N° 400
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023
Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 mars 2023
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales ,
Par Mme Marie MERCIER,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Thani Mohamed Soilihi, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Alain Richard, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 16 ème législ.) : |
658 rect. bis , 800 et T.A. 79 |
Sénat : |
344 et 401 (2022-2023) |
L'ESSENTIEL
Réunie le 8 mars 2023, la commission des lois a adopté avec modifications , la proposition de loi n° 344 (2022-2023) visant à mieux protéger et accompagner les enfants victimes et covictimes de violences intrafamiliales, déposée par la députée Isabelle Santiago et les membres du groupe Socialistes et apparentés, transmise au Sénat après son adoption par l'Assemblée nationale le 9 février.
S'inspirant des recommandations de la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (CIIVISE), ce texte, entièrement réécrit en commission par l'Assemblée nationale, vise à élargir le mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale créé par la loi du 28 décembre 2019 1 ( * ) dans le cadre des procédures pénales (article 378-2 du code civil) et rendre plus systématique le prononcé du retrait de l'autorité parentale par les juridictions pénales en cas de crime commis sur la personne de l'enfant ou de l'autre parent ou d'agression sexuelle incestueuse sur l'enfant (article 378 du code civil).
À l'initiative du rapporteur, la commission des lois a accepté le renforcement des dispositions en cas de crime et d'agression sexuelle incestueuse, tout en assurant une meilleure cohérence entre le code civil et le code pénal.
I. LE RETRAIT DE L'AUTORITÉ PARENTALE ET SES VARIANTES : DES MESURES DE PROTECTION DE L'ENFANT À LA MAIN DES JURIDICTIONS PÉNALES
Depuis 1971, l'article 378 du code civil permet à une juridiction pénale de prononcer le retrait 2 ( * ) de l'autorité parentale d'un parent en cas de condamnation comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou délit commis sur la personne de son enfant , ou comme coauteur ou complice d'un crime ou délit commis par son enfant. En 2010 3 ( * ) et 2020 4 ( * ) , ont été ajoutés à cette liste respectivement les crimes et les délits sur la personne de l'autre parent , le législateur prenant ainsi en compte les répercussions sur l'enfant des violences exercées par un parent sur l'autre.
Au fil des ans, diverses dispositions ont ensuite été intégrées dans le code civil, le code pénal et le code de procédure pénale afin, d'une part, d' obliger les juges à se prononcer sur un éventuel retrait de l'autorité parentale en cas de condamnation pour violences commises sur l'enfant ou l'autre parent et, d'autre part, de leur permettre de prendre en amont des mesures provisoires relativement à son exercice dans le cadre des ordonnances de protection 5 ( * ) ou du contrôle judiciaire 6 ( * ) .
Toutefois, l'incertitude qui semble exister quant à la nature de la mesure de retrait de l'autorité parentale 7 ( * ) - peine complémentaire qui reviendrait à priver un parent de son enfant 8 ( * ) , ou mesure d'ordre purement civil 9 ( * ) - a favorisé la réticence des juridictions pénales à s'emparer de cet article, longtemps resté très peu appliqué malgré ses enjeux en matière de protection de l'enfant.
Pourtant, ainsi que l'a déclaré le docteur Jean Marc Ben Kemoun, pédopsychiatre, lors de son audition, « l'autorité parentale est une responsabilité vis à vis de l'enfant. C'est un droit/devoir, non pas au bénéfice du détenteur de ce droit mais un droit au bénéfice d'un tiers, l'enfant » .
Reprenant une mesure du Grenelle des violences conjugales, la loi du 28 décembre 2019 a ouvert aux juridictions pénales un choix plus large de mesures en matière d'autorité parentale, leur permettant de retirer non pas l'autorité parentale elle-même, ce qui prive un parent de ses attributs, y compris les plus symboliques comme le droit de consentir au mariage ou de consentir à l'adoption de son enfant, mais l'exercice de cette autorité .
Le retrait de l'exercice de l'autorité parentale
Cette mesure revient à confier exclusivement à l'autre parent titulaire de l'autorité parentale le devoir de protéger l'enfant dans sa sécurité, sa moralité et sa santé, de fixer sa résidence et de conduire son éducation. Si ce parent est dans l'impossibilité de le faire ou décédé, le juge aux affaires familiales (JAF) délègue cet exercice à une tierce personne 10 ( * ) .
Le parent privé de l'exercice de l'autorité parentale conserve de son côté le droit d'entretenir des relations personnelles avec l'enfant par l'exercice de droits de visite 11 ( * ) et d'hébergement, sauf « motifs graves » 12 ( * ) . Il conserve également un droit de surveillance qui oblige l'autre parent à le tenir informé de tous les choix importants relatifs à la vie de l'enfant.
Le juge compétent en matière d'exercice de l'autorité parentale est le JAF, tandis qu'en matière de titularité de l'autorité parentale, il s'agit du tribunal judiciaire.
Selon les chiffres communiqués par la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice, les juridictions pénales semblent s'être mieux emparées de ces mesures relatives à l'autorité parentale.
Le nombre de mesures relatives à l'autorité parentale prononcées par les juridictions pénales a augmenté au cours des cinq dernières années : il est ainsi passé entre 2017 et 2021, de 48 à 65 s'agissant des crimes et de 82 à 772 s'agissant des délits. Ces 772 mesures prononcées en 2021 correspondent à 331 mesures de retrait total de l'autorité parentale et 26 mesures de retrait partiel , ainsi que 415 mesures de retrait de l'exercice de l'autorité parentale .
Dans le but de sécuriser la situation de l'enfant en cas de féminicide, la loi du 28 décembre 2019, a également prévu un mécanisme de suspension provisoire de plein droit de l'exercice de l'autorité parentale et des droits de visite et d'hébergement en cas de poursuite ou de condamnation, même non définitive, pour un crime commis sur l'autre parent . Cette mesure s'applique jusqu'à la décision du JAF et pour une durée maximale de six mois , à charge pour le procureur de la République de saisir le JAF dans un délai de huit jours à compter de l'engagement des poursuites, la mise en examen ou la condamnation. Cet article 378-2 du code civil semble avoir peu été mis en oeuvre depuis sa création.
* 1 Loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille.
* 2 Appelé « déchéance » jusqu'à la loi n° 96-604 du 5 juillet 1996 relative à l'adoption.
* 3 Loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants.
* 4 Loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales.
* 5 5° de l'article 515-11 du code civil.
* 6 17° de l'article 138 du code de procédure pénale.
* 7 C'est la raison pour laquelle certains préfèreraient la notion de « responsabilité » parentale.
* 8 L'article 222-48-2 du code pénal, qui prévoit une obligation de se prononcer sur un retrait de l'autorité parentale en cas de violences volontaires sur un enfant ou l'autre parent, figure ainsi dans une section consacrée aux peines complémentaires applicables aux personnes physiques.
* 9 Cour de cassation, chambre criminelle, 23 septembre 2008, n° 08-80.489.
* 10 Article 377 du code civil.
* 11 Le juge aux affaires familiales peut, si nécessaire, fixer le droit de visite dans un espace de rencontre désigné à cet effet.
* 12 Article 373-2-1 du code civil.