B. UNE ACCÉLÉRATION DU NIVEAU DES PRIX QUI A PRÉFIGURÉ LA SITUATION DÉSORMAIS OBSERVÉE EN 2022
1. Une progression du revenu des agents soutenue par les administrations publiques
En 2021, le revenu disponible brut (RDB) 2 ( * ) de l'ensemble des agents économiques a progressé de près de 240 milliards d'euros par rapport à l'année 2020. Il s'établit ainsi à 2 654,4 milliards d'euros c'est-à-dire un niveau sensiblement identique en valeur à celui observé en 2019.
Évolution du revenu disponible brut de l'économie française
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les comptes nationaux de l'INSEE pour l'année 2021
Au total, néanmoins, les agents économiques auront cumulé dans leur ensemble près de 60 milliards d'euros de pertes de revenu disponible brut par rapport à 2019.
Comme cela avait été montré par le rapporteur général à l'occasion de l'examen du projet de loi de règlement pour 2020 3 ( * ) , l'essentiel de ces pertes ont été absorbées par les administrations publiques grâce à la mise en oeuvre de diverses mesures de soutien de l'économie et des ménages (activité partielle, fonds de solidarité, report de cotisation et d'imposition etc.) et par le jeu des stabilisateurs automatiques (diminution spontanée des impôts, par exemple).
En cumulé par rapport à l'année 2019, les administrations publiques ont à cet égard absorbé près de 140 milliards de pertes de revenu disponible brut. Cet effort public a contribué à préserver le revenu des ménages et des entreprises.
Ainsi,
les ménages et entrepreneurs individuels
ont cumulé plus
de 91 milliards d'euros de revenus
supplémentaires par rapport à 2019
et,
en 2021,
le pouvoir d'achat des ménages (c'est-à-dire le revenu
disponible brut des ménages exprimé en volume) a progressé
de 2,3
% dépassant même son niveau tendanciel
(+ 1,5 % par an en moyenne sur la
période 2014-2019).
Évolution du revenu disponible brut des ménages
(en volume, en milliards d'euros)
Source : commission des finances du Sénat d'après les comptes nationaux de l'INSEE pour l'année 2021
Les entreprises auraient, quant à elles, accumulé environ 16 milliards d'euros de pertes de revenu disponible brut en 2020 et 2021 par rapport à l'année 2019.
Toutefois, dans la mesure où un certain nombre de mesures de soutien ont été comptabilisées par l'INSEE en « autres transferts en capital à recevoir » (en particulier des annulations d'impôts ou de cotisations sociales) et n'apparaissent pas, de ce fait, dans le RDB, la perte de revenu réel des entreprises pourrait être moins importante.
Ainsi, en cumulé, le montant des autres transferts en capital à percevoir par les entreprises ont progressé de 13 milliards d'euros en 2020 et 2021 par rapport à l'année 2019.
Dès lors, le montant des pertes cumulées enregistrées sur la période par les entreprises pourrait être limité à environ 3 milliards d'euros.
2. Un retour de l'inflation qui ne présente plus désormais un caractère temporaire
Depuis la fin de l'année 2020, l'économie française connait une accélération progressive du niveau de l'inflation - c'est-à-dire une hausse des prix à la production et à la consommation.
Si le phénomène est demeuré modéré au cours de l'année 2021, il s'est amplifié en fin d'année et constitue une source de préoccupation majeure en 2022.
Évolution des prix à la production et à la consommation
(base 100 au quatrième trimestre 2019)
Source : commission des finances du Sénat d'après les comptes nationaux trimestriels de l'INSEE au premier semestre 2022 et les séries relatives à l'évolution de l'indice des prix à la consommation
Au cours de l'année 2021, le phénomène d'accélération de l'inflation peut être divisé en deux principaux facteurs explicatifs :
- la réouverture inégale et « en dent de scie » des économies tout au long de l'année qui a entrainé une hausse sensible des prix à la production ;
- la survenue de tensions d'approvisionnement visant plus spécifiquement l'énergie, qui a contribué à accroitre les prix à la consommation dès le milieu de l'année et plus amplement encore à partir de l'automne.
L'ampleur de l'évolution des prix à la production et les raisons de ce phénomène sont différentes selon les secteurs d'activité concernés.
Modérée dans les services
(+ 2,2 % sur un an), l'augmentation des prix de production est
particulièrement importante dans le secteur
agricole
(+ 8,9 %) et industriel (+ 8,7 %)
et sensible dans
le secteur de la construction (+ 4,8 %).
Évolution des prix à la production en France
(base 100 au quatrième trimestre 2019)
Source : commission des finances du Sénat d'après les séries de l'INSEE relatives à l'évolution de l'indice des prix à la production
Dans le secteur agricole , selon le ministère de l'Agriculture et de l'Alimentation 4 ( * ) , les prix - sensibles au cours mondiaux - auraient principalement été tirés à la hausse en raison de récoltes moins importantes que prévues au Canada, en Russie et aux États-Unis, alors même que la demande était particulièrement dynamique.
Dans les secteurs industriels et de la construction , l'évolution des prix de production a été soutenue par la hausse progressive du coût des matières premières , en particulier de l'énergie.
L'augmentation des prix à la production n'a pas été entièrement répercutée sur les prix acquittés par les consommateurs ce qui a contribué à modérer l'inflation des prix à la consommation en 2021.
Toutefois, cette situation a eu pour contrepartie une contraction substantielle du taux de marges des entreprises dans les secteurs les plus exposés à la hausse des prix.
Évolution du taux de marge des entreprises
(en pourcentage de la valeur ajoutée brute des branches)
Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les comptes trimestriels de l'INSEE pour le premier trimestre 2022
Ainsi, dans le secteur manufacturier, au quatrième trimestre 2021, le taux de marge se situait 5,6 points en dessous de sa moyenne sur la période 2012-2019 . Dans le secteur de la construction, cet écart était d'environ 4,4 %.
La hausse des prix à la consommation (+ 1,6 % en moyenne sur l'année 2021) résulte principalement de l'évolution des coûts de l'énergie à partir du mois de mars 2021. Les causes de cette accélération ont été présentées en détail par le rapporteur général à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2022 précité.
Évolution et décomposition de
l'évolution
de l'indice des prix à la consommation des
ménages
(taux d'évolution en pourcentage
et en glissement
annuel - contribution en point de pourcentage)
Source : calculs de la commission des finances du Sénat d'après les séries chronologiques relatives à l'évolution des prix à la consommation et la pondération des différents biens et services
Concernant le gaz naturel, la hausse des prix en Europe découlait de plusieurs facteurs :
- d'abord, la demande s'est accrue au cours de l'année 2021 , en particulier en Asie, en raison de la reprise économique au niveau mondial et d'un hiver très rigoureux, ce qui a limité les quantités livrées sur les marchés européens ;
- ensuite , l'offre s'est trouvée de plus en plus contrainte en raison de la saturation des capacités de production en Algérie et en Norvège et d'une baisse tendancielle de la production de gaz en Europe ainsi que des exportations russes ;
- enfin, en raison des effets décrits ci-avant, le niveau des stocks était particulièrement faible en Europe.
L'accélération du prix de l'électricité s'explique quant à elle par sa corrélation avec celle des cours du gaz en raison du fonctionnement du marché européen de l'énergie. En effet, la formation du prix de gros de l'électricité est déterminée par le coût de production de la dernière centrale mobilisée pour satisfaire la demande, la centrale dite « marginale », qui est généralement une centrale à gaz.
L'accélération de l'inflation en 2021 s'est ainsi révélé être un « prélude » au phénomène bien plus massif observé actuellement , l'INSEE anticipant environ + 5,6 % d'inflation en moyenne pour 2022.
À la fin de l'année 2021; le Gouvernement a mis en oeuvre plusieurs dispositifs visant à limiter l'impact de l'inflation sur le revenu des ménages , notamment :
- un gel temporaire de l'évolution des prix du gaz ;
- un chèque-énergie de 100 euros par ménage ;
- une indemnité-inflation défiscalisée de 100 euros pour les personnes ayant des revenus de moins de 2000 euros ;
- la possibilité pour les employeurs de verser une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat (PEPA) défiscalisée et désocialisée ;
- le versement d'une prime de Noël au profit des bénéficiaires des minimas sociaux.
Dans le seul cas du chèque énergie et de l'indemnité-inflation, le coût prévu pour les finances publiques en 2021 s'élevait à 4,4 milliards d'euros.
* 2 Le revenu disponible brut correspond à l'ensemble des revenus primaires d'un agent économique et du solde des transferts qu'il perçoit ou dont il s'acquitte (impôts et cotisations, prestations sociales etc.).
* 3 Rapport n° 743 (2020-2021) de M. Jean-François Husson, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 7 juillet 2021, relatif au projet de loi de règlement et d'exécution des comptes pour 2020.
* 4 Agreste Infos rapides n°2021-164, novembre 2021.