N° 686

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024

Enregistré à la Présidence du Sénat le 12 juin 2024

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part (procédure accélérée),

Par M. Alain CAZABONNE,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Cédric Perrin, président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Mmes Hélène Conway-Mouret, Catherine Dumas, Michelle Gréaume, MM. Joël Guerriau, Jean-Baptiste Lemoyne, Akli Mellouli, Philippe Paul, Rachid Temal, vice-présidents ; M. François Bonneau, Mme Vivette Lopez, MM. Hugues Saury, Jean-Marc Vayssouze-Faure, secrétaires ; MM. Étienne Blanc, Gilbert Bouchet, Mme Valérie Boyer, M. Christian Cambon, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Olivier Cigolotti, Édouard Courtial, Jérôme Darras, Mme Nicole Duranton, M. Philippe Folliot, Mme Annick Girardin, M. Guillaume Gontard, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, André Guiol, Ludovic Haye, Loïc Hervé, Alain Houpert, Patrice Joly, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Roger Karoutchi, Ronan Le Gleut, Claude Malhuret, Didier Marie, Thierry Meignen, Jean-Jacques Panunzi, Mme Évelyne Perrot, MM. Stéphane Ravier, Jean-Luc Ruelle, Bruno Sido, Mickaël Vallet, Robert Wienie Xowie.

Voir les numéros :

Sénat :

544 et 687 (2023-2024)

L'ESSENTIEL

Le présent projet de loi a pour objet d'autoriser l'approbation de deux accords aériens respectivement avec l'Arménie et l'Ukraine, signés par l'Union européenne et ses États membres.

Ces accords s'inscrivent dans un mouvement général relatif aux transports aériens impulsé par l'Union européenne en 2005 et relancé en 2012 puis en 2015.

Les accords de services aériens sont des traités destinés à définir l'ensemble des conditions dans lesquelles les liaisons aériennes peuvent être réalisées. Ils procèdent d'une compétence partagée. Certaines de ces dispositions, comme celles en matière de droit de la concurrence, renvoient à une compétence exclusive de l'Union européenne, tandis que d'autres, comme celles relatives à l'accès au marché (octroi des droits de trafic) relèvent encore des États.

En requérant des mandats de négociation, la Commission européenne se propose donc d'agir à la fois au nom des États membres et au nom de l'Union européenne. En revanche, les accords sont signés par l'Union européenne et les États membres et doivent être ratifiés également par les États membres. En application du principe de subsidiarité, les ratifications ou approbations sont d'abord effectuées par les États membres, avant de l'être par le Parlement européen. Le processus peut prendre plusieurs années et représenter des délais significatifs en ce qui concerne son entrée en vigueur. L'application provisoire de l'accord, dès sa signature, permet ainsi de réduire les inconvénients inhérents à la lenteur du processus de ratification.

Depuis une dizaine d'années, les signatures des accords aériens ont été suspendues à cause d'un différend entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de l'aéroport que le Royaume-Uni avait construit sur l'isthme de Gibraltar. Avec la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, le 1er janvier 2020, l'opposition à la signature des accords aériens a été levée. C'est pourquoi différents accords ont pu être signés en très peu de temps, comme ceux avec l'Arménie ou l'Ukraine, alors qu'ils ont été négociés à des périodes différentes.

L'accord sur la création d'un espace aérien commun avec l'Arménie, le mandat a été octroyé par le Conseil de l'Union européenne et ses États membres le 1er décembre 2016. Il a été paraphé le 24 novembre 2017. Il n'a été signé que le 15 novembre 2021.

Quant à celui avec l'Ukraine, il a fait l'objet d'un mandat le 12 décembre 2012. Il a été paraphé le 28 novembre 2013, mais signé que le 12 octobre 2021.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.

I. DES ACCORDS QUI SE SITUENT DANS LE CADRE DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE D'OUVERTURE DES TRANSPORTS AÉRIENS

A. LES ARRÊTS DITS « CIELS OUVERTS » UNE JURISPRUDENCE QUI A REDESSINÉ LE PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE L'UNION ET SES ÉTATS MEMBRES

Les arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes du 5 novembre 2002 dits « Ciel ouvert », ont marqué le point de départ d'une politique extérieure de l'aviation de l'Union européenne.

Cette jurisprudence affirme des compétences communautaires en matière de services aériens internationaux, alors que traditionnellement ces services étaient régis par des accords bilatéraux entre États.

Il s'agissait pour la Cour de se prononcer sur des accords bilatéraux passés entre certains États membres et les États-Unis.

En effet, la Commission européenne estimait que la Communauté disposait d'une compétence exclusive pour conclure des accords de transport aérien avec des pays tiers.

La Cour n'a pas donné raison à la Commission européenne, considérant que si, effectivement, certaines dispositions des accords bilatéraux conclus par les États membres empiétaient sur la compétence communautaire (dispositions relatives aux systèmes informatisés de réservation et à la gestion des créneaux horaires, ainsi que certaines dispositions tarifaires), d'autres, comme celles relatives à l'accès au marché (octroi des droits de trafic) relevaient des États.

Prenant acte des arrêts de la Cour, le Conseil transports du 5 juin 2003 a adopté une décision autorisant la Commission à négocier un accord avec les États-Unis visant à établir un « espace aérien sans frontière » avec l'Union européenne, destiné à remplacer les accords bilatéraux de l'ensemble des États membres et à résoudre les problématiques juridiques soulignées par la Cour.

Le Conseil de juin 2003 a également autorisé la Commission à négocier avec l'ensemble des pays tiers (mandat de négociation dit « horizontal ») des accords dont l'unique objet est de remplacer les dispositions des accords bilatéraux des États membres contraires au droit européen.

Enfin, lors de cette session, le Conseil a arrêté une approche générale concernant un projet de règlement sur la négociation et la mise en oeuvre des accords de services aériens entre les États membres et les pays tiers. Celle-ci s'est concrétisée par l'adoption, en avril 2004, du règlement (CE) n° 847/2004 du Parlement européen et du Conseil.

B. L'EXTENSION DE LA POLITIQUE EXTÉRIEURE EUROPÉENNE DANS LE DOMAINE DE L'AVIATION

En mars 2005, la Commission a précisé les objectifs de cette nouvelle politique dans une communication intitulée « Développer l'agenda de la politique extérieure de l'aviation de la Communauté ». Il s'agit principalement :

- d'assurer la mise en conformité avec le droit européen des accords bilatéraux existants, soit par le biais de négociations bilatérales entre les États membres et les pays tiers concernés, soit en ayant recours à une négociation européenne dans le cadre du mandat horizontal donné en 2003 ;

- et de négocier des accords entre l'Union européenne et certains pays tiers, qui se substitueraient aux accords bilatéraux de services aériens conclus par les différents États membres.

Ce dernier objectif s'articule autour de deux axes :

- le premier concerne les pays de la politique de voisinage de l'Union européenne, auxquels il est proposé de conclure des accords européens de services aériens dont la principale caractéristique est de subordonner l'accès au marché intérieur à la reprise et la mise en oeuvre de l'acquis européen applicable au transport aérien ;

- le second concerne les partenaires clés de l'Union européenne - comme les États-Unis -, pour lesquels les accords européens de services aériens sont adaptés aux spécificités du pays concerné, en recherchant toutefois un certain degré de convergence des réglementations dans les principaux domaines du transport aérien, notamment dans celui de la sécurité.

Cette communication a servi de base aux conclusions que le Conseil transports a adoptées en juin 2005 sur la création d'un espace aérien commun avec ses voisins à l'est et au sud, dont l'Ukraine et l'Arménie.

En décembre 2012, le Conseil a adopté de nouvelles conclusions pour orienter la politique extérieure de l'Union européenne dans ce domaine, sur la base d'une communication de la Commission intitulée « La politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation - Anticiper les défis à venir ». Considérant notamment que l'Union européenne devait adopter une approche « individualisée » avec certains partenaires clés (l'Inde, la Russie, la Turquie, certains pays du Golfe, l'Association des nations d'Asie du Sud-Est - ASEAN), le Conseil a notamment appelé à intensifier les négociations avec les pays du voisinage et consacré une large part de ses conclusions à la nécessité d'assurer les conditions d'une concurrence loyale entre transporteurs aériens.

Enfin, dans sa communication du 7 décembre 2015 « Une nouvelle stratégie de l'aviation pour l'Europe », la Commission a réservé une place importante à la politique extérieure de l'Union européenne dans le domaine de l'aviation. La Commission a ainsi recommandé au Conseil de lui délivrer des autorisations pour négocier des accords globaux dans le domaine des transports aériens avec la Chine, l'ASEAN, la Turquie, six pays du Golfe (Arabie Saoudite, Bahreïn, Émirats arabes unis, Koweït, Qatar et Oman), le Mexique et l'Arménie, et proposé d'entamer de nouveaux dialogues dans le domaine de l'aviation avec des partenaires clés comme l'Inde. La Commission a en outre fait part de son intention d'introduire des dispositions relatives à la concurrence loyale dans le cadre de la négociation des accords européens de transport aérien, et indiqué qu'elle envisageait d'adopter des mesures pour lutter contre les pratiques déloyales de la part des pays tiers et des opérateurs de ces pays.

Sur cette base, en juin 2016, le Conseil européen a autorisé la Commission à ouvrir des négociations avec l'ASEAN, les Émirats arabes unis, le Qatar et la Turquie puis, lors de sa session de décembre 2016, le Conseil a délivré une autorisation similaire pour l'Arménie.

À ce jour, l'Union européenne a d'ores et déjà signé des accords globaux de transport aérien avec :

- s'agissant de ses partenaires clés, les États-Unis en 2007 et le Canada en 2009. Un accord a été signé avec le Qatar en 2021, mais il n'est pas encore approuvé par la France ;

- s'agissant des pays impliqués dans sa politique de voisinage, le Maroc en 2006, la Géorgie et la Jordanie en 2010, la Moldavie en 2012, Israël en 2013.

Par ailleurs, un accord multilatéral a été signé en 2006 avec l'Islande, la Norvège, la Bulgarie, la Roumanie et les États des Balkans occidentaux, dont l'objectif était d'élargir le marché intérieur. Ces États se sont engagés à appliquer l'intégralité des règles européennes, non seulement dans le domaine du transport aérien mais aussi dans celui de la concurrence.

Les accords avec l'Arménie et l'Ukraine appartiennent à la catégorie des accords avec des pays du voisinage. Ces pays sont dans une démarche de rapprochement avec l'Union européenne : ils reçoivent des aides économiques et bénéficient d'un accompagnement pour les aider à intégrer progressivement l'acquis communautaire en matière d'aviation dans des domaines comme la sécurité, la sureté, la surveillance de la navigation aérienne, la concurrence, les aspects sociaux et environnementaux.

Ces accords, paraphés respectivement en 2017 et 2013, sont sans lien avec les conflits que traversent ces États actuellement, mais ils revêtent aujourd'hui une portée symbolique.

II. LE CONTENU DES ACCORDS SUR LA CRÉATION D'UN ESPACE AÉRIEN AVEC L'ARMÉNIE ET L'UKRAINE

L'accord avec l'Arménie a été rapidement conclu puisqu'une seule rencontre a été nécessaire pour parvenir à un accord. En revanche, les négociations avec l'Ukraine ont été plus longues en raison de la question des certifications dans le domaine de la sécurité auxquelles sont soumis les constructeurs aéronautique s ukrainiens.

Les accords sur la création d'un espace aérien avec l'Arménie et l'Ukraine répondent aux standards des autres accords conclus avec les pays du voisinage. Seul celui avec l'Ukraine comporte des clauses spécifiques, dues au fait que l'Ukraine dispose d'une industrie aéronautique importante.

Autre différence, la France et l'Ukraine étaient précédemment liées par un accord bilatéral, ce qui n'était pas le cas avec l'Arménie.

Leur structure diffère, quatre années séparant leur rédaction, mais leurs contenus restent très proches, et surtout, conformes aux autres accords de ce type conclus avec les pays du voisinage de l'Union européenne.

En outre, les deux accords prévoient une application provisoire à compter de leurs signatures, soit depuis le 15 novembre 2021 pour l'Arménie et depuis le 12 octobre 2021 pour l'Ukraine.

A. DISPOSITIONS ÉCONOMIQUES

Ces dispositions sont traitées dans le Titre I dans l'accord avec l'Arménie et dans le Titre III dans celui qui concerne l'Ukraine.

Il s'agit principalement de l'octroi des droits commerciaux : les transporteurs européens pourront desservir, au départ de tout aéroport de l'Union européenne, tout aéroport d'Arménie ou d'Ukraine (droits dits de 3ème et 4ème liberté). Ces droits sont réciproques : une compagnie aérienne arménienne ou ukrainienne pourra opérer des vols directs illimités vers n'importe quel point de l'Union européenne.

Toutefois, ces droits nécessitent d'être en conformité avec les normes de sécurité, ce qui n'est pas le cas des compagnies arméniennes. Celles-ci pourront tout de même affréter une compagnie aérienne d'un autre pays qui remplit ces normes pour utiliser les droits aériens prévus par l'accord.

Enfin, lorsque l'Arménie et l'Ukraine auront atteint un niveau suffisant d'application de l'acquis communautaire, attesté par les évaluations périodiques des services de la Commission, les transporteurs européens pourront effectuer des vols via un point intermédiaire dans certains États tiers, ou au-delà de l'Arménie ou de l'Ukraine, vers des États tiers (droits de 5ème liberté).

Les transporteurs arméniens et ukrainiens bénéficieront des mêmes libertés, mais sans possibilité d'exercer des droits de 5ème liberté au-delà des pays de l'Union européenne.

Sont également prévues les conditions d'attribution ou de retrait des autorisations d'exploitation des transporteurs aériens, la possibilité d'investir dans les entreprises de transports aériens de l'autre partie, les activités commerciales autorisées, les droits de douane et taxes, les redevances d'usage, la liberté de fixer les tarifs.

Enfin, chaque accord dispose d'un article dédié aux conditions nécessaires à une « concurrence équitable », qui implique, notamment, la suppression, sauf exception, des différentes formes de subventions publiques.

L'accord avec l'Ukraine dispose d'un article spécifique, ce pays présentant la particularité d'avoir une industrie aéronautique importante capable de construire de grands aéronefs. Il traite de la coopération industrielle entre les constructeurs aéronautiques européens et ukrainiens et mentionne que la certification ukrainienne dans le domaine de la sécurité est exclue de l'annexe 1 mentionnant les normes européennes à intégrer.

B. COOPÉRATION RÉGLEMENTAIRE

La coopération réglementaire est prévue dans les deux accords dans les secteurs de la sécurité et de la sûreté aériennes, ainsi qu'en matière de gestion du trafic aérien.

À ce titre, il prévoit d'associer l'Arménie et l'Ukraine, en qualité d'observateur, aux travaux de l'Agence européenne de sécurité aérienne et aux travaux du comité « ciel unique européen ».

En outre, des articles traitent de la protection de l'environnement et de la coopération entre les Parties pour identifier les enjeux liés aux incidences de l'aviation sur l'environnement.

Enfin, chaque accord dispose d'un article relatif aux aspects sociaux. Il est à noter que celui relatif à l'Arménie, d'une rédaction plus récente, est plus complet et se réfère explicitement aux conventions fondamentales de l'Organisation internationale du travail.

C. DISPOSITIONS INSTITUTIONNELLES

Les dispositions institutionnelles sont prévues au Titre III pour l'Arménie et au Titre IV pour l'Ukraine. Elles prévoient en particulier la mise en place du comité mixte, qui dans tous les accords aériens, est responsable de la gestion et de l'application de l'accord.

Un système classique de règlement des différends est prévu : le recours à l'arbitrage, lorsque le comité mixte n'a pas pu résoudre le différend. Des mesures de sauvegarde sont également prévues.

D. ANNEXES RELATIVES À LA REPRISE DE L'ACQUIS COMMUNAUTAIRE

Enfin, les accords comportent des annexes qui précisent les dispositions transitoires dans l'attente de la reprise de l'acquis communautaire et qui dressent la liste des règles communautaires à reprendre en matière d'aviation civile.

Pour l'accord avec l'Ukraine, d'autres textes sont annexés, dont un qui précise les conditions d'exploitation des transporteurs européens et ukrainiens déjà traitées par la partie relative aux dispositions économiques. Il y est notamment indiqué que les transporteurs européens disposent d'un droit de cabotage en Ukraine, ce qui est un avantage d'autant plus rare qu'il est octroyé à titre unilatéral.

III. DES ACCORDS À FORTE PORTÉE SYMBOLIQUE

L'étude d'impact annexée au présent projet de loi indique que ces accords sont sans lien avec les conflits rencontrés par l'Arménie et l'Ukraine. En tout état de cause, et même s'ils sont juridiquement en vigueur depuis leurs signatures, leurs effets ne pourront être pleinement produits que lorsque la situation de ces États s'améliorera. Leurs approbations revêtent une forte portée symbolique.

A. POUR L'ARMÉNIE, DES LIAISONS AÉERIENNES EN DEVELOPPEMENT, MAIS QUI NE BÉNÉFICIENT PAS AUX COMPAGNIES ARMÉNIENNES

La coopération bilatérale entre l'Arménie et l'Union européenne n'a cessé de s'étendre et de s'approfondir depuis la signature de l'accord de partenariat global en novembre 2017 et sa pleine entrée en vigueur en mars 2021.

Quant au mandat donné à la Commission européenne pour négocier l'accord avec l'Arménie, il date du 1er décembre 2016, soit près de quatre années avant le conflit armé qui a éclaté au Haut-Karabagh à l'automne 2020 avec l'Azerbaïdjan. L'accord a été paraphé, après une seule rencontre, dès le 24 novembre 2017, l'Arménie ayant manifesté son souhait que les négociations aboutissent rapidement.

Les clauses de l'accord sont très génériques et ne se réfèrent pas à un espace géographique précis. Le recouvrement par l'Azerbaïdjan des districts entourant le Haut-Karabagh, occupé depuis 1994 par l'Arménie ne remet donc pas en cause le présent accord.

L'étude d'impact indique qu'en 2021, année au cours de laquelle le trafic restait très impacté par la crise sanitaire du Covid19, plus de 230 000 passagers ont voyagé entre l'Union européenne et l'Arménie, dont 40 000 passagers pour la France1(*).

L'accord devrait contribuer à désenclaver l'Arménie, en développant des liaisons aériennes directes avec les pays de l'Union européenne et en lui donnant accès à leurs hubs. Il devrait également, à l'instar d'accords similaires, permettre de développer le tourisme en Arménie.

Toutefois, les compagnies aériennes enregistrées en Arménie figurent sur la « liste noire » de l'Union européenne depuis juin 2020 en raison de manquements aux règles de sécurité aérienne. Elles ne peuvent donc pas bénéficier de l'accord dans l'immédiat.

Le premier comité mixte s'est tenu le 9 juin 2022 à Erevan, avec la participation du ministre délégué arménien Armen Simonyan. Lors de ce comité mixte a été présentée l'évolution du marché :

- Le nombre de passagers entre l'Union européenne entre 2019 et 2022 a plus que doublé pour atteindre 660 000 passagers en 2022. Le fret a presque doublé pour atteindre 2032 tonnes ;

- Il existe 12 routes aériennes entre des aéroports de l'Union européenne et des aéroports d'Arménie, dont 3 nouvelles routes depuis la signature de l'accord (parmi elles, Marseille-Erevan ouverte l'été dernier par Transavia) ;

- Paris-Erevan, avec 96 000 passagers est la 2e liaison la plus fréquentée après Vienne-Erevan (128 000), et devant Varsovie-Erevan (91 000), Athènes-Erevan (85 000) et Frankfort-Erevan (80 000).

L'Arménie a également présenté ses progrès dans la transposition de l'acquis communautaire.

Ce premier comité mixte fut l'occasion pour l'agence européenne de sécurité aérienne de présenter son programme de coopération technique avec les pays partenaires de l'UE dans la zone (Moldavie, Géorgie, Arménie, Ukraine).

Un prochain comité mixte devrait se tenir cette année, avant l'été 2024.

B. POUR L'UKRAINE, UN ACCORD SUSPENDU DE FAIT PAR LA GUERRE

Le Conseil de l'Union européenne a donné mandat à la Commission européenne pour négocier l'accord avec l'Ukraine le 12 décembre 2006 et l'accord a été paraphé le 28 novembre 2013.

Le présent accord a donc été négocié préalablement à l'annexion illégale de la Crimée par la Russie en mars 2014 et à l'invasion de l'Ukraine par la Russie en février 2022, mais les clauses de l'accord ne se réfèrent pas à un espace géographique précis.

Pour des raisons de sécurité évidentes, il n'y a plus de vols réguliers pour l'Ukraine depuis l'invasion de l'Ukraine par la Russie le 24 février 2022.

La situation actuelle ne permet pas de tirer profit dans l'immédiat du présent accord, mais il renforcera et confirmera l'ancrage de l'Ukraine dans le régime et les normes de l'aviation civile européenne, alors que le pays est officiellement candidat à l'adhésion à l'Union européenne depuis le 23 juin 2022.

De plus, l'étude d'impact indique qu'en 2021, plus de 4,5 millions de passagers ont voyagé entre l'Ukraine et l'Union européenne, dont 40 000 pour la France. Un accroissement des dessertes était prévu, mais l'invasion russe a mis un terme aux projets d'ouverture de nouvelles routes vers des destinations ukrainiennes.

À plus long terme, celles-ci devraient reprendre et être même supérieures à celles envisagées, en raison des réfugiés ukrainiens dans les pays de l'Union européenne qui pourraient être amenés à s'y installer durablement et à retourner ponctuellement en Ukraine.

Eu égard au conflit également qui a éclaté peu après la signature de l'accord, le comité mixte prévu annuellement ne s'est encore jamais tenu.

À noter toutefois que pour éviter que les équipages des compagnies ukrainiennes perdent leurs qualifications en ne volant pas, l'ensemble des pays de l'Union européenne, dont la France, font preuve de souplesse et autorisent aux compagnies ukrainiennes qui en font la demande, à exploiter des vols, même rares, sur leur territoire, y compris entre deux villes de l'Union européenne.

Récemment, la France a autorisé une dizaine de vols passagers de la compagnie Windrose aviation entre l'Irlande et la France en septembre 2023 ainsi qu'entre le Kosovo et la France à la fin de mois de décembre 2024. Un vol cargo de la compagnie Cavok entre l'Afrique du nord et la France a été autorisée au printemps 2023.

CONCLUSION

Après un examen attentif des dispositions de cet accord, la commission a adopté ce projet de loi n° 544 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part.

L'approbation des accords sur la création d'un espace aérien commun avec l'Arménie et l'Ukraine revêt dans les circonstances actuelles un fort message symbolique : celui du soutien de la France et des pays de l'Union européenne à ces deux pays proches dans un contexte de conflits armés sur leurs territoires.

Le développement du transport aérien entre les divers pays a toujours été perçu comme un facteur de paix. La Convention de Chicago de 1944, texte fondateur de l'Organisation de l'aviation civile internationale indique dans son préambule que : « Considérant que le développement futur de l'aviation civile internationale peut grandement aider à créer et à préserver entre les nations et les peuples du monde l'amitié et la compréhension, alors que tout abus qui en serait fait peut devenir une menace pour la sécurité générale. Considérant qu'il est désirable d'éviter toute mésentente entre les nations et les peuples et de promouvoir entre eux la coopération dont dépend la paix du monde ».

À ce jour, l'accord avec l'Arménie a déjà été ratifié par la République Tchèque, l'Estonie, l'Espagne, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, les Pays Bas, l'Autriche, la Roumanie et la Suède.

Celui avec l'Ukraine a été ratifié par la République Tchèque, l'Estonie, l'Espagne, la Lettonie, la Lituanie, les Pays Bas, l'Autriche, la Pologne, la Roumanie et la Suède.

Dans ces conditions, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces a adopté ce projet de loi autorisant l'approbation des accords sur le transport aérien entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, l'Ukraine et l'Arménie, d'autre part, de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier.

L'examen en séance publique aura lieu le 19 juin 2024 selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mercredi 12 juin 2024, sous la présidence de M. Cédric Perrin, président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Alain Cazabone sur le projet de loi n° 544 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part.

M. Cédric Perrin, président. - Nous commençons nos travaux avec l'examen du rapport et du texte de la commission sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part, et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part.

M. Alain Cazabonne, rapporteur. - Nous examinons en effet aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de deux accords aériens communs entre l'Union européenne et ses États membres : l'un avec l'Arménie, l'autre avec l'Ukraine.

Ces accords ne sont pas récents, puisqu'ils ont été paraphés en 2017 pour le premier et en 2013 pour le second, soit bien avant les récents conflits subis par ces États. Ils n'ont en revanche été signés qu'en 2021.

En effet, comme nous l'avons vu récemment lors de l'examen du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord global dans le domaine du transport aérien entre les États membres de l'Association des nations de l'Asie du Sud-Est (Asean) et l'Union européenne et ses États membres, les signatures ont été suspendues en raison d'un différend entre le Royaume-Uni et l'Espagne au sujet de l'aéroport que le Royaume-Uni a construit sur l'isthme de Gibraltar. Ce n'est qu'après la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne qu'ont pu être signés les accords déjà négociés et paraphés, comme ceux avec l'Ukraine et l'Arménie qui sont l'objet de ce projet de loi.

Ces accords se situent tous deux dans le cadre de la politique européenne d'ouverture des transports aériens qui a débuté dans les années 2000, avec les accords aériens signés avec les États-Unis en 2007, puis avec le Canada en 2009.

Ils procèdent d'une compétence partagée : les dispositions relevant du droit de la concurrence renvoient à une compétence exclusive de l'Union européenne, tandis que d'autres, comme l'octroi des droits de trafic, relèvent encore des États. Le Conseil européen donne mandat à la Commission européenne pour négocier ces accords, qui doivent ensuite être également signés et approuvés par chaque État membre, selon leurs procédures propres, puis par le Parlement européen.

Après les accords avec les États-Unis et le Canada, le Conseil a donné à la Commission mandat pour négocier des accords avec les pays dits du voisinage - Maroc, Géorgie, Jordanie, Moldavie, Israël, Ukraine et Arménie. En outre, un accord spécifique a été conclu avec l'Islande, la Norvège, la Bulgarie, la Roumanie et les États des Balkans occidentaux.

À la fin de 2015, la Commission européenne a publié une communication qui porte sur une nouvelle stratégie de l'aviation pour l'Europe à l'horizon 2020. Ce document insiste sur la nécessité de rétablir des conditions de concurrence loyale entre les compagnies aériennes européennes et celles des pays tiers.

Les deux accords, paraphés à quatre ans d'intervalle, sont conformes à ceux qui ont été conclus par l'Union européenne avec les autres pays du voisinage. Ils sont entrés en application provisoire depuis leur signature, respectivement en novembre 2021 pour l'Arménie et en octobre 2021 pour l'Ukraine.

En théorie, ces accords permettent aux transporteurs européens de desservir sans escale tous les aéroports d'Arménie et d'Ukraine et, réciproquement, aux compagnies de ces deux pays de desservir directement les pays les ayant approuvés. Lorsqu'ils auront suffisamment intégré les normes communautaires, les transporteurs arméniens et ukrainiens pourront effectuer des vols avec escales vers d'autres pays de l'Union européenne, de même que les transporteurs européens vers des pays tiers.

Dans les faits, la situation est bien différente.

Toutes les compagnies aériennes arméniennes sont inscrites sur la liste noire de l'Union européenne en raison de manquements aux règles de sécurité aérienne. Elles ne peuvent donc pas bénéficier de l'accord dans l'immédiat.

Quant à l'Ukraine, la guerre interdit, pour des raisons de sécurité évidente, tout vol régulier au-dessus de son espace aérien depuis l'invasion russe, le 24 février 2022.

La ratification de ces accords revêt donc essentiellement une portée symbolique. Il me faut tout de même vous les exposer plus en détail, malgré leur caractère technique.

Outre les droits commerciaux précédemment abordés, ces accords traitent de manière classique des conditions d'attribution et de retrait des autorisations d'exploitation, des activités commerciales autorisées, des taxes et des droits de douane. Une coopération réglementaire est prévue dans les secteurs de la sécurité et de la sûreté aérienne. À ce titre, l'Arménie et l'Ukraine sont associées en tant qu'observateurs aux travaux de l'Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne.

Les accords comportent des articles relatifs à la protection de l'environnement et des droits sociaux. Ils instituent un comité mixte, responsable de leur application. Un système classique de règlement des différends est prévu par le recours à l'arbitrage si nécessaire. Enfin, des annexes précisent les dispositions transitoires dans l'attente de la reprise de l'acquis communautaire.

Les différences principales entre ces deux accords reposent, d'une part, sur le fait que la France et l'Ukraine étaient précédemment liées par un accord bilatéral en la matière, d'autre part, sur le fait que, l'Ukraine disposant d'une industrie aéronautique importante, certaines clauses de l'accord la concernant traitent de coopération industrielle et de certification.

L'accord avec l'Arménie a donné lieu à l'ouverture de trois nouvelles routes aériennes, mais celles-ci ne peuvent être desservies que par les transporteurs européens. Un premier comité mixte s'est réuni en juin 2022 à Erevan.

L'accord avec l'Ukraine est suspendu de fait jusqu'à l'arrêt des hostilités. On peut penser qu'à l'issue de la guerre le nombre de passagers augmentera, en raison des réfugiés ukrainiens qui pourraient s'installer durablement dans les pays de l'Union européenne et retourner ponctuellement en Ukraine.

L'approbation de ces accords enverra un signal positif à ces deux pays proches et amis. La coopération bilatérale entre l'Arménie et l'Union européenne n'a cessé de s'étendre et de s'approfondir depuis la signature de l'accord de partenariat global en novembre 2017 et sa pleine entrée en vigueur en mars 2021. L'approbation de cet accord constituera un pas supplémentaire.

L'Ukraine, candidat officiel à l'adhésion à l'Union européenne, attend depuis 2013 la ratification de cet accord. Même si celle-ci a une visée symbolique, il s'agit d'un encouragement à sa volonté d'intégration.

Je terminerai mon propos en citant les considérants du préambule de la convention de Chicago de 1944, texte fondateur de l'Organisation de l'aviation civile internationale, qui affirme que le développement du transport aérien entre les divers pays a toujours été perçu comme un facteur de paix : « Le développement futur de l'aviation civile internationale peut grandement aider à créer et à préserver entre les nations et les peuples du monde l'amitié et la compréhension, alors que tout abus qui en serait fait peut devenir une menace pour la sécurité générale, [...] il est désirable d'éviter toute mésentente entre les nations et les peuples et de promouvoir entre eux la coopération dont dépend la paix du monde. »

À ce jour, l'accord aérien avec l'Arménie a été ratifié par la République tchèque, l'Estonie, l'Espagne, la Lettonie, la Lituanie, la Hongrie, les Pays-Bas, l'Autriche, la Roumanie et la Suède. Celui qui concerne l'Ukraine a été ratifié par la République tchèque, l'Estonie, l'Espagne, la Lettonie, la Lituanie, les Pays-Bas, l'Autriche, la Pologne, la Roumanie et la Suède.

Je préconise l'adoption de ce projet de loi dont le Sénat est saisi en premier. La date de son examen en séance publique n'est pas fixée à ce jour, à la suite de la dissolution de l'Assemblée nationale, mais la conférence des présidents et moi-même préconisons qu'il ait lieu selon la procédure simplifiée.

Le projet de loi est adopté sans modification.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

Ministère de l'Europe et des affaires étrangères :

M. Alexandre JOAO, rédacteur Moldavie, Ukraine - relations économiques bilatérale, sous-direction de la Russie et de l'Europe orientale

M. Alexis MORENO, adjoint au chef de mission COREPER I, direction de l'Union européenne

M. Pierre DOUSSET, conseiller juridique à la Mission des Accords et Traités, direction des affaires juridiques

Ministère de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires :

Mme Florence SZEREMETA, Chargée de mission accords européens de transport aérien, Sous-direction des services aériens, direction générale de l'aviation civile (DGAC)

Fédération Nationale de l'Aviation et de ses Métiers (FNAM)

Laurent TIMSIT, Délégué Général

Air France - KLM

M. Aurélien GOMEZ, Directeur Affaires Parlementaires & Territoriales

M. Eric JOFFRAIN, négociateur des accords de service aérien -

 

ANNEXE : LES NEUF LIBERTÉS DE L'AIR

Source : Organisation de l'aviation civile internationale (OACI)


* 1 La communauté arménienne est estimée à plus de 500 000 personnes en France

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