Rapport n° 756 (2021-2022) de M. Joël GUERRIAU , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 6 juillet 2022

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N° 756

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 6 juillet 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l' approbation de l' accord pour la mise en place d'un mécanisme d' échange et de partage de l' information maritime dans l' océan Indien occidental et de l' accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l' océan Indien occidental ,

Par M. Joël GUERRIAU,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Philippe Paul, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, Isabelle Raimond-Pavero, M. Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Mmes Catherine Dumas, Nicole Duranton, MM. Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Abdallah Hassani, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, François Patriat, Gérard Poadja, Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard .

Voir les numéros :

Sénat :

407 et 757 (2021-2022)

INTRODUCTION

L'océan Indien est un des hauts lieux stratégiques de la planète. Troisième plus grand océan du monde, il abrite la plus importante route maritime commerciale et il est au coeur des rivalités entre les États les plus puissants du globe.

La sécurité de ses détroits et couloirs de navigation, permettant la libre circulation des marchandises et des énergies fossiles, est essentielle au bon fonctionnement de l'économie mondiale.

Certains des Etats qui bordent l'océan Indien connaissent une instabilité politique qui peut avoir des répercussions sur la sécurité en mer. Ainsi, le littoral somalien a été le théâtre d'actes de piraterie et d'attaques contre des navires marchands, ou plaisanciers, au début des années 2000, affaiblissant les économies régionales et déstabilisant le commerce international.

La communauté internationale a réagi, d'abord pour la Somalie (2008), ensuite pour le Golfe de Guinée (2011), avec des opérations comme Atalante, Ocean Field, et la TF150, sous l'égide des Nations Unies.

C'est en 2009 que la Commission de l'océan Indien (COI) a entamé une réflexion pour lutter contre l'insécurité maritime, privilégiant une vision globale des menaces maritimes.

En octobre 2010 1 ( * ) , l'Union européenne décide de son engagement financier dans ce programme.

C'est ainsi qu'est né, en 2012, le programme MASE ( MAritim SEcurity ), dans lequel s'inscrivent les deux accords soumis à ratification. Les négociations ont duré près de six ans, en raison de la pluralité des acteurs.

Les présents accords portent, d'une part, sur la mise en place d'un mécanisme d'échange et de partage de l'information maritime et, d'autre part, sur la coordination des opérations en mer.

Les Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice et les Seychelles ont signé ces accords le 29 avril 2018 à Balaklava, lors de la conférence ministérielle sur la sécurité maritime. La France et le Kenya les ont signés quelques mois plus tard, le 26 novembre 2018, à Nairobi, à l'occasion de la convention sur l'économie bleue au Kenya. D'autres États pourraient être associés prochainement, comme la Somalie ou la Tanzanie.

PREMIÈRE PARTIE : L'OCÉAN INDIEN, ESPACE STRATÉGIQUE POUR LA FRANCE ET L'UNION EUROPÉENNE

L'océan Indien, parfois qualifié de « nouveau centre du monde », est au coeur des enjeux géostratégiques actuels.

Du Golfe persique aux côtes est-africaines, en passant par la Malaisie, les côtes australiennes et l'Antarctique, l'océan Indien couvre plus de 70 millions de kilomètres carrés. Les trente pays qui forment ses littoraux, accueillent un tiers de la population mondiale.

La sécurité de cet immense espace maritime, par lequel transite une part très significative de l'économie mondiale, constitue donc un enjeu essentiel pour l'Union européenne (UE), et au premier chef, de la France.

C'est dans la zone occidentale de l'océan Indien, que les problématiques sécuritaires sont les plus fortes, notamment en raison du dénuement économique de certains des Etats côtiers.

I. ZONE CLÉ DE LA STRATÉGIE INDOPACIFIQUE FRANÇAISE

A. PRÉSENCE FRANÇAISE ET ENJEUX DE SÉCURITÉ

La France dispose d'une présence permanente dans l'océan Indien occidental.

Tout d'abord, elle est présente dans la région avec ses deux départements de La Réunion (860 000 Français), de Mayotte (133 000 Français), ainsi que les Terres australes et antarctiques françaises, et détient plus d'un million de km² de zone économique exclusive.

Elle dispose également de deux bases militaires stratégiques dans la région. Celle de La Réunion accueille les Forces armées dans la zone sud de l'océan Indien (FAZSOI - 2800 militaires), qui procèdent à des escales, à des exercices et à des formations avec les pays de la zone et assurent la présence française dans les eaux territoriales. La base militaire de Djibouti, qui compte plus de 1 400 militaires, sert de base opérationnelle pour les déploiements dans la région, ainsi que de centre de formation.

La France a de nombreux accords de défense avec des Etats riverains, comme les Comores, Madagascar, les Seychelles, Maurice, les Emirats Arabes Unis et l'Inde.

En matière de développement, l'Agence française de développement (AFD) dispose d'une agence régionale basée à La Réunion, qui couvre tous les pays de la Commission de l'océan Indien (COI).

La France est d'ailleurs membre de cette Commission.

B. LA FRANCE, MEMBRE DE LA COI

La France est membre des deux organisations multilatérales qui structurent la zone : l'Association des Etats riverains de l'océan Indien (IORA) et la Commission de l'océan Indien (COI). Elle en a assuré la présidence de cette dernière de mai 2021 à mai 2022.

La COI se compose de cinq Etats membres : Maurice, Madagascar, les Seychelles, la France (depuis 1986) et l'Union des Comores (depuis 1986) et de sept membres observateurs : République populaire de Chine (2016) ; Union Européenne (2017) ; Ordre Souverain de Malte (2017) ; Organisation internationale de la Francophonie - OIF (2017) ; Organisation des Nations unies (2020) ; Inde (2020) ; Japon (2020). Son siège est situé à Ebène (Maurice).

La France a adhéré à la COI afin de permettre à La Réunion de participer à la coopération régionale et de mieux s'intégrer dans la zone. La COI est la seule organisation régionale africaine dont la France soit membre à part entière.

La COI, créée le 10 janvier 1984 dans le cadre de l'accord général de Victoria, développe des projets de coopération au bénéfice de ses cinq Etats membres. En effet, il s'agit de la seule organisation régionale d'Afrique composée exclusivement d'îles, lesquelles sont particulièrement vulnérables aux chocs externes, qu'il soient économiques et financiers, climatiques ou écologiques, alimentaires et énergétiques.

Ses compétences originelles, coopération diplomatique, économique et commerciale, ont par la suite été élargies à d'autres domaines, dont, notamment, celui de la sécurité maritime et la lutte contre la criminalité transnationale organisée.

La COI a le statut de membre observateur au sein de l'ONU et de l'OIF. Elle met en oeuvre de nombreux partenariats avec l'Union africaine.

C'est au sein de la COI qu'a été lancé en 2012 le programme de sûreté et de sécurité maritime, appelé MASE ( maritime security ). Dès l'origine, ce programme a été conçu pour traiter l'ensemble des aspects liés aux enjeux de sécurité et de sûreté maritime dans l'océan Indien occidental, contrairement à d'autres initiatives régionales, qui ne ciblent qu'un seul type de menace, comme le terrorisme ou la piraterie.

La France a assuré la présidence de la COI du 20 mai 2021 au 23 février 2022. Comptant sur la présence concomitante d'un secrétaire général français, la présidence française a rappelé la nécessité de favoriser la coopération régionale, notamment en matière de sécurité maritime.

Les accords soumis à ratification s'inscrivent dans la mise en place du programme MASE.

II. LA STRATÉGIE DE SÛRETÉ MARITIME DE L'UE ET LE PROGRAMME MASE

A. LA STRATÉGIE DE SÛRETÉ MARITIME DE L'UE ET SON VOLET INDOPACIFIQUE

La stratégie de sûreté maritime de l'Union européenne a été fixée en 2014 et précisée en 2018. Elle vise notamment à protéger ses intérêts maritimes.

Cette stratégie a été détaillée pour l'Indopacifique le 17 septembre 2021. Son objectif est d'assurer une présence navale européenne significative dans la région.

Dans l'océan Indien occidental, l'UE soutient différentes initiatives et cherche à les faire coopérer étroitement.

Depuis la faillite de l'État somalien, qui a entraîné une explosion de la criminalité maritime dans la Corne de l'Afrique, l'océan Indien est devenu un espace maritime d'intérêt majeur pour l'Union européenne. En 2008, l'importance du phénomène de piraterie dans cette zone l'a conduit à intervenir en mettant en place EUNAVFOR Atalante.

Cette opération a démontré toute sa pertinence : en endiguant la piraterie, elle a permis de sécuriser 25% du trafic mondial et 75% des exportations européennes vers l'Asie. Elle bénéficie désormais d'un mandat élargi afin de lutter contre le trafic d'armes et de stupéfiants et d'assurer des tâches de surveillance des activités illégales en mer. Atalante a donc permis à l'Union de se positionner comme un acteur régional de la sûreté maritime, que les programmes CRIMARIO ( Critical Maritime Routes in the Indian Ocean ) ou MASE sont venus renforcer.

B. LE PROGRAMME MASE, FINANCÉ PAR L'UE

Le programme MASE, dans lequel s'inscrivent les deux présents accords, est financé à hauteur de 42 millions par le Fonds européen de développement, sur la période 2013-2022 (prolongation de deux ans faisant suite à la crise sanitaire). Un second volet est actuellement en discussion.

Si son objectif est de veiller au respect du droit international de la mer et de sécuriser l'espace maritime de l'océan Indien occidental, grâce au partage d'informations et aux opérations coordonnées en mer, son originalité tient à ne pas imposer aux pays de la région des solutions et modèles extérieurs pour privilégier la recherche en commun de réponses locales.

L'enjeu est que la région puisse, à terme, être capable d'assurer sa propre sécurité maritime et d'aboutir à un désengagement serein des moyens européens. Il s'inscrit dans la mise en oeuvre de la Stratégie maritime intégrée à l'horizon 2050 de l'Union africaine (UA).

Les pays bénéficiaires de l'ensemble du programme MASE sont les Comores, la France/Réunion, Madagascar, Maurice, Seychelles, Djibouti, le Kenya, la Tanzanie, la Somalie, le Burundi, le Rwanda, l'Ouganda, le Soudan du Sud et l'Éthiopie.

Ils sont membres de quatre organisations régionales : l'Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD), qui est le coordonnateur général du programme, le Marché commun d'Afrique australe et orientale (COMESA), la Commission de l'océan Indien (COI) et la Communauté d'Afrique de l'Est (EAC).

Le programme régional fonctionne sous forme de domaines de résultats attribués à chacune des régions et mis en oeuvre par ces quatre organisations régionales africaines.

Ces cinq volets 2 ( * ) sont :

• Composante 1 : Renforcer les mécanismes de coordination de la sécurité maritime en Somalie (responsable : IGAD) ;

• Composante 2 : Développer et renforcer les capacités juridiques, législatives et infrastructurelles aux niveaux national et régional en matière d'arrestation, de transfert, de détention et de poursuite des pirates (EAC) ;

• Composante 3 : Renforcer les capacités régionales pour interrompre les réseaux financiers illicites des crimes maritimes et autres crimes financiers (COMESA) ;

• Composante 4 : Renforcer les capacités nationales et régionales de coordination des opérations en mer (COI) ;

• Composante 5 : Amélioration de la coordination régionale et de l'échange et partage d'informations maritimes (COI).

Ce sont les deux derniers volets, placés sous la responsabilité de la Commission de l'océan Indien, qui font l'objet du présent projet de loi d'approbation.

DEUXIÈME PARTIE : LES ACCORDS SOUMIS À RATIFICATION

Comme l`indique l'étude d'impact, l'objectif commun de ces deux accords est de renforcer la sécurité et la sûreté maritimes dans la région de l'océan Indien occidental, en y associant les pays riverains, afin que leur action permette de compléter, voire, à terme, de suppléer celle des opérations multinationales thématiques.

Sept Etats de l'océan Indien y participent, dont cinq sont membres de la COI : les Comores, Djibouti, La France, le Kenya, Madagascar, l'île Maurice, les Seychelles. A terme, la Somalie et la Tanzanie pourraient rejoindre les signataires.

I. LES OBJECTIFS DES ACCORDS

La coopération et la coordination des Etats côtiers constituent le meilleur moyen d'assurer le contrôle et la surveillance maritime et devraient leur permettre de jouer un rôle de premier plan pour façonner l'avenir de l'océan Indien occidental.

A. L'ACCORD RELATIF À L'ÉCHANGE ET AU PARTAGE DE L'INFORMATION MARITIME

L`accord sur le mécanisme d'échange et de partage de l'information maritime a pour objectif, d'une part, d'améliorer la connaissance de la situation maritime régionale pour permettre le suivi des activités maritimes, d'autre part, de promouvoir le partage et l'échange d'informations pour lutter plus efficacement contre les activités menaçant la sécurité maritime.

Il s'appuie sur un Centre régional de fusion d'information maritime (CRFIM), situé à Madagascar. Ses missions sont de recueillir, fusionner et analyser les informations en provenance de multiples sources, notamment celles émanant des centres nationaux ou d'acteurs non étatiques (« sentinelle de la mer »), afin d'établir la situation maritime de la région, allant du cap de Bonne Espérance au détroit d'Ormuz. L'objectif recherché est que toutes les informations de géo-positionnement des navires soient centralisées dans une seule et même interface.

D'un point de vue opérationnel, un officier de liaison de chaque Etat signataire doit être affecté dans le CRFIM et des exercices y sont programmés. Celui de la France y est affecté depuis l'été 2019. L'annexe à l'accord précise la gouvernance du CRFIM.

B. L'ACCORD RELATIF À LA COORDINATION DES OPÉRATIONS EN MER

L'accord portant sur la coordination des opérations en mer met en place un cadre de coopération pour renforcer la sécurité et la sûreté maritimes dans le cadre de la lutte contre la piraterie, mais aussi contre la criminalité organisée et les activités illicites. La recherche et le sauvetage des vies en mer, dans le cadre des dispositifs existants, ainsi que la lutte contre les atteintes à l'environnement marin, font explicitement partie des missions prévues à l'article 6 de l'accord.

L'accord vise à permettre la mise en oeuvre d'opérations coordonnées, notamment pour faire face à des menaces transverses ou communes commises en mer.

A l'occasion de ces opérations coordonnées, des agents d'Etats parties peuvent être embarqués à bord des navires et aéronefs répressifs de l'autre partie, en stricte conformité avec sa législation nationale, sous réserve des modalités préalablement définies entre les parties.

C'est le Centre régional de coordination des opérations (CRCO), basé aux Seychelles, qui est chargé d'assurer les interventions en s'appuyant sur les centres opérationnels nationaux.

Comme pour le CRFIM, un officier de liaison de chaque Etat signataire est affecté dans le centre (depuis l'été 2020 pour la France) et une annexe à l'accord précise la gouvernance du CRCO, identique à celle du CRFIM.

Le CRFIM, le CRCO et les centres nationaux des pays signataires s'appuient sur le système « MAS » ( Maritime Awareness System ), qui est une solution technologique innovante axé sur l'échange d'information et la coordination des actions conjointes en mer. Il permet d'analyser les données recueillies afin de construire une cartographie maritime la plus complète possible.

Enfin, il faut souligner que cet accord prévoit de nombreuses actions de coopération (art. 4, art. 8, art. 9 et 10, art. 11) et devrait nécessiter diverses adaptations du droit français interne.

En effet, si la formulation retenue pour ces articles laisse une certaine marge de manoeuvre, l'approfondissement des objectifs opérationnels pourrait justifier des modifications du droit interne, qui pourraient s'effectuer par voie réglementaire, législative ou par la voie d'un accord intergouvernemental.

II. LES RÉSERVES DE LA FRANCE

A. RÉSERVES DANS LE CADRE DE L'ACCORD RELATIF À L'ÉCHANGE ET LE PARTAGE DE L'INFORMATION MARITIME

Comme l'indique l'étude d'impact, la France envisage d'émettre des réserves, comme le prévoient les articles 16 et 17 de l'accord.

Elles concernent l'exclusion du partage des informations et matériels classifiés, ainsi que les échanges d'informations à des fins judiciaires, en l'absence de convention de coopération judiciaire spécifiquement adoptée à cette fin.

Ces réserves, dont le contenu est précisé ci-dessous, seront émises en même temps que la transmission à la COI, dépositaire de l'accord, des instruments de ratification.

« 1) Conformément au paragraphe 3 de l'article 4, la Partie française déclare que les informations communiquées en vertu du présent Accord concernent uniquement les informations et matériels non classifiés nécessaires à la mise en oeuvre du présent Accord, à l'exclusion de toute information et matériel classifiés au sens de la législation française, tant que les modalités relatives à la production, l'échange et à la protection des informations classifiées n'auront pas été définies par des accords subséquents entre les Parties. Aucune stipulation du présent Accord ne peut s'analyser comme imposant à la Partie française la conclusion d'accords portant sur l'échange et la protection d'informations classifiées avec les autres Parties.

2) Les stipulations du présent Accord relatives à l'échange d'informations à des fins judiciaires, notamment celles prévues à l'article 12, ne peuvent servir de fondement aux mesures de coopération judiciaire en matière pénale qui ont vocation à être seulement mises en oeuvre dans le cadre de la législation française et des conventions d'entraide, d'extradition, de transfèrement qui les prévoient, et n'imposent pas à la Partie française de conclure ni de négocier de tels accords. »

B. RÉSERVES DE LA FRANCE DANS LE CADRE DE L'ACCORD RELATIF À LA COORDINATION DES OPÉRATIONS EN MER

La France entend également émettre des réserves lors de la transmission de cet accord à la COI, comme le prévoient les articles 18 et 19.

Visant à préciser les dispositions de l'accord, dans le respect du principe constitutionnel de monopole de l'Etat des pouvoirs de police, elles concernent en particulier le statut des agents répressifs, les arraisonnements et fouilles (art. 9 et 10), mais aussi la compétence juridictionnelle et l'entraide judiciaire (art. 11).

Ces réserves sont les suivantes :

« Pour l'application des articles 9 et 10 de l'Accord, les agents des services répressifs étrangers menant des opérations dans les eaux sous souveraineté française, en conformité avec l'article 7 paragraphe 5 de l'Accord, et dans la zone économique exclusive française dans les domaines dans lesquels la France exerce des droits souverains ou une juridiction, ne pourront employer la force ni ne disposeront de pouvoirs de contrainte à l'égard des navires et des personnes se trouvant dans ces espaces, tant que les modalités de ces opérations n'auront pas été définies par des accords subséquents, conformément à l'article 10 paragraphe 2 de l'Accord.

Les agents des services répressifs français menant des opérations dans les eaux sous souveraineté étrangère, en conformité avec l'article 7 paragraphe 5 de l'Accord, et dans la zone économique exclusive étrangère dans les domaines dans lesquels l'Etat côtier exerce des droits souverains ou une juridiction, ne pourront employer la force ni ne disposeront de pouvoirs de contrainte à l'égard des navires et des personnes se trouvant dans ces espaces, tant que les modalités de ces opérations n'auront pas été définies par des accords subséquents, conformément à l'article 10 paragraphe 2 de l'Accord.

La France considère que, dans le cadre des opérations auxquelles ses agents ou ses moyens prendront part, la législation nationale à laquelle il est fait référence à l'article 10 paragraphe 3 de l'Accord pour le port des armes renvoie à la législation de l'Etat d'immatriculation du navire ou de l'aéronef à bord duquel les agents sont embarqués. Les stipulations du présent Accord relatives à l'échange d'informations à des fins judiciaires, notamment celles prévues à l'article 11 ne peuvent servir de fondement aux mesures de coopération judiciaire en matière pénale qui ont vocation à être seulement mises en oeuvre dans le cadre de la législation française et des conventions d'entraide, d'extradition, de transfèrement qui les prévoient et n'imposent pas à la Partie française de conclure ni de négocier de tels accords. »

C. LA QUESTION DE LA PROTECTION DES DONNÉES PERSONNELLES

Si la France n'entend pas émettre juridiquement des réserves sur le transfert de données à caractère personnel à destination d'Etats tiers à l'Union européenne, la question de leur protection s'est posée.

La protection des données personnelles repose sur l'article 46 du RGPD de l'Union européenne et sur les articles 112 et 113 de la loi dite « Informatique et Libertés » dans sa version issue de la loi du 20 juin 2018 3 ( * ) .

Comme l'ont indiqué les commissaires auditionnés, le Conseil d'Etat a précisé, dans son avis rendu sur le présent projet de loi, qu'en l'absence d'une décision d'adéquation de la Commission européenne, le transfert de données personnelles ne sera possible que si un accord sous forme d'échange de lettres est conclu avec chaque Etat signataire, afin de prendre en compte l'état de protection des données personnelles dans leur législation nationale.

C'est pourquoi l'étude d'impact indique l'état du droit en la matière, dans les six autres Etats signataires des accords.

En tout état de cause, les accords n'impliquent pas d'obligation nouvelle pour la France, dont le niveau de protection des données personnelles est plus élevé que celui des Etats partenaires à ces accords.

CONCLUSION

Après un examen attentif des stipulations de ces accords, la commission a adopté ce projet de loi n° 407 (2021-2022) autorisant l'approbation de l'accord pour la mise en place d'un mécanisme d'échange et de partage de l'information maritime dans l'océan Indien occidental et de l'accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l'océan Indien occidental.

En effet, ces accords visent à répondre de manière globale à l'ensemble des menaces maritimes présentes dans la zone de l'océan Indien occidental, en y associant les pays riverains. L'objectif est qu'à terme, leurs actions complètent, voire suppléent celles des opérations multinationales thématiques, comme l'opération Atalante, que les Etats de la région soient, dans les prochaines années, aptes à assurer le maintien d'un espace maritime sûr et sécurisé.

Leur traduction opérationnelle sera mise en oeuvre par les deux centres régionaux : le centre de fusion d'information maritime et le centre de coordination des opérations. La France y a d'ores et déjà affecté ses officiers de liaison, même si leurs fonctions pourront évoluer suite à la ratification de ces accords par la France.

Les Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice et les Seychelles ont signé les accords le 29 avril 2018, à Balaklava. Ils n'ont pas besoin d'être ratifiés pour être mis en oeuvre. La France et le Kenya les ont signés le 26 novembre 2018, à Nairobi. Le Kenya les a ratifiés en janvier 2022.

La France, du fait de la présence de Mayotte et de La Réunion dans la région, a un rôle particulier à jouer auprès de ses partenaires.

Il est donc important que la France le ratifie dans les meilleurs délais, afin de montrer son attachement à la sécurité et la sûreté maritimes dans l'océan Indien occidental.

Lors de leur signature, la France a prévu que « le présent accord entrera en vigueur à l'égard de la France à compter de la réception par la Commission de l'océan Indien (COI), en tant que dépositaire, de la notification de l'achèvement des procédures internes françaises requises. » La France accompagnera cette notification des réserves importantes, dont l'objet est de préciser les dispositions de l'accord afin de les rendre compatibles avec notre droit interne. Des accords sont également prévus afin d'assurer la protection des données personnelles qui pourront être échangés.

L'examen en séance publique aura lieu le jeudi 27 octobre 2022 selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi la Conférence des présidents, de même que votre rapporteur, a souscrit.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le 6 juillet 2022, sous la présidence de M. Cédric Perrin, Vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Joël Guerriau sur le projet de loi n° 407 (2021-2022) autorisant l'approbation de l'accord pour la mise en place d'un mécanisme d'échange et de partage de l'information maritime dans l'océan Indien occidental et de l'accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l'océan Indien occidental.

M. Cédric Perrin, président . - Nous examinons à présent le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord pour la mise en place d'un mécanisme d'échange et de partage de l'information maritime dans l'océan Indien occidental et de l'accord régional sur la coordination des opérations en mer dans l'océan Indien occidental, sur le rapport de notre collègue Joël Guerriau.

M. Joël Guerriau, rapporteur . - L'océan Indien est un des hauts lieux stratégiques de la planète. Troisième plus grand océan du monde, il abrite la plus importante route maritime commerciale et il est au coeur des rivalités entre les États les plus puissants du globe. La sécurité de ses détroits et couloirs de navigation permettant la libre circulation des marchandises et des énergies fossiles est essentielle au bon fonctionnement de l'économie mondiale.

Certains des États qui bordent l'océan Indien connaissent une instabilité politique qui peut avoir des répercussions sur la sécurité en mer. Ainsi, au début des années 2000, le littoral somalien a été le théâtre d'actes de piraterie et d'attaques contre des navires marchands ou plaisanciers, qui ont affaibli les économies régionales et déstabilisé le commerce international.

La communauté internationale a réagi, d'abord pour la Somalie en 2008, ensuite pour le Golfe de Guinée en 2011, avec des opérations comme Atalante, Ocean Field et la TF150, sous l'égide des Nations unies. Dès 2009, la Commission de l'océan Indien (COI) a entamé une réflexion pour lutter contre l'insécurité maritime dans la région, privilégiant une vision globale des menaces maritimes.

C'est ainsi qu'est né, en 2012, le programme MASE (Maritim Security), dans lequel s'inscrivent les deux accords soumis à ratification. L'Union européenne le finance à hauteur de 42 millions d'euros sur la période 2013-2022. La France, par ailleurs membre de la COI, est cosignataire de ces accords au titre des territoires ultramarins de La Réunion, de Mayotte et des Terres australes et antarctiques françaises (TAAF).

Les Comores, Djibouti, Madagascar, Maurice et les Seychelles ont signé ces accords le 29 avril 2018 à Balaclava, lors de la conférence ministérielle sur la sécurité maritime. La France et le Kenya les ont signés quelques mois plus tard, le 26 novembre 2018, à Nairobi, à l'occasion de la convention sur l'économie bleue au Kenya. D'autres États pourraient être associés prochainement, comme la Somalie ou la Tanzanie.

Concrètement, les présents accords cherchent à favoriser la coopération et la coordination des États côtiers, afin de leur permettre de jouer un rôle de premier plan en matière de surveillance maritime de la région de l'océan Indien occidental. Deux centres régionaux sont au coeur de cette collaboration : le centre régional de fusion d'information maritime, situé à Madagascar et le centre régional de coordination des opérations, installé aux Seychelles. Ces deux centres sont d'ores et déjà opérationnels. Si nous avons auditionné une vingtaine de hauts fonctionnaires de différents ministères, je regrette de n'avoir pu visiter au moins un centre, afin d'évaluer leur efficacité.

La ratification de ces accords permettra à la France de prendre toute sa place dans l'échange d'informations et la coordination des actions conjointes en mer dans l'océan Indien occidental. La France a annoncé qu'elle envisage d'émettre des réserves, lors de la transmission de ces accords à la COI, afin de s'assurer du respect de sa législation, notamment en matière d'informations ou de matériels classifiés, de pouvoirs de police, de compétence juridictionnelle et de coopération judiciaire. Des accords sous forme d'échanges de lettres sont prévus avec chaque État signataire, afin de s'assurer du respect de notre réglementation en matière de transfert de données à caractère personnel.

En conséquence, je préconise l'adoption de ce projet de loi, dont le Sénat est saisi en premier. Son examen en séance publique n'est pas encore inscrit à l'ordre du jour, mais il devrait l'être selon la procédure d'examen simplifié, ce à quoi souscrit votre rapporteur.

Suivant l'avis du rapporteur, la commission a adopté, à l'unanimité, le rapport et le projet de loi précité.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(Jeudi 16 juin 2022)

Ministère de l'Europe et des Affaires étrangères

M. Marcel ESCURE , ambassadeur délégué à la coopération régionale dans la zone de l'océan Indien

Mme Nathalie DUPONT , adjointe au sous-directeur d'Afrique australe et de l'océan Indien, Direction générale des affaires politiques et de sécurité

M. Maxime ROTH , rédacteur, Sous-direction d'Afrique australe et de l'océan Indien, Direction générale des affaires politiques et de sécurité

Mme Clélia FLEURY , rédactrice, Sous-direction d'Afrique australe et de l'océan Indien, Direction générale des affaires politiques et de sécurité

M. Roberto LEMOS , chargé de mission, Sous-direction des questions multilatérales et sectorielles, Direction générale des affaires politiques et de sécurité

M. Amaury de LA GRA NGE, conseiller juridique, Sous-direction du droit de la mer, du droit fluvial et des pôles, Direction des affaires juridiques

M. Julien ILLOUZ , conseiller juridique, Sous-direction du droit de l'UE et du droit international économique, Direction des affaires juridiques

Mme Claire GIROIR , conseillère juridique, Mission des accords et traités, Direction des affaires juridiques

Ministère de la Justice

Mme Julie PETRE , magistrate rédactrice, Bureau de la négociation pénale européenne et internationale, Direction des affaires criminelles et des grâces

Ministère des Armées

M. Sébastien TARQUIS , chargé de mission Marine et Action de l'Etat en mer, Direction des affaires juridiques

Mme Séraphine KOESSA-BALA , chargée d'études, Direction des affaires juridiques

Ministère des Outre-mer

Mme Myriam AFLALO , cheffe de la mission du droit européen et international, Direction générale des Outre-Mer

Mme Stéphanie ALCALDE , adjointe à la cheffe de mission du droit européen et international, Direction générale des Outre-mer

Ministère de la Mer

M. Hervé METAYER , adjoint au chef de bureau du sauvetage et de la surveillance du trafic maritime et portuaire, Direction générale des affaires maritimes, de la pêche et de l'aquaculture


* 1 Réunion ministérielle de l'Afrique orientale et australe et de l'océan Indien.

* 2 https://www.commissionoceanindien.org/wp-content/uploads/2019/06/MASE-new-brochure-FR-LR-Final-V2-30-05-19.pdf

* 3 La loi n° 2018-493 du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, publiée au JORF du 21 juin transpose la directive (UE) 2016/680 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016, relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel par les autorités compétentes des fins de prévision et de détection des infractions pénales, d'enquêtes et de poursuites en la matière ou d'exécution de sanctions pénales, et à la libre circulation des données.

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