B. LE PROGRAMME 158 : DES CRÉDITS S'ENGAGEANT SUR UNE TENDANCE BAISSIERE

Le programme 158 finance les réparations aux victimes de spoliations et de persécutions antisémites ou d'actes de barbarie perpétrés pendant la seconde guerre mondiale.

Il recouvre deux actions correspondant à trois indemnisations : l'action 01 « indemnisation des orphelins de la déportation et des victimes de spoliation du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation » et l'action 02 « indemnisation des victimes d'actes de barbarie durant la seconde guerre mondiale », étant précisé que l'indemnisation de l'action 02 s'adresse aux orphelins des victimes d'actes de barbarie.

Les crédits affectés à ce programme s'inscrivent dans une trajectoire légèrement baissière dans leur programmation : 93,1 millions d'euros (AE=CP) pour la LFI 2021, 92,8 millions d'euros pour la LFI 2022 et 91,5 millions d'euros pour le PLF 2023. La grande majorité de ces crédits finance les rentes d'indemnisation des orphelins de victimes de violences antisémites ou d'actes de barbarie : 79,6 millions d'euros y sont consacrés pour le PLF 2023, soit 87 % des crédits du programme. La trajectoire baissière des crédits du programme s'explique essentiellement par la baisse du nombre des crédit-rentiers.

Ces crédits sont très majoritairement des crédits d'intervention (98 %) qui sont reversés à l'ONAC-VG, qui a la charge du paiement concret des indemnités. L'ONAC-VG a ainsi bénéficié d'un transfert de crédits de 89,6 millions d'euros (AE et CP) en provenance du programme 158.

19 ETPT sont rémunérés par le programme 158, tous sous plafond. Ce nombre est en augmentation de 3 ETPT par rapport à 2022. Les 3 ETPT supplémentaires correspondent cependant à des corrections techniques. Il s'agit des agents du CIVS et les 1,4 million d'euros de crédits dédiés à leur rémunération - montant stable par rapport à 2022 - sont donc imputés sur l'action 01. La CIVS compte également 25 collaborateurs qui ne sont pas sous plafond d'emploi, dont la rémunération est portée par les crédits du programme 158. Il s'agit des membres du collège délibérant, des magistrats instructeurs, du rapporteur général et du commissaire du Gouvernement.

1. L'indemnisation des orphelins, des crédits en légère baisse du fait de la réduction du nombre de crédit-rentiers

Cette réparation recouvre l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes antisémites de l'action 01 et l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes de barbarie commis pendant la seconde guerre mondiale de l'action 02. Ces deux types d'indemnisation sont ici regroupés car ils obéissent à des régimes identiques.

Les droits afférents aux orphelins d'actes antisémites ont été aménagés en 2000 et sont régis par le décret n° 2000-657 du 13 juillet 2000 sur les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes antisémites. Les droits prévus par l'action 02 ont été eux aménagés en 2004 et sont régis par le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004.

Les orphelins allocataires peuvent choisir entre une indemnisation en capital, s'élevant à 27 440,82 euros, et une rente viagère mensuelle, elle revalorisée de 2,5 % par an. Cette dernière valait 646,22 euros au 1er janvier 2022. Son montant prévu pour 2023 est de 662,38 euros.

Si la modalité de revalorisation déliée de toute considération de nature économique de cette rente est traditionnellement plus dynamique que l'inflation constatée, elle marque le pas face à l'inflation constatée en 2022 et celle prévue pour 2023.

Enfin, les crédirentiers bénéficient d'une exonération de l'imposition sur le revenu des indemnités qui leur sont versées. Cette exonération, tout à fait légitime, manque cependant de base légale. Afin de remédier à cette situation, le rapporteur spécial proposera un amendement au PLF visant à lister ces deux dispositifs à l'article 81 du code général des impôts.

L'instruction des dossiers est réalisée par le département reconnaissance et réparations de l'ONACVG. Les décisions accordant une mesure de réparation financière relèvent réglementairement du Premier ministre et le paiement des indemnisations est réalisé par l'ONACVG. Dans ce cadre, les crédits servant aux indemnisations sont reversés à l'ONACVG par les services du Premier ministre. Ainsi, l'immense majorité des crédits affectés au programme 158 est in fine reversée à l'ONACVG.

17 904 demandes ont été déposées depuis 200019(*) au titre de l'indemnisation des orphelins de victimes d'actes antisémites, dont seulement 16 depuis 2020. 13 661 décisions d'attribution ont été prononcées. 205 contestations ont été déposées à l'encontre des décisions de rejet. Toutes ont été rejetées par le juge administratif.

En ce qui concerne le dispositif de l'action 02, 34 773 demandes ont été déposées depuis 200420(*), dont 66 depuis 2020. 22 791 décisions d'attribution ont été prononcées. 1 044 recours ont été formés contre ces décisions, dont 492 recours portant sur une demande de revalorisation du capital ou de rétroactivité de la rente. Aucun de ces 492 recours n'a prospéré. Les 552 recours restants contestent une décision de rejet. 4 sont encore en cours et seuls 28 recours ont abouti à une annulation.

Si de nouvelles demandes au titre de ces deux dispositifs continuent d'être enregistrées, le nombre de ces dernières est particulièrement faible (une cinquantaine de demandes pour le dispositif de 2000 entre 2015 et 2020 et un peu moins de 400 pour le dispositif de 2004 sur la même période). Étant donné qu'une absence de réponse dans un délai de 4 mois vaut décision de rejet et que le nombre de nouveaux dossiers est désormais particulièrement faible, les crédits affectés à ces indemnités ont désormais vocation à baisser au rythme du nombre des crédits-rentiers.

3 861 personnes sont actuellement crédirentières du dispositif d'indemnisation des orphelins de victimes d'actes antisémites et 6 105 autres le sont du dispositif de l'action 02.

2. La nécessité d'une réforme d'équité du dispositif de l'action 02

Le rapporteur spécial estime que le dispositif d'indemnisation des orphelins de victimes d'actes de barbarie pourrait être étendu, les dispositions du décret ouvrant les droits correspondants en excluant des populations qui pourraient être assimilées. En particulier sont exclus de son bénéfice :

- les membres de la Résistance

- les membres de l'armée régulière.

- les orphelins de victimes des bombardements et des affrontements armés entre Allemands et Alliés.

La réponse au questionnaire du rapporteur spécial admet au demeurant expressément que cette position avait pu susciter un « sentiment d'iniquité ». L'instruction des dossiers essaie d'être équitable, notamment en cherchant à savoir si les conditions de la mort d'une personne combattante (résistant ou soldat) peuvent être qualifiées d'acte de barbarie, ce que le rapporteur salue. Cependant, une extension du dispositif d'indemnité aux cas mentionnés ci-dessus, qui relève du domaine réglementaire, lui semblerait préférable.

3. La réparation des spoliations antisémites, une budgétisation fonction des dossiers traités par la CIVS

Le décret n° 2018-829 du 1er octobre 2018 modifiant le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 sur la réparation des spoliations antisémites régit le régime de ces indemnités. Il institue auprès du Premier ministre la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), chargée « de rechercher et de proposer les mesures de réparation, de restitution ou d'indemnisation appropriées ». La modification de 2018 étend les compétences de la CIVS.

Les crédits affectés à ce pan de l'action 01 sont minoritaires dans le programme. Ils s'élèvent à 10 millions d'euros (en AE = CP) pour 2023, ce qui constitue un quasi-doublement de la dotation de 2022 qui s'élevait à 6 millions d'euros d'intervention (en AE = CP) en 2022. Cette augmentation est liée à deux dossiers à très forts enjeux financiers, un à 5 millions d'euros et un à 1,9 million d'euros. Ces fluctuations sont habituelles pour les indemnités accordées par la CIVS, qui dépendent directement des enjeux financiers des dossiers devant arriver à échéance lors de l'année considérée. La dépense de l'année 2019 s'établissait ainsi à 16,8 millions d'euros et celle de 2020 s'établissait à 4,3 millions d'euros.

Les indemnités accordées peuvent être mises à la charge de l'État français ou, en application des accords de Washington passés entre le Gouvernement des États-Unis et celui de la France, le 21 mars 2001, imputées sur les fonds du Fonds social juif unifié lorsqu'il s'agit d'indemniser des avoirs bancaires spoliés.

Deux tendances de fond se dégagent cependant : la première est une baisse du nombre de recommandations annuel, constatée systématiquement depuis le pic de 2007. Moins de 1 000 recommandations sont prononcées en 2010, moins de 500 en 2013, à peine plus de 200 depuis 2018. Parallèlement, sur la même période et excepté pour une année 2019 exceptionnelle, le montant des indemnisations tend à globalement diminuer.

La CIVS a cependant connu un rebond budgétaire en 2018 du fait de l'entrée en vigueur du décret n° 2018-829 du 1er octobre 2018, qui traduit la volonté de la France de renforcer son organisation pour la restitution des biens culturels spoliés du fait du national-socialisme. Ce décret prévoit une procédure spécifique de recherche des propriétaires ou de leurs héritiers en vue de restituer, ou à défaut d'indemniser, les biens culturels ayant été spoliés pendant l'Occupation, notamment ceux conservés par les institutions publiques.

Cette faculté d'auto-saisine, que le rapporteur avait appelée dans son rapport sur la CIVS21(*), aura été mise en oeuvre 5 fois par la CIVS depuis l'entrée en vigueur du décret, dont 3 fois sur l'année 2021. Il n'est fait mention d'aucune nouvelle auto-saisine en 2022 par la CIVS. Les dossiers ainsi ouverts sont en cours d'instruction.

La CIVS se coordonne dans ce cas avec la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 (M2RS) du ministère de la culture. CIVS et M2RS ont signé une convention le 1er juillet 2019 pour coordonner leur action.

Dans le cadre :

- la M2RS peut saisir la CIVS ;

- la CIVS peut confier les recherches de provenance pour les dossiers de spoliations culturelles. 48 dossiers ont ainsi été confiés au 30 juin 2022. La CIVS et la M2RS se rencontrent tous les trimestres pour un suivi partagé des cas de spoliation dont la CIVS a confié l'instruction à la M2RS ;

- la CIVS et la M2RS partagent leurs ressources d'archives et leurs travaux de recherche.

La distinction entre les deux entités relève de leurs périmètres respectifs : la CIVS est compétente pour toute spoliation antisémite sous l'occupation et la M2RS est compétente pour toute spoliation de bien culturel entre 1933 et 1945.

Si le rapporteur salue le degré élevé de coordination entre les deux entités, l'intégration importante de leurs activités respective le conduit à s'interroger sur la pertinence de l'existence de deux entités distinctes ayant en charge de missions très similaires et travaillant en partie sur les mêmes dossiers.

Une difficulté doit être mise en exergue : celle des parts réservées. La situation se présente dans le cas où, se prononçant sur une demande d'indemnisation, la CIVS constate l'existence d'une pluralité d'ayants droit sans pour autant les identifier précisément. L'hypothèse est courante étant donné que chaque génération supplémentaire augmente le nombre d'ayants droit et que les spoliations ont eu lieu il y a environ 80 ans. La Cour des comptes, dans un rapport de septembre 2011, avait ainsi relevé que sur les 30 000 dossiers examinés alors par la CIVS, une recommandation sur deux comportait des parts ainsi réservées, sans qu'un suivi attentif de ces parts ne soit mis en oeuvre.

Une première estimation les avait chiffrées à 100 millions d'euros, mais, après un audit plus systématique, impliquant la réouverture de 18 000 dossiers d'indemnisation de préjudices matériels, leur montant a été ramené à quelques 27 millions d'euros. L'écart entre les deux estimations aurait mérité davantage d'informations.

En toute hypothèse, le montant des parts réservées demeure considérable et il doit être déduit des évaluations rendant compte de l'activité d'indemnisation de la commission. Surtout, il apparaît nécessaire de trouver une issue à la difficulté ainsi constatée puisque si une légère décrue est intervenue depuis, le montant des parts réservées reste élevé. Elle correspond à des réductions sourdes qui affectent les indemnisations dues aux spoliés. Valant 27,5 millions d'euros à la fin de l'année 2016, le montant total des parts en attente de versement s'élevait à 24,99 millions d'euros au 31 décembre 2020.

Outre le travail toujours en cours de mise à jour des parts réservées, qui pourrait aboutir à une augmentation des engagements financiers de l'État et à devoir résoudre des problèmes de partage négligés dans le cadre de certaines indemnisations, la CIVS a conclu avec le Cercle des généalogistes juifs une convention visant à identifier les bénéficiaires potentiels de ses recommandations. Par ailleurs, un mécénat de compétence a été mis en oeuvre par le ministère de la culture avec des experts de la généalogie, formule qui permet au ministère d'épargner ses dotations et aux parties compétentes de réduire leur imposition.


* 19 Au 30 juin 2021.

* 20 Au 30 juin 2021.

* 21 Rapport d'information n° 550 (2017-2018) de M. Marc LAMÉNIE, fait au nom de la commission des finances, déposé le 6 juin 2018

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