D. UNE DIMINUTION FORTE DES CRÉDITS DÉDIÉS AUX APPELS EN GARANTIE DE L'ÉTAT

1. Des appels en garantie qui devraient diminuer sensiblement en 2024

Dans le cadre du présent projet de loi de finances, les crédits du programme 114 « Appels en garantie de l'État » connaissent en 2024 une baisse significative et passent de 2,58 milliards d'euros à 1,90 milliard d'euros (- 26 %), qui fait suite à une première diminution en 2023 (- 29 %) après une forte hausse en 2022 (+ 34 %).

Ainsi, toutes les actions du programme voient leurs crédits diminuer, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 prévoyant même une annulation de 491 millions d'euros en AE et en CP du fait de la baisse attendue de la sinistralité des garanties instituées pendant la crise sanitaire.

Évolution des crédits des actions du programme 114
entre 2021 et 2023 (AE = CP)

(en millions d'euros et en pourcentage)

 

LFI 2023

Exécution au 31/08/2023

PLF 2024

Part dans les crédits du programme

Évolution PLF 2024 / LFI 2023

01 - Agriculture et environnement

0,1

--

0,1

0,0 %

0,0 %

02 - Soutien au domaine social, logement, santé

39,7

8,0

34,5

1,8 %

- 13,1 %

03 - Financement des entreprises et industrie

2 006,2

950,8

1 563,1

82,2 %

- 22,1 %

Prêts garantis par l'État

1 895,0

950,6

1 443,0

75,9 %

- 23,9 %

Prêts participatifs et obligations relance

0

0

87,9

4,6 %

--

Fonds de garantie contrats de fourniture d'énergie

100,0

--

30,0

1,6 %

- 70 %

04 - Développement international de l'économie française

121,5

115,5

111,5

5,9 %

- 8,2 %

Assurance-prospection

97,5

95,3

89,5

4,7 %

- 8,2 %

Garantie du risque exportateur

23,0

18,1

22,0

1,2 %

- 4,3 %

05 - Autres garanties

415,2

34,5

193,2

10,2 %

- 53,5 %

Fonds de garantie pan-européen

377,3

9,4

160,8

8,5 %

- 57,4 %

Total

2 582,7

1 108,8

1 902,4

100 %

- 26,3 %

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Sur l'action 2 « Soutien au domaine social, logement, santé », qui concerne les prêts garantis dans le cadre du Fonds de garantie de l'accession sociale à la propriété (FGAS), la sinistralité reste très faible au regard de l'encours de prêts garantis mais touche davantage les générations récentes de prêts compte tenu de la précocité avec laquelle interviennent les incidents de paiement et les sinistres.

L'évolution des dépenses sur cette action est liée aux prévisions de sinistres, sur les prêts à l'accession sociale, prêts à taux zéro garantis et écoprêts à taux zéro, résultant de l'évolution du marché immobilier. Cette évolution repose sur de nombreuses hypothèses dont l'appréciation reste délicate dans le contexte économique actuel. Au 31 août 2023, la dépense sur le programme 114 s'élève à 8 millions d'euros sur cette action.

La prévision d'appels en garantie en 2024 est fixée en cohérence avec la croissance tendancielle de l'encours sous garantie et avec le tendanciel des dépenses constatées en 2021 et en 2022, même si son impact sur la sinistralité n'est pas totalement mesurable.

Sur l'action 3 « Financement des entreprises et industries », qui porte très majoritairement les appels en garantie au titre des prêts garantis par l'État (PGE) mis en place en 2020, les projections budgétaires demeurent très incertaines, compte tenu de la nouveauté du produit, de l'incertitude élevée sur les perspectives économiques et de la sensibilité des estimations au comportement de remboursement des entreprises.

La prévision en loi de finances pour 2023 s'établissait à 1,895 milliard d'euros ; l'exécution 2023 devrait être inférieure à ce montant : au 31 août, les dépenses du programme 114 (couvrant sept mois sur douze) s'élevaient à 0,95 milliard d'euros.

Il est ainsi anticipé des décaissements d'appels en garantie sur l'année 2024 à hauteur de 1,442 milliard d'euros. Ces prévisions sont basées sur les dernières estimations de perte réalisées avec la Banque de France et communiquées en juillet 2023. Cette estimation repose sur un scénario sous-jacent d'un nombre de défaillances d'entreprises revenant aux niveaux annuels moyens de la période de 2009 à 2015.

Par ailleurs, la loi de finances initiale pour 2023 a créé le fonds de garantie pour les garanties exigées par un fournisseur en vue de la souscription d'un contrat de fourniture d'énergie (gaz ou électricité) et pour les contrats d'affacturage et risques d'assurance-crédit liés à ces mêmes contrats. Les sinistres sur ce fonds avaient été anticipés en loi de finances à 100 millions d'euros. Aucune dépense n'est intervenue au 31 août 2023 ; les prévisions actualisées laissent entrevoir une dépense de l'ordre de 10 millions d'euros. Compte tenu de la sous-exécution attendue en 2023, un montant prévisionnel de 30 millions d'euros est inscrit dans le PLF pour 2024.

Enfin, l'action 3 financera en 2024 les appels en garantie au titre des prêts participatifs et obligations relance ; ce dispositif, crée en 2021, a pour objectif de renforcer le bilan des entreprises françaises, soutenir leur capacité d'investissement en mobilisant jusqu'à 20 milliards d'euros de financements privés : l'État apporte jusqu'au 31 décembre 2023 une garantie aux investisseurs qui refinancent des prêts participatifs ou obligations relance. La garantie peut couvrir jusqu'à 30 % de l'encours total des fonds garantis.

L'estimation de la dépense pour 2024, à 87,9 millions d'euros, est établie à partir des encours respectifs estimés des dispositifs de prêts participatifs relance et d'obligations relance, auxquels s'applique un taux annuel moyen de défaillance évalué à partir du profil de risque des bénéficiaires au 31 décembre 2022.

Sur l'action 4 « Développement international de l'économie française », les appels en garantie de l'État sur les procédures de soutien au commerce extérieur se traduisent par un versement vers le compte de commerce 915 :

- le principal dispositif, l'assurance-crédit, est structurellement excédentaire ;

- le principal appel en garantie concerne l'assurance-prospection : les crédits budgétaires provisionnés dans le PLF 2024, à verser à l'issue de l'exercice 2023, se situent à 89,5 millions d'euros, en baisse par rapport aux crédits ouverts pour 2023 (97,5 millions d'euros dont 95,3 millions d'euros ont été versés) ;

- les prévisions du solde 2023 de l'assurance du risque exportateur sont déficitaires : le versement du programme 114 est estimé en PLF 2024 à 22 millions d'euros, pour plusieurs dossiers d'indemnisation ; il était estimé à 23 millions d'euros dans la LFI pour 2023, réalisé à hauteur de 18,1 millions d'euros.

Quant à l'action 5 « Autres garanties », elle retrace principalement les dépenses liées au fonds de garantie paneuropéen (PEGF) porté par le groupe Banque européenne d'investissement (BEI). Ce fonds créé en 2020 et doté par les États membres de l'UE d'un peu moins de 25 milliards d'euros permet au groupe BEI d'accroître son appui aux entreprises européennes (principalement aux PME) et dans une moindre mesure à des entités publiques actives dans le secteur de la santé (par la mobilisation de financements supplémentaires pouvant atteindre jusqu'à 200 milliards d'euros).

Les garanties couvrent les pertes encourues dans les opérations soutenues par le fonds. Toutes les pertes sont supportées de manière proportionnelle par les États membres participants.

La dotation sur le programme 114 pour financer en 2024 les dépenses d'appels en garantie émis par le groupe BEI s'élève à 160,8 millions d'euros, en baisse par rapport à la LFI 2023 (377,3 millions d'euros).

Le montant retenu pour 2023 correspondait à une estimation réalisée avec des hypothèses conservatrices, en fonction du coût potentiel pour la France de la sinistralité du PEGF. Un montant nettement inférieur devrait être réalisé en 2023, sur la base des dépenses constatées (9,4 millions d'euros au 31 août, actualisées à 23,6 millions d'euros au 26 septembre) et compte tenu du laps de temps nécessaire entre l'approbation des opérations, la signature et le décaissement aux bénéficiaires finaux (en moyenne 3 à 6 mois).

L'impact en dépense pour la France, qui a été nul en 2020 et très faible en 2021, se matérialise donc progressivement sur le programme 114 depuis l'année 2022 et devrait s'accroître lors des exercices à venir.

2. Les prévisions, quoique prudentes pour 2024, pourraient devoir être révisées en cas de dégradation de la conjoncture

Les crédits du programme 114 sont évaluatifs et s'appuient sur de multiples hypothèses quant aux risques de défaillances des acteurs bénéficiaires de la garantie de l'État. Il s'agit là d'un exercice difficile, les prévisions étant construites au début du second semestre de l'année n- 1, en regardant à la fois les appels en garantie passés et les risques à venir, compte tenu du contexte macroéconomique et des comportements des agents, par définition incertains.

Estimations de pertes nettes dues aux PGE

(en millions d'euros)

 

2020

2021

2022

2023

2024

2025

2026

2027

2028

2029

2030

Avances

- 5

- 191

- 1 373

- 1 699

- 1471

- 1 018

- 563

- 274

- 159

- 127

- 39

Solde sur pertes finales

0

0

14

102

141

107

73

40

18

10

7

Primes

277

1 774

564

225

0

0

0

0

0

0

0

Pertes nettes

272

1 583

- 795

- 1 372

- 1 330

- 911

- 489

- 234

- 141

- 117

- 32

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire du rapporteur spécial

Ainsi, le calibrage opéré en loi de finances pour 2023 s'est révélé large puisque sur les 2,6 milliards d'euros votés, le projet de loi de finances de fin de gestion pour 2023 prévoit d'annuler 491 millions d'euros, du fait d'un taux de sinistralité moindre qu'anticipé. Si la programmation des crédits s'est avérée prudente dans le cadre du PLF pour 2023, il est possible qu'elle le soit un peu moins dans le cadre du présent PLF alors même qu'il est préférable de conserver une marge de précaution.

Selon la Banque de France, à fin juillet 2023, le capital restant dû sur les PGE s'élève à 76,5 milliards d'euros, soit 53 % du montant total octroyé.

En revanche, depuis leur mise en place le 8 avril 2022, seuls 3 177 PGE Résilience34(*) ont été octroyés pour un montant de 1,4 milliard d'euros (soit 1 % du total). Le PGE Résilience semble ainsi avoir été peu mobilisé par les entreprises. Dans la mesure où le plan de résilience sociale et économique face à la crise énergétique a permis aux entreprises de bénéficier à la fois d'aides ciblées et de mesures plus transversales et automatiques de réduction des prix de l'énergie, il est difficile d'isoler l'effet des PGE Résilience.

S'agissant des besoins de trésorerie des entreprises, la situation apparaît globalement maîtrisée, même si plusieurs secteurs présentent des vulnérabilités.

Ainsi, l'analyse de 1,6 million de liasses fiscales (disponibles à fin octobre 2023) indique qu'à fin 2022, la trésorerie des entreprises s'érode mais reste à des niveaux élevés. Après les hausses record enregistrées entre 2019 et 2021, sous l'effet notamment du recours aux PGE, la trésorerie des entreprises baisse en 2022 mais reste supérieure à son niveau de 2019, quelle que soit la catégorie d'entreprise. En France, les dépôts bancaires des sociétés non financières avaient d'ailleurs atteint un niveau historiquement haut en décembre 2022, à 832 milliards d'euros. De même, l'enquête trimestrielle sur l'accès au crédit réalisée par la Banque de France au deuxième trimestre 2023 indique que les demandes de crédit de trésorerie restent globalement stables et demeurent bien satisfaites.

Néanmoins, d'après la dernière enquête mensuelle de conjoncture réalisée par la Banque de France, les soldes d'opinion sur la situation de trésorerie se dégradent de nouveau dans l'industrie, tirés à la baisse par l'industrie du bois, papier, imprimerie, et l'habillement, textile, chaussures ; ils s'améliorent légèrement dans les services marchands. Ils restent par ailleurs dans l'ensemble très inférieurs à leur moyenne de long terme.

Dans ce contexte, le nombre de défaillances cumulé sur les douze derniers mois croît de nouveau modérément pour atteindre un peu plus de 51 100 défaillances à fin septembre 2023 (selon les chiffres provisoires) et rejoint son niveau de 2019. Il reste cependant inférieur au nombre moyen de défaillances observé sur la période 2009-2015, de 61 100 défaillances annuelles en moyenne.

Selon la Banque de France, la matérialisation des risques portés par les PGE pour 2024 devrait être limitée. Alors que les entreprises ont fait face à une succession de chocs majeurs dans la période récente (la pandémie de Covid en 2020, puis la hausse des prix de l'énergie, entamée en 2021 et amplifiée par l'invasion de l'Ukraine en 2022), l'analyse des liasses fiscales précitée indique qu'à fin 2022 les entreprises françaises continuaient de résister. En 2022, la valeur ajoutée a ainsi progressé sensiblement malgré la hausse du prix des intrants. La trésorerie s'est érodée mais est restée à des niveaux élevés (supérieur à ceux d'avant crise sanitaire). Les fonds propres se sont renforcés et la rentabilité a bien résisté. L'analyse des cotations Banque de France, qui mesure la capacité des entreprises à honorer leurs engagements financiers à horizon de trois ans, indique que leur capacité de remboursement est également préservée à fin 2022.

En réponse au choc inflationniste, la politique monétaire s'est normalisée en 2022 puis resserrée en 2023, avec le relèvement par la BCE de ses taux directeurs. Ceci a mécaniquement entraîné des hausses des coûts de financement des sociétés non financières. Néanmoins, si la croissance du crédit bancaire se modère, elle reste soutenue et demeure essentiellement tirée par sa composante investissement. Les demandes de crédit de trésorerie et d'investissement restent stables mais globalement bien satisfaites. Concernant les perspectives économiques pour la France, la Banque de France anticipe en octobre 2023 une croissance pour 2023 plus élevée que la prévision de juin 2023, suivie par une reprise plus progressive (avec une hypothèse de croissance pour 2024, à 0,9 %, inférieure à la prévision du Gouvernement, à 1,4 %). L'économie française parviendrait donc à sortir progressivement de l'inflation sans récession, même si un contexte international peu favorable peut peser sur la reprise.


* 34 Dispositif de PGE spécifique mis en place pour les entreprises ayant un besoin significatif de trésorerie en raison des conséquences économiques du conflit en Ukraine.

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