II. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. 2021 a constitué le dernier exercice avant réforme des aides à la presse

L'exécution des crédits dédiés au programme 180 en 2021 - 275,80 millions d'euros en CP - retrouve un niveau comparable à celui observé avant la crise sanitaire : 281,58 millions d'euros en CP avaient ainsi été consommés en 2019.

Ce retour à la normale - 411,40 millions d'euros en CP avaient été consommés en 2020 - ne doit pas occulter la poursuite via la mission Plan de relance d'un soutien renforcé au secteur, particulièrement affecté par la crise sanitaire. Le programme 363 - Compétitivité de la mission Plan de relance - prévoyait en effet 109 millions d'euros en AE et 54,4 millions d'euros en CP pour la filière presse en 2021. Ces crédits devaient permettre de financer :

- un plan pour accompagner la transition écologique du secteur de la presse et les changements de pratique dans l'imprimerie (15,9 millions d'euros en AE et 7,9 millions d'euros en CP) ;

- la majoration des crédits alloués au Fonds stratégique pour le développement de la presse (FSDP) afin d'améliorer la compétitivité et l'attractivité du secteur (45 millions d'euros en AE et 22,5 millions d'euros en CP) ;

- un soutien aux marchands de journaux sur le territoire et la mise en place d'un fonds pour la résorption de la précarité dans ce secteur d'activité (48 millions d'euros en AE et 24 millions d'euros en CP).

Exécution des crédits prévus par le Plan de relance en faveur de la presse

(en millions d'euros)

Dispositif

Montant prévu en LFI 2021

Montant exécuté en 2021

Taux de consommation

Transition écologique

AE

15,9

2,3

14,5 %

CP

7,9

0,9

11,4 %

Majoration des crédits du FSDP

AE

45

19,3

42,9 %

CP

22,5

4,4

19,6 %

Soutien aux marchands de journaux

AE

48

13,7

28,5 %

CP

24

12,9

53,8 %

Total

AE

109

35,3

32,4 %

CP

54,4

18,2

33,5 %

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Le taux d'exécution relativement faible - 32,4 % en AE et 33,5 % en CP - des crédits dédiés à ces dispositifs de relance interrogent quant à leur utilité.

Ces dotations s'intégraient, en tout état de cause, dans le plan filière de 377 millions d'euros sur deux ans présenté par le Président de la République le 27 août 2020. Cette somme couvre les nouvelles lignes budgétaires créées en loi de finances pour 2021, et une partie des crédits dégagés en troisième loi de finances rectificative pour 2020. Elle intègre également la dépense fiscale liée à la création du crédit d'impôt au titre d'un premier abonnement.

Le rapporteur spécial s'interroge sur la pertinence d'avoir intégré au programme 363 « Compétitivité » des dispositifs qui auraient toute leur place au sein du programme 180 « Presse et Médias », dans le cadre du régime des aides à la presse, à l'image du soutien aux marchands de journaux ou de la majoration des crédits du FDSP.

Par ailleurs, sans mésestimer l'importance de ces dispositifs afin de soutenir un secteur qui affronte une crise à la fois structurelle (révolution des habitudes de lecture) et conjoncturelle (impact de la pandémie), il convient de relativiser l'aspect novateur des priorités du plan de filière en faveur de la presse. Une partie des crédits dédiés à la presse sont fléchés vers un plan réseau imprimerie (PRIM) destiné à accélérer le départ de 1 553 salariés du secteur de l'imprimerie, soit près de 60 % des effectifs actuels. Le rapporteur spécial constate que le PRIM relève avant tout d'un gigantesque plan social ciblant les imprimeries et ne correspond pas véritablement à l'objectif de rebond affiché. Les crédits initialement agrégés au Plan de relance ont d'ailleurs été transférés en cours de gestion 2021 vers le programme 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi » (31 millions d'euros en AE et 15,5 millions d'euros en CP).

Cette vision, en large partie défensive, des aides à la presse illustre une nouvelle fois le décalage entre les défis, notamment industriels, auxquels est confronté le secteur d'un côté et la nature actuelle des aides et leurs modalités d'attribution. Il s'agit désormais de porter une vaste réforme des aides à la presse comme l'avait esquissé le rapporteur spécial dans son rapport de contrôle budgétaire en 2021 11 ( * ) . . Celle-ci doit notamment aboutir à une simplification des dispositifs existants avec la mise en place d'une aide unique au titre, évolutive en fonction de son niveau d'accessibilité en ligne, de sa participation à la connaissance et au savoir et de son degré d'indépendance. Un soutien temporaire au portage doit également être mis en oeuvre afin d'alléger la charge financière pesant sur La Poste au titre du soutien au transport postal de la presse. La réforme de l'aide à la distribution mise en oeuvre à partir de 2022 va à cet égard dans le bon sens, tant elle devrait à terme favoriser les réseaux de portage et diminuer l'intervention de l'État. Elle doit désormais être complétée.

2. Une prolongation du soutien aux opérateurs en vue de faire face à la crise complétée par la poursuite du déploiement du Plan de relance

Le Centre national de la musique et le Centre national du cinéma et de l'image animée ont bénéficié en 2021 de dotations complémentaires en vue de leur permettre de faire face à la poursuite de la crise sanitaire et des mesures de restriction concomitantes.

Ces crédits sont venus compléter ceux prévus par la mission Plan de relance, dont le programme 363 « Compétitivité » prévoit différents dispositifs de soutien :

- 210 millions d'euros en AE et 175 millions d'euros en CP destinés à la filière musicale ;

- 165 millions d'euros (AE = CP) pour la filière cinéma et audiovisuel ;

- 140 millions d'euros en AE et 70 millions d'euros en CP pour la filière presse ;

- 53 millions d'euros en AE et 29,5 millions d'euros en CP pour la filière livre ;

- une stratégie d'avenir pour l'ensemble des industries culturelles et créatives (ICC), dotée de 19 millions d'euros en AE et 17,5 millions d'euros en CP.

Répartition des crédits de paiement du Plan de relance
par secteur en 2021

(en pourcentage)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

La dotation budgétaire du Centre national de la musique - 15,79 millions d'euros initialement prévus - a ainsi atteint en 2021 261,39 millions d'euros .

Évolution de la dotation budgétaire du Centre national de la musique en 2021

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les documents budgétaires

Si ce soutien mérite d'être salué, il convient de relever que 110 millions d'euros n'ont pas, au terme de l'exercice 2021, été consommés. Cette sous-exécution est justifiée par :

- le report en 2022 d'engagements et de paiements correspondant à des aides attribuées par des commissions réunies en fin d'année 2021 ;

- la reprogrammation d'une partie des dotations en 2022 en raison d'une reprise d'activité du secteur plus tardive qu'initialement envisagée.

Le Centre national du cinéma et de l'image animée a également bénéficié d'importants crédits budgétaires en 2021 tant par le biais du programme 334 (80 millions d'euros en mai 2021 afin d'accompagner la réouverture des salles puis 32 millions d'euros en novembre 2021 afin d'accompagner la mise en oeuvre du pass sanitaire) que par celui de la mission Plan de relance (165 millions d'euros, AE = CP).

Là encore, l'exécution fait apparaître un solde de 43,8 millions d'euros, résultat d'un décalage entre le versement des dotations à l'opérateur et l'attribution effective des subventions à leurs bénéficiaires. Celle-ci devait se poursuivre début 2022.

Le rapporteur spécial relève que ces décalages illustrent une forme d'effet d'annonce quant à l'octroi de subventions massives pour faire face à l'urgence. Celle-ci peinent in fine à être consommées rapidement, ce qui interroge sur la fiabilité des prévisions budgétaires fournies au Parlement lors de l'examen des projets de loi de finances initiale ou rectificatives.

3. L'audiovisuel public face au défi de son financement

Les sociétés de l'audiovisuel public ont répondu à la trajectoire d'économies de 190 millions d'euros demandée par le Gouvernement au cours de la période 2018-2022.

Montant annuel des économies demandées aux sociétés de l'audiovisuel public
entre 2019 et 2022

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

La trajectoire a été revue s'agissant de 2021 afin de prendre en compte la prolongation de France 4, qui devait initialement être supprimée à l'automne 2020. La trajectoire d'économie pour France Télévisions a donc été allégée de 10 millions d'euros.

Cette trajectoire doit également être relativisée à l'aune des efforts consentis par ailleurs par l'État pour amortir les conséquences de la crise sanitaire. Le programme 363 « Compétitivité » de la mission « Plan de relance » prévoit une dotation de 73 millions d'euros (AE = CP), répartie sur les exercices 2021 et 2022. Cet apport vise à appuyer le rôle de soutien à la création en compensant à la fois le recul des ressources publicitaires, le report sur 2021 d'un certain nombre de charges et la progression des dépenses supplémentaires liées à la gestion de la crise sanitaire (aménagements des locaux, achats de masques et de gel etc.). L'enveloppe dédiée à France télévisions au sein de cette aide correspond ainsi au montant des pertes publicitaires enregistrées en 2020 (45 millions d'euros). 68 millions d'euros ont été versés dès 2021. Le solde de 5 millions d'euros devrait être affecté à Radio France en 2022, après un premier versement de 15 millions d'euros en 2021. Cette aide complémentaire vise à répondre à l'impact durable de la crise sur ses formations musicales.

Crédits affectés aux sociétés audiovisuelles publiques par la mission
« Plan de relance » en 2021 et 2022

(en millions d'euros)

2021

2022

Total 2021-2022

France Télévisions

45

-

45

Arte

5

-

5

Radio France

15

5

20

France Médias Monde

0,5

-

0,5

Institut national de l'audiovisuel

2

-

2

TV5 Monde

0,5

-

0,5

Total

68

5

73

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

L'État a, par ailleurs, pris sa part dans le financement des plans de départs volontaires induits par la trajectoire d'économie. Cet apport financier prend la forme d'une augmentation de capital en année n+1 venant financer 2/3 du coût des départs effectués en année n dans la limite de 67 000 euros par départ. Le montant de ces dotations a atteint 25 millions d'euros en 2021.

Dotations en capital attribuées aux sociétés de l'audiovisuel public en vue de financer les plans de départs volontaires

(en millions d'euros)

2020

2021

2022

Total 2020-2022

France Télévisions

17

15,2

14,9

47,1

Radio France

2

9,8

6,6

18,4

France Médias Monde

1,6

1,6

Total

19

25

23,1

67,1

Source : commission des finances du Sénat, d'après les données transmises par la direction générale des médias et des industries culturelles

La mise en oeuvre de plan de départs volontaires tend à accréditer l'idée que la trajectoire d'économie relève avant tout de la logique de rabot que d'une vraie réflexion sur le périmètre et les missions de ces entreprises. Elle éclaire l'absence de stratégie claire du Gouvernement depuis l'abandon de la réforme de la gouvernance de l'audiovisuel public en mars 2020. Le rapporteur spécial, dans la lignée de la mission conjointe de contrôle qu'il a menée avec la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, relève qu'une source d'économie aurait pu consister en un approfondissement de la mise en oeuvre de projets communs 12 ( * ) . Pourtant considérées comme prioritaires dans les contrats d'objectifs et de moyens 2019-2022, les coopérations sont restées embryonnaires dans le numérique quand les matinales communes à France 3 et France Bleu peinent à se mettre en place.

La stratégie de diversification des ressources peine par ailleurs à s'incarner s'agissant de France Télévisions. Comme l'a noté le rapporteur spécial à l'occasion de sa mission de contrôle sur les filiales et les prises de participations de France Télévisions en juin 2022 13 ( * ) , la part de production dépendante n'atteint pas le plafond actuellement retenu de 17,5 % des investissements du groupe public dans la production. France Télévisions indique que la part dépendante représente actuellement 13 % de son investissement, la moitié de ces financements étant fléchés vers la production du feuilleton « Un si grand soleil », dont le potentiel en matière d'exploitation sur d'autres supports que le linéaire ou d'exportation apparaît très limité. L'absence de politique ambitieuse en matière de distribution fragilise également l'obtention de nouvelles ressources financières. Sur les cinq dernières années, la filiale france.tv distribution ne possédait déjà que 40 % des mandats de commercialisation des oeuvres coproduites par France Télévisions.

Il existe donc des gisements de recettes insuffisamment exploités qui implique une véritable réflexion stratégique, qui aille plus loin que des prises de participations hasardeuses à l'image de SALTO. S'il apparaît illusoire de faire de France Télévisions un concurrent de la BBC en matière de production, compte tenu à la fois des différences de moyens, de l'avantage linguistique que constitue l'anglais ou de la différence réglementaire, force est de constater que la montée en puissance du service public dans la production apparaît plus que relative. Pour mémoire, si BBC Studios a réalisé 1,2 milliard d'euros de livres de chiffres d'affaires en 2021, remontant 151 millions de livres de profit à la BBC, les filiales de France Télévisions dédiées à la production et à la distribution (france.tv studio et france.tv distribution) ont réalisé 163,1 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2021, 14,5 millions d'euros étant redistribués vers France Télévisions.


* 11 Vitamine ou morphine : quel avenir pour les aides à la presse écrite ? Rapport d'information de M. Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances n° 692 (2020-2021) - 16 juin 2021.

* 12 « Changer de cap pour renforcer la spécificité, l'efficacité et la puissance du service public », Rapport d'information n° 651 (2021-2022) de MM. Roger Karoutchi et Jean-Raymond Hugonet, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de la commission des finance - 8 juin 2022.

* 13 Plus belle France Télévisions ? Une stratégie commerciale en questions. Rapport d'information de M. Roger Karoutchi, fait au nom de la commission des finances n° 650 (2021-2022) - 8 juin 2021.

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