B. LES MOYENS AÉRIENS DE LA SÉCURITÉ CIVILE : DES ACQUISITIONS DE NOUVEAUX APPAREILS À SALUER, MAIS QUI DOIVENT S'INSCRIRE DANS LE CADRE D'UNE STRATÉGIE GLOBALE DE GESTION DE LA FLOTTE
1. La saison des feux 2022, partiellement prise en compte dans la budgétisation pour 2023, a souligné le nécessaire renforcement des moyens aériens
a) L'accroissement de la sollicitation opérationnelle dans le cadre de la multiplication des feux implique des surcoûts partiellement pris en compte dans la budgétisation pour 2023
L'été 2022 a été marqué par des feux d'une ampleur exceptionnelle. Ces « méga-feux », qui concernent habituellement davantage la moitié sud-est du pays, ont cette année eu la particularité de s'étendre concomitamment à plusieurs parties du territoire, dont la Gironde, particulièrement touchée cette année. Ainsi, au 31 août, plus de 8 550 incendies ont été recensés pour une surface brûlée proche de 70 000 hectares . Le bilan 2022 est ainsi 2,3 fois supérieur en nombre de feux et 6 fois supérieur en termes de superficie brûlée par rapport à la moyenne décennale.
La saison des feux a par ailleurs généré un surcoût budgétaire estimé à 33 millions d'euros en CP , réparti sur des dépenses de location d'aéronefs, de maintenance, de colonnes de renfort, de carburant et de produit retardant. Cette situation a conduit le Gouvernement à proposer, dans le cadre du deuxième projet de loi de finances rectificative pour 2022, l'ouverture de 18,1 millions d'euros en AE et 26,3 millions d'euros CP pour absorber ces surcoûts.
La budgétisation du PLF pour 2023 ne tire que partiellement les conséquences des surcoûts induits par la saison des feux 2022. Or, si ces évènements étaient de nature quasi-inédite, il est malheureusement probable, compte tenu de l'intensification et de l'extension géographique du risque feux de forêts induit par le réchauffement climatique, que la saison des feux 2022 devienne à l'avenir une saison de référence. Il apparaît donc raisonnable d'émettre une réserve sur la crédibilité de la budgétisation de certains postes de dépenses.
La DGSCGC a en effet procédé à la location en urgence de deux hélicoptères lourds , s'additionnant à la location de deux appareils de ce type initialement prévue et à la réquisition de huit autres appareils. Il en a résulté un surcoût de près de 7,2 millions d'euros , qui se sont ajoutés aux 6 millions d'euros déjà prévus en LFI pour 2022. Dans le cadre de ses annonces du 28 octobre 2022, le président de la République a annoncé le recours à la location de dix hélicoptères lourds bombardiers d'eaux en 2023 . Il apparaît raisonnable d'émettre un doute sur la crédibilité de la budgétisation pour 2023 au regard de ces annonces. Le PLF pour 2023 prévoit en effet 7 millions d'euros en AE et CP, soit une augmentation de seulement 1 million d'euros par rapport à la budgétisation de la LFI pour 2022, qui n'était pourtant dimensionnée que pour la location de deux appareils.
La mobilisation exceptionnelle de colonnes de renfort 7 ( * ) supplémentaires a en outre impliqué une dépense de 5 millions d'euros supplémentaires par rapport aux 4,3 millions initialement budgété s. Près de 44 colonnes de renforts ont ainsi été engagées, soit un quasi-doublement des 24 colonnes de renforts planifiées en début de saison. Dans le premier projet de loi de finances rectificative pour 2022, dont l'examen est intervenu au coeur de la saison des feux , le Sénat avait introduit, à l'initiative du rapporteur de la commission des finances, et contre l'avis du Gouvernement, un amendement visant à abonder la mission budgétaire de 5 millions d'euros en AE et en CP, finalement conservé dans le texte issu de la commission mixte paritaire. Il s'avère que cette initiative était bienvenue puisqu'elle a permis de couvrir intégralement le surcoût constaté au titre de ces colonnes de renfort. S'il est encourageant de constater une augmentation des crédits consacrés aux colonnes de renfort dans le PLF 2023, qui s'élèvent à 6,6 millions d'euros en AE et en CP contre 4,8 millions d'euros en LFI pour 2022, des doutes peuvent également être émis concernant la crédibilité de cette budgétisation, eu égard aux annonces du président de la République d'un doublement des colonnes de renfort par rapport à 2022.
Par ailleurs, la sur-sollicitation de la flotte aérienne de la sécurité civile s'est traduite :
- d'une part, par une augmentation de 5 millions d'euros des dépenses de carburant, et de 5 millions pour les produits retardants ;
- et d'autre part, par des opérations de maintenance plus nombreuses, générant un surcoût de 11 millions d'euros .
Si le PLF pour 2023 a prévu une augmentation des dépenses de MCO de 4,7 % (88,6 millions d'euros en CP en 2023, contre 84,6 en 2022), les informations contenues dans les documents budgétaires ne permettent pas d'identifier dans quelle mesure celle-ci résulte d'une anticipation accrue de l'activité opérationnelle.
La budgétisation pour 2023 prévoit en outre une augmentation des dépenses de produit retardant (4,6 millions d'euros contre 4,2 millions en LFI pour 2022) et de carburant des aéronefs (12,3 millions d'euros contre 11,5 millions d'euros en LFI pour 2022), mais cette hausse est justifiée par l'inflation et l'anticipation de frais supplémentaires induits par l'arrivée d'un nouveau Dash au sein de la flotte .
b) Une saison des feux qui souligne la nécessité d'un renforcement des moyens aériens de la sécurité civile, dans un contexte marqué par les critiques de la Cour des comptes sur la gestion de la flotte
Ces feux d'une ampleur exceptionnelle ont en tout état de cause mis en lumière la nécessité d'un renforcement de la flotte aérienne, rappelée à maintes reprises par le rapporteur spécial . L'absence de feux de grande ampleur dans la zone de défense et de sécurité Sud a permis de concentrer les moyens aériens sur les autres incendies, notamment ceux de la Gironde, et d'éviter une situation de rupture capacitaire. Si la zone Sud n'avait pas été relativement épargnée, les forces aériennes de la sécurité civile et les SDIS engagés contre les feux auraient probablement été, du propre aveu de l'ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur spécial, dans une situation critique.
Ces incendies sont par ailleurs intervenus dans un contexte où la gestion de la flotte aérienne de la sécurité civile a fait l'objet des critiques de la part de la Cour des comptes, dans un référé du 26 juillet 2022 8 ( * ) adressé au ministère de l'intérieur. La Cour a notamment fait état d'un défaut stratégique dans la gestion de la flotte, qui selon elle, ne s'inscrirait pas suffisamment dans une logique d'anticipation pluriannuelle. Ces éléments doivent toutefois être nuancés au regard de la dynamique de renouvellement engagée depuis maintenant plusieurs années, et aux annonces formulées dans le cadre de la LOPMI.
La Cour a notamment soulevé les difficultés propres au maintien en condition opérationnelle des aéronefs . Cette problématique constitue une source de préoccupation d'autant plus importante dans un contexte où l'augmentation de la pression opérationnelle liée à l'extension du risque feux de forêts implique une multiplication de ces opérations de maintenance. La Cour des comptes a plus particulièrement fait état de « tensions fréquentes » entre le DGSCGC et le prestataire concernant la qualité du service de la flotte d'avions bombardiers d'eau. Ce constat est également valable concernant le marché de soutien des hélicoptères dont le titulaire n'a, selon la DGSCGC, pas été à la hauteur des enjeux, ce qui a conduit le groupement hélicoptère à limiter drastiquement son activité aux missions essentielles et a déstabilisé l'activité du centre de maintenance de manière durable.
2. Le renforcement de la flotte doit désormais être accéléré mais est soumis à des contraintes liées aux délais de production des appareils
La flotte aérienne de la sécurité civile est actuellement composée de 33 hélicoptères EC145 , 12 Canadair CL415, 7 avions Dash , 3 avions Beechcraft, et 2 hélicoptères H145 D3 .
Composition de la flotte aérienne de la sécurité civile*
Type de véhicule |
Quantité |
Vieillissement moyen |
Avions Canadair |
12 |
25 ans |
Avions Dash 8 |
5 |
21 ans et 6 mois pour les MR et 3 ans pour les MRBet livrés récemment |
Avions Beechcraft King 200 |
3 |
38 ans |
Hélicoptères EC145 |
33 |
17 ans |
Hélicoptères H145 D3 |
2 |
9 mois |
* Les calculs ont été repris à partir des données dont disposent les mainteneurs pour faire le suivi des vieillissements horaires et calendaires des aéronefs.
Source : réponses au questionnaire budgétaire
a) Le renouvellement de la flotte d'hélicoptères, engagé depuis plusieurs années et accéléré dans le cadre de la LOPMI, doit être salué
(1) Des commandes engagées depuis plusieurs années pour compléter la flotte actuelle
La problématique de l'extension et du renouvellement de la flotte d'hélicoptères « Dragons » de la sécurité civile constitue depuis plusieurs années une source de préoccupation, déjà soulignée par le rapporteur spécial 9 ( * ) . Au-delà de l'enjeu du vieillissement nécessitant un renouvellement des appareils , la sécurité civile était en effet soumise à une obligation pressante de compléter sa flotte amputée de plusieurs hélicoptères à la suite d'accidents intervenus ces dernières années, dont le dernier, survenu en septembre 2021 avait ramené la flotte de Dragons à 33 appareils.
Pour restaurer les capacités opérationnelles de la flotte, la DGSCGC a ainsi fait l'acquisition de deux hélicoptères de type H145 , livrés en décembre 2021 et opérationnels depuis juillet 2022. Ce marché d'acquisition était par ailleurs assorti d'une option d'achat de deux autres appareils, qui a été activée dans le cadre de la seconde loi de finances rectificative pour 2021 10 ( * ) . Ainsi, deux nouveaux H145 devraient venir renforcer la flotte en décembre 2022, la portant à 37 hélicoptères au total . Le paiement du solde de cette livraison se traduit dans le PLF pour 2023 par une enveloppe de 8,36 millions d'euros en CP.
Cette première année d'utilisation de ce modèle a par ailleurs permis d'affiner le cahier des charges du futur appareil qui succédera aux « Dragons » actuels, dont le renouvellement intégral a été annoncé cette année.
(2) La concrétisation du renouvellement intégral de la flotte d'hélicoptères Dragons dans le cadre de la LOPMI
La présentation de la LOPMI a en effet été l'occasion d'acter le renouvellement de la flotte d'hélicoptères « Dragons ». Elle se traduira ainsi par l'acquisition de 36 hélicoptères neufs pour atteindre un nombre total de 40 appareils , ce qui permettrait, selon la DGSCGC, de mettre enfin le dimensionnement de la flotte en cohérence avec sa sollicitation opérationnelle.
L'année 2023 marquera le lancement de cette commande, puisque 471,6 millions en AE et 18,43 millions d'euros en CP ont été budgétés pour l'acquisition de ces hélicoptères, ce qui représenterait approximativement un montant de 13 millions d'euros par appareil. L'échéancier des paiements devra être déterminé ultérieurement en fonction de la capacité de l'industriel qui sera retenu à livrer les appareils selon un rythme à définir. Selon, le ministère de l'intérieur, afin de garder une homogénéité maximale dans les standards d'appareils, la livraison de l'ensemble des appareils doit être réalisée sur une période de 5 ans.
Ces appareils auront la particularité de disposer d'une capacité bombardier d'eau à hauteur d'un peu moins de 1 000 litres, ce qui les distingue des « Dragons » actuels, aujourd'hui quasi-exclusivement utilisés pour la réalisation d'opérations de secours, et dont la configuration opérationnelle ne permet pas d'emporter une masse d'eau significative pour lutter contre les feux de forêts.
(3) La location d'hélicoptères lourds bombardiers d'eau : un atout pour la lutte contre les feux, qui devrait se traduire par l'acquisition en propre de ce type d'appareils
La DGSCGC a eu recours depuis 2020 à la location d'hélicoptères lourds bombardiers d'eau. La campagne 2022 de lutte contre les feux a de nouveau mis en évidence l'intérêt de disposer de ce type d'appareils, en complément de la flotte actuelle, puisque 7 hélicoptères lourds ont été loués voire réquisitionnés au total par le DGSCGC. Ainsi, 7 millions d'euros en AE et CP sont inscrits en PLF pour 2023 en vue de la location de tels appareils .
D'après la DGSCGC, l'acquisition de ces hélicoptères offrirait en effet une réelle complémentarité avec le reste de la flotte existante , puisqu'ils permettraient de développer une capacité de vol et de largage de nuit, afin d'assurer la permanence du soutien aérien pour les sapeurs-pompiers au sol. Ils sont en outre les seuls appareils capables d'opérer des évacuations massives, de larguer un volume significatif d'eau, d'effectuer des vols de reconnaissance ou stationnaires nécessitant une bonne autonomie en carburant et d'emporter des détachements lourds.
Plusieurs études seraient en cours dans l'optique d'une acquisition en propre de ce type d'appareil, notamment dans le cadre de financements européens. Ces perspectives ont été confirmées par les annonces du président de la République du 28 octobre dernier, qui a acté, outre la location de 10 appareils de ce type en 2023, l'achat de deux hélicoptères lourds bombardiers d'eau sans pour autant que cette annonce ne soit traduite dans le PLF pour 2023
b) Des interrogations sur les perspectives de renouvellement de la flotte d'avions bombardiers d'eau
(1) L'année 2023 marque la conclusion de la commande de Dash multi-rôles
L'année 2023 sera marquée en outre par la livraison du dernier des six avions Dash multi-rôles commandés en 2018 afin de compenser l'arrêt des avions Trackers mis à l'arrêt en 2020, tout en élargissant les capacités opérationnelles de la flotte. Ainsi, 43,2 millions d'euros de CP sont prévus en 2023 et serviront à honorer la dernière échéance de paiement pour la livraison du 8 ème et dernier Dash commandé qui devrait être réceptionné en juin 2023.
Échéancier actualisé d'acquisition d'avions Dash multi-rôles
(en millions d'euros)
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
2022 |
2023 |
TOTAL |
|
Commande |
6 |
6 |
|||||
Livraison |
1 |
1 |
2 |
1 |
1 |
6 |
|
AE |
322,06 |
1,62 |
2,31 |
3,14 |
9,26 |
15,68 |
354,07 |
CP |
34,35 |
64,17 |
66,05 |
76,08 |
64,01 |
49,4 |
354,07 |
Source : réponses au questionnaire budgétaire
(2) Le renouvellement de la flotte des Canadair vieillissants s'inscrit dans une temporalité incertaine
L'enjeu du dimensionnement de la flotte de Canadair CL 145, et de leur nécessaire renouvellement impliqué par leur vieillissement, a également été souligné à plusieurs reprises par le rapporteur spécial 11 ( * ) , et a fait l'objet de débats animés cet été dans le cadre de la saison des feux.
Cette flotte d'avions amphibies 12 ( * ) bombardiers d'eau est actuellement composée de 12 appareils , ce qui est aujourd'hui, de l'aveu de l'ensemble des acteurs de la sécurité, trop faible au regard de l'augmentation de la pression opérationnelle . Dans le cadre de la LOPMI, il a été indiqué une cible de 16 appareils. Outre la question du dimensionnement de cette flotte , l'enjeu de son renouvellement fait actuellement l'objet d'une réflexion approfondie. D'après la DGSCGC, les Canadair n'ont pas de limite d'obsolescence mécanique ou technique, mais leur limite de vie est liée à l'augmentation croissante du coût de leur MCO qui, passé un certain stade, nécessitera leur remplacement.
Une commande de Canadair a d'ores et déjà été formalisée au niveau européen dans le cadre du dispositif RescUE , qui prévoit la possibilité d'un cofinancement européen de moyens capacitaires en matière de sécurité civile. Cette commande tarde à se concrétiser, en raison de la réticence du producteur Viking 13 ( * ) à relancer la chaîne de production, faute de commandes suffisantes pour lui assurer de rentabiliser les coûts d'investissements initiaux conséquents et propres à la production de ce type d'appareils. Au terme d'un long processus de négociation entre le producteur, la Commission européenne et les États membres acquéreurs, le lancement effectif de la chaîne de production d'un nouveau modèle de Canadair DHC-515 a été officiellement annoncé le 31 mars 2022, sécurisant ainsi le programme RescUE , avec au total une commande de 22 appareils. La France se portera ainsi acquéreur de deux avions dans ce cadre. Ce marché d'acquisition prévoira en outre la possibilité de commander deux avions supplémentaires sur fonds nationaux. Le coût unitaire d'un appareil de ce type serait actuellement estimé entre 35 et 37 millions d'euros.
La principale source de préoccupation réside toutefois dans le délai de livraison de ces appareils. Dans la mesure où la chaîne de production vient seulement d'être relancée, il n'est pas raisonnable d'envisager une livraison avant 2026. À cet égard, les annonces du président de la République d'un renouvellement intégral d'ici la fin du quinquennat des 12 Canadairs existant, outre la commande des quatre appareils supplémentaire, ne semble pas réaliste.
D'autres perspectives de renforcement de la flotte d'avions sont par ailleurs actuellement à l'étude. Dans le cadre des annonces présidentielles, la perspective d'un recours aux avions A 400 M d'Airbus, dont les représentants ont annoncé avoir effectué des tests afin d'équiper ce modèle de capacité de kit de largage d'eau, a été évoquée. Cette annonce suscite également des interrogations, compte du tenu du scepticisme partagé par l'ensemble des acteurs auditionnés par le rapporteur spécial sur la capacité de cet appareil à apporter une réelle plus-valu e dans le dispositif opérationnel de lutte contre les feux.
Le recours à des drones pour renforcer la flotte a également été explicitement évoqué dans le rapport annexé à la LOPMI et dans les annonces présidentielles, mais ne trouve pour l'instant aucune traduction budgétaire concrète.
3. L'acquisition de nouveaux appareils doit s'inscrire dans le cadre d'une stratégie multidimensionnelle de gestion de la flotte
Si les débats en marge de la saison des feux ont, à juste titre, porté sur le dimensionnement de la flotte, ils ont bien souvent éludé d'autres facteurs tout aussi décisifs dans la stratégie de lutte contre ces incendies. La lutte contre les feux de forêts ne peut en effet être envisagée sous le seul prisme capacitaire . Les réflexions relatives au dimensionnement de la flotte doivent donc s'inscrire dans le cadre plus large d'une stratégie regroupant des enjeux de prévention, de ressources humaines et d'infrastructures.
a) Au-delà de l'enjeu du dimensionnement de la flotte, la nécessité d'anticiper et prévenir les feux
La question du dimensionnement de la flotte ne saurait en effet être décorrélée des enjeux liés à la stratégie de prévention des feux de forêts, dont le succès réside à la fois dans l'identification des zones à risque, et dans la définition d'une doctrine d'intervention permettant d'en limiter la propagation.
La réussite de la lutte contre les feux de forêts repose en effet aujourd'hui en grande partie sur la doctrine de lutte contre les feux naissants dans le cadre du guet aérien armée (GAAR) assuré par les avions Dash .
Il est par ailleurs essentiel que soit développée, indépendamment de la question du dimensionnement de la flotte, une véritable culture de la prévention du risque feux de forêts, y compris dans des territoires qui n'y étaient jusqu'à aujourd'hui pas confrontés . Le rapporteur spécial a pu constater, dans le cadre de son déplacement au Centre zonal opérationnel de crise (CeZOC) à Marseille le 13 octobre 2022, que l'exploitation croisée des données de Météo France et de l'Office national des forêts (ONF) permet d'anticiper avec un degré de précision important les zones où le risque de feux de forêts est avéré, afin d'opérer en conséquence un pré-positionnement optimal des forces aériennes. Il s'avère toutefois que le recours à ce type d'outil de prévention est beaucoup moins développé dans les autres zones , et notamment en zone Sud-ouest, qui est pourtant amenée à être davantage touchée par les feux, comme les incendies de Gironde l'ont démontré.
b) Le recrutement et la fidélisation des pilotes de la sécurité civile : un enjeu crucial
L'enjeu du dimensionnement de la flotte est également étroitement lié à la question de moyens humains nécessaires au fonctionnement du dispositif opérationnel.
Les pilotes de la sécurité civile font l'objet de fortes contraintes en termes d'heure de vol et d'organisation de leur temps de travail. Si ces règles sont parfaitement légitimes au regard des spécificités de leurs missions et des exigences qu'elles impliquent en matière de sécurité, il en résulte une contrainte importante en termes de ressources humaines , d'autant plus que ces pilotes, dont les compétences sont extrêmement reconnues et rares, sont aujourd'hui particulièrement difficiles à recruter pour la DGSCGC.
Le rapporteur a effet pu relever, dans le cadre de son déplacement à la base aérienne de la sécurité civile (BASC), les importantes difficultés de recrutement de ces pilotes, en grande partie dues à un manque d'attractivité de la profession en comparaison avec l'aviation civile. Il s'avère en effet que les rémunérations des pilotes de la sécurité civile sont en moyenne environ 3 fois moins élevées que celles des pilotes de l'aviation commerciale .
Une dynamique de recrutement aurait en outre été engagée au sein des principales compagnies d'aviation civile dans le contexte de sortie de la crise sanitaire et de reprise de leur activité, ce qui aurait conduit, selon les représentants de la BASC à une vague de départs de certains pilotes vers ces compagnies.
Ce constat est d'autant plus alarmant dans un contexte où le redimensionnement de la flotte à venir nécessitera mécaniquement davantage des pilotes afin d'assurer son fonctionnement opérationnel. Il est ainsi indiqué, dans le rapport annexé à la LOPMI, que 12 postes de personnels navigants devraient être créés pour accompagner l'acquisition à venir des quatre avions Canadair .
La signature d'un protocole entre le ministère
de l'intérieur
et les syndicats des personnels navigants de la
sécurité civile
Les pilotes des bombardiers d'eau de la base de la Sécurité civile ont déposé en mars 2022 un préavis de grève qui devait commencer le 1 er juillet 2022. Cette grève a finalement été annulée le 28 juin, les négociations finalement abouti à la signature, le 1 er juillet, d'un protocole entre le ministre de l'intérieur et les représentants syndicaux des personnels navigants de la sécurité civile, à l'issue de plusieurs mois de discussions.
Les revendications des syndicats portaient sur des mesures de revalorisations, mais aussi sur des mesures visant à développer les capacités de formations à destination des pilotes, ou la reconnaissance de la pénibilité et du caractère risqué du métier.
Le protocole signé a permis définir le contour des demandes de revalorisations exprimées par les organisations syndicales des personnels navigants que la DGSCGC s'engage à porter dans les discussions budgétaires à venir, sans garantie toutefois que celles-ci ne se concrétisent concrètement.
Ce protocole prévoit par ailleurs une clause de revoyure à l'issue des arbitrages budgétaires de la LOPMI et du PLF pour 2023. La budgétisation pour 2023 prévoit, selon la DGSCGC, une enveloppe d'1,5 millions d'euros visant à financer diverses mesures de revalorisation à destination des pilotes de la sécurité civile.
Sources : réponses au questionnaire budgétaire et auditions du rapporteur spécial
c) L'engagement, dans le cadre de la LOPMI, d'une réflexion sur les infrastructures susceptibles d'accueillir les nouveaux appareils
La question du renforcement de la flotte est enfin étroitement liée à celle du dimensionnement des infrastructures susceptibles d'accueillir les aéronefs et de les maintenir en condition opérationnelle.
La quasi-totalité des moyens aériens de la sécurité civile est concentrée sur la base aérienne de la sécurité civile (BASC) de Nîmes-Garons. Dans le cadre de la saison des feux 2022, beaucoup d'observateurs ont appelé à la création d'une nouvelle base de la sécurité civile, de manière à assurer une meilleure couverture du territoire par les forces aériennes dans le contexte d'extension territoriale du risque de « méga-feux ». Il ressort toutefois des auditions du rapporteur spécial, et notamment de son déplacement du 13 octobre dernier à la BASC, que la pertinence d'une telle proposition n'est pas avérée . L'ouverture d'une nouvelle base serait de nature à démultiplier les coûts de maintenance et les dépenses en ressources humaines.
L'enjeu d'une meilleure couverture du risque feux de forêts implique davantage la question du quadrillage du territoire par les pélicandromes , qui sont des points de ravitaillement permettant aux bombardiers de la sécurité civile d'effectuer davantage de largages dans des délais permettant d'assurer une meilleure efficacité de la lutte anti-incendie. Il est à cet égard satisfaisant de constater la création de plusieurs de ces point de ravitaillement ces dernières années, au nord, à l'est et à l'ouest du pays, conformément aux recommandations du rapporteur spécial 14 ( * ) .
En tout état de cause la stratégie qui semble aujourd'hui retenue par le Gouvernement repose la volonté, annoncée dans le cadre de la LOPMI, de faire de la BASC de Nîmes un « hub européen de la sécurité civile ». Un élargissement de la base serait envisagé par le Gouvernement. Le coût de cet élargissement ne peut à ce jour être estimé avec précision, une étude étant actuellement menée au sein du ministère de l'intérieur.
La France : un pilier de la coopération
européenne
en matière de sécurité
civile
Le mécanisme européen de protection civile (MPCU) permettant de mobiliser, en cas de catastrophe de grande ampleur, l'aide des pays européens participants à ce dispositif coordonné par la Commission européenne. La France est un véritable pilier de ce mécanisme de coopération, puisqu'elle arme à elle seule 18 des 118 modules européens le cadre du MPCU.
Dans le cadre de l'été 2022, la France a ainsi pu bénéficier du soutien de plusieurs pays voisins, au premier rang desquels figurent l'Italie et la Grèce. Les personnels navigants de la sécurité civile ont souligné, dans le cadre du déplacement du rapporteur spécial à la base aérienne de la sécurité civile (BASC) de Nîmes Garons le 13 octobre dernier, en dépit les inévitables divergences de culture en matière d'appréhension opérationnelle de la lutte contre les feux la qualité de la coopération avec leurs homologues, qui se serait parfaitement intégré dans le dispositif opérationnel.
Selon la DGSCGC, l'approfondissement de ce mécanisme sera impératif face à l'intensification des crises, leur multiplication et leur caractère transfrontalier.
Source : réponse au questionnaire budgétaire et auditions du rapporteur spécial
* 7 En cas de catastrophe majeure, les colonnes de renfort, composées de sapeurs-pompiers des SDIS, sont mises à disposition des préfets sur les territoires concernés. Cette mobilisation est prise en charge par l'État.
* 8 Cour des comptes, La flotte aérienne de la sécurité civile , référé n° S2022-135 du 26 juillet 2022
* 9 Rapport général n° 163 (2021- 2022) de Jean Pierre VOGEL, fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances 2022, Annexe n° 29b sur le programme 161 « Sécurité civile », déposé le 18 novembre 2021.
* 10 Loi n° 2021-1549 du 1er décembre 2021 de finances rectificative pour 2021.
* 11 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre Vogel, Les feux de forêts : l'impérieuse nécessité de renforcer les moyens de lutte face à un risque susceptible de s'aggraver, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.
* 12 Un avion amphibie est un avion ayant la faculté d'écoper sur un plan d'eau.
* 13 Viking a depuis été racheté par le constructeur canadien De Havilland.
* 14 Rapport d'information n° 739 (2018-2019) de M. Jean Pierre Vogel, Les feux de forêts : l'impérieuse nécessité de renforcer les moyens de lutte face à un risque susceptible de s'aggraver, fait au nom de la commission des finances, déposé le 25 septembre 2019.