II. UN TEXTE TOUJOURS INSUFFISAMMENT CONFORME AUX OBLIGATIONS ORGANIQUES

A. DANS LE CAS DE LA BRANCHE FAMILLE ET DE LA CNAF, LE PASSAGE D'UN REFUS DE CERTIFIER À UNE IMPOSSIBILITÉ DE CERTIFIER

Dans son rapport de certification des comptes 2023 de la sécurité sociale, la Cour des comptes a émis une impossibilité de certifier les comptes de la branche famille et de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf), en raison notamment du maintien d'un montant élevé de prestations erronées.

1. Un « progrès » par rapport au refus de certifier les comptes 2022

Il s'agit d'un « progrès » par rapport aux comptes 2022 de la branche famille et de la Cnaf, que la Cour avait refusé de certifier. On rappelle qu'un refus de certification se distingue d'une « simple » impossibilité de certifier en ceci qu'il correspond à l'affirmation, par le certificateur, de l'inexactitude des comptes.

Ce refus de certification provenait notamment de la forte augmentation de la proportion de paiements erronés depuis les comptes 2018. En effet, les comptes sont établis sur la base non des encaissements et des décaissements (qui peuvent ne pas correspondre aux sommes réellement dues), mais des dettes et des créances effectives, ce dont il résulte qu'un paiement erroné entraîne une fausseté des comptes. Cela explique que la Cour des comptes s'intéresse dans le cadre de la certification des comptes à ce qui pourrait a priori sembler relever de considérations de bonne gestion ou d'efficacité.

Par exemple, dans le cas de l'indicateur dit de « risque financier résiduel » à 24 mois16(*), les erreurs à la hausse ou à la baisse étaient dans le cas des comptes 2022 de 7,6 % du montant total des prestations (soit 5,8 milliards d'euros), contre 4,2 % (soit 2,9 milliards d'euros) dans le cas des comptes 2018.

2. Une situation préoccupante
a) Des versements erronés qui, après avoir fortement augmenté en 2020-2022, ne diminuent que faiblement selon l'indicateur à 24 mois et continuent d'augmenter selon l'indicateur à 9 mois

Le passage pour les comptes 2023 d'un refus de certifier à une « simple » impossibilité de certifier s'explique par les efforts engagés et la légère amélioration constatée, avec pour cet indicateur à 24 mois des erreurs de 7,4 % du montant total des prestations (soit 5,5 milliards d'euros).

Toutefois, dans le cas de l'indicateur à 24 mois la diminution des paiements erronés demeure très insuffisante, du fait de la forte dégradation constatée les années précédentes, comme le montre le graphique ci-après.

Branche famille
Incidence financière des erreurs résiduelles « données déclarées » à 9 et 24 mois

NB : dans le cas de l'indicateur à 24 mois, les prestations concernées sont celles de l'année antérieure.

Source : D'après les rapports de certification des comptes 2017, 2020 et 2023

Selon le rapport d'évaluation des politiques de sécurité sociale (Repss) relatif à la branche « Famille » annexé au Placss 2023, le taux d'erreur à 24 mois de 7,4 % constaté en 2023 (portant sur les prestations versées en 2022) se répartit entre 6,3 points d'indus (c'est-à-dire de sommes payées à tort par la Cnaf) et 1,1 point de rappels (c'est-à-dire de sommes dues mais non payées par la Cnaf).

Par ailleurs, dans le cas de l'indicateur à 9 mois, les erreurs résiduelles sont en augmentation, passant de 9,9 % en 2022 à 10,9 % en 2023 (dont 8,1 points pour les indus et 2,8 points pour les rappels17(*)).

b) Une dégradation préoccupante de la qualité des comptes de la sécurité sociale depuis 2020

Le refus puis l'impossibilité de certifier les comptes 2022 et 2023 de la branche famille et de la Cnaf participent de la dégradation de la qualité des comptes de la sécurité sociale depuis l'exercice 2020, comme le montre le tableau ci-après.

Dans le cas de l'exercice 2021, ce refus de certifier venait du fait qu'en raison du principe des droits constatés18(*), un produit de 5 milliards d'euros, résultant de la régularisation de cotisations dues par les travailleurs indépendants, aurait dû être imputé sur 2020 (et non sur 2021). Un amendement de la commission des affaires sociales du Sénat à la première partie du PLFSS 2023, maintenu dans le texte promulgué, a corrigé cette erreur. Toutefois, les caisses ont refusé de modifier leurs comptes en conséquence, et dans les LFSS suivantes le Gouvernement n'a tenu aucun compte de cette correction ; leurs données rétrospectives sont donc erronées.

Impossibilités et refus de la Cour des comptes de certifier
les différents comptes de la sécurité sociale

 

Comptes des branches

Comptes des organismes

Maladie

AT-MP

Famille

Vieillesse

Recouvrement

Cnam

Cnaf

Cnav

Acoss

2006

 

 

Impossibilité

 

 

 

Impossibilité

 

 

2007

 

 

Impossibilité

 

Refus

 

Impossibilité

 

Refus

2008

 

 

Refus

Refus

 

 

Refus

Refus

 

2009

 

 

 

Refus

 

 

 

Refus

 

2010

 

Refus

 

 

 

 

 

 

 

2011

 

Refus

Refus

 

 

 

Refus

 

 

2012

 

Impossibilité

 

 

 

 

 

 

 

2013

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2014

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2015

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2016

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2017

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2018

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2019

 

 

 

 

 

 

 

 

 

2020

 

 

 

 

Impossibilité

 

 

 

 

2021

 

 

 

 

Refus

 

 

 

 

2022

 

 

Refus

 

 

 

Refus

 

 

2023

 

 

Impossibilité

 

 

 

Impossibilité

 

 

Une case verte indique une certification des comptes (avec ou sans réserve).

AT-MP : accidents du travail-maladies professionnelles. Cnam : caisse nationale de l'assurance maladie. Cnaf : caisse nationale des allocations familiales. Cnav : caisse nationale d'assurance vieillesse. Acoss : agence centrale des organismes de sécurité sociale (devenue Urssaf Caisse nationale).

Source : D'après la Cour des comptes

Si la fréquence élevée des refus et impossibilités de certification de 2006 à 2012 pouvait dans une certaine mesure sembler « normale », du fait de la nouveauté du processus de certification, la dégradation observée depuis les comptes 2020 est préoccupante.

Il importe donc que la sécurité sociale - en particulier la Cnaf - et le Gouvernement poursuivent leurs efforts, afin que la qualité des comptes figurant dans le Placss, de même que l'exactitude des versements de la branche famille, redeviennent conformes à ce que le Parlement et les citoyens sont en droit d'attendre.


* 16 Correspondant aux erreurs résiduelles imputables à des données déclaratives non corrigées au bout de 24 mois (lorsque les prestations versées à tort deviennent prescrites en faveur des allocataires).

* 17 Répartition indiquée dans le Repss « famille » annexé au Placss 2023.

* 18 Selon lequel une charge ou un produit doit être rattaché à l'exercice correspondant au fait générateur, et non à celui correspondant au décaissement ou à l'encaissement.

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