B. LES OBSERVATIONS DES RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Comme l'ont rappelé les rapporteurs spéciaux lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2022, les modifications apportées au périmètre de la mission « Transformation et fonction publiques » en 2022 ont permis, après deux ans de tâtonnements, d'enfin clarifier le portage budgétaire des projets interministériels de la mission.

Alors que le Gouvernement insistait jusqu'en 2020 et 2021 sur le caractère temporaire de celle-ci, initialement créée pour une durée de cinq ans, les changements de périmètre - avec notamment le rattachement du programme 148 « Fonction publique » - et les retards conséquents constatés sur les programmes dédiés à la rénovation des cités administratives et à la transformation de l'action publique ne pouvaient que conduire à devoir prolonger voire pérenniser la mission. C'était le sens de la conclusion du contrôle budgétaire mené par les rapporteurs spéciaux en 2020 pour tenter de comprendre ces retards et proposer des pistes pour y remédier21(*).

Cette clarification doit s'accompagner d'une montée en charge de la mission, promise par le Gouvernement depuis cinq ans. Alors que 2022 aurait initialement dû constituer la dernière année d'exercice de la mission, il apparaît nécessaire de faire le bilan des objectifs interministériels et de transformation portés par celle-ci.

1. Des progrès en exécution, en dépit d'une montée en charge plus lente que prévue et d'une fragmentation des programmes

Alors que le Gouvernement avait eu tendance, sur la période 2019-2020, à ne tenir compte ni des retards accumulés sur la mise en oeuvre des projets ni des sous-exécutions constatées l'année précédente, en demandant des crédits toujours plus importants sans rapport avec leur consommation réelle, une certaine inflexion peut être observée sur la période 2021-2022. Les crédits demandés sont en effet plus proches de l'exécution, même si la résorption des écarts doit être poursuivie. Les rapporteurs spéciaux réitèrent ainsi la recommandation n° 6 de leur contrôle, par laquelle ils avaient appelé à un effort supplémentaire de sincérité budgétaire pour les crédits soumis à l'autorisation du Parlement. Après cinq ans d'exercice, les responsables de programme doivent être en mesure de donner une vision plus exacte des crédits de la mission.

Ils notent à cet égard et avec satisfaction, dans une logique de transparence et de rationalisation, la suppression du programme 351 au 1er janvier 2022 et la réintégration de ses crédits dans le programme 148 « Fonction publique ». Cette suppression était réclamée depuis plusieurs années, alors qu'il apparaissait peu pertinent d'avoir créé un programme ad hoc pour poursuivre les mêmes objectifs que ceux d'un programme existant.

Une même interrogation porte sur la pertinence du programme 368, faiblement doté, sans indicateur de performance, placé sous la responsabilité du secrétariat général des ministères économiques et financiers. Il répond sans doute davantage à un objectif d'affichage, pour matérialiser le « pilotage de la transformation et de la fonction publiques », sans que ne soient pour l'instant perçus les apports de la création d'un tel programme.

Les rapporteurs spéciaux recommandent également de nouveau le rattachement du programme 352 à l'action 16 du programme 129 de la mission « Direction de l'action du Gouvernement », qui correspond à la coordination de la politique numérique. La dimension interministérielle serait ainsi conservée, avec des processus de sélection éventuellement plus transparents, notamment dans le recours aux prestataires extérieurs.

Toujours selon cette logique, alors que les crédits de la mission sont destinés à soutenir l'ensemble des administrations et leur transformation, pour plus d'efficience dans l'accomplissement de leurs missions et dans le service rendu aux usagers, il est impératif d'en accroître la transparence.

À titre d'exemple, 19 projets supplémentaires ont été sélectionnés par le FTAP en 2022. Certains retours sont extrêmement positifs, les administrations s'étant appuyées sur les crédits du FTAP pour cofinancer des réformes ou des projets coûteux, généralement dans les domaines informatique et numérique. En tout, 126 projets ont été sélectionnés sur la période 2018-2022, pour un accompagnement total de 764 millions d'euros, soit un niveau plus élevé que celui anticipé en 2018 (700 millions d'euros) mais moindre que celui rehaussé en cours de gestion (780 millions d'euros). Ces chiffres, communiqués par le Gouvernement dans le rapport annuel de performance de la mission, sont pourtant trompeurs : au 4 janvier 2023, seulement 69 % de cette enveloppe avait été consommée en AE (528 millions d'euros) et 51 % en CP (388 millions d'euros)22(*).

Or, toutes les administrations ne signalent pas clairement, dans les documents budgétaires, la part des financements en provenance du programme 349 « Transformation publique ». Elles peuvent donc afficher une relative maîtrise de leurs dépenses de fonctionnement ou d'investissement, mais qui ne tient pas compte de ces crédits. C'est pour cette raison que les rapporteurs spéciaux plaident pour une meilleure identification des projets cofinancés par les programmes 349, afin de donner une information plus transparente sur le coût total d'un projet dit de « transformation »23(*).

2. La rénovation des cités administratives, un programme ambitieux qui commence enfin à se concrétiser

L'un des points de vigilance des rapporteurs spéciaux sur la mission « Transformation et fonction publiques » portait sur le portage budgétaire des crédits dédiés à la rénovation des cités administratives (programme 348). Il apparaissait très clairement que ce programme, qui devait initialement prendre fin en 2022, avec une dotation d'un milliard d'euros pour rénover 37 citées administratives, ne pourrait pas être clos à la date prévue. Les travaux ne constituent la majeure partie des dépenses du programme 348 que depuis 2022, l'année même où le Gouvernement prévoyait initialement de les avoir terminés... L'engagement des travaux explique ainsi à plus de 91 % la hausse des dépenses d'investissement du ministère de l'économie et des finances dans son ensemble24(*) (154,3 millions d'euros sur 169,2 millions d'euros).

Répartition des projets de rénovation
des cités administratives par date prévisionnelle de livraison

Source : commission des finances, d'après les réponses au questionnaire budgétaire des rapporteurs spéciaux

Cinq ans après le lancement du programme, 33 marchés de travaux ont été notifiés sur 37, dont 16 en 2022, les travaux n'ont réellement commencé que pour 24 cités administratives et six ont pu être partiellement livrées après rénovation (Rouen, Bordeaux, Mulhouse, Charleville-Mézières, Strasbourg et Colmar). La crise sanitaire puis la pénurie des matériaux ne peuvent être les seuls facteurs d'explication mis en avant par le Gouvernement, alors même que le processus de sélection a été très long, tout comme celui de la passation des marchés.

Le démarrage de plusieurs chantiers ayant fait l'objet d'un marché global de performance a par ailleurs été reporté à 2022, aggravant d'autant plus les retards d'exécution et la sous-consommation des CP, mais aussi le coût de certains chantiers, du fait de l'augmentation très forte des prix des matières premières. La DIE ne dispose plus d'aucune marge de manoeuvre pour y faire face. Le programme 348 a même bénéficié en 2021 de transferts en provenance du programme 148 pour le financement des études et des travaux touchant à de l'action sociale interministérielle (restaurants inter-administratifs, crèches). Cette absence de marge de manoeuvre est inquiétante : les rapporteurs spéciaux avaient souligné l'an dernier que seul le retrait de deux projets (Melun et Brest) avait à court terme permis de respecter l'enveloppe budgétaire initialement allouée au programme. Il n'existe plus de telles marges : la crainte est ainsi de devoir revenir sur certains objectifs en matière de rénovation et de performance énergétique.

Les rapporteurs spéciaux soulignent enfin depuis plusieurs années que les indicateurs de performance de la mission sont insuffisants et insatisfaisants, en particulier ceux des programmes 348 et 349. Ils avaient ainsi relevé dans leur rapport budgétaire que les cibles prévues sur le programme 348 - en termes d'économie d'énergie et de surface optimisée - étaient définies à partir des données transmises par les préfets de département et que les résultats ne pourraient donc être constatés qu'une fois les travaux achevés. Les cibles n'engagent pas les gestionnaires du programme et aucun mécanisme d'alerte n'est prévu. Ces indicateurs ne répondent donc que très partiellement aux exigences de la loi organique relative aux lois de finances, aux termes desquels les indicateurs doivent permettre, en sus des résultats attendus, de mesurer les coûts associés à chacune des actions ainsi que les résultats obtenus.

3. Le Fonds pour la transformation de la fonction publique, des marges encore très importantes d'amélioration dans le suivi des projets

Le programme 348 n'est pas le seul concerné par les retards et par un manque de prévisibilité. Sur le programme 349, lui-aussi initialement créé pour une durée de cinq ans, il est surprenant que la DITP n'insiste que depuis 2021 sur le suivi « renforcé » des projets sélectionnés par le FTAP, pour « s'assurer du respect des engagements et de l'atteinte des résultats » de chacun des porteurs de projet. Les rapporteurs spéciaux espèrent que ce travail de suivi a été entamé avant, son absence pouvant expliquer les retards constatés sur le programme. Ainsi, plus de la moitié des projets connaîtrait un retard de plus de trois mois et un tiers un retard de plus d'une année25(*). De même, au niveau déconcentré, certains fonds octroyés par le biais du programme 349 auraient finalement servi à financer des déménagements ou l'achat de mobilier26(*), ce qui témoigne d'une défaillance grave du suivi des fonds octroyés.

Ainsi, en dépit de progrès, ce taux étant de 30 % en 2021, il demeure assez peu compréhensible que, cinq ans après la création du programme, le pourcentage de lauréats du FTAP signant leur contrat l'année de leur sélection ne soit que de 60 %27(*). Si ces pourcentages pouvaient se comprendre en 2018 et 2019, lors de l'organisation des premiers appels à projet et du début de la contractualisation, ils sont difficilement justifiables aujourd'hui, s'agissant par ailleurs de projets sélectionnés par un comité à partir de leur état d'avancement et de leur portée opérationnelle.

Alors que le Fonds pour la transformation de l'action publique a été prolongé de trois ans en loi de finances initiale pour 2023, avec une nouvelle enveloppe budgétaire de 330 millions d'euros en AE, les rapporteurs spéciaux ne peuvent qu'espérer que les leçons des cinq premières années ont enfin été tirées. Des résultats plus détaillés devront également être transmis sur les économies réellement permises par les projets financés par le biais du programme 349. L'objectif initial de ce fonds était en effet de permettre de réaliser un euro d'économie pérenne pour un euro investi.

Il est à cet égard bienvenu qu'enfin, depuis le 1er janvier 2022, l'indicateur de performance sur le taux de rendement des projets ne reprenne pas les prévisions des porteurs de projet mais bien le taux de rendement effectivement constaté. Il s'établit à 1,5, mais en prenant en compte, en plus de 600 millions d'euros d'économies directes, 224 millions d'euros « d'économies indirectes », qui ne sont toutefois ni listées ni détaillées dans les éléments transmis au Parlement.

Surtout, au-delà des projets financés au sein des administrations, il est également important de s'intéresser à leurs conséquences sur les usagers. En effet, alors que le ministère de la transformation et de la fonction publiques s'est défini comme le ministère de la « qualité des services publics », il est curieux que la mission ne comprenne aucun indicateur concernant la numérisation des démarches publiques. Pour rappel, le Gouvernement s'est fixé l'objectif de numériser entièrement les 250 démarches administratives les plus usuelles d'ici 202228(*).

Au mois d'octobre 2022, 23 de ces démarches n'étaient pas réalisables en ligne (9,3 %), sept étaient en cours de déploiement au niveau local (2,8 %) et 9 étaient partiellement numérisées (3,6 %). Toutefois, comme ils ont eu l'occasion de le rappeler lors de l'examen des projets de loi de finances, les rapporteurs spéciaux insistent sur le fait qu'au-delà de la numérisation, le ministère doit également progresser sur le taux de satisfaction des usagers - seulement 45,6 % des démarches ont une note supérieure à 7/10 - ainsi que, surtout, sur l'accessibilité des démarches en ligne pour les personnes en situation de handicap - seulement 19 % des démarches numérisées tiennent entièrement compte des situations de handicap.


* 21 Annexe 15 au rapport n° 743 (2020-2021) sur le projet de loi de règlement et d'approbation des comptes de l'année 2020 de MM.  Albéric de MONTGOLFIER et Claude NOUGEIN, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juillet 2021. Missions « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », « Crédits non répartis » et « Action et transformation publiques ».

* 22 Cour des comptes, Note d'analyse sur l'exécution budgétaire 2022 - Mission « Transformation et fonction publiques ».

* 23 Dans le rapport annuel de performance de la mission pour 2021, il y a eu un premier pas d'accompli avec, pour les programmes 349 et 352, l'identification des opérateurs de l'État bénéficiaires de cofinancements.

* 24 Rapport annuel du le contrôleur comptable et ministériel près le ministère de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et près le ministère de la transformation et de la fonction publiques relatif à l'exécution budgétaire et à la situation financière et comptable ministérielle de l'année 2022.

* 25 D'après les données transmises par la DITP et reprises dans la note d'analyse d'exécution budgétaire de la mission en 2022 de la Cour des comptes.

* 26 D'après les données transmises par la DITP et reprises dans la note d'analyse d'exécution budgétaire de la mission en 2021 de la Cour des comptes.

* 27 Indicateur de performance 1.1 du programme 349.

* 28 248 sont référencées dans le baromètre de suivi mis à disposition par le Gouvernement.