II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Un décaissement des crédits du PIA 3 loin d'être achevé, en dépit d'une accélération en 2022

La consommation des crédits du PIA 3 fait ainsi intervenir trois phases successives :

l'engagement, matérialisé par la décision du Premier ministre, qui désigne une enveloppe par projet financé et confie à l'opérateur le soin de négocier un contrat entre l'État et le bénéficiaire ;

- la contractualisation, correspondant à la signature d'un contrat entre l'État et chaque bénéficiaire d'un financement ;

- le décaissement, c'est-à-dire le paiement effectif des sommes aux bénéficiaires, qui s'étale sur plusieurs années.

Dans le cadre du PIA 3, la consommation des CP correspond en réalité à la mise à disposition des quatre opérateurs des crédits afférents, sur un compte à leur nom détenu au Trésor. Les crédits sont ensuite décaissés en faveur des bénéficiaires finaux sous quatre formes : subventions et dotations décennales, avances remboursables ou prises de participations. Dans le cas de prises de participations, les crédits transitent par le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».

Dans ce cadre, la mission « Investir pour la France de 2030 » se caractérise par la persistance structurelle d'un important décalage temporel entre la consommation budgétaire des crédits du PIA 3 et le versement effectif des dotations aux projets soutenus.

Au troisième trimestre 2022, selon la Cour des comptes13(*), 3,4 milliards d'euros avaient été décaissés depuis le lancement du PIA 3. Pour mémoire, le montant des décaissements s'élevait à 2 milliards d'euros en 2021, à 1,2 milliard d'euros en 2020 et à 482 millions d'euros en 2019.

L'exécution 2022 témoigne donc d'une montée en puissance bienvenue dans les décaissements. Le rapporteur spécial note cependant que le montant des restes à payer reste important et doit être résorbé. Le décaissement des crédits ne représente que 32,72 % de l'enveloppe globale et 50,90 % des montants contractualisés auprès des bénéficiaires.

Le décaissement progressif des fonds n'est par ailleurs pas sans impact sur la gestion par les quatre opérateurs de la mission de leur trésorerie. En effet, ces derniers élaborent des échéanciers de versements des fonds aux porteurs de projets, sans maitriser le rythme des décaissements budgétaires qui leur sont alloués.

Il importe donc, pour garantir la soutenabilité des engagements pris et éviter une mise sous tension trop importante de la trésorerie des opérateurs, que le décaissement des fonds poursuive son intensification dans les mois à venir.

2. Une mise en oeuvre initiale du PIA 4 et de France 2030 insuffisamment orientée vers la transition écologique et traduisant une forte concentration des bénéficiaires

Premièrement, depuis le lancement du PIA 3, les investissements d'avenir comportent des objectifs d'impact sur l'environnement et de transition écologique14(*). La mise en place du plan France 2030 en 2022 s'est accompagnée de la formulation d'un objectif de 50 % de dépenses consacrées à la décarbonation. En 2023, les crédits de paiement favorables à la transition écologique sont estimés à 1,49 milliard d'euros. Bien que traduisant une augmentation par rapport à l'exercice 2022 (0,25 milliard d'euros coté « vert ») ce résultat est encore insuffisant au regard des objectifs affichés.

De plus, l'évaluation de l'impact environnemental de la mission apparait perfectible, selon la Cour des comptes15(*). Ainsi, le rapport sur l'impact environnemental du budget de l'État annexé au PLF pour 2023 estimait à 25 % le total des dépenses de la mission favorables à l'environnement, tandis que le « jaune » budgétaire de la mission estimait ce montant à 44 % des dépenses.

Deuxièmement, la mise en oeuvre de la mission se traduit par une relative concentration des bénéficiaires des dépenses. La Cour des comptes note ainsi que les grandes entreprises sont les premiers destinataires des fonds du PIA 4 et de France 2030 à hauteur de 29 % et que quinze des 450 entreprises bénéficiaires regroupent 50 % du financement total alloué aux entreprises. La concentration des crédits se retrouve également au sein des organismes de recherche, avec cinq acteurs globalisant 82 % des financements.

3. Un déficit toujours très substantiel de lisibilité et d'évaluation de la mission nuisant à la possibilité pour le Parlement d'exercer un contrôle éclairé
a) Un important déficit de lisibilité, renforcé en 2022 par la coexistence entre PIA et France 2030

Depuis le lancement des investissements d'avenir, le suivi des montants alloués aux politiques publiques de la recherche et de l'innovation se révèle particulièrement difficile.

Ces difficultés s'expliquent en premier lieu par les règles budgétaires applicables aux PIA 3 et 4 et au plan France 2030, qui dérogent largement aux grands principes des finances publiques (voir supra). D'une part, les dépenses de l'État vers les opérateurs sont suivies dans le cadre de la procédure budgétaire annuelle, tandis que les dépenses des opérateurs vers les bénéficiaires finaux sont suivies par le biais d'une comptabilité ad hoc, faisant l'objet d'un compte-rendu trimestriel adressé au Parlement. D'autre part, les PIA se caractérisent également par des règles particulièrement souples en matière de reports et de redéploiements des crédits (voir supra).

En second lieu, l'adoption du plan France 2030 a renforcé le déficit de lisibilité de la mission. D'une part, la coexistence entre le PIA 4 et France 2030 au sein des programmes 424 et 425 rend difficile la ventilation entre les deux dispositifs. De plus, le PIA 4 repose sur des stratégies correspondant à des cibles technologiques et industrielles qui coexistent désormais, depuis le lancement de France 2030, avec une présentation par objectifs et leviers définissant les priorités de la mission.

D'autre part, dans un objectif de mise en oeuvre rapide, les crédits de France 2030 ont été directement intégrés dans les programmes du PIA 4, sans en modifier l'architecture. À moyen terme, il semblerait souhaitable de faire évoluer la maquette de la mission dans un souci de lisibilité. Une présentation en trois programmes, suivant les trois objectifs du plan France 2030, pourrait être envisagée.

Pour le rapporteur spécial, ce déficit de lisibilité obère considérablement la capacité de la représentation nationale à suivre et contrôler effectivement l'emploi des crédits et peut, de surcroit, se révéler préjudiciable pour les acteurs économiques.

b) Une réforme de l'évaluation aux effets encore incertains

À titre liminaire, le rapporteur spécial tient à souligner que l'adoption du plan France 2030 par voie d'amendement lors de l'examen de la LFI pour 2022 a eu pour effet de priver le Parlement d'une étude d'impact préalable.

Prenant en compte le bilan dressé par la Cour des comptes dans son rapport sur la mise en oeuvre du programme d'investissement d'avenir de 2021, l'évaluation des investissements d'avenir a fait l'objet de plusieurs modifications. Tout d'abord, l'article 187 de la loi de finances initiale pour 2022 a modifié la LFR pour 201016(*) pour préciser la nature de l'évaluation requise dans les PIA : « a priori, en cours de déploiement et a posteriori ». Ensuite, depuis 2020, une programmation triennale, telle qu'elle avait été demandée par le comité de surveillance, a ainsi été mise en place sur quatre thèmes : territoire, enseignement supérieur et éducation, recherche et innovation des entreprises. L'objectif est de pouvoir évaluer les PIA 1 et 2 a posteriori et en cours de déploiement et a posteriori les PIA 3 et 4. Enfin, le SGPI a prévu une nouvelle modalité d'évaluation in itinere reposant sur une remontée continue d'indicateurs et permettant un meilleur pilotage des projets engagés.

Par ailleurs, la LFI pour 2023 a opéré une refonte des indicateurs de performance afin, d'une part, d'élargir les indicateurs transverses au périmètre de France 2030, et d'autre part, de proposer de nouveaux indicateurs sur les programmes 424 et 425 permettant d'évaluer les objectifs de France 2030 en cohérence avec la démarche d'évaluation in itinere, adoptée dans le cadre de France 2030 au titre de sa gouvernance renouvelée.

Le rapporteur spécial recommande la plus grande vigilance quant à la mise en place de ces nouvelles modalités d'évaluation. Une amélioration de l'évaluation est indispensable tant il est impératif que la représentation nationale dispose d'éléments d'appréciation plus consolidés et étayés pour se prononcer sur l'opportunité de prolonger, ou non, ou de modifier les programmes d'investissement dans les années à venir.


* 13 Note d'analyse de l'exécution budgétaire, Mission « Investir pour la France de 2030 », 2022.

* 14 Le PIA 3 doit ainsi intégrer 60 % de crédits « verts » et le PIA 4, dans le cadre de sa participation au plan de relance, doit consacrer 37 % de dépenses favorables à la transition écologique au global afin de bénéficier des remboursements de la FRR.

* 15 Note d'analyse de l'exécution budgétaire, Mission « Investir pour la France de 2030 », 2022.

* 16 Article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010.