N° 472
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2023-2024
Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 mars 2024
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en troisième lecture, visant à protéger le groupe Électricité de France d'un démembrement,
Par Mme Christine LAVARDE,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Bruno Belin, Christian Bilhac, Jean-Baptiste Blanc, Emmanuel Capus, Thierry Cozic, Bernard Delcros, Thomas Dossus, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Stéphane Sautarel, Pascal Savoldelli, vice-présidents ; M. Michel Canévet, Mmes Marie-Claire Carrère-Gée, Frédérique Espagnac, M. Marc Laménie, secrétaires ; MM. Arnaud Bazin, Grégory Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, M. Éric Bocquet, Mme Isabelle Briquet, M. Vincent Capo-Canellas, Mme Marie-Carole Ciuntu, MM. Raphaël Daubet, Vincent Delahaye, Vincent Éblé, Rémi Féraud, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Raymond Hugonet, Éric Jeansannetas, Christian Klinger, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Olivier Paccaud, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Mme Ghislaine Senée, MM. Laurent Somon, Christopher Szczurek, Mme Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel.
Voir les numéros :
Première lecture : 671, 808 et T.A. 78
Deuxième lecture : 1076, 1090 et T.A. 110
Troisième lecture : 2115, 2201 et T.A. 243 |
Première lecture : 341, 464, 465 et T.A. 90 (2022-2023)
Deuxième lecture : 579 (2022-2023), 247, 248 et T.A. 54 (2023-2024)
Troisième lecture : 370 et 473 (2023-2024) |
L'ESSENTIEL
La commission des finances a été saisie de la proposition de loi n° 370 (2023-2024) visant à protéger le groupe EDF d'un démembrement, déposée à l'Assemblée nationale le 27 décembre 2022 par le député Philippe Brun. Réunie le 29 mars 2023, sous la présidence de M. Claude Raynal, elle avait adopté en première lecture le texte avec modifications, sur le rapport de M. Gérard Longuet. En deuxième lecture, réunie à nouveau le 17 janvier 2024, la commission des finances a à nouveau adopté le texte avec modifications, sur le rapport de Mme Christine Lavarde.
La commission des finances a examiné la proposition de loi en troisième lecture le mercredi 27 mars 2024, et a adopté conforme le texte transmis.
En première lecture, la commission avait ainsi adopté cinq amendements :
- l'amendement COM-4 a supprimé l'article 1er, qui visait à la nationalisation d'électricité de France, alors qu'une offre publique d'achat simplifiée était déjà en cours ;
- l'amendement COM-5, sous amendé ( COM-9) par M. Victorin Lurel et le groupe socialiste, procède à la réécriture de l'article 2. En effet, plutôt que de figer les activités d'EDF en créant un groupe public unifié, il est proposé d'inscrire dans la loi la détention par l'État de l'entreprise, et de maintenir une part d'actionnariat salarié. Par ailleurs, l'amendement précise que l'activité d'EDF s'exerce conformément au code de l'énergie, et s'inscrit ainsi dans un corpus juridique complexe, issu du droit national et européen. Enfin, le sous-amendement vise à indiquer que la société anonyme est « d'intérêt national » ;
- l'amendement COM-7 prévoit l'extension des tarifs réglementés de vente d'électricité (Torve) à l'ensemble des TPE et des petites communes sans considération de puissance électrique souscrite ;
- l'amendement COM-8 supprime les gages prévus par l'auteur de la proposition de loi. En effet, la proposition n'ayant aucun coût pour les finances publiques, ceux-ci sont superflus.
En séance publique, le Sénat a adopté un amendement n° 19 du Gouvernement visant à ne pas contraindre l'État à mettre en place de l'actionnariat salarié, tout en lui laissant la possibilité de le faire.
En deuxième lecture, l'Assemblée nationale avait maintenu plusieurs modifications introduites par le Sénat en conservant :
- les suppressions des articles 1, 3 et 4, votées par le Sénat en première lecture ;
- à l'article 2, la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise EDF, et sa détention à 100 % par l'État ;
- à l'article 3 bis, la généralisation des TRVe à l'ensemble des TPE et des petites communes sans considération de la puissance électrique souscrite.
Par ailleurs, l'Assemblée nationale a procédé à d'importantes modifications aux articles 2 et 3 bis. Ainsi, elle a réintroduit à l'article 2 les dispositions relatives aux secteurs d'activité dans lesquels l'entreprise doit intervenir. À l'article 3 bis, l'Assemblée nationale a étendu les TRVe au-delà de ce que le droit de l'Union européenne permet.
L'article 3 ter, qui concerne une demande de rapport sur l'opportunité d'une nationalisation d'Électricité de Mayotte, n'a été modifié que marginalement par rapport à la version votée par le Sénat : seule la date de remise du rapport a été amendée.
En deuxième lecture, le Sénat était revenu à un texte proche de celui qu'il avait voté en première lecture avec :
- l'amendement COM-2, qui revient sur plusieurs des modifications introduites par l'Assemblée nationale à l'article 2 en deuxième lecture. La commission des finances a en effet souhaité remplacer la logique de contrainte qui a prévalu à l'Assemblée nationale, par une logique d'objectifs, fixés par la loi et qui devront être déclinés dans une convention décennale entre l'État et l'entreprise et EDF, révisée tous les trois ans ;
- l'amendement COM-3, qui a rétabli, à l'article 3 bis, un périmètre des bénéficiaires des TRVe compatible avec le droit de l'Union européenne, à savoir une extension à l'ensemble des très petites entreprises (TPE) et des petites communes et autres personnes morales qui emploient moins de 10 personnes et disposent de moins de 2 millions d'euros de budget, sans considération de puissance de leur compteur électrique ;
- en séance publique, les deux amendements n° 1 de M. Bilhac et n° 12 de M. Lurel ont néanmoins introduit une opération spécifique à destination des actionnaires salariés, dans des conditions précises, l'opération devant notamment porter sur au moins 2 % du capital de l'entreprise, et le prix ne pouvait être supérieur à 12 euros. Par ailleurs, un amendement n° 8 de M. Canévet avait prévu un plafond de 10 % d'actionnariat salarié au sein de l'entreprise.
En troisième lecture, l'Assemblée nationale a maintenu un texte très proche de celui proposé par le Sénat. Ainsi, en séance publique, elle a adopté conforme l'article 3 bis dans sa rédaction issue du Sénat. Elle a néanmoins adopté, concernant l'article 2 :
- deux amendements des rapporteurs du texte MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, présentés comme des amendements rédactionnels. Or, l'un des amendements supprime la mention « pour une durée de dix ans », et fait ainsi naître une incertitude sur le caractère glissant du contrat (qui ne serait plus forcément prorogé pour durer 10 ans à chaque échéance), tandis que l'autre supprime les dispositions introduites en première lecture au Sénat, visant à rappeler que l'entreprise EDF exerce ses activités conformément au code de l'énergie, qui visait à rappeler le corpus juridique complexe dans lequel s'insère l'action de l'entreprise ;
- deux amendements du Gouvernement, qui visent d'une part à supprimer l'opération d'actionnariat salarié prévue par le texte issu du Sénat au profit du maintien de la seule possibilité d'ouvrir le capital aux salariés et, d'autre part, à supprimer la disposition en vertu de laquelle le capital d'Enedis devait être intégralement détenu par EDF.
L'amendement qui supprime la mention « pour une durée de dix ans » nuit à la clarté du texte. En effet, la mention supprimée permettait préciser qu'il s'agissait de prévoir un contrat de dix ans glissants : l'actualisation intervenant tous les trois ans conduisait sans ambiguïté, dans le texte voté par le Sénat, à un nouveau contrat décennal. Dans la version amendée par l'Assemblée nationale, on pourrait également comprendre que seuls les paramètres du contrat décennal sont actualisés tous les trois ans, sans conduire à la signature d'un nouveau contrat de dix ans. Loin de clarifier le sens du texte, il ôte une précision.
Ainsi, la commission des finances a adopté sans modification le texte transmis au regard de la très grande proximité de celui-ci avec les positions du Sénat depuis la première lecture, mais un amendement sera déposé en séance publique afin que le Gouvernement précise sa lecture des dispositions issues de l'Assemblée nationale sur la durée du contrat.
I. DANS LE TEXTE INITIAL ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE, L'ILLUSION D'UN RETOUR À LA NATIONALISATION DE 1946, AU RISQUE D'EMPÊCHER LES ÉVOLUTIONS INDISPENSABLES DE L'ENTREPRISE ÉLECTRICITÉ DE FRANCE
A. LA NATIONALISATION D'EDF, UNE MESURE D'AFFICHAGE
Appliquant sur ce point le programme national de la résistance, l'article 1er de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 disposait que sont « nationalisés : la production, le transport, la distribution, l'importation et l'exportation de l'électricité. » À cette occasion est créé « Électricité de France », établissement public industriel et commercial (EPIC) qui ne deviendra une société anonyme (SA) que bien plus tard, en 2005. La transformation de l'EPIC en société trouve alors plusieurs explications. D'abord, sur le fondement du cadre européen des aides d'État, la Commission européenne avait alors demandé à la France de supprimer « la garantie illimitée dont bénéficie EDF sur tous ses engagements en vertu de son statut d'EPIC »1(*) cette évolution permet d'écarter les risques liés au contentieux des aides d'État. Elle permet également à l'entreprise de diversifier les leviers de financement de l'entreprise, en lui ouvrant la possibilité d'augmentations de capital pour financer son développement. Enfin, le passage à une société anonyme émancipe EDF du principe de spécialité de l'EPIC et lui ouvre la faculté de diversifier son offre de services, à l'heure où la concurrence sur le marché de la fourniture d'électricité se développe.
Cependant, la santé financière de l'entreprise s'est très nettement dégradée depuis l'ouverture de son capital. Ainsi, en 2022, les activités de production et de commercialisation d'électricité d'EDF ont connu un EBITDA2(*) négatif de 23 milliards d'euros. D'après le rapport annuel de l'entreprise, « le recul de la production nucléaire, essentiellement lié aux contrôles et réparations de la corrosion sous contrainte, a un impact estimé à - 29,1 milliards d'euros en EBITDA ». L'endettement financier net d'EDF était de 64,5 milliards d'euros en fin d'exercice 2022. S'il s'est stabilisé en 2023, la situation du groupe n'en demeure pas moins fragile.
C'est dans le contexte de grande difficulté de 2022 que le Gouvernement a fait le choix d'engager une offre publique d'achat simplifiée (OPAS), portant sur les actions et obligations convertibles échangeables en actions nouvelles ou existantes (Oceane). Annoncée en juillet 2022, cette OPAS a été ouverte en novembre 2022, grâce au vote des crédits nécessaires en loi de finances rectificative pour 2022. D'après le Gouvernement « l'urgence climatique et la situation géopolitique imposent des décisions fortes pour assurer l'indépendance et la souveraineté énergétique de la France, dont celle de pouvoir planifier et investir sur le très long terme les moyens de production, de transport et de distribution d'électricité »3(*).
En tout état de cause, l'OPAS qui était en cours rendait inutile la mention d'une nationalisation. En effet, hormis la dimension symbolique de l'opération, la mention d'une nationalisation était inutile dans son objet, et potentiellement nocive dans ses effets. Ainsi, si la présente proposition de loi était entrée en vigueur avant le terme de la procédure d'OPAS initiée par le Gouvernement et la procédure de retrait obligatoire, celle-ci n'aurait plus été conforme au procédé choisi par le législateur. Les dispositions initiales prévues par la présente proposition de loi auraient eu des conséquences très incertaines sur la procédure qui était alors en cours.
Ainsi, plutôt que de mettre inutilement en cause l'opération de marché, l'amendement COM-5 à l'article 2 adopté par la commission en première lecture permettait de garantir la détention par l'État d'EDF au 1er janvier 2024 sans imposer de moyen au Gouvernement. Parvenant ainsi au même résultat que l'article 1er, le Sénat a supprimé celui-ci en première lecture par l'adoption d'un amendement COM-4.
B. LA CRÉATION D'UN GROUPE PUBLIC UNIFIÉ ÉTAIT PORTEUSE DE DAVANTAGE D'INCERTITUDES QUE DE VÉRITABLES SOLUTIONS
Alors que le droit national et européen fixe des règles exigeantes en matière d'organisation du groupe EDF, la solution initialement retenue par la proposition de loi visant à définir les contours d'un « groupe public unifié » était très insatisfaisante.
En effet, il n'est aucunement souhaitable de rigidifier le cadre d'action d'EDF et d'interdire à l'entreprise de céder des participations dans l'ensemble de ses filiales intervenant dans « la production, le transport, la distribution, l'importation [...] l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique [ou encore] la prestation de services énergétiques ». Cette énumération portait une contrainte disproportionnée sur les évolutions de l'entreprise : il est absolument vital pour EDF de pouvoir céder certaines de ses filiales, réaliser des montages capitalistiques pour accompagner la mise en oeuvre de projets d'infrastructures, ou encore retrouver des marges de manoeuvre financières pour garantir le financement d'une électricité bon marché et décarbonée dans une économie ouverte et compétitive.
Ainsi, l'amendement COM-5 adopté par la commission a prévu de maintenir EDF sous forme de société anonyme et d'augmenter le niveau minimal de détention par l'État dans l'entreprise EDF, de plus de 70 % à 100 %, afin de garantir l'intervention du Parlement en cas de projet de réouverture de son capital. Sans avoir pour objectif de figer définitivement la structure capitalistique d'EDF, la détermination par la loi d'une participation de l'État à hauteur de 100 % impose au Gouvernement de saisir le Parlement de toute nouvelle évolution de la participation publique au capital de la société.
L'amendement permettait également le maintien d'une part d'actionnaires salariés : il est nécessaire que l'État montre lui-même l'exemple en maintenant au sein d'EDF la possibilité pour les salariés d'être actionnaires de leur entreprise. De plus, la présence d'un actionnariat salarié pondère le rôle de l'État, dont les principales décisions depuis une décennie ont considérablement affaibli EDF.
Enfin, l'amendement a inscrit dans le texte que l'entreprise EDF doit exercer ses activités conformément aux dispositions du code de l'énergie. Plutôt qu'une énumération équivoque des activités d'EDF, cette disposition inscrit l'entreprise dans le corpus juridique développé et exigeant, issu du droit national et du droit de l'Union européenne. En particulier, l'organisation des filiales de transport et de distribution résulte d'un équilibre juridique complexe, permettant de garantir la structuration concurrentielle du marché. La proposition de loi, qui n'aborde pas la question essentielle de l'organisation du marché, faisait donc l'impasse sur le coeur du sujet et risquait uniquement de pénaliser l'entreprise publique. Enfin, le sous-amendement COM-9, adopté à l'initiative de M. Victorin Lurel et du groupe socialiste, a introduit une disposition suivant laquelle la société anonyme EDF est qualifiée « d'intérêt national ».
II. LA NÉCESSITÉ D'ÉTENDRE L'ÉLIGIBILITÉ DES TARIFS RÉGLEMENTÉS DE VENTE D'ÉLECTRICITÉ (TRVE) À L'ENSEMBLE DES TPE POUR LES PROTÉGER DES FLUCTUATIONS DES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ
A. LES LEÇONS TIRÉES DE LA CRISE DES PRIX DE L'ÉLECTRICITÉ IMPOSENT D'ÉLARGIR LES TRVE À L'ENSEMBLE DES TPE
Sans que cette condition soit requise par le droit de l'Union européenne, le bénéfice des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) est limité aux TPE et aux petites communes qui disposent d'un compteur électrique d'une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères (kVA). Cette condition exclut notamment une grande majorité de boulangers, de restaurateurs, de fleuristes et d'autres secteurs économiques dont les activités supposent une forte consommation d'électricité. Ces TPE non éligibles aux TRVe sont bien souvent celles qui animent la vie locale de proximité. Elles jouent un rôle fondamental de lien social et contribuent très directement à l'intérêt général. Les boulangers en sont l'archétype.
Les TPE non éligibles aux TRVe et, par voie de conséquence, à la protection apportée par le bouclier tarifaire, ont été fortement exposées à la hausse des prix de l'électricité, en particulier celles qui ont dû renouveler leur contrat en 2022. Pour elles, le dispositif de « sur-amortisseur », décidé en urgence en février 2023, leur a garanti un prix ne pouvant dépasser 280 euros/MWh en moyenne sur l'année 2023.
Il convient de tirer les leçons de cette crise en protégeant de façon structurelle l'ensemble des TPE des fluctuations intempestives des marchés européens de l'énergie. Pour ce faire, l'amendement COM-7 adopté par la commission en première lecture a proposé d'étendre de façon pérenne l'éligibilité des TRVe à l'ensemble des TPE en supprimant la condition limitative relative à la puissance d'électricité souscrite dans leur contrat. L'intérêt de cette évolution est partagé tant par la CRE que par EDF. Il est regrettable que le Gouvernement n'ait pas suivi les conseils du régulateur de l'énergie qui, dès l'automne 2022, lui avait suggéré cette solution. Si cette extension avait été anticipée, de nombreuses TPE n'auraient pas été si exposées à la crise des prix de l'électricité et les mesures improvisées en urgence n'auraient pas été nécessaires.
B. INOPÉRANTES ET JURIDIQUEMENT PROBLÉMATIQUES, PLUSIEURS DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 3 BIS ADOPTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE EN PREMIÈRE LECTURE ONT ÉTÉ ÉCARTÉES PAR LE SÉNAT
Dans sa version issue de son adoption en première lecture à l'Assemblée nationale, l'article 3 bis présentait plusieurs difficultés d'ordre juridique que l'amendement COM-7 adopté par la commission entendait résoudre :
- premièrement, l'extension, même pour la seule année 2023, du bénéfice des TRVe à l'ensemble des entreprises jusqu'aux entreprises de taille intermédiaire (ETI) était contraire au droit de l'Union européenne et ne pouvait être appliquée ;
- deuxièmement, la disposition qui prévoyait que les offres aux TRVe devraient se substituer aux contrats en cours pouvait être frappée d'inconstitutionnalité en ce qu'elle aurait porté une atteinte disproportionnée au principe de liberté contractuelle. En toute hypothèse, cette disposition aurait fait l'objet de contentieux et les fournisseurs se seraient vu allouer des indemnités par les consommateurs ou par la puissance publique.
Par ailleurs, cette disposition n'était pas opérationnelle puisque, d'une part la construction par la CRE des nouveaux TRVe prendrait plusieurs mois et, d'autre part, à court terme, sans application du bouclier tarifaire, ces nouveaux TRVe n'auraient pas été plus intéressants que les dispositifs d'aide existants.
- troisièmement, l'article prévoyait que l'ensemble des fournisseurs d'électricité, et non plus seulement EDF et les entreprises locales de distribution (ELD), proposent des TRVe. Cette mission, qui s'accompagne d'obligations de service public prévues par l'article 121-5 du code de l'énergie, comme celle de jouer le rôle de fournisseur en dernier ressort, ne peut pas être imposée à l'ensemble des fournisseurs.
III. EN SÉANCE
Lors de la séance publique de la première lecture, le Sénat a adopté un amendement n° 19 du Gouvernement visant à ne pas contraindre l'entreprise à mettre en place de l'actionnariat salarié, tout en maintenant la possibilité de le faire.
IV. LA SUITE DE LA NAVETTE : EN DEUXIÈME LECTURE L'ASSEMBLÉE NATIONALE A FAIT PEU DE CAS DES MODIFICATIONS ADOPTÉES PAR LE SÉNAT
En deuxième lecture, même si elle a maintenu les suppressions des articles 1er, 3 et 4 votées par le Sénat, l'Assemblée nationale est revenue sur de nombreuses modifications qui avaient été adoptées par lui en première lecture, afin de rétablir des dispositions qui figuraient dans le texte initial.
Ainsi, lors de l'examen du texte en commission des finances de l'Assemblée nationale, l'article 2 a été modifié à l'initiative des co-rapporteurs du texte, MM. Philippe Brun et Sébastien Jumel, pour intégrer une liste d'activités : « le groupe Électricité de France assure notamment la production, le transport dans les zones non interconnectées, la distribution, la commercialisation, l'importation et l'exportation d'électricité, le développement, la construction, l'exploitation et la maintenance des sources d'énergie hydraulique, nucléaire, renouvelable et thermique et la prestation de services énergétiques. »
Ainsi, d'après le rapport sur le texte fait au nom de la commission des finances en deuxième lecture, l'amendement des rapporteurs réintroduit une liste « explicitement non-limitative, des missions devant être assurées par EDF ou par ses filiales, en raison de leur caractère stratégique pour le service public de l'électricité, dans le but d'éviter que ces activités soient totalement privatisées. »
Par ailleurs, un amendement de séance du rapporteur du texte, M. Philippe Brun, a introduit des dispositions visant à rendre obligatoire l'actionnariat salarié. Ainsi, en application des dispositions du présent article, une opération d'ouverture du capital, portant au minimum sur 1,50 % du capital de l'entreprise, devrait être réalisé en faveur des salariés et anciens salariés qui détenaient des actions dans l'entreprise le 22 novembre 2022, le prix initial ne pouvant être supérieur à 12 euros, et un rabais spécifique devant être proposé « si les salariés s'engagent à une période de détention minimum de deux ans. »
Dans sa rédaction issue de la première lecture au Sénat, l'article 3 bis relatif à l'éligibilité aux tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVe) n'avait pas été modifié par la commission des finances de l'Assemblée nationale. Cependant, plusieurs amendements avaient par la suite été adoptés en séance publique pour élargir le périmètre d'éligibilité des TRVe au-delà des seules TPE (élargissement adopté par le Sénat en première lecture).
Trois amendements avaient ainsi été adoptés pour étendre l'éligibilité des TRVe aux PME, aux collectivités territoriales de moins de 50 000 habitants ainsi qu'à l'ensemble des organismes d'habitations à loyer modéré (HLM).
V. LE SÉNAT EN DEUXIÈME LECTURE : DONNER À EDF LES MOYENS D'ATTEINDRE SES OBJECTIFS, ET ÉTENDRE LES TRVE À TOUTES LES TPE ET LES PETITES COMMUNES
À l'article 2, la commission des finances a adopté un premier amendement COM-2 de Mme Christine Lavarde, rapporteur au nom de la commission des finances du Sénat, qui vise à prévoir dans la loi des objectifs pour l'entreprise « Électricité de France », qui devront être précisés dans une convention décennale entre l'État et l'entreprise, révisée tous les trois ans. En effet, la priorité de l'entreprise, désormais détenue à 100 % par l'État, doit être de fournir à tous les ménages et aux entreprises une électricité compétitive et décarbonée.
La direction de l'entreprise doit disposer des latitudes opérationnelles pour parvenir à ces objectifs. La signature d'un contrat décennal, revu tous les trois ans, entre l'entreprise et l'État actionnaire doit permettre de lui donner de la visibilité sur les orientations fixées par l'État actionnaire, et préciser la stratégie financière et d'investissement pour parvenir à ces objectifs.
Ce faisant, l'amendement supprime la liste des secteurs d'activité réintroduite par l'Assemblée nationale, afin de ne pas paralyser le groupe et permettre des évolutions dans les actifs détenus par EDF. L'amendement fixait néanmoins une limite à ces évolutions : l'entreprise Enedis.
Le capital de celle-ci, qui bénéficie d'un monopole naturel, avait été sanctuarisé pour demeurer à 100 % détenu par EDF. Une telle disposition déclinait des dispositions de l'alinéa 9 du préambule de 1946, qui dispose que « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. »
Enfin, le texte de la commission des finances a été amendé en séance publique pour réintroduire une opération spécifique d'ouverture du capital, dans des conditions proches de celles prévues par le texte issu de l'Assemblée nationale en deuxième lecture. Ainsi, l'opération devait porter au minimum sur 2 % du capital de l'entreprise, pour un prix de souscription hors rabais qui ne peut être supérieur à 12 euros, un rabais spécifique étant octroyé aux salariés et aux anciens salariés éligibles si les titres acquis ne peuvent être cédés avant une période de cinq ans.
Confirmant la position qui avait été la sienne en première lecture, la commission des finances avait également adopté un amendement COM-3 du rapporteur visant à rétablir la rédaction de l'article 3 bis qui avait été adoptée par le Sénat. En cohérence avec les dispositions adoptées à la quasi-unanimité par la chambre haute, il apparaissait en effet légitime et nécessaire d'étendre le périmètre de l'éligibilité aux TRVe, sans considération de puissance de compteur électrique, à l'ensemble des TPE, des petites communes et des autres personnes morales employant moins de 10 personnes et disposant de moins de 2 millions d'euros de budget.
En revanche, les extensions complémentaires du périmètre d'éligibilité aux TRVe adoptées en deuxième lecture par l'Assemblée nationale n'auraient pas pu s'appliquer dans la mesure où elles contreviennent aux normes européennes. Il apparaissait également nécessaire de préciser une date d'entrée en vigueur réaliste et opérationnelle de l'extension des TRVe, la date la plus proche envisageable étant le 1er février 2025.
VI. EN TROISIÈME LECTURE : L'ASSEMBLÉE NATIONALE A MAINTENU UN TEXTE PROCHE DE CELUI VOTÉ PAR LE SÉNAT
L'article 2, dans sa rédaction issue de la troisième lecture à l'Assemblée nationale, confirme l'essentiel des dispositions adoptées par le Sénat. En effet, l'accord d'ensemble sur le texte entre le Gouvernement et les rapporteurs à l'Assemblée nationale reprend :
- la fixation, au niveau législatif, de la détention par l'État de 100 % du capital d'EDF. Cette disposition prend acte de l'opération de marché réalisée par l'État en 2022-2023 et contraint le Gouvernement, s'il souhaitait procéder à la réouverture du capital, à passer par le Parlement ;
- le maintien du statut de société anonyme de l'entreprise EDF, qui était remise en cause dans la proposition de loi votée en première lecture par l'Assemblée nationale ;
- la qualification « d'intérêt national » de l'entreprise ;
- la détermination des objectifs d'EDF, à savoir la « décarbonation de la production d'électricité, [la] maîtrise des prix pour les ménages et pour les entreprises ainsi que [l]'adaptation des capacités de production à l'évolution de la demande d'électricité » ;
- la mise en place d'un contrat décennal avec l'État, faisant l'objet d'une révision tous les trois ans, afin de déterminer la trajectoire financière et d'investissement de l'entreprise et de décliner au plan opérationnel ses objectifs.
Néanmoins, les dispositions introduites par la commission des finances du Sénat relatives à l'entreprise Enedis, qui contraignaient à sa détention intégrale par EDF, ont été supprimées. D'après l'un des deux rapporteurs du texte, M. Philippe Brun, en séance à l'Assemblée nationale, ce sujet aurait « constitu[é] une ligne rouge pour le Gouvernement, qui souhaite ouvrir une partie du capital d'Enedis, sans pour autant l'extraire du groupe EDF, afin que ce dernier reste maître de l'entreprise. » La référence aux dispositions du code de l'énergie, dans le cadre desquels l'entreprise EDF doit exercer ses activités, a également été supprimée.
Enfin, un amendement rédactionnel des rapporteurs a supprimé la mention « pour une durée de dix ans » pour chaque révision du contrat. Cet amendement nuit à la clarté du texte. En effet, la mention supprimée permettait préciser qu'il s'agissait de prévoir un contrat de dix ans glissants : l'actualisation intervenant tous les trois ans conduisait sans ambiguïté, dans le texte voté par le Sénat, à un nouveau contrat décennal. Dans la version amendée par l'Assemblée nationale, on pourrait également comprendre que seuls les paramètres du contrat décennal sont actualisés tous les trois ans, sans conduire à la signature d'un nouveau contrat de dix ans. Loin de clarifier le sens du texte, il ôte une précision.
En ce qui concerne l'article 3 bis, l'Assemblée nationale a adopté l'article dans sa rédaction modifiée en deuxième lecture par le Sénat.
VI. EN TROISIÈME LECTURE : LA COMMISSION DES FINANCES DU SÉNAT A ADOPTÉ SANS MODIFICATION LA PROPOSITION DE LOI
La commission des finances a adopté sans modification la proposition de loi. En effet, la rédaction retenue pour l'article 2, seul article restant en discussion, est très proche des positions défendues par le Sénat. Toutefois, un amendement sera déposé en séance publique afin que le Gouvernement précise sa lecture des dispositions issues de l'Assemblée nationale sur la durée du contrat.
* 1 Lettre du 16 octobre 2002 de M. Mario Monti, commissaire européen, à M. Dominique de Villepin, ministre des affaires étrangères, citée par M. Jean-Claude LENOIR, député, dans son rapport fait au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire sur le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz aux entreprises électriques et gazières, 8 juin 2004.
* 2 Earnings before interest, taxes, depreciation and amortization (EBITDA), soit le bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement.
* 3 Note d'information de l'État français sur l'offre publique d'achat sur les actions et Oceane de l'entreprise EDF.