EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 15 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a procédé à l'examen du rapport de M. Antoine Lefèvre, rapporteur spécial, sur la mission « Justice ».

M. Claude Raynal , président . - Nous examinons les crédits de la mission « Justice » et les articles 44 à 44 ter rattachés. Je salue les rapporteurs pour avis de la commission des lois.

M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial de la mission « Justice » . - Il me revient de vous présenter les crédits demandés en 2023 sur la mission « Justice », qui comprend l'ensemble des moyens de la justice judiciaire, de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et du secrétariat général du ministère de la justice.

Je commencerai cette présentation en me plaçant sous le constat du comité des États généraux de la justice, et en citant les propos de son président, Jean-Marc Sauvé, auditionné la semaine dernière : « La justice est un bateau naufragé. Elle n'a pas coulé à pic, mais elle a pris l'eau progressivement, au fil d'années de restrictions budgétaires. La crise sanitaire a de ce point de vue agi comme un révélateur des dysfonctionnements du service public de la justice, qui connaît une crise majeure. »

Dans ce contexte, les hausses budgétaires significatives constatées depuis 2021 sont absolument essentielles pour remédier aux défaillances de ce service public. L'année 2023 se place dans cette trajectoire, avec une nouvelle hausse des crédits de paiement (CP) de près de 8 %, pour atteindre 11,6 milliards d'euros. En dix ans, le budget de la justice aura ainsi augmenté de 51 %.

La hausse des crédits concerne tous les programmes, à l'exception de celui du Conseil supérieur de la magistrature, et toutes les dépenses. Pour ce qui concerne les dépenses de personnel, 2 253 équivalents temps plein (ETP) seraient créés en 2023. Ils constituent la première tranche du schéma d'emplois très dynamique annoncé par le ministère pour la période 2023-2027, avec la création de 10 016 ETP. À terme, ce serait 1 500 magistrats et 1 500 greffiers supplémentaires qui seraient recrutés, alors que ces métiers connaissent des tensions importantes.

S'agissant des dépenses de fonctionnement, d'investissement et d'intervention, celles-ci sont également très dynamiques. Cette évolution est due en particulier aux grands chantiers engagés par le ministère de la justice, concernant, par exemple, la mise en oeuvre du plan de transformation numérique de la justice ou le déploiement du plan de création de 15 000 places supplémentaires en détention.

La hausse des crédits alloués à la justice, je le répète, me semble pleinement justifiée au regard du retard accumulé ces dernières décennies. Selon les dernières données publiées par la Commission européenne pour l'efficacité de la justice (Cepej), la France consacre 72,5 euros par habitant à son système judiciaire, c'est-à-dire près de deux fois moins que l'Allemagne. Elle représente le seul des grands pays européens à consacrer moins de 0,30 % de son PIB à la justice.

Là encore, je ferai miens les propos du président Jean-Marc Sauvé. Pour remédier au manque critique de moyens de la justice, « on ne peut plus continuer d'appliquer une multitude de rustines à une chambre à air dont on n'a pas voulu voir qu'elle était totalement usée ». Une réforme systémique s'impose, tant sur le fond que sur le plan du budget. La future loi de programmation 2023-2027 qui, je l'espère, nous sera prochainement présentée, devra consacrer cette trajectoire.

Bien sûr, il ne s'agit pas de donner un blanc-seing au Gouvernement. L'augmentation significative des moyens du ministère de la justice depuis plusieurs années doit s'accompagner de la diffusion d'une réelle culture de l'évaluation des dépenses réalisées.

Telle que je la conçois, une loi de programmation ne doit pas simplement constituer en la définition d'indicateurs de performance et de lignes de crédits et d'emplois ; elle doit être l'occasion pour le ministère concerné de s'interroger sur le sens des politiques publiques qu'il mène, sur la qualité du service public qu'il soutient et sur sa propre gestion des moyens, budgétaires comme humains. La future loi de programmation des moyens de la justice ne pourra pas à cet égard faire l'économie d'une réflexion sur l'amélioration de la gestion et sur la construction d'indicateurs de suivi fiables. Le ministère s'est trop longtemps retrouvé « dans l'incapacité de relever les défis d'une gestion rigoureuse  », pour reprendre de nouveau un constat des États généraux de la justice.

Prenons un exemple : le plan de transformation numérique (PTN) du ministère de la justice. Il était initialement doté de 530 millions d'euros. Il est inconcevable que la Cour des comptes ait dû admettre avoir rencontré d'importantes difficultés pour reconstituer les dépenses budgétaires exécutées au titre de ce plan.

L'informatique fait d'ailleurs partie, avec l'immobilier et la gestion des ressources humaines, des trois enjeux sur lesquels j'ai souhaité un peu plus m'attarder dans le cadre de mes travaux budgétaires.

En effet, si les programmes portés par la mission « Justice » correspondent chacun à l'un des métiers du ministère, ils connaissent des problématiques communes, dont seule la résolution permettra, me semble-t-il, d'améliorer le service public de la justice, en parallèle de réformes de fond.

Je suis en effet convaincu que l'institution judiciaire ne sortira pas de sa crise majeure si elle ne s'interroge pas sur la gestion de ces fonctions support et si le rôle du secrétariat général du ministère n'est pas renforcé en ce sens. Il existe trop souvent une tendance à opposer centralisation et proximité, alors qu'il s'agit de missions différentes. Le fait que le secrétariat général joue un véritable rôle d'impulsion, par exemple sur les projets informatiques, est inséparable de la constitution d'équipes d'informaticiens de proximité dans les juridictions. Ce constat vaut également pour l'immobilier, avec un même impératif, celui de mieux prendre en compte les besoins des usagers de la justice, qu'il s'agisse des personnels, des justiciables ou des professionnels du droit, tels que les avocats.

S'agissant de l'informatique, un deuxième PTN prendra la suite du premier, établi pour la période 2018-2022. Nous avions entendu la Cour des comptes sur sa mise en oeuvre au mois de février dernier. Soyons clairs, le premier PTN était un plan de rattrapage, l'enjeu du deuxième sera de procéder à la modernisation complète du ministère.

Le deuxième PTN reprendra les trois axes du premier, tout en intégrant de nouveaux objectifs. Si les objectifs ont été quasiment atteints sur le premier axe, avec l'équipement de 100 % des agents ayant des fonctions éligibles au télétravail et la mise en oeuvre de la fibre optique dans les 1 500 sites judiciaires, tel n'est pas le cas sur le deuxième axe, celui des applications, et encore moins sur le troisième, l'accompagnement des usagers.

Pour réussir, le deuxième PTN devra non seulement être doté de moyens budgétaires suffisants, mais également tenir compte de plusieurs impératifs. Il devra d'abord pleinement inclure les usagers et leurs besoins, alors que le malaise grandit au sein des juridictions sur la question des outils numériques. Il n'est pas normal que la modification de certains systèmes d'information contraigne désormais les magistrats et les greffiers à ressaisir manuellement d'importants volumes de données. Ensuite, il devra conduire à une véritable interopérabilité des systèmes d'information du ministère. Par exemple, aucune application ne permet aujourd'hui de fournir des données sur le parcours complet des mineurs pris en charge par la justice. Le décloisonnement des applications devra donc s'opérer en interne, mais aussi en externe, avec le ministère de l'intérieur par exemple, et également les professionnels du droit, comme les avocats.

J'en viens à la professionnalisation de la gestion des ressources humaines, émanant également d'une recommandation des États généraux de la justice.

Le pilotage des ressources humaines n'est pas seulement une question d'augmentation des effectifs ; il implique aussi de prendre en compte les questions relatives au vivier de recrutements ou à la revalorisation de certains métiers en perte d'attractivité. Il s'agit là d'un enjeu crucial pour certaines directions.

Ainsi, le directeur de l'administration pénitentiaire nous a confié que le principal défi qui l'attendait ces prochaines années, outre la gestion de la surpopulation carcérale, était celui des ressources humaines. L'ouverture de places de détention supplémentaires, ainsi que l'extension des missions de l'administration pénitentiaire implique en effet de recruter plusieurs centaines de personnes dès 2023. Or la fonction de surveillant pénitentiaire, pourtant essentielle, souffre d'un déficit d'image. L'administration tente d'y apporter une première réponse en jouant sur la rémunération.

C'est également la solution privilégiée par le ministère pour les magistrats, avec l'annonce d'une revalorisation de leur traitement brut de 1 000 euros en moyenne. Cette annonce a surpris les magistrats et les modalités exactes de répartition et de calcul ne sont pas encore connues. D'après les éléments qui nous ont été transmis, l'effort porterait sur la prime modulable, avec l'idée de privilégier les jeunes carrières. Je n'en reste pas moins convaincu que le ministère ne peut pas se contenter d'agir sur la rémunération pour restaurer l'attractivité de ses métiers.

Outre ces enjeux des fonctions support, je me suis également attaché à assurer un suivi des crédits mobilisés pour la mise en oeuvre des réformes que nous avons votées ces dernières années. Je sais l'attachement de notre commission au suivi de l'application des lois, il me semble que cela passe aussi par un suivi de l'application budgétaire.

Je me suis plus particulièrement intéressé à la justice de proximité, à la réforme du code de justice pénale des mineurs, à l'accès au droit ou encore aux dispositions concernant les détenus dans le cadre de la loi pour la confiance dans l'institution judiciaire. Sur ce dernier point, on peut relever que les crédits alloués au financement des alternatives à l'incarcération atteindraient 53,4 millions d'euros, soit une hausse de 30 % par rapport à 2022. Les équipes dédiées à la surveillance électronique bénéficieraient également d'un renforcement de 27 emplois.

Ce double renforcement des crédits et des personnels tient compte des dispositions adoptées dans la loi précitée. En effet, entrera en vigueur au 1 er janvier 2023 la disposition prévoyant une libération sous contrainte de plein droit pour les personnes condamnées à des peines inférieures à deux ans et pour lesquelles le reliquat de peine est inférieur à trois mois, à la condition qu'elles disposent d'un hébergement.

Voilà pour ce qui concerne la présentation de la programmation budgétaire sur la mission « Justice », dont je vous proposerai d'adopter les crédits.

J'en termine en vous présentant rapidement les trois articles rattachés à la mission.

L'article 44 prolonge de deux ans supplémentaires l'expérimentation rendant obligatoire la tentative de médiation préalable pour certaines affaires familiales. J'ai qualifié cette prorogation de « prolongement de la dernière chance », alors que l'expérimentation a débuté il y a déjà six ans.

D'après les données transmises par le ministère, cette prorogation serait accompagnée d'une extension du dispositif, qui pourrait concerner jusqu'à 44 tribunaux judiciaires, contre 11 aujourd'hui. L'objectif est de parvenir à disposer, enfin, de données pour mesurer les effets de cette expérimentation et évaluer l'opportunité de la pérenniser, sous réserve, le cas échéant, d'y apporter des ajustements.

Nous revenons une nouvelle fois sur le problème de l'évaluation : il est grand temps que le ministère s'en préoccupe, et je vous propose donc un avis favorable sur cet article.

L'article 44 bis vise à parachever le volet « recouvrement » de la réforme de l'aide juridictionnelle engagée en 2020. Une partie de cette réforme a consisté à autoriser les avocats commis ou désignés d'office à demander une rétribution, sans avoir déposé au préalable une demande d'aide juridictionnelle ou d'aide au titre de l'intervention d'un avocat dans des procédures non juridictionnelles. L'article permet de préciser que les bureaux d'aide juridictionnelle seront chargés de constater a posteriori l'éligibilité ou l'inéligibilité à l'une ou à l'autre de ces aides de la personne qui a bénéficié de l'intervention de l'avocat. En cas d'inéligibilité, les bureaux pourront engager une procédure de recouvrement.

Selon le Gouvernement, ce dispositif permettra de recouvrer environ 1 million d'euros chaque année, un montant qui peut de prime abord sembler relativement limité au regard des 641 millions d'euros demandés sur le budget 2023 pour l'aide juridictionnelle. En outre, le montant des sommes effectivement recouvrées par l'État dépendra de la capacité des bureaux à disposer de données précises pour identifier le bénéficiaire. Les développements informatiques permettant aux bureaux d'aide juridictionnelle d'échanger plus facilement sur ce sujet avec les caisses des règlements pécuniaires des avocats (Carpa) et la direction générale des finances publiques (DGFiP) ne seront d'ailleurs pas prêts pour le 1 er janvier.

Je vous propose néanmoins un avis favorable sur cet article, qui vise à améliorer le recouvrement par l'État de sommes indûment engagées.

Enfin, l'article 44 ter prolonge jusqu'au 31 décembre 2027 la possibilité de déroger au principe d'encellulement individuel des personnes détenues en maison d'arrêt. Il était tout à fait illusoire que l'État soit en mesure de respecter ce principe au 31 décembre 2022 et ce prolongement était malheureusement attendu de longue date. Au 1 er juillet 2022, le taux d'encellulement individuel en maison d'arrêt était de 20,1 %.

Par coordination avec la prorogation de cette dérogation, je vous propose d'adopter un amendement prévoyant de renforcer l'information du Parlement sur l'exécution des programmes immobiliers pénitentiaires et leur impact quant au respect de l'objectif de placement en cellule individuelle. Un tel rapport du Gouvernement au Parlement était prévu au troisième trimestre 2022, je vous propose que deux nouveaux nous soient remis en 2025 et en 2027. Il est en effet à craindre, au regard des dynamiques actuelles, que la France ne puisse pas lever le moratoire en 2027. Par une coïncidence sans doute un peu malheureuse, j'ai auditionné le directeur de l'administration pénitentiaire la semaine pendant laquelle le nombre de personnes détenues en France a atteint un niveau record. Il est clair que le plan « 15 000 places » ne suffira pas à lui seul à lever le moratoire sur l'encellulement individuel. Je partage d'ailleurs son avis sur le fait qu'une politique pénitentiaire ne peut se résumer à une politique immobilière.

Je vous propose donc un avis favorable sur cet article tel que modifié par amendement.

Mme Agnès Canayer , rapporteur pour avis de la commission des lois sur les programmes « Justice judiciaire » et « Accès au droit et à la justice » de la mission « Justice » . - Je souhaite souligner que le constat de la commission des lois va dans le même sens que celui du rapporteur spécial. En effet, les crédits alloués à la justice judiciaire sont en hausse pour la troisième année consécutive, avec une augmentation de plus de 26 % sur trois ans ; nous ne pouvons que nous en féliciter. De plus, on note une pérennisation de 674 postes de contractuels associée à une création de 1 200 nouveaux postes, notamment des magistrats, des greffiers et des assistants juridiques. Cela témoigne d'une bonne dynamique.

Néanmoins, il existe un vrai sujet de structuration et de réorganisation, puisque ces embauches donnent une vision très brouillonne de la justice. L'évaluation de la charge de travail des magistrats devait se terminer à la fin de l'année 2022 ; il en serait de même pour les greffes, car l'outil de gestion et de répartition des emplois de fonctionnaires (Outilgref) ne permet d'avoir accès qu'à une évaluation strictement quantitative. Ces évaluations sont nécessaires pour permettre une plus grande efficacité. En effet, les délais restent le point faible de la justice, avec un délai de cinquante mois pour juger une affaire criminelle en France, ce dont on ne peut se satisfaire.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis de la commission des lois sur le programme « Administration pénitentiaire » de la mission « Justice » . - La hausse de 7 % des crédits demandés dans le cadre du projet de loi de finances 2023, après celle de 9 % observée ces deux dernières années, est certes intéressante, mais elle ne suffit pas à rattraper nos voisins allemands. De plus, dans le cadre de la construction de 15 000 places supplémentaires de prison, toutes les places ne seront pas livrées d'ici la fin de l'année, loin de là. Cette situation s'explique non seulement par l'épidémie de covid, mais également par les problèmes d'acceptabilité de la construction d'établissements pénitentiaires et par le prix du foncier.

Un deuxième problème a trait au recrutement, notamment des surveillants pénitentiaires. Les candidats témoignent en effet d'un niveau trop faible. Or il est primordial de recruter suffisamment de surveillants, à la fois pour les maisons d'arrêt existantes et pour celles à construire, et éviter la situation que l'on connaît dans certains établissements de Haute-Garonne avec des taux d'occupation dépassant les 185 %.

Les surveillants pénitentiaires ont vu leurs missions d'accroître. Ils doivent être capables de repérer les signaux faibles, dans le cadre notamment de la radicalisation, et de les transcrire dans des rapports intelligibles en direction des officiers de renseignement.

Les difficultés de logement des surveillants pénitentiaires représentent un frein supplémentaire au recrutement, en raison d'une forme de concurrence exacerbée avec la police, la gendarmerie et les policiers municipaux. Pour pallier cette situation, deux localités sont aujourd'hui proposées par le ministère pour construire des logements : Savigny-sur-Orge et Fleury-Mérogis. Cette proposition est portée depuis quatre ans par le Sénat. Une collaboration avec les offices d'HLM permettrait au ministère de la justice de réaliser une opération pratiquement neutre financièrement. Si la volonté d'action s'est fait attendre, elle semble enfin se manifester.

En conclusion, au regard de cette augmentation de budget annoncée, nous donnerons un avis favorable.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Premièrement, je souhaite souligner que la modernisation des tribunaux et des cités judiciaires est un programme immobilier lourd, qui avance souvent moins vite que prévu. Je prends l'exemple d'une cité judiciaire située à Nancy, qui a été très mal construite dès son origine. Le nouveau bâtiment devant accueillir les magistrats ne semble pas parfaitement adapté aux demandes, avec par exemple des salles de réunion en nombre insuffisant. Avez-vous entendu parler d'autres cas problématiques de construction ou de rénovation de bâtiments ?

Deuxièmement, l'attractivité des postes de surveillants pénitentiaires pose effectivement question, comme il me l'a été confirmé lors de ma visite à la maison d'arrêt de Nancy-Maxéville. Ainsi, des campagnes publicitaires ont eu lieu, afin de valoriser ces fonctions qui étaient pourtant très recherchées vingt-cinq ans auparavant. L'administration pénitentiaire a donc peut-être pris le parti de recruter des candidats ayant un niveau d'entrée plus faible, mais pouvant bénéficier d'un parcours de formation. Partagez-vous ce constat ?

Troisièmement, vous avez souligné que se pose un problème de foncier pour les maisons d'arrêt, mais il en est de même pour les centres éducatifs fermés. La question de l'acceptabilité sociale se pose d'autant plus que ces établissements doivent rester à proximité des villes, afin de ne pas couper les jeunes de leur vie sociale. Ces centres mobilisent presque deux équivalents temps plein travaillé (ETPT) pour un jeune accueilli, ce qui représente d'importants budgets. Néanmoins, j'estime que cette politique doit continuer à être soutenue.

M. Emmanuel Capus . - Je partage l'inquiétude du rapporteur spécial sur l'état actuel de notre système judiciaire. Je souhaiterais poser trois questions.

La première concerne l'aide juridictionnelle : si les crédits augmentent de 4,8 %, il subsiste un retard invraisemblable de paiement dans les territoires. Ainsi, à la cour d'appel d'Angers, les avocats témoignent de retards de paiement de plusieurs mois, voire de plusieurs années, ce qui met en danger l'équilibre financier des cabinets. L'augmentation des crédits permettra-t-elle de résorber ces retards ?

La deuxième question porte sur les aspects financiers : quelles sont les pistes, en dehors du traitement financier qui n'est pas suffisant selon votre rapport, qui permettraient de restaurer l'attractivité du service public de la justice ?

La troisième question a trait au système pénitentiaire. Si 1 958 places de maisons d'arrêt sont livrées en 2023, combien de places doivent être lancées dans les prochaines années ? Et comment expliquer les retards de livraison au regard de l'objectif des 15 000 places ?

M. Michel Canévet . - Je comprends l'avis favorable du rapporteur spécial sur cette mission au vu de l'augmentation significative des crédits. Toutefois, je m'inquiète des évolutions numériques, et en particulier du caractère cloisonné des systèmes informatiques. Existe-t-il une réelle volonté de fluidifier la communication entre la police, la gendarmerie et l'institution judiciaire ? Après le semi-échec du premier PTN, il semble que le ministère de la justice soit en ordre de marche pour améliorer la situation.

S'agissant de l'augmentation significative de la rémunération des magistrats de l'ordre judiciaire, qui se rapprocherait de celle des magistrats de l'ordre administratif, les greffiers connaîtront-ils également une augmentation de leur rémunération ?

En ce qui concerne la surpopulation carcérale, qu'en est-il de la rénovation, tout à fait nécessaire, des établissements existants, même si des besoins nouveaux se font sentir ?

Mme Isabelle Briquet . - S'il convient de saluer l'augmentation de près de 8 % des crédits alloués à la justice, il faut rappeler que la justice française est toujours moins bien lotie que ses homologues en Europe. De même, on ne peut que regretter le manque de suivi des États généraux de la justice, l'accroissement des délais de jugement, une dégradation de la qualité en raison du recours au juge unique et le retard de la mise en oeuvre de l'encellulement individuel.

Ma question concerne l'accès au droit et l'aide juridictionnelle : avez-vous des informations quant au projet de décret visant à revaloriser les rétributions au titre de l'aide juridictionnelle qui serait en cours de rédaction ?

Mme Sylvie Vermeillet . - Ma question portera sur la rémunération des magistrats et des personnels chargés de la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. En effet, lors d'un déplacement au parquet national financier de Paris, dans le cadre de la mission d'information relative à la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales, les magistrats ont témoigné de la difficulté à recruter du personnel spécialisé dans le domaine de la lutte contre la fraude, qui est pourtant une cause nationale. Avez-vous des informations sur les efforts réalisés en termes de rémunération et de formation de ces personnels ?

M. Jérôme Bascher . - N'existerait-il pas certains abus concernant l'aide juridictionnelle, car certains y recourent pour attaquer l'État ou les collectivités ? Cette « politique de guichet » ne pourrait-elle pas être limitée ?

M. Sébastien Meurant . - Nous ne pouvons pas faire l'impasse sur les dysfonctionnements qui ne relèveraient pas de critères financiers : les outils informatiques, les circulaires appelant à classer sans suite un certain nombre d'affaires, mais également la procédure judiciaire qui permet à des personnes ayant des avocats désignés d'office de faire appel à leur propre avocat et de passer ainsi une seconde fois en justice, ce qui a pour effet de ralentir les jugements.

M. Jean-Baptiste Blanc . - Quelle est la vision du Gouvernement concernant la protection judiciaire de la jeunesse ?

M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial. - S'agissant des nouveaux bâtiments tels que la cité judiciaire de Nancy, il faut savoir que les dossiers importants de rénovation ou de création de structures judiciaires sont gérés directement par l'agence publique pour l'immobilier de la justice (Apij). Il avait été évoqué dans le cadre des États généraux de la justice l'adaptation de ces entités aux nouveaux usages. Certains constats ont déjà été réalisés pour les bâtiments neufs : si les fonctions support ont été mises en valeur, certains bureaux sont partagés. Or cette organisation pose des problèmes pratiques, notamment pour les auditions de mineurs.

Par ailleurs, en ce qui concerne les difficultés de recrutement dans le secteur de l'administration pénitentiaire, il est vrai que la grille de rémunération doit être retravaillée. L'idée est de faire passer les agents de surveillance de la catégorie C vers la catégorie B, avec des effets sur la rémunération. Un travail de réflexion est en cours sur ce sujet.

S'agissant des centres éducatifs fermés, l'objectif ambitieux fixé depuis plusieurs années est maintenu, en dépit des difficultés. Trois centres éducatifs fermés ont été ouverts en 2022 et dix autres sont en cours, dont certains seront gérés par le biais d'associations, mais cinq projets se heurtent à un refus de permis de construire. Ce point rejoint les questions d'acceptabilité évoquées.

Les retards de paiement dans le cadre de l'aide juridictionnelle sont en grande partie liés à des problèmes informatiques qui sont connus et qui devraient être réglés grâce aux nouveaux applicatifs du ministère, en cours de déploiement.

Lorsque l'on évoque l'attractivité pour les magistrats, la prime ne suffit effectivement pas. Tout l'environnement de travail doit être amélioré, et il existe une réelle lassitude de la part des magistrats face à ces dysfonctionnements. Le garde des sceaux a d'ailleurs développé depuis quelques années les postes de juristes assistants qui ont pour mission de renforcer l'équipe autour du juge et d'améliorer le traitement des affaires.

En ce qui concerne le programme des 15 000 places, les retards sont imputables aux difficultés pour trouver du foncier, à la complexité du chantier ou encore à la pénurie de matériaux et matériels de construction. Ainsi, 2 441 places seront opérationnelles en 2022, 1 958 en 2023, et 24 établissements seront livrés en 2024. Les programmes de rénovation de certains établissements de détention ont été poursuivis en parallèle. La pénurie de certains matériaux a un peu retardé les chantiers. Il faudra encore du temps, mais il convient d'avancer sur la question du foncier, avec les élus locaux également. À propos de la surpopulation carcérale, la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis a fait l'objet d'une réhabilitation complète, de même que le centre pénitentiaire des Baumettes et le centre pénitentiaire de Nantes. Les nouveaux établissements concernent les villes de Caen, Troyes, Avignon et Koné en Nouvelle-Calédonie.

M. Canévet a évoqué la volonté d'assurer une bonne liaison au niveau du secrétariat général du ministère. Cela passera par les outils informatiques, par la communication entre le ministère de la justice et le ministère de l'intérieur, mais aussi par la direction générale des finances publiques (DGFiP), car certains logiciels, notamment ceux qui permettent le recouvrement des amendes pénales, posent problème. Là encore, des efforts s'imposent, de même que la limitation du turn-over dans les services.

Concernant les greffiers, ils seront également concernés par une revalorisation : un montant de 150 euros par mois en 2023 a été évoqué.

Madame Briquet, des discussions sur la revalorisation de l'aide juridictionnelle sont en cours avec les avocats. La revalorisation est continue sur différents exercices, mais n'atteint toujours pas un niveau satisfaisant du point de vue des avocats.

Madame Vermeillet, je ne dispose pas d'informations précises sur la volonté de recruter des magistrats spécialisés dans le domaine de la fraude et de l'évasion fiscales, mais c'est une nécessité.

Vous demandez, monsieur Bascher, s'il y a des abus de l'aide juridictionnelle. Elle permet avant tout l'accès au droit. Vous avez évoqué un nombre de dépôts de plainte abusif, ce qui n'est pas forcément en lien avec le recours à l'aide juridictionnelle, qui répond à des critères financiers et de patrimoine pour son octroi.

Monsieur Meurant, certains délais restent longs, mais les affaires dont vous parlez ne font pas l'objet d'un ciblage particulier. La justice est largement ankylosée dans beaucoup de domaines, d'où ces retards.

M. Blanc a abordé la question de la PJJ. D'importants crédits concerneront ce secteur en 2023 - 289 millions d'euros sont en particulier alloués au secteur associatif  -, et un travail sera accompli avec l'univers associatif, très dynamique, qui permet de trouver des solutions dans les territoires. La PJJ reste une priorité du ministre.

M. Alain Marc , rapporteur pour avis . - Sur la volonté de l'administration pénitentiaire de faire remonter les surveillants pénitentiaires de la catégorie C à la catégorie B, si elle est pleinement justifiée en termes de rémunération et de technicité des métiers, elle se heurte à une difficulté, celle de devoir disposer du baccalauréat. Un tel critère pourrait renforcer les difficultés de recrutement.

M. Claude Raynal , président . - Pouvez-vous nous rappeler votre avis, monsieur le rapporteur spécial ?

M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial . - Mon avis est favorable. Si nous voulons obtenir des résultats, il faut une politique d'évaluation et soutenir notre justice.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, les crédits de la mission « Justice ».

EXAMEN DES ARTICLES RATTACHÉS

Article 44

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 44.

Article 44 bis (nouveau)

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter, sans modification, l'article 44 bis .

Article 44 ter (nouveau)

M. Antoine Lefèvre , rapporteur spécial . - L'article 44 ter prolonge jusqu'au 31 décembre 2027 la possibilité de déroger au principe d'encellulement individuel des personnes détenues en maison d'arrêt. Je vous propose un amendement pour renforcer l'information du Parlement sur l'exécution des programmes immobiliers pénitentiaires et leur impact quant au respect de l'objectif de placement en cellule individuelle.

L'amendement n° II-15 est adopté.

La commission a décidé de proposer au Sénat d'adopter l'article 44 ter , sous réserve de l'adoption de son amendement.

Réunie le mardi 15 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a décidé de proposer au Sénat l'adoption des crédits de la mission « Justice », sans modification. Elle a également proposé l'adoption des articles 44 et 44 bis rattachés sans modification. Enfin, la commission des finances a proposé l'adoption de l'article 44 ter tel que modifié par son amendement.

*

* *

Réunie à nouveau le jeudi 17 novembre 2022, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a confirmé ses décisions.

Page mise à jour le

Partager cette page