EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 7 JUIN 2023

Mme Catherine Di Folco, rapporteur, en remplacement de M. André Reichardt. - Je vous prie d'excuser l'absence d'André Reichardt, qui m'a chargée de présenter en son nom les principales orientations de son rapport.

Nous sommes saisis de la proposition de loi visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, le 4 avril dernier. Sur les quinze articles que comptait ce texte à l'issue de la première lecture, cinq restent encore en discussion, les autres ayant été supprimés ou adoptés conformes par l'Assemblée nationale.

Ce texte, qui n'a pas fait l'objet de l'engagement de la procédure accélérée - ce qui est suffisamment rare pour être noté -, a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale en novembre 2022, puis par le Sénat le 31 janvier 2023.

De façon générale, nous pouvons largement nous satisfaire du texte qui nous a été transmis. À l'exception de quelques points relativement mineurs, sur lesquels je reviendrai, ce texte semble résulter d'un compromis respectueux des positions des deux chambres, qui préserve très majoritairement nos apports et tient compte de nos lignes rouges. En particulier, le chapitre III, qu'a inséré le Sénat et qui vise à équilibrer le texte en renforçant l'accompagnement social des locataires en difficulté, a été adopté conforme par l'Assemblée nationale.

Sans revenir sur l'ensemble des dispositions de ce texte, puisque dix articles font déjà l'objet d'une rédaction commune et que nous avons largement débattu lors de la première lecture, je centrerai mes propos sur les dispositions encore en discussion : les articles 1er A, 1erC, 2, 2 ter et 4.

L'article 1er A, qui crée un délit d'occupation frauduleuse des locaux à usage d'habitation et des locaux à usage commercial, agricole ou professionnel, n'a fait l'objet que d'une modification sémantique qui ne pose aucune difficulté, dans la mesure où, conformément à la position exprimée par le Sénat en première lecture, le Gouvernement n'a pas maintenu son souhait de limiter ce délit aux seuls locaux exploités.

L'article 1er C avait été adopté en séance publique au Sénat, sur proposition de notre collègue Catherine Procaccia, malgré un avis défavorable de la commission. L'article imposait au préfet de recourir à la force publique dans un délai de sept jours suivant la décision du juge, dans les cas de squat de domicile. Notre collègue rapporteur André Reichardt avait souligné les difficultés de nature pratique et juridique que soulevait cet article, notamment le fait que ce délai de sept jours était inférieur au délai commun de recours, qui s'élève à un mois, et qu'il était préférable de maintenir un pouvoir d'appréciation du préfet, lorsque celui-ci est saisi d'une demande de recours à la force publique, notamment pour tenir compte des éventuels troubles à l'ordre public que pourrait provoquer l'expulsion de force. En se reposant sur les mêmes arguments, l'Assemblée nationale a supprimé cet article lors de la deuxième lecture. En cohérence avec la position exprimée par la commission en janvier dernier, André Reichardt nous propose de maintenir cette suppression.

J'en viens à l'article 2, relatif à la procédure administrative d'évacuation forcée, plus connue en tant que « procédure de l'article 38 de la loi Dalo » (loi instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale). En deuxième lecture, l'Assemblée nationale n'est revenue que sur une seule des modifications apportées par le Sénat, en supprimant la réduction, de quarante-huit à vingt-quatre heures, du délai dont disposerait le préfet pour mettre en demeure le squatteur de quitter les lieux.

Par ailleurs, l'article a été complété afin de prendre en compte les récentes réserves d'interprétation formulées par le Conseil constitutionnel à l'occasion d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur l'article 38 de la loi Dalo. Le rapporteur considère ces derniers ajouts comme utiles, car ils permettront de garantir la pleine conformité de cette procédure à la Constitution et de sécuriser ainsi son assise juridique. Il nous suggère donc d'adopter cet article conforme, en prenant acte du désaccord, attendu, sur la réduction du délai de mise demeure du squatteur.

Outre des modifications rédactionnelles mineures portant sur l'article 2 ter, l'Assemblée nationale a renforcé le contrôle de l'application du dispositif de mise à disposition temporaire de logements vacants, en imposant à l'État de vérifier « régulièrement la conformité de la mise en oeuvre [de ce dispositif] aux dispositions légales et règlementaires applicables », lorsqu'il bénéficie à des personnes morales de droit privé. Cette précision va dans le sens de la position exprimée par notre commission en première lecture, le rapporteur ayant appelé le Gouvernement à accentuer le suivi de ce dispositif, pour l'instant quasi inexistant. Ainsi, André Reichardt nous suggère d'adopter cet article dans la rédaction qui nous a été transmise.

Enfin, l'article 4, qui concerne les pouvoirs d'office du juge en matière d'octroi de délais de paiement et de suspension des effets des clauses résolutoires de plein droit, qui a fait l'objet d'un désaccord substantiel en première lecture entre les deux chambres, a abouti sur une rédaction que le rapporteur considère représenter un compromis. Pour mémoire, l'Assemblée nationale souhaitait conditionner l'octroi de délais de paiement, la vérification des éléments constitutifs de la dette locative, le contrôle du caractère décent du logement et la suspension des effets de la clause résolutoire - c'est-à-dire le maintien dans le logement - à une saisine du locataire plutôt que de laisser la possibilité au juge de se saisir d'office.

En première lecture, le Sénat avait rétabli les pouvoirs d'office du juge en la matière, jugeant qu'il était dans l'intérêt aussi bien du locataire que du bailleur que les relations contractuelles soient maintenues et que la dette locative soit acquittée, plutôt que d'avoir recours à une expulsion « ferme ».

En deuxième lecture, l'Assemblée nationale s'est en grande partie alignée sur la position du Sénat en maintenant les pouvoirs d'office du juge pour l'octroi de délais de paiement et pour la vérification des éléments constitutifs de la dette locative et de la décence du logement. En revanche, la suspension des effets de la clause résolutoire ne pourra plus être accordée par le juge qu'à la suite d'une saisine en ce sens par le bailleur ou le locataire.

Il s'agit pour le rapporteur d'un point de vigilance dont il conviendra de suivre les effets, une fois la loi entrée en vigueur. À ce stade, nous pouvons néanmoins prendre le parti de faire confiance aux acteurs judiciaires, qui devraient adopter une lecture souple de cet article, afin de faire en sorte que les locataires soient informés de leurs droits. Le Sénat a d'ailleurs adopté un amendement en première lecture, maintenu par l'Assemblée nationale, qui impose au préfet d'informer les locataires faisant l'objet d'une assignation en justice de leur droit de demander au juge de leur accorder des délais de paiement.

Le rapporteur suggère donc d'adopter également cet article dans la rédaction qui nous a été transmise.

En guise de conclusion, le rapporteur m'a chargée de vous remercier pour la richesse et la qualité des débats que nous avons eus en première lecture. Nous pouvons nous féliciter de ce texte de compromis qui constitue un bel exemple de l'utilité de la procédure ordinaire, qui laisse davantage de temps aux échanges et à la construction d'une position commune.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er A

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Les amendements identiques COM-1 et COM-5 visent à interdire de territoire les personnes étrangères coupables du délit d'occupation frauduleuse d'un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel.

La rédaction de l'article 1er A représentant un équilibre entre les positions exprimées par les deux chambres, nous souhaitons que cet article soit adopté conforme.

De plus, ces amendements autoriseraient le juge à prononcer une interdiction « définitive » de territoire pour les personnes étrangères condamnées pour squat, ce qui nous semble non seulement disproportionné, mais apparaît aussi comme étant contraire à la jurisprudence relative au droit à la vie privée et familiale de la Cour européenne des droits de l'homme. Avis défavorable.

Mme Valérie Boyer. - Ce n'est pas tout à fait ce qui est écrit dans l'amendement, qui n'a pas pour objet de renvoyer tous les étrangers coupables de délit, mais qui vise à laisser une marge de manoeuvre plus importante à l'autorité judiciaire qui doit prononcer la peine. Conformément à l'article 66 de la Constitution, cette autorité est « gardienne de la liberté individuelle ». Il s'agit d'ouvrir une nouvelle possibilité, dans le cadre légal prévu par le code pénal, ainsi qu'à apprécier chaque situation pour permettre de répondre aux exigences de l'état de droit. L'avis émis paraît très sévère et ne prend pas en compte de façon exacte l'esprit et la lettre de cet amendement.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - Nous aurons le débat en séance.

Les amendements identiques COM-1 et COM-5 ne sont pas adoptés.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-6 est contraire à la position adoptée par la commission en première lecture. Avis défavorable.

L'amendement COM-6 n'est pas adopté.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - En ce qui concerne l'amendement COM-10, je regrette que la proposition de notre collègue Catherine Procaccia n'ait pas été formulée plus tôt, car il s'agit d'une suggestion intéressante, qui nécessiterait néanmoins un travail rédactionnel important pour s'insérer convenablement au sein de notre arsenal juridique.

Comme je l'ai dit au sujet des autres amendements portant sur cet article, la rédaction adoptée par l'Assemblée nationale en deuxième lecture incarne un équilibre que nous souhaitons préserver. Je demande donc le retrait de cet amendement et, à défaut, l'avis sera défavorable.

L'amendement COM-10 n'est pas adopté.

L'article 1er A est adopté sans modification.

Après l'article 1er A

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-11 est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement COM-11 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-2 concerne la dissolution des personnes morales ayant été condamnées pour propagande ou publicité en faveur de méthodes visant à inciter au squat.

Cet amendement est irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

L'amendement COM-2 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

Article 1er C (supprimé)

L'article 1er C demeure supprimé.

Article 2

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'article 2 ainsi rédigé constituant un équilibre entre les positions exprimées à l'Assemblée nationale et au Sénat, nous souhaitons qu'il soit adopté conforme.

L'adoption des amendements identiques COM-3 et COM-4 supprimerait les dispositions que l'Assemblée nationale a ajoutées en deuxième lecture pour prendre en compte les récentes réserves d'interprétation que le Conseil Constitutionnel a formulées dans une réponse à une QPC. Avis défavorable.

Mme Valérie Boyer. - L'Assemblée nationale a adopté en première lecture un amendement qui a permis d'élargir la faculté de constater l'occupation illicite constitutive d'un squat de domicile, ce qui représente une avancée importante. L'amendement COM-4 vise à rajouter la possibilité pour les adjoints aux maires de procéder à ce constat, pour rester en cohérence avec le premier alinéa de l'article 16 du code de procédure pénale.

Il faut tirer les conséquences des auditions que nous avons menées. En effet, le renfort du maire ou de ses adjoints restera insuffisant, notamment dans certaines communes de grande taille ou de taille moyenne, comme dans le cas de Marseille par exemple. L'amendement vise donc à permettre aussi aux agents de police judiciaire de procéder au constat d'occupation illicite. Je rappelle que ces agents sont sous les ordres et la responsabilité des officiers de police judiciaire et qu'ils ont pour mission de « constater des crimes, délits ou contraventions et d'en dresser le procès-verbal », selon l'article 20 du code de procédure pénale ; ils sont tout désignés pour procéder à ces constats.

L'amendement ne va pas à l'encontre des mesures votées à l'Assemblée nationale, mais tend précisément à les renforcer et à faire en sorte qu'elles puissent s'appliquer.

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - La rédaction que vous proposez ne reprend pas complètement celle qui a été adoptée en séance à l'Assemblée nationale. L'article ainsi rédigé est donc incomplet. Nous pourrons en reparler en séance.

Les amendements identiques COM-3 et COM-4 ne sont pas adoptés.

L'article 2 est adopté sans modification.

Article 2 ter

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-8 est contraire à la position adoptée par la commission en première lecture. Avis défavorable.

L'amendement COM-8 n'est pas adopté.

L'article 2 ter est adopté sans modification.

Article 4

Mme Catherine Di Folco, rapporteur. - L'amendement COM-7 vise à supprimer les alinéas relatifs à l'encadrement des pouvoirs du juge pour l'octroi d'une expulsion dite conditionnelle.

En première lecture, la commission s'est exprimée en faveur du conditionnement de l'octroi de délais de paiement et du maintien dans le logement à la reprise du paiement du loyer et des charges avant la date de l'audience. Cette mesure participe à l'objectif, auquel nous avons souscrit en première lecture, de « responsabilisation du locataire ». Avis défavorable.

L'amendement COM-7 n'est pas adopté.

L'article 4 est adopté sans modification.

La proposition de loi est adoptée sans modification.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

N° 

Objet

Sort de l'amendement

Chapitre Ier : Mieux réprimer le squat

Article 1er A

Mme NOËL

1

Interdiction de territoire pour les personnes étrangères coupables du délit d'occupation frauduleuse d'un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel

Rejeté

Mme Valérie BOYER

5

Interdiction de territoire pour les personnes étrangères coupables du délit d'occupation frauduleuse d'un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel

Rejeté

M. BOURGI

6

Suppression de la pénalisation du maintien sans droit ni titre dans un logement en violation d'une décision de justice

Rejeté

Mme PROCACCIA

10

Prononcé d'une peine d'intérêt général à l'encontre des occupants sans droit ni titre

Rejeté

Division(s) additionnel(s) après l'article 1er A

Mme PROCACCIA

11

Exclusion des occupants illicites ayant refusé une proposition de relogement du bénéfice des délais renouvelables que peut accorder le juge chaque fois que le relogement des intéressés ne peut avoir lieu dans des conditions normales

Irrecevable au tire de l'art. 45, al. 1 de la Constitution (cavalier)

Article(s) additionnel(s) après l'article 1er A

Mme NOËL

2

Dissolution des personnes morales ayant été condamnées pour propagande ou publicité en faveur de méthodes visant à inciter au squat

Irrecevable au tire de l'art. 45, al. 1 de la Constitution (cavalier)

Article 2

Mme NOËL

3

Extension de la possibilité de constater l'occupation illicite d'un logement aux adjoints au maire et aux agents de police judiciaire

Rejeté

Mme Valérie BOYER

4

Extension de la possibilité de constater l'occupation illicite d'un logement aux adjoints au maire et aux agents de police judiciaire

Rejeté

Article 2 ter

Mme ARTIGALAS

8

Suppression de la pérennisation du dispositif de mise à disposition temporaire de locaux vacants

Rejeté

Chapitre II : Sécuriser les rapports locatifs

Article 4

M. BOURGI

7

Suppression des alinéas relatifs à l'encadrement des pouvoirs du juge pour l'octroi d'une expulsion dite "conditionnelle"

Rejeté