MOTION TENDANT À OPPOSER
LA QUESTION PRÉALABLE

présentée par M. Jean-François Husson

au nom de la commission des finances

En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat ;

Considérant que, du point de vue du scénario macroéconomique sur lequel repose le projet de loi de finances, il apparaît que la prévision de croissance du produit intérieur brut (PIB) pour 2023, retenue à 1 %, paraît bien trop optimiste, au regard des perspectives du consensus des économistes mais aussi des propos du Président de la République lui-même, et ne tient pas compte des récents développements conjoncturels comme le ralentissement de l'activité au troisième trimestre 2022, la hausse des taux directeurs de la Banque centrale européenne ou encore la prévision de récession en Allemagne et de stagnation de l'activité en zone euro ;

Considérant qu'alors que les crises sanitaire et énergétique s'enchainent voire se superposent, le nécessaire soutien aux ménages et aux entreprises ainsi que l'affectation des moyens indispensables au bon fonctionnement des services publics doivent s'accompagner d'un effort notable pour maîtriser la dépense ordinaire des administrations publiques ;

Considérant qu'au contraire, le Gouvernement fait le choix d'identifier les politiques publiques sur lesquelles il souhaite augmenter les crédits sans indiquer sur quelles missions des économies devraient parallèlement être réalisées dans le budget de l'État, conduisant ainsi à des efforts trop restreints pour redresser les comptes publics et pour retrouver à terme des marges de manoeuvre budgétaires utiles pour répondre le plus efficacement possible à toute nouvelle crise ;

Considérant que, dès lors, les niveaux du déficit public et de la dette publique demeurent particulièrement élevés et extrêmement préoccupants, alors que la hausse des taux d'intérêt pourrait rapidement devenir insoutenable pour la France ;

Considérant que le rétablissement de l'article 5 dans le texte du projet de loi, qui supprime la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) et permet donc de réduire le poids des impôts de production pesant sur les entreprises, ne s'accompagne toujours pas de meilleures garanties quant aux modalités de compensation prévues pour les collectivités territoriales qui se voient une nouvelle fois privées, dans un contexte déjà difficile, d'une ressource fiscale locale et craignent d'être victimes de la perte de lien entre leurs ressources et le dynamisme économique de leurs territoires ;

Considérant qu'il est regrettable que l'Assemblée nationale soit également revenue sur les mesures adoptées par le Sénat pour soutenir les petites et moyennes entreprises, en particulier le rehaussement du plafond de leurs bénéfices soumis au taux réduit d'impôt sur les sociétés en tenant compte de l'inflation, ou encore la prorogation, pour une année supplémentaire, et le renforcement du crédit d'impôt pour les travaux de rénovation énergétique de leurs bâtiments à usage tertiaire ;

Considérant que, s'agissant des finances locales, il convient de se féliciter du fait que le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture a confirmé la suppression opérée par le Sénat de l'article 40 quater qui réintroduisait le dispositif de contractualisation avec les collectivités territoriales pourtant rejeté par les deux assemblées lors de l'examen du projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027 ;

Considérant qu'en revanche, s'il faut se réjouir de la reprise, même partielle, de certains apports du Sénat s'agissant du « filet de sécurité » mis en place pour l'année 2023 au bénéfice des collectivités territoriales, ne peut qu'être déploré le maintien dans le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale d'un critère de perte d'épargne brute pour déterminer l'éligibilité au dispositif, dans la mesure où il est très fortement excluant et générateur d'importants effets de seuil et dès lors que les modalités de calcul de la dotation mettent déjà en relation la différence entre la progression des dépenses et celle des recettes ;

Considérant qu'il est également fort regrettable que d'autres mesures de soutien aux collectivités territoriales n'aient pas été conservées, en particulier l'intégration des opérations d'aménagement et d'agencement dans le fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA), devenues inéligibles avec la réforme de l'automatisation ;

Considérant qu'il convient de saluer le fait que le texte considéré comme adopté par l'Assemblée nationale reprenne la position du Sénat en conservant, sous réserve de divers aménagements, l'essentiel des modifications apportées au dispositif proposé par le Gouvernement s'agissant de la contribution sur la rente infra-marginale applicable à la production d'électricité ;

Considérant que, pour autant, même si le Sénat a fait preuve d'un sens aigu des responsabilités en votant les mesures proposées par le Gouvernement pour contrer la hausse des prix de l'énergie et faire contribuer les producteurs d'énergie comme le prévoient les textes européens, il n'en demeure pas moins que les dispositifs proposés n'ont cessé d'évoluer, de façon majeure, au cours de la navette parlementaire, sans que les parlementaires disposent d'études d'impact particulièrement solides, ce qui nécessitera une attention particulière dans leur mise en oeuvre ;

Considérant qu'alors que le Sénat avait adopté plusieurs amendements de sincérisation budgétaire, notamment s'agissant des crédits non répartis, il paraît très critiquable que le projet de loi tel que considéré comme adopté par l'Assemblée nationale revienne sur toutes ces mesures et confirme bien que le Gouvernement s'était ménagé une confortable « réserve de crédits » au sein de la dotation pour dépenses accidentelles et imprévisibles puisqu'il la réduit dès la nouvelle lecture pour couvrir, à hauteur de 700 millions d'euros, la nouvelle « aide aux carburants » de 100 euros prévue au sein de la mission « écologie, développement et mobilité durables » ;

Considérant qu'il convient de saluer la conservation, en nouvelle lecture, de plusieurs apports du Sénat de première lecture, à l'instar de l'exonération de malus pour les véhicules des services départementaux d'incendie et de secours, des prolongations de dépenses fiscales essentielles pour le soutien économique outre-mer, des mesures destinées au financement pour de nouvelles lignes à grande vitesse (LGV) ou encore de la traduction législative de plusieurs recommandations de la mission d'information de la commission des finances relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales ;

Considérant qu'au contraire, il n'est pas compréhensible que la majorité gouvernementale n'ait pas rejoint le Sénat sur beaucoup des amendements qu'il a adoptés à une très grande majorité voire à la quasi-unanimité, par exemple lorsqu'il souhaitait, dans un contexte de hausse des taux d'intérêt et donc de durcissement des conditions d'emprunt immobilier, soutenir l'accession à la propriété des primo-accédants les plus modestes, en relevant le plafond légal du prêt à taux zéro (PTZ) ;

Considérant que l'Assemblée nationale a également rétabli plusieurs articles qui ne relèvent pas du domaine des lois de finances selon la jurisprudence établie par le Conseil constitutionnel ;

Considérant enfin que le Sénat a rejeté les crédits des missions « Administration générale et territoriale de l'État », « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales », « Cohésion des territoires » et « Immigration, asile et intégration » dont les crédits ont été rétablis par l'Assemblée nationale sans réponse aux objections qui avaient été soulevées ;

Considérant, en conséquence, que l'examen en nouvelle lecture par le Sénat de l'ensemble des articles restant en discussion du projet de loi de finances pour 2023 ne conduirait vraisemblablement pas à faire évoluer le texte ;

Le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture n° 203 (2022-2023).

OBJET

Réunie le 15 décembre 2022, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat d'opposer la question préalable sur le projet de loi de finances pour 2023, considéré comme adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après application de l'article 49, alinéa 3, de la Constitution.

NB : En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, cette motion est soumise au Sénat avant la discussion des articles.

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