B. FAUTE DE DISPOSER D'UNE VÉRITABLE INDUSTRIE DE PRODUCTION DE VÉHICULES PROPRES SUR LE TERRITOIRE NATIONAL, LES AIDES PUBLIQUES SUBVENTIONNENT MAJORITAIREMENT DES VÉHICULES PRODUITS À L'ÉTRANGER
1. 1,3 milliard d'euros de crédits sont proposés en 2023 au titre des dispositifs d'aide à l'acquisition de véhicules propres
Les crédits relatifs aux aides « historiques » à l'achat ou à la location de véhicules neufs émettant peu de CO 2 (« bonus ») ainsi qu'au retrait de véhicules qui émettent beaucoup de CO 2 (prime à la conversion) 24 ( * ) sont suivis à l'action 03 « Aides à l'acquisition de véhicules propres ». À ces aides historiques sont venus s'ajouter de nouveaux dispositifs particuliers tels que des aides à l'acquisition de véhicules lourds propres ou les aides à l'acquisition de vélos. Par ailleurs, un dispositif de « leasing social » destiné à aider les ménages modestes à acquérir un véhicule électrique est toujours en cours de conception.
En 2021 et en 2022 une partie des crédits consacrés à ces deux dispositifs étaient retracés au sein de l'action 07 « Infrastructures et mobilités vertes » de la mission « Plan de relance ». En 2023, il a été mis un terme à cette situation qui nuisait à la lisibilité et au suivi de ces crédits.
L'ensemble des crédits relatifs aux aides à l'acquisition de véhicules propres sont désormais retracés sur le programme 174.
Les crédits proposés pour 2023 au titre des aides à l'acquisition de véhicules propres atteignent 1 295 millions d'euros , soit une hausse de plus de 30 % par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2022.
Néanmoins la première loi de finances rectificative pour 2022 a ouvert 400 millions d'euros de crédits supplémentaires dédiés aux aides à l'acquisition de véhicules propres et plus précisément pour le dispositif du bonus écologique en raison du succès du bonus mais surtout de la décision du Gouvernement de reporter de six mois la baisse de 1 000 euros du montant de cette aide qui était initialement prévue le 1 er juillet 2022. Cette même loi a également ouvert 5 millions d'euros supplémentaires pour renforcer les aides à l'acquisition de vélos .
Aussi, si l'on compare le total des crédits ouverts au cours de la gestion 2022 au titre des aides à l'acquisition de véhicules propres avec les crédits inscrits pour 2023, on constate une diminution d'environ 100 millions d'euros (7 %).
Évolution des crédits (CP) consacrés aux aides à l'acquisition de véhicules propres (missions « Écologie » et « Plan de relance »)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
En 2023, les crédits dont l'ouverture est proposée dans le présent projet de loi de finances auraient vocation à se répartir comme le décrit le graphique ci-après.
Répartition prévisionnelle des crédits de l'action 03 en 2023
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après la DGEC
D'après cette répartition prévisionnelle, les montants prévus pour le bonus écologique augmenteraient de 26 % par rapport aux crédits inscrits en loi de finances initiale pour 2022 et sans tenir compte de la dotation de crédits complémentaires de 400 millions d'euros intervenue en cours d'année. Les montants alloués au titre de la prime à la conversion seraient également en forte hausse, puisqu'ils progresseraient de 15 %.
Évolution des montants consacrés aux
bonus et prime à la conversion
(2017-2023)
(en millions d'euros)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
D'après les réponses au questionnaire budgétaire du rapporteur spécial, au premier semestre 2022, 170 000 bonus ont été attribués 25 ( * ) pour 613 millions d'euros .
Au cours des sept premiers mois de l'année, 52 000 primes à la conversion ont été distribuées pour 143 millions d'euros .
Nombre de bonus et de primes à la conversion distribués (2018-2021)
Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire budgétaire
À l'automne 2022, le Président de la République a confirmé son engagement à instaurer un dispositif dit de « leasing social » pour mettre en place un dispositif de soutien à la location longue durée de véhicules électriques. L'objectif du dispositif est de diminuer le coût d'usage d'un véhicule pour les ménages sous condition de ressources, avec un loyer n'excédant pas 100 euros par mois pour la location d'un véhicule électrique.
Ce nouveau dispositif pourrait intervenir en complément des dispositifs déjà existants du bonus écologique et de la prime à la conversion auxquels sont éligibles les véhicules pris en location pour des contrats d'au moins deux ans.
Les discussions interministérielles et avec les professionnels du secteur sont en cours et le dispositif, qui présente de nombreuses difficultés, ne sera pas mis en oeuvre avant au mieux plusieurs mois . Par ailleurs, comme souligné infra , compte tenu des prix actuels des véhicules électriques et du retard industriel de la France et de l'Europe en la matière, ce mécanisme pourrait conduire à subventionner des véhicules produits à l'étranger, et notamment en Chine, au détriment de notre souveraineté industrielle.
À la suite de l'adoption de la loi de finances rectificative pour 2022 qui a abondé de 5 millions d'euros le programme 174 pour soutenir l'usage du vélo par les ménages, la prime à la conversion pour l'acquisition d'un vélo à assistance électrique a été doublée pour les ménages les plus modestes et les personnes en situation de handicap du 15 août au 31 décembre 2022. Par ailleurs, la mise au rebut d'un véhicule polluant donne droit à l'attribution d'une prime à la conversion pour l'achat d'un vélo. Dans le cadre du plan vélo annoncé en septembre 2022, le Gouvernement a pris l'engagement du prolongement de ces mesures au-delà de l'année 2022.
La transition écologique du parc de véhicules doit notamment aller de pair avec le développement des zones à faibles émissions mobilité (ZFE M) pour lesquelles le Gouvernement a annoncé au mois d'octobre dernier que des contrôles automatiques seraient mis en place à partir du second semestre de l'année 2024.
À ce jour, onze agglomérations ont créé des ZFE M en France et d'ici 2025, les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants devront en avoir créées elles-aussi. Au sein de ces zones, la circulation de certains véhicules, en fonction des catégories de vignettes Crit'Air, sera progressivement restreinte. En outre, la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets a prévu que la circulation des véhicules dotés de vignettes Crit'Air 3 26 ( * ) soit interdite dans les métropoles qui dépassent les normes de qualité de l'air définies par les normes européennes.
Les zones à faibles émissions mobilité (ZFE M)
Afin de lutter contre la pollution de l'air par le dioxyde d'azote et les particules fines, les lois d'orientation des mobilités (2019) et climat et résilience (2021) fixent un cadre et des obligations pour la mise en place de zones à faibles émissions mobilité (ZFE M).
Une ZFE M se caractérise par une zone comportant des voies routières où la circulation des véhicules les plus polluants est restreinte de manière pérenne, selon les modalités spécifiques définies par la collectivité. L'objectif est de réduire les émissions de polluants atmosphériques, principalement les oxydes d'azote et les particules fines, afin d'améliorer la qualité de l'air et la qualité de vie.
Le périmètre des ZFE M et les restrictions associées sont décidés par les agglomérations, après la tenue d'une concertation sur leur territoire.
La loi impose la mise en place d'une ZFE M dès maintenant pour 10 métropoles tout en leur laissant le choix de ses modalités.
En outre, les métropoles qui dépassent les normes de qualité de l'air fixées au niveau européen doivent respecter un calendrier progressif d'interdiction de circulation pour les automobilistes : Crit'Air 5 au 1 er janvier 2023, Crit'Air 4 au 1 er janvier 2024, et Crit'Air 3 au 1 er janvier 2025.
Enfin, d'ici 2025, les 43 agglomérations de plus de 150 000 habitants devront avoir mis en place une ZFE M.
Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
Source : ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires
2. Compte-tenu des réalités actuelles de la chaîne de valeur des véhicules électriques, et faute de réels mécanismes de préférence européenne, le renforcement des aides publiques à l'acquisition de véhicules propres conduira à subventionner nos concurrents économiques qui, eux, protègent jalousement leurs marchés
Aujourd'hui, plus de 80 % des véhicules électriques achetés en France sont importés . Au cours des neufs premiers mois de l'année 2022, les bonus écologiques alloués pour l'achat de véhicules produits en France ne représentent qu'à peine 140 millions d'euros soit moins d'un cinquième du total. Dans les vingt véhicules les plus vendus en France au cours des neufs premiers mois de l'année et ayant bénéficié de 324 millions d'euros de bonus, seuls cinq étaient produits en France et ont bénéficié de bonus pour un montant de 16 millions d'euros.
Aujourd'hui, la Chine domine une très grande partie de la chaîne d'approvisionnement des véhicules électriques , de l'extraction des métaux 27 ( * ) nécessaires à la production même des batteries et des moteurs. À ce jour, les entreprises chinoises maîtrisent d'ores et déjà 50 % de la valeur totale d'un véhicule électrique et 75 % de la chaîne de valeur des batteries électriques. La Chine produit aussi 80 % des aimants entrant dans les moteurs électriques et 90 % de l'ensemble des moteurs électriques.
Par ailleurs, ses constructeurs , très représentés au dernier mondial de l'automobile à Paris, s'apprêtent à inonder le marché européen de leurs véhicules électriques dont les prix défient toute concurrence et face auxquels les véhicules actuellement produits en Europe ne seront absolument pas en mesure de rivaliser. Les constructeurs chinois ont pu prendre une telle avance sur les européens car ils ont décidé de faire l'impasse sur la production de véhicules thermiques pour immédiatement tout miser sur les véhicules électriques et leur potentiel d'exportation, notamment vers les pays de l'Union européenne.
Attribuer massivement des subventions à des véhicules produits à l'étranger et notamment en Chine à un moment où l'on doit à tout prix relocaliser des usines et développer une filière souveraine de production de véhicules électriques est une erreur . Une erreur qui risque de tuer dans l'oeuf la constitution de cette filière d'excellence si déterminante pour notre souveraineté et le rattrapage du retard considérable que nous avons accumulé par rapport à nos principaux concurrents économiques. Une telle perspective nous placerait structurellement sous une dépendance inacceptable de rivaux économiques voire géopolitiques qui auraient ainsi entre les mains un levier essentiel de l'avenir de notre transition écologique , un enjeu souverain s'il en est.
En août 2022, les États-Unis ont su mettre en place des dispositifs de protection très robustes qui leur permettent de soutenir efficacement le développement d'une filière souveraine de production de véhicules électriques. Ils réservent ainsi les aides publiques (très généreuses par ailleurs) aux seuls véhicules assemblés sur le territoire national , y compris s'agissant du lieu d'assemblage de la batterie ainsi que du lieu d'extraction des métaux rares qui ont servi à sa production. Ce coup de semonce américain , vivement critiqué par l'exécutif européen, pourrait être salutaire et le rapporteur spécial espère qu'il produira l'électrochoc dont l'Union européenne et la France avaient tant besoin .
De son côté, la Chine ne se plie pas aux règles de réciprocité et le degré d'ouverture de ses marchés est inversement proportionnel à celui qui a cours en Europe. Pour nous prémunir du risque de subventionner massivement, dans les années à venir, la production de véhicules électriques chinois il faut absolument établir une vraie règle de réciprocité stricte dans ce domaine et exiger que les conditions d'importation des véhicules en provenance de Chine soient aussi contraignantes que celles qui sont appliquées aux véhicules européens exportés en Chine.
Le rapporteur spécial ne peut se résoudre à cette forme de désarmement de souveraineté sur l'industrie des véhicules électriques. Il appelle à une prise de conscience et à un véritable sursaut . Alors que depuis des années la filière de production du véhicule électrique française et européenne se fait distancer et voit grandir la menace existentielle de la concurrence chinoise, nous continuons à regarder ailleurs . Il n'est plus temps de tergiverser et il est nécessaire de prendre des orientations stratégiques ambitieuses et résolument volontaristes.
Pour ces raisons, le rapporteur spécial présente un amendement de diminution des crédits de l'action 03 du programme 174. Cette réduction de crédits de 500 millions d'euros vise à la fois les crédits alloués au dispositif de « leasing social » ainsi que ceux dédiés au bonus et à la prime à la conversion . En l'état actuel, ces crédits publics reviendraient largement à subventionner des producteurs et industries étrangères qui ne respectent pas toujours, loin de là, le principe de réciprocité.
Cet amendement ne vise pas tant à supprimer des crédits qu'à les décaler dans le temps . Ces montants devront être rétablis dans quelques années lorsque une part significative de véhicules éligibles seront produits en Europe et singulièrement en France , que l'Europe aura rattrapé une part de son retard sur ses concurrents dans la chaîne de valeur des véhicules électriques et surtout lorsque la promesse faite par le Président de la République d'instaurer un mécanisme de préférence européenne dans l'achat des véhicules électriques, sur le modèle mis en oeuvre par les États-Unis, aura pu être tenue.
Le rapporteur spécial appelle ainsi de ses voeux à ce que les ambitions volontaristes affichées par le Président de la République de créer une filière souveraine de production de véhicules électriques (avec un million de véhicules produits sur le territoire national en 2027 puis 2 millions en 2030) se réalisent . Cependant, avant que la filière ne se développe et pour ne pas risquer de l'affaiblir un peu plus en subventionnant ses concurrents étrangers, amplifiant ainsi les effets de la concurrence déloyale qui a cours aujourd'hui, il convient de s'assurer qu'un mécanisme de préférence efficace sur les aides versées et financées par le contribuable français soit mis en oeuvre .
Cet amendement n'entend en aucune mesure affaiblir la transition écologique du parc de véhicule mais tout au contraire, il entend garantir que la France et l'Europe puissent conduire cette transition de façon souveraine sans se rendre dépendants de nos principaux rivaux économiques.
* 24 C'est le Fonds d'aide à l'acquisition de véhicules propres, dont la gestion est assurée par l'Agence de services et de paiement, qui est chargé du suivi des dossiers des demandes d'aides et qui assure leur versement.
* 25 Dont 148 000 pour des voitures particulières, 15 000 pour des deux-roues et 7 000 pour des véhicules utilitaires légers (VUL).
* 26 C'est-à-dire les voitures diesel de plus de 12 ans ou les voitures essence de plus de 18 ans.
* 27 La Chine contrôlerait 60 % de l'extraction des métaux nécessaires aux batteries de moteurs électriques et 80 % de leur raffinage.