit des étrangers, à Saint-Martin et à Saint-Barthélemy.
Conformément à l'article 74 de la Constitution, la Polynésie française, les îles Wallis-et-Futuna, la Nouvelle-Calédonie et les Terres australes et antarctiques françaises sont régies par le principe de spécialité législative : la loi n'y est applicable que si le législateur le prévoit par une mention expresse, qui résulte en matière pénale de l'article 804 du code de procédure pénale et, pour les mineurs, des articles L. 721-1, L. 722-1 et L. 723-1 du code de la justice pénale des mineurs.
Une coordination s'impose également, pour garantir l'application du nouvel article 4 du texte, dans plusieurs articles du code de de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Aussi la commission a-t-elle, à l'initiative du rapporteur, adopté un amendement procédant aux modifications requises pour assurer la mise en oeuvre dans les outre-mer du fonctionnement rénové du Fijaisv et du Fijait (amendement COM-9 rect.).
La commission a adopté l'article 5 ainsi rédigé.
* 15 Rapport n° 258 (2023-2024) de Marc-Philippe Daubresse sur la proposition de loi précitée.
* 16 Étude de l'INSEE parue le 25 avril 2024, « Depuis la loi Vignal, triplement du nombre de changements de nom de famille ».
* 17 Étude précitée.
* 18 Voir supra.
* 19 Décret n° 2023-971 du 20 octobre 2023 modifiant le décret n° 2019-341 du 19 avril 2019.
* 20 Arrêté du 19 décembre 2023 portant création d'un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « table de correspondance des noms et prénoms » (TCNP).
* 21 Décret n° 2024-689 du 5 juillet 2024.
* 22 Article 771-2, créé par l'ordonnance n° 2022-1524 du 7 décembre 2022 relative au casier judiciaire national automatisé prise pour l'application du règlement (UE) 2019/816 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019 et de la directive (UE) 2019/884 du Parlement européen et du Conseil du 17 avril 2019.
* 23 Celle-ci est fixée par l'article 706-53-4 du code de procédure pénale trente ans si l'inscription résulte d'un crime ou d'un délit puni de dix ans d'emprisonnement et à vingt ans dans les autres cas pour les majeurs ; pour les mineurs, la durée est de dix ans.
* 24 Les mesures de sûreté ne sont pas applicables aux personnes inscrites sur ce fichier en raison d'une condamnation ou d'une mise en examen pour apologie du terrorisme ou pour violation d'une interdiction de sortie du territoire ou d'une obligation liée au contrôle administratif des retours sur le territoire national.
* 25 Voir le commentaire de l'article 1er.
* 26 Idem.
* 27 La liste des administrations concernées est citée ci-avant.
* 28 Il s'agit notamment des services aux personnes âgées, personnes handicapées, familles fragiles et personnes ayant besoin d'une aide personnelle à leur domicile ; des fédérations sportives, établissements dans lesquels sont pratiquées des activités physiques ou sportives, et des personnes chargées d'enseigner, d'animer ou d'encadrer une activité physique ou sportive ou d'entraîner ses pratiquants licenciés ; et des personnes exploitant, dirigeant, intervenant ou exerçant une activité au sein des établissements, services ou lieux de vie et d'accueil, bénévoles intervenant dans ces établissements, assistants maternels ou familiaux et majeurs et mineurs d'au moins 13 ans vivant à leur domicile, dans les champs de la protection de l'enfance et des modes d'accueil du jeune enfant.
* 29 Les autorités judiciaires et les officiers de police judiciaire peuvent, à l'inverse, interroger le fichier selon plusieurs critères : identité de la personne, adresses successives, nature des infractions commises.
* 30 Décret n° 2024-643 du 28 juin 2024 relatif au contrôle des antécédents judiciaires des personnes mentionnées à l'article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles intervenant auprès de mineurs ou demandant l'agrément prévu à l'article L. 421-3 du même code.
* 31 Rapport n° 529 (2018-2019), « Violences sexuelles sur mineurs en institutions : pouvoir confier ses enfants en toute sécurité » de Marie Mercier, Michelle Meunier et Dominique Vérien.
* 32 Rapport n° 837 (2022-2023) établi au nom de la commission des affaires sociales du Sénat.
* 33 Il s'agit ici des condamnations définitives, ce qui constitue une différence notable avec le Fijaisv qui, comme on l'a vu, comporte des informations relatives à des condamnations non encore définitives et à des mises en examen.
* 34 Sa transmission est prévue par l'article 776 du code de procédure pénale pour les « administrations et personnes morales [... et les] administrations ou organismes chargés par la loi ou le règlement du contrôle de l'exercice d'une activité professionnelle ou sociale lorsque cet exercice fait l'objet de restrictions expressément fondées sur l'existence de condamnations pénales ou de sanctions disciplinaires » ; ce même article dispose que « Les dirigeants de personnes morales de droit public ou privé exerçant auprès des mineurs une activité culturelle, éducative ou sociale au sens de l'article L. 312-1 du code de l'action sociale et des familles peuvent obtenir la délivrance du bulletin n° 2 du casier judiciaire, pour les seules nécessités liées au recrutement d'une personne, lorsque ce bulletin ne porte la mention d'aucune condamnation ».
* 35 Le code de l'action sociale et des familles (article L. 133-6) vise toute personne appelée à « exploiter [ou] diriger l'un des établissements, services ou lieux de vie et d'accueil [...], y intervenir ou y exercer une fonction permanente ou occasionnelle, à quelque titre que ce soit, y compris bénévole » ainsi qu'à « exercer une activité ayant le même objet en qualité de salarié employé par un particulier employeur ».
* 36 Cette liste a été élargie par la loi n° 2024-317 du 8 avril 2024 portant mesures pour bâtir la société du bien vieillir et de l'autonomie, qui a par ailleurs ouvert une possibilité de consultation du Fijaivs pour les activités et professions en contact avec des personnes majeures vulnérables et donné une base légale à un nouveau « SI honorabilité » pour le secteur de l'action sociale. Ce même texte a permis aux personnes bénéficiant de la consultation « médiée » du Fijaisv de faire appel à des administrations de l'État dont la liste est définie par décret en Conseil d'État (et non plus aux seules préfectures), permettant à la direction générale de la cohésion sociale de procéder, pour le compte des présidents des conseils départementaux, à des vérifications dans le secteur médico-social.
* 37 Article L. 133-6 du code de l'action sociale et des familles.
* 38 Article 706-47-4 précité.
* 39 Décision précitée n° 2004-492 DC du 2 mars 2004. Son commentaire souligne qu'« aucune norme constitutionnelle ne s'oppose par principe à l'utilisation à des fins administratives de données nominatives recueillies dans le cadre d'activités de police judiciaire. Il est vrai que cette utilisation méconnaîtrait les exigences résultant des articles 2, 4, 9 et 16 de la Déclaration de 1789 si, par son caractère excessif, elle portait atteinte aux droits ou aux intérêts légitimes des personnes concernées » ; le Conseil laisse entendre qu'il serait contraire à la Constitution que « le contenu du fichier [soit] rendu accessible au public », et plus généralement qu'une extension des accès serait attentatoire à la vie privée des inscrits.
* 40 Pour mémoire, faute d'une loi particulière, s'applique l'article 10 de la loi dite « informatique et libertés » du 6 janvier 1978, qui - comme l'a rappelé la Cnil dans une délibération de 2007 - « dispose qu'aucune décision produisant des effets juridiques à l'égard d'une personne ne peut être prise sur le seul fondement d'un traitement automatisé de données destiné à définir le profil de l'intéressé ou à évaluer certains aspects de sa personnalité ».
* 41 La liste de ces infractions est détaillée supra.