EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 20 MARS 2024

M. Philippe Bas, rapporteur. - Durant notre bref séjour à Nouméa la semaine dernière - c'est mon troisième déplacement en Nouvelle-Calédonie au cours des cinq dernières années - avec le président Buffet, Corinne Narassiguin et Philippe Bonnecarrère pour rencontrer toutes les parties prenantes, nous avons constaté que la situation était tendue sur le plan économique et sur le plan social et n'avait pas progressé sur le plan politique, c'est le moins que l'on puisse dire.

Vous vous en souvenez, après le drame d'Ouvéa en 1988, la Nouvelle-Calédonie avait trouvé les voies et moyens d'une réconciliation entre Calédoniens, qui a été actée dans les accords de Matignon-Oudinot en 1988, puis dans l'Accord de Nouméa en 1998.

À la suite de l'Accord de Nouméa, la reconnaissance du statut de la Nouvelle-Calédonie a été consacrée dans la Constitution. Le processus politique prévu est arrivé à son terme après la tenue de trois consultations de la population en 2018, en 2020 et en décembre 2021 sur la question de l'accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté. Ces trois référendums ont donné lieu à une réponse négative, le troisième ayant fait l'objet d'un boycott, sur l'initiative du parti indépendantiste, qui a été suivi par la population.

L'Accord de Nouméa reposait expressément sur une notion à laquelle nous sommes très attachés, celle d'un destin commun. Au-delà du sujet de l'autodétermination, la question est aujourd'hui de savoir comment il est possible de construire un cadre stable permettant aux Calédoniens de vivre ensemble, leur opposition ne se réduisant pas à leurs origines, entre mélanésiens et Calédoniens de souche européenne ou d'origine chinoise et japonaise notamment.

Nous avons toujours considéré que ce destin commun ne pouvait se concrétiser qu'au travers d'un accord entre les parties calédoniennes, comme nous l'avons indiqué dans nos rapports d'information de juillet 2022 et de juillet 2023. Malgré la reprise des discussions depuis la fin de l'année dernière, force est de constater qu'elles n'ont pas abouti et, plus encore, qu'elles ne sont pas sur le point d'aboutir - au contraire !

Comme je l'ai précisé au début de mon propos, la situation est d'autant plus difficile que s'y ajoutent de graves difficultés économiques liées au gisement de nickel. En effet, l'usine du nord de l'île, dont le capital est en grande partie détenu par la province Nord, ne trouve pas repreneur. Des licenciements devraient avoir lieu dans les prochaines semaines. À la crise politique s'ajoute donc la perspective d'une crise sociale.

Dans ce contexte, nous sommes saisis d'un projet de loi constitutionnelle qui vise à établir les critères d'inscription sur la liste des électeurs admis à voter pour les élections aux assemblées provinciales, dont le résultat déterminera aussi la composition du congrès de la Nouvelle-Calédonie, lequel désigne à la représentation proportionnelle des groupes le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie - on pourrait dire que l'objectif du consensus est en quelque sorte inscrit dans ces institutions.

Depuis 2007, le corps électoral constitué pour la désignation des représentants à ces assemblées est « gelé ». Il s'agit d'un corps restreint et figé par des conditions établies en 1998. Depuis lors, la part des électeurs exclus de ce scrutin territorial est passée de 7 % à près de 20 %. Au regard du gel du corps électoral et de la diminution constante de la proportion des électeurs français, le Conseil d'État estime que la dérogation au principe de l'égalité devant le suffrage n'est plus justifiée.

Alors qu'il suffirait d'une loi organique pour toute autre partie du territoire, il faut en l'espèce réviser la Constitution du fait de la modification intervenue dans la Constitution pour tirer les conséquences de l'accord politique calédonien.

Par un projet de loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées, nous avons prolongé jusqu'au 15 décembre prochain le mandat des membres du congrès et des assemblées provinciales qui arrivait à échéance au mois de mai prochain.

J'ai examiné ce projet de loi constitutionnelle avec circonspection. Il nous faut bien distinguer les sujets. Il importe de ne pas faire le deuil d'un accord et de chercher les voies et moyens de renforcer la propension des formations politiques à conclure un accord pour assurer la stabilité du territoire et son développement économique. Toutefois, je rappelle que le ministre de l'intérieur, Gérald Darmanin s'est rendu à six reprises en Nouvelle-Calédonie depuis le dernier référendum de décembre 2021 et que nous sommes loin d'un accord. Le véritable enjeu ici est non pas celui de l'avenir calédonien, mais celui de la continuité de la démocratie calédonienne. Faute d'accord, nous ne pouvons que modifier de manière unilatérale les critères d'inscription sur la liste électorale, mais, je le répète, cela ne doit en rien hypothéquer les chances de parvenir à un accord politique et institutionnel pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie. D'ailleurs, si un accord est conclu d'ici au 1er juillet prochain, le Gouvernement prévoit de présenter à la représentation nationale un nouveau texte qui en traduira les termes.

Nous n'avons donc pas d'autre choix que de voter ce projet de loi constitutionnelle, car il y va de la démocratie calédonienne.

C'est pourquoi je vous propose d'accepter le dégel du corps électoral, tel que proposé par le Gouvernement : les Français nés sur le territoire depuis l'accord de novembre 1998 et tous les Français qui y résident depuis au moins dix ans pourront s'inscrire sur la liste électorale. Même si les partis indépendantistes n'y souscrivent pas au motif qu'ils souhaiteraient que cette règle s'inscrive dans le cadre d'un accord global, ces critères en eux-mêmes ne suscitent pas d'opposition de fond véhémente.

Je vous propose également de maintenir à ce stade le calendrier prévu dans le projet de loi organique que nous avons adopté et que l'Assemblée nationale vient d'adopter conforme, qui prévoit des élections au plus tard le 15 décembre prochain. Certes, je l'avais précisé, les délais me paraissent courts pour l'organisation juridique et matérielle de ce scrutin, mais le Gouvernement s'est engagé à les tenir - nous lui en donnons acte.

Toutefois, le Gouvernement prévoit qu'un décret en Conseil d'État délibéré en conseil des ministres peut reporter les élections en cas de conclusion d'un accord. Il nous faut défendre les droits du Parlement. Ce n'est pas là une susceptibilité de ma part, mais quand il s'agit de l'établissement d'une liste électorale ou de prolonger les mandats d'élus arrivés à échéance, il revient au Parlement de légiférer. Aussi, je vous proposerai que le report des élections ne soit pas prévu par voie réglementaire, mais fasse l'objet d'une loi organique, dans les conditions d'examen prévues par l'article 45 de la Constitution, par dérogation à l'article 46.

Ce texte a été interprété comme un ultimatum aux parties calédoniennes pour conclure un accord avant le 1er juillet. Les forces politiques indépendantistes arguent qu'il faut laisser du temps au temps pour aboutir. Faisons droit à cette demande, car l'enjeu passe par un accord global. Si un accord est trouvé en octobre prochain, il conviendra de prendre le temps de le traduire via une nouvelle révision constitutionnelle.

J'ajoute que les règles retenues pour l'inscription sur la liste électorale ne s'appliqueront qu'au scrutin qui sera organisé dans quelques mois mais pourront être aisément reconduites par une simple loi organique pour les scrutins suivants. Ainsi, cette question fait toujours l'objet des négociations en cours. Certes, il nous faut prendre des décisions unilatérales pour organiser les prochaines élections, mais ne traitons pas les questions qui pourraient faire l'objet d'un accord global, même après les élections. Je le redis, ne nous attendons pas à ce qu'un accord soit conclu avant les élections, mais ne l'excluons pas non plus, en mettant une pression trop forte sur la date du 1er juillet. Ce sujet, qui est d'une très grande sensibilité politique, nous met face à nos responsabilités.

Je vous propose donc de donner un avis favorable à l'adoption de ce projet de loi constitutionnelle sous réserve des amendements que je vous soumets.

Mme Cécile Cukierman. - Je salue le travail du rapporteur, qui a assez bien résumé le climat de tension dans lequel vivent les Calédoniens ainsi que les positions qui s'expriment aujourd'hui. Je parle aussi au nom de notre collègue Robert Wienie Xowie, sénateur de Nouvelle-Calédonie.

Les partis indépendantistes ont une vision globale, qui ne permet pas aujourd'hui d'accepter ce texte, par principe, oserai-je dire. Leurs revendications et leurs actions s'inscrivent dans la perspective d'un accord global, l'État ayant pour autant tout son rôle à jouer.

Contrairement aux propos du ministre Gérald Darmanin, tous les indépendantistes ne sont pas favorables à l'accord, pour les raisons que je viens d'évoquer. Nous en avons tous conscience, des tensions plus ou moins fortes peuvent survenir, mais ne les considérons pas comme une menace ou un chantage.

Nous ne voterons pas ce texte, notre collègue s'exprimera en séance la semaine prochaine.

M. Olivier Bitz. - Nous rejoignons l'analyse du rapporteur et nous le remercions pour son travail, qui est détaché de toute considération partisane. Il s'agit d'une question extrêmement sensible.

Nous le savons bien, ce territoire est au bord du gouffre au niveau économique, avec le report de la signature du pacte nickel, la mise en sommeil de l'usine du Nord, les difficultés de la Société Le Nickel (SLN) à Nouméa : ce sont 20 % des actifs qui sont directement concernés. Par ailleurs, il connaît aussi des difficultés en matière de finances publiques ; je pense notamment aux pertes mirobolantes du régime d'assurance maladie. La question économique ne pourra pas se résoudre tant qu'il n'y aura pas de solution politique, car les investisseurs ne peuvent pas se projeter.

Aujourd'hui, il faut effectivement traiter cette question urgente unilatéralement parce que nous n'avons pas le choix. Les élections provinciales doivent se dérouler, mais il ne faut pas préempter les discussions entre les indépendantistes et les loyalistes. Je partage toutefois le pessimisme du rapporteur quant à la possibilité d'un accord avant les élections.

Les élections doivent se dérouler de la manière la plus démocratique possible. C'est la raison pour laquelle le critère de domiciliation depuis au moins dix ans semble être un point d'équilibre susceptible de convenir à une très large majorité.

Nous restons aussi attachés à l'idée d'un destin commun. Il appartient avant tout aux Calédoniens de définir les voies à explorer pour y parvenir.

Je tiens à rendre hommage à l'action de Michel Rocard et de Lionel Jospin, qui ont su préserver la paix sur ce territoire. L'État doit être un incitateur. À chaque fois, c'est grâce à l'implication personnelle du Premier ministre qu'un accord a été trouvé. Avec les accords de Matignon et l'Accord de Nouméa, nous avons le recul nécessaire pour savoir ce qui peut fonctionner pour contribuer à apporter de la visibilité aux Calédoniens pour les vingt ou trente prochaines années.

M. Mathieu Darnaud. - Je salue à mon tour le travail du rapporteur pour sa proposition équilibrée compte tenu de la situation de la Nouvelle-Calédonie, en proie à des difficultés aussi bien économiques que sociales qui rendent peu plausible la conclusion d'un accord d'ici aux élections provinciales du mois de décembre.

Je souhaiterais que le rapporteur apporte des précisions à propos de l'échéance du 1er juillet : s'il convient de mettre en place toutes les conditions permettant de favoriser la conclusion d'un accord, je voudrais m'assurer que cette démarche ne parasite pas les enjeux de l'élection. Ce discours peut d'ailleurs s'appliquer à d'autres territoires ultramarins, voire à la Corse : le Gouvernement a fait montre d'intentions dans ces dossiers, mais il importe de dissocier les questions d'évolution institutionnelle des conditions qui rendent aujourd'hui difficile la conclusion d'un accord.

Mme Corinne Narassiguin. - Je remercie également le rapporteur pour son travail et pour le décryptage d'une situation que nous avons pu appréhender au travers de nombreuses auditions menées sur le terrain, aux côtés du président Buffet et de Philippe Bonnecarrère. Les opinions recueillies ont renforcé la conviction du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), déjà exprimée lors de la discussion du projet de loi organique : selon nous, si le report des élections est bien sûr nécessaire afin de pouvoir modifier un corps électoral qui ne peut plus rester en l'état, il n'y avait aucune nécessité à déposer un projet de loi constitutionnelle dès à présent.

C'est en effet une erreur de la part du Gouvernement, qui vient s'ajouter à une série d'erreurs politiques commises depuis plusieurs années, plus précisément depuis que Matignon ne s'occupe plus de ce dossier, après qu'Édouard Philippe a quitté son poste de Premier ministre. Parmi ces erreurs figure l'organisation à marche forcée d'un troisième référendum, ainsi que la nomination de Sonia Backès au Gouvernement : s'y ajoute désormais la modification unilatérale du corps électoral dès 2024, alors que le Conseil d'État nous laisse bien plus de temps. Sans nier la difficulté de parvenir à un accord compte tenu des blocages locaux, ce projet de loi constitutionnelle aurait sans doute dû être utilisé comme une solution de dernier recours, en prévoyant de ne le présenter qu'au printemps 2025, voire au début de l'été.

Pour toutes ces raisons, le groupe déposera des amendements de suppression des deux articles afin de manifester son profond désaccord avec la méthode employée, en rupture totale avec le processus engagé en 1988 dans le cadre des accords de Matignon, puis prolongé en 1998 par l'Accord de Nouméa. En vertu de cette méthode, le législateur consacrait dans la loi ce qui avait d'abord été négocié sur le terrain par les parties locales, avec l'État comme partenaire actif et impartial.

Loin de cette position de surplomb, l'État agit désormais comme un partenaire agité, qui a perdu toute neutralité. Je crois qu'il incombe en particulier au Sénat de tracer un chemin, au-delà de nos appartenances partisanes, qui permette de retrouver le sens de l'Histoire, dans l'intérêt de la France, comme des Calédoniens.

Même si je maintiens que ce projet de loi constitutionnelle ne devrait pas être adopté, nous appuierons - dans l'hypothèse où la majorité sénatoriale estimerait qu'il faut absolument voter le texte aujourd'hui - les efforts du rapporteur tendant à le rendre le plus inoffensif possible. Le groupe SER pourra donc, par le biais d'amendements de repli, soutenir les amendements du rapporteur.

Nous irons malgré tout plus loin, estimant que le maintien de la date du 1er juillet 2024 équivaut à exercer une pression contreproductive. Sans nier l'existence d'obstacles à la conclusion d'un accord, notamment pour des raisons liées à la campagne électorale, nous soulignons que des discussions entre les factions modérées des indépendantistes et des non-indépendantistes avaient débuté, mais qu'elles ont justement achoppé en raison de l'irruption de ce projet de loi constitutionnelle. Même s'ils ont bien conscience des contraintes institutionnelles et des difficultés sociales et économiques auxquelles ils sont confrontés, ces acteurs locaux considèrent qu'ils n'ont pas vocation à être traités comme des enfants par un État paternaliste.

J'estime qu'il faut enlever cette pression en reportant la date d'entrée en vigueur du projet de loi constitutionnelle, si nous devions le voter. Nous proposerons donc un amendement visant à reporter cette date au 1er juillet 2025.

M. Philippe Bonnecarrère. - Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail, ainsi que le président Buffet pour la qualité de l'organisation du déplacement en Nouvelle-Calédonie, qui nous a permis d'entendre toutes les parties.

Un destin commun pour la Nouvelle-Calédonie est absolument nécessaire, destin qui ne pourra être bâti qu'au travers de la conclusion d'un accord global, appuyé sur une répartition du pouvoir. Le Parlement doit prendre du recul et être vis-à-vis de nos concitoyens de Nouvelle-Calédonie le gage d'une impartialité dans les discussions entre la communauté kanake, la communauté loyaliste et l'État. Peut-être que ces débats tripartites pourraient d'ailleurs s'élargir, à l'avenir, à la communauté wallisienne, à la fois dynamique et située à un point d'équilibre entre les deux autres communautés, ce qui pourrait constituer un ferment de réussite.

Je partage, par ailleurs, votre analyse des difficultés économiques et des tensions géopolitiques, ainsi que votre souhait de procéder avec prudence : toute modification constitutionnelle doit s'effectuer a minima.

Une question reste posée : comment ne pas hypothéquer les chances d'un accord, alors qu'un délai de 110 jours doit être raisonnablement prévu pour l'organisation de la campagne, les déclarations de candidatures et l'établissement des listes électorales ? Dans la pratique, un tel calendrier implique de déclencher le processus électoral à la mi-août pour un scrutin qui se tiendrait début décembre. Selon le raisonnement du Gouvernement, la possibilité d'un report existerait donc jusqu'au 1er juillet, tandis que vous proposez de la laisser ouverte pendant tout le processus électoral, soit jusqu'au mois de décembre.

Vous avez souligné à juste titre l'écueil qui consisterait à faire preuve de naïveté : si accord il doit y avoir, il est probable qu'il n'intervienne qu'après le scrutin, le contexte électoral ne permettant ni à la communauté kanake ni à la communauté loyaliste de faire des concessions, du moins publiquement. Vous nous avez incités, au regard de l'ancienneté des discussions - depuis le référendum de 2021 -, à maintenir la date envisagée, tout en évoquant à juste titre l'enjeu de stabilité.

Le groupe Union Centriste est en accord complet, premièrement, avec le dégel du corps électoral au titre de filet de sécurité, en accord avec la position exprimée par le Conseil d'État. Deuxièmement, nous approuvons, monsieur le rapporteur, votre approche très fine consistant à conserver des marges de manoeuvre en intervenant a minima, l'histoire politique ayant abouti à n'intégrer à la Constitution que les éléments ayant recueilli l'accord des Calédoniens. En s'attachant uniquement aux aspects transitoires et urgents et en n'appliquant les nouvelles dispositions qu'à la prochaine élection, vous laissez ainsi aux parties la possibilité de poursuivre les discussions après le scrutin territorial et évitez de nous obliger à procéder à une nouvelle révision constitutionnelle.

Troisièmement, vous proposez de substituer à la voie réglementaire un contrôle par le Parlement, ce qui nous semble parfaitement pertinent en vue de revenir au bon fonctionnement d'un régime parlementaire.

Le quatrième point de votre position consiste à ne pas remettre en cause la répartition des sièges entre provinces au congrès, ce qui nous paraît sage : le Conseil d'État a en effet indiqué qu'une telle modification n'était pas nécessaire dans l'immédiat.

Subsiste un point d'interrogation concernant la possibilité d'accorder un délai supplémentaire de réflexion et de négociation au-delà du 1er juillet, en offrant aux différents partenaires la possibilité de débattre quasiment jusqu'à la veille des élections. Si cette ouverture d'un champ de discussions complémentaires est bienvenue sur le principe, les parties prenantes l'entendront-elles ainsi ? Quelle sera la crédibilité de pourparlers entre des parties qui seront engagées en pleine campagne électorale ?

Une fois encore, nous n'avons aucun désaccord sur le point d'équilibre que vous souhaitez proposer, mais il nous faut désormais penser à la réception du message en Nouvelle-Calédonie : les acteurs locaux jugeront-ils ce délai supplémentaire de négociation crédible ? En tout état de cause, nous souhaitons supprimer tout prétexte qui permettrait d'invoquer une insuffisance des délais pour justifier l'impossibilité d'un accord.

Notre groupe attendra mardi prochain pour se positionner, afin de bien mesurer cette appropriation sur le terrain du schéma dont nous débattons ici. Nous souhaitons réduire les risques d'une crise, qui sont effectivement présents. Nous tenons à vous exprimer nos sincères remerciements pour les propositions que vous portez.

Mme Mélanie Vogel. - Je salue l'honnêteté intellectuelle dont le rapporteur a une nouvelle fois fait preuve. Le débat ne porte pas tant sur les modalités d'évolution du corps électoral que sur le fait de savoir si la méthode employée pour atteindre ce résultat a été satisfaisante pour toutes les parties, et est de nature à promouvoir une solution durable en Nouvelle-Calédonie.

Aucune option n'est véritablement satisfaisante étant donné que le Gouvernement a choisi de nous présenter un projet de loi constitutionnelle dès aujourd'hui, sans attendre que le délai donné par le Conseil d'État soit écoulé. Un vote ultérieur aurait pourtant permis de nous prononcer dans une situation de dernier recours, à un moment où un tel choix aurait sans doute été compréhensible par la Nouvelle-Calédonie. Or la temporalité de ce projet est actuellement vécue comme un instrument de la partialité de l'État dans les négociations, afin d'influencer à la fois le calendrier et le contenu d'un éventuel accord.

Il s'agit pour nous de déterminer laquelle des deux solutions - le rejet ou l'adoption de ce projet de loi - est la pire. Entre la tenue d'un scrutin sur la base d'un corps électoral à la légitimité dépassée et l'organisation d'élections sur la base d'un corps électoral unilatéralement choisi par la France, nous sommes convaincus que la seconde solution serait la pire.

Certes, la première solution n'est pas exempte de défauts, puisqu'un accord global intégrant la question du corps électoral resterait nécessaire. La seconde solution donne l'impression que l'État a rompu avec sa position d'impartialité, qui était pourtant essentielle à la résolution du problème : ce changement de posture risque de raviver les conflits, une éventualité dont la gravité ne doit pas être sous-estimée. De surcroît, elle placerait le Parlement dans une position assez problématique.

Nous appuierons toute initiative qui aurait pour effet de rendre le projet de loi le plus inoffensif possible, mais nous ne soutiendrons pas ce texte, ni sur le fond, ni sur la forme.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je vous remercie pour ces positions mesurées. Tout d'abord, je tiens à réaffirmer que le maintien des élections sur la base du corps électoral actuel n'est pas une option envisageable, en raison de l'ampleur de la distorsion que ce corps implique par rapport à l'égalité de suffrage : en l'état, il ne permet pas la tenue d'élections régulières, à tel point qu'il faudrait même une révision constitutionnelle pour le maintenir.

Je souligne qu'écarter 20 % des électeurs français habitant dans une collectivité territoriale du droit de suffrage est tout sauf anodin, même en tenant compte du fait que le corps électoral doit être constitué de citoyens ayant un intérêt suffisant dans le présent et l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire d'électeurs qui ne sont pas simplement de passage à l'occasion d'une mission professionnelle de quelques années. Une intervention par la voie constitutionnelle est donc incontournable afin de permettre la tenue d'élections régulières.

S'agissant des chances de parvenir à un accord, nous considérons tous que l'avenir de ce territoire est entièrement subordonné à l'entente des Calédoniens sur un destin commun. La conclusion d'un tel accord avant les élections paraît improbable, et ne nous imaginons pas qu'une démarche parlementaire puisse jouer un rôle décisif dans les progrès des discussions, tant je pense profondément que négocier un accord le matin avant de s'opposer le soir lors de réunions électorales est ardu.

Afin de dégager la voie, nous devons affirmer qu'il n'y a plus d'ultimatum pour le 1er juillet, ce qui lève un obstacle aux négociations. Nous devons également dire qu'en cas d'accord nous prendrions le temps de le mettre en oeuvre, tandis qu'un report des élections ne poserait pas de problème. Enfin, il nous faut rappeler que nous jugeons plus plausible la conclusion d'un accord après les élections.

C'est la raison pour laquelle je vous propose une série d'amendements, qui vont dans le sens de l'apaisement de la contrainte ressentie par les indépendantistes et qui permettent aux négociations de se poursuivre, sans différer le moment à partir duquel une nouvelle étape s'ouvrira, c'est-à-dire celui des élections.

M. François-Noël Buffet, président. - Je rappelle que, s'agissant d'un projet de loi constitutionnelle, c'est le texte du Gouvernement que nous examinerons en séance.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  4 vise à dégeler le corps électoral dans les conditions que j'ai déjà mentionnées, uniquement pour le scrutin prochain, et ce afin de ne pas sortir définitivement la question de la liste électorale du champ des négociations. Par la suite, dans l'hypothèse où aucun accord ne serait conclu avant l'échéance des mandats qui commenceront après les élections, l'amendement prévoit la possibilité de reconduire le système électoral ainsi retenu pour les élections de cette année par une loi organique, sans avoir à recourir à un texte constitutionnel, écartant ainsi définitivement tout retour à un corps électoral « gelé ».

L'amendement n° 4 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Le Gouvernement avait prévu de pouvoir reporter de nouveau les élections, en cas d'accord, par un simple décret en conseil des ministres. L'amendement n°  5 vise à éviter cette éviction choquante du Parlement, qu'il convient de rétablir dans ses prérogatives.

Mme Catherine Di Folco. - Pourquoi remplacez-vous la référence à l'article 77-1 de la Constitution - qui traite pleinement de la Nouvelle-Calédonie - par une référence à l'article 46 ?

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'article 46 de la Constitution détaille les modalités de discussion des lois organiques et impose un délai assez long entre le dépôt d'un projet de loi organique et sa discussion par le Parlement. Dans l'éventualité où un accord serait conclu avant les élections, il faudrait que la loi organique destinée à reporter de nouveau le scrutin intervienne dans un délai plus rapide que celui fixé par l'article 46 : c'est pourquoi il est fait référence à l'article 45.

L'amendement n° 5 est adopté.

Article 2

M. Philippe Bas, rapporteur. - L'amendement n°  8 a une portée très politique et symbolique, puisqu'il s'agit de rappeler que l'objectif d'un accord global est d'assurer le destin commun de tous les Calédoniens. Les différentes parties donnent parfois l'impression de s'ignorer mutuellement, voire de s'opposer radicalement, ce qui n'est pas la bonne voie à suivre.

L'amendement n° 8 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Le Gouvernement avait prévu que le Conseil constitutionnel constate la conclusion d'un éventuel accord. Il me semble au contraire que cette mission doit revenir à une instance politique indépendante du Gouvernement : les présidents des deux assemblées parlementaires pourraient avantageusement l'exercer.

L'amendement n°  6 est adopté.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Plusieurs intervenants se sont inquiétés de l'échéance du 1er juillet. J'ai d'abord pensé la supprimer complètement afin de lever toute ambiguïté et tout ressenti négatif, car elle a pu être considérée comme une forme d'ultimatum par certains interlocuteurs.

In fine, la solution que je vous propose consiste à conserver cette date, mais en lui retirant tout caractère contraignant. Le maintien de cette date est une nécessité : en effet, si l'entrée en vigueur de cette révision constitutionnelle était postérieure au 1er juillet, les actes juridiques précédant la convocation des électeurs ne pourraient pas être pris dans le délai que nous avons prévu pour l'organisation des élections. Un accord pourra donc être pris en compte après cette échéance du 1er juillet, qui servira donc de repère pour l'entrée en vigueur de la loi constitutionnelle.

L'amendement n°  7 est adopté.

M. François-Noël Buffet, président. - J'attire votre attention sur la forte dégradation de la situation de la Nouvelle-Calédonie survenue depuis notre visite effectuée quinze mois plus tôt, en particulier sur le plan économique. Le nouveau report de la signature d'un pacte nickel - il était censé aboutir quelques jours plus tôt - entraînera de lourdes conséquences sociales, les sous-traitants de l'usine du Nord venant d'apprendre qu'ils n'auront plus de travail.

Cette grave situation économique n'est pas sans conséquence sur la situation politique, tandis que les représentants du monde de l'entreprise nous ont alertés sur l'absolue nécessité de retrouver davantage de stabilité afin de reprendre la situation en main, stabilité qui passera par le biais du dégel du corps électoral et l'organisation d'élections, afin de repartir sur des bases saines.

Le contexte des élections à venir crée naturellement des tensions supplémentaires, mais la Nouvelle-Calédonie a besoin de cette stabilité et de se construire un avenir, sans quoi la situation risque de fort mal tourner. Notre responsabilité à l'égard des 280 000 habitants du territoire est essentielle, cette population ayant besoin de vivre ensemble et de créer de la richesse. Ce dossier nous préoccupe fortement.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Avis de la commission

Article 1er

M. BAS,
rapporteur

4

Application du corps électoral dégelé dès 2024 et le cas, échéant, prolongation possible par loi organique

Adopté

M. BAS,
rapporteur

5

Suppression de l''habilitation du Gouvernement à légiférer par décret en conseil des ministres

Adopté

Article 2

M. BAS,
rapporteur

6

Substitution du Conseil constitutionnel par les présidents des deux assemblées pour constater l'accord global et suppression de l'habilitation du Gouvernement à reporter les élections provinciales par décret en conseil des ministres 

Adopté

M. BAS,
rapporteur

7

Introduction d'un mécanisme permettant, en cas d'accord, d'interrompre le processus électoral jusqu'à dix jours avant le scrutin

Adopté

M. BAS,
rapporteur

8

Ajout de la notion de destin commun dans le contenu de l'accord global

Adopté

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