EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet, président. - Nous passons à l'examen de la proposition de loi portant réparation des personnes condamnées pour homosexualité entre 1942 et 1982.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Il convient tout d'abord de rappeler la situation historique justifiant le texte que Hussein Bourgi et plusieurs de ses collègues ont déposé. Depuis 1791, la France a dépénalisé l'homosexualité. Les pratiques homosexuelles, depuis la Révolution française, n'étaient plus considérées comme un délit. Le régime de Vichy a cependant réinstauré une pénalisation des relations homosexuelles. Cette dernière était discriminatoire, car si étaient tolérées les relations hétérosexuelles incluant une personne mineure sur le plan civil, mais majeure sur le plan sexuel, celles-ci étaient pénalisées lorsqu'elles étaient de nature homosexuelle. Ce régime juridique de répression, mettant en place une discrimination fondée sur l'orientation sexuelle, n'a pas été abrogé à la Libération. De 1942 à 1982, ce texte est donc resté en vigueur et a conduit à la condamnation d'un certain nombre de personnes.
Entre-temps, et ce fait a son importance, un certain nombre de lois d'amnistie ont été votées : des lois d'amnistie ordinaire, c'est-à-dire les lois d'amnistie au quantum, et la loi spécifique du 4 août 1981 qui amnistiait les personnes condamnées pour homosexualité. Celles-ci, dès lors, n'avaient plus de casier judiciaire et n'étaient plus considérées comme condamnées aux yeux de la justice. L'amnistie n'est pas la grâce, l'amnistie n'est pas la réhabilitation. L'amnistie est l'oubli de la condamnation.
Tel est le contexte dans lequel s'inscrit cette proposition de loi, qui a trois objectifs.
Il vous est proposé d'instaurer un délit de négationnisme et de contestation de la déportation subie par les personnes homosexuelles pendant la Seconde Guerre mondiale. J'estime que ce point est, sur le plan juridique, inutile, voire dangereux.
Tout d'abord, depuis le tribunal de Nuremberg de 1945, la déportation est considérée comme un crime contre l'humanité, qu'elle concerne les juifs, les tziganes, les communistes ou les homosexuels. Le débat n'a donc pas lieu d'être : une personne déportée à raison de son homosexualité s'inscrit dans le cadre de la protection des victimes de crime contre l'humanité. Je m'en réjouis, car j'estime qu'il faut continuer à défendre l'indivisibilité des droits de l'homme plutôt que d'opérer de constantes sections.
Par ailleurs, la loi sur la presse, notamment l'article 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, me parait déjà sanctionner la contestation de la déportation des homosexuels. D'ailleurs, un certain nombre de procédures ont été enclenchées sur cette base et sont en cours d'instruction contre un ancien candidat à la présidence de la République. Adopter cette loi permettrait à l'avocat représentant cette personne d'arguer qu'il est impossible de condamner son client pour de tels propos, puisqu'ils font l'objet d'une nouvelle loi spécifique. J'estime donc que cette dernière, sur le plan juridique, est aussi inutile qu'inopérante.
Le deuxième objectif concerne la question de la réparation financière. Je reconnais que le coût pour l'État serait dérisoire, même s'il est difficile d'évaluer le nombre de personnes concernées. La direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice n'a pas de statistiques spécifiques, ce qui est heureux sur le plan du respect de la vie privée, mais regrettable du point de vue historique. Le nombre de personnes susceptibles d'être concernées par cette mesure n'est pas connu, et ce en raison de la difficulté à rassembler des preuves plus de quarante ans après la condamnation. La proposition de loi évoque une réparation calculée sur la base des journées de détention, ce qui me paraît très complexe. Je précise que les trois pays qui ont accordé une telle réparation financière n'avaient pas fait voter de lois d'amnistie, et cette réparation financière allait donc de pair avec une réhabilitation.
Venons-en donc à l'article 1er, qui porte sur la reconnaissance effective de la discrimination subie par les homosexuels.
Cette affirmation est incontestable, et je pense qu'il existe parmi nous un consensus sur la nature discriminatoire de la répression dont ils ont été victimes, ainsi que sur les souffrances, les drames qui en ont découlé. Malgré tout, ces souffrances ont souvent été causées non pas par la loi, mais par certains éléments extérieurs. Ainsi, dans certaines villes de province, la presse locale pouvait provoquer de véritables drames en rendant publique la condamnation d'une personne, et donc son homosexualité. L'opprobre, la mort sociale, ont pu pousser des personnes au suicide ou à la fuite. Ces maux ne découlaient pas de la loi en elle-même, mais des préjugés de la société, et cette dernière ne peut alors accorder de réparation.
Enfin, si nous sommes d'accord pour reconnaître cette discrimination, je conteste la période retenue. La proposition de loi englobe la période 1942 à 1982. Or, la République ne doit pas endosser les crimes du régime de Vichy. Le gaulliste que je suis propose donc de retenir la période allant de 1945 à 1982.
Pour toutes ces raisons, je vous invite à rejeter cette proposition de loi à ce stade, ce qui permet de la laisser intacte pour son examen en séance publique. La commission, avec l'accord de son président, pourrait déposer pour la séance un texte consensuel indiquant que la République reconnaît l'existence de cette discrimination de 1945 à 1982, ainsi que les souffrances qui en ont découlé.
M. Hussein Bourgi, auteur de la proposition de loi. - Je souhaite tout d'abord saluer le travail réalisé par le rapporteur dans des délais fortement contraints par le renouvellement de la Haute Assemblée et le calendrier des travaux parlementaires.
Je souhaite cependant apporter des informations complémentaires aux trois points évoqués.
Je n'ai pas la même approche concernant le délit de négationnisme, car je me réfère à une jurisprudence récente. La première personne à avoir été poursuivie pour contestation et révisionnisme est notre ancien collègue Christian Vanneste, député du Nord. Il fut le premier à tenir des propos de cette nature, et a été relaxé par la justice. Actuellement, Éric Zemmour est poursuivi pour avoir tenu des propos similaires. Le parquet n'avait pas l'intention de le poursuivre ; seule l'intervention des associations concernées a motivé le juge d'instruction à renvoyer M. Zemmour devant le tribunal correctionnel. C'est la raison pour laquelle je pense que, en tant que législateurs, nous ne devons pas être liés par l'issue d'un procès spécifique, nous ne devons pas établir la loi par convenance. Je ne m'appuie que sur une décision définitive, à savoir la relaxe de M. Vanneste. Je suis d'un naturel pessimiste et j'estime donc qu'il est possible que M. Zemmour, dont les propos sont similaires, puisse bénéficier de la même jurisprudence.
Le rapporteur a soulevé le point de la réparation financière. Celle-ci aurait en effet un coût dérisoire pour la République française. En Espagne, où cette mesure a été instaurée, environ 150 personnes se sont manifestées pour en bénéficier. Le nombre est faible, mais s'explique par le fait que nombre des victimes sont mortes, que d'autres sont très âgées ou n'ont plus les preuves nécessaires. Au total, cette loi a coûté 650 000 euros à l'Espagne. En Allemagne, entre 325 et 350 personnes ont déposé des dossiers et obtenu réparation. Il me semble donc que les mesures que nous avons prises pour les harkis pourraient nous inspirer.
En effet, l'objectif n'est pas de verser une réparation à l'euro près, mais d'être dans une logique de réparation. Dès lors qu'un tort, qu'un préjudice, qu'une perte de chance est reconnu, il me semble normal de nous aligner sur les mesures prises par d'autres pays européens.
Je rejoins le rapporteur pour souligner qu'au-delà des amendes et des privations de liberté l'opprobre social a joué un grand rôle dans les souffrances des personnes homosexuelles. Je pense en particulier à un brillant avocat du Nord qui avait réussi le concours du barreau. Du fait de sa condamnation, il a fini sa vie comme surveillant dans l'internat d'un lycée. Des révocations de la fonction publique ont aussi été prononcées, de même que des licenciements. Certaines personnes ont été condamnées à une forme d'exil intérieur en raison des dénonciations de journalistes peu scrupuleux qui entachaient l'honorabilité de leur famille.
Ce préjudice est celui qu'il nous est possible de réparer, comme d'autres pays l'ont fait avant nous. Mon raisonnement est le suivant : il y a un préjudice, il y a un tort, il convient de le réparer.
M. Francis Szpiner, rapporteur. - Il ne s'agit pas pour moi de faire plaisir à un confrère au sujet de l'éventuelle condamnation d'Éric Zemmour. Je peux rappeler la décision de 2012 du Conseil constitutionnel, qui avait consisté à censurer une loi instaurant un délit analogue à celui qui découlerait de la proposition de loi. Par ailleurs et par principe, je pense que de tels propos s'inscrivent dans le cadre du procès de Nuremberg, et sortir de ce cadre pour des raisons spécifiques serait contraire à l'idée que je me fais de l'indivisibilité des droits humains.
Vous dites qu'un préjudice doit donner lieu à une réparation. Nous sommes dans le droit commun, et je puis donc vous opposer la notion de prescription, qui s'applique ici. De plus, la situation ne me paraît pas comparable à celle des harkis. En effet, il y avait alors un lien de causalité entre une action politique très claire et la réparation. Dans le cas qui nous occupe, des magistrats ont appliqué la loi de la République, qui était discriminatoire et scandaleuse. Dans les pays ayant accordé une réparation, cette dernière n'a pas été généralisée à l'ensemble des personnes victimes, mais a été réservée à certaines catégories. Je rappelle enfin, puisque vous évoquiez la fonction publique, que la loi d'amnistie a permis aux personnes concernées de récupérer leurs droits. Une réparation a donc déjà eu lieu.
Le principe de la réparation se heurte donc, à mes yeux, à la prescription. Malgré son montant dérisoire, il créerait un danger de possible contournement de la prescription. Je suis donc contre la réparation pécuniaire, mais pour la réparation symbolique, c'est-à-dire l'affirmation de la faute de la République et la reconnaissance de sa responsabilité, en modifiant l'article unique.
M. François-Noël Buffet, président. - Vous l'aurez compris, le rapporteur devrait nous soumettre un amendement visant à adopter un article unique, en concertation avec l'auteur du texte.
EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er
L'article 1er n'est pas adopté.
Article 2
L'article 2 n'est pas adopté.
Article 3
L'article 3 n'est pas adopté.
Article 4
L'article 4 n'est pas adopté.
Article 5
L'article 5 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.