EXAMEN EN COMMISSION
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M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons à présent la proposition de loi pour un nouveau pacte de citoyenneté avec la jeunesse par le vote à 16 ans, l'enseignement et l'engagement, déposée par Martine Filleul et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain.
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Cette proposition de loi part d'un constat, malheureusement renouvelé élection après élection : celui de l'abstention massive des jeunes âgés de 18 à 34 ans aux élections politiques.
Constituée de cinq articles, la proposition de loi poursuit un objectif ambitieux : renforcer l'implication des jeunes dans la vie politique de notre pays.
Elle met en avant deux instruments : l'ouverture du droit de vote dès l'âge de 16 ans à l'article 1 er , d'une part, et l'institution de conseils de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants ainsi que pour les conseils départementaux à l'article 4, d'autre part.
Les articles 2 et 3 visent quant à eux à accompagner l'abaissement de la majorité électorale en prévoyant un nouvel enseignement obligatoire de sciences politiques et d'histoire de la vie politique française et européenne pour les élèves du collège. La formation des enseignants serait également adaptée en conséquence.
Comme l'indique Martine Filleul, cette proposition de loi est donc conçue comme un tout solidaire, les articles 2 à 3 découlant de l'article 1 er , et l'article 4 complétant ce dernier.
L'article 1 er , qui constitue la mesure phare du texte, ne m'a pas convaincue. Nous ne pouvons évidemment que convenir de la nécessité de lutter contre l'abstention des jeunes ; pour mémoire, la participation aux élections régionales et départementales de 2021 s'est élevée à seulement 17 % chez les 18-24 ans, et à 19 % chez les 25-34 ans. Pour autant, la solution proposée ne semble pas opportune, pour des raisons à la fois juridiques et sociologiques.
Des raisons juridiques majeures s'opposent en effet à l'ouverture du droit de vote à 16 ans. Je rappelle que, conformément à l'alinéa 4 de l'article 3 de la Constitution, « sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ». Ainsi, il est clair que la majorité électorale découle de la majorité civile et que les deux majorités ne peuvent être dissociées.
Par conséquent, si nous souhaitions abaisser la majorité électorale, l'alternative serait la suivante : ou bien réviser la Constitution, ou bien abaisser, de façon concomitante, la majorité civile.
Or l'abaissement de la majorité civile à 16 ans ne peut constituer une option, au regard des risques importants que cela comporterait pour la protection juridique et sociale des jeunes âgés de 16 à 17 ans. En outre, octroyer le droit de vote à des individus qui ne sont pas juridiquement considérés comme capables ni responsables reviendrait à créer une catégorie inédite de citoyens, dont les seuls droits politiques excéderaient les devoirs.
Sur le plan sociologique, l'ouverture du droit de vote aux jeunes de 16 ans ne paraît pas non plus opportune.
En effet, cette mesure apparaît tout d'abord en décalage avec les attentes actuelles de la jeunesse. L'époque où tous les jeunes militaient pour un abaissement de la majorité électorale, comme cela a été le cas au début des années 1970, est bien loin !
Au contraire, d'après certaines enquêtes, une large part des jeunes estime aujourd'hui que la politique ne peut rien faire pour eux ; bien plus, pour beaucoup, l'exercice de la citoyenneté passe davantage par la participation aux manifestations et la signature de pétitions que par le recours aux outils traditionnels de la démocratie représentative.
Du reste, il est tout sauf assuré que l'ouverture du droit de vote aux jeunes âgés de 16 et 17 ans permette d'améliorer la participation des jeunes à moyen terme. La thèse selon laquelle les électeurs participeraient d'autant plus aux scrutins tout au long de leur vie qu'ils auraient commencé à voter jeunes est défendue par certains sociologues, sans pour autant faire l'unanimité.
Les précédents étrangers ne permettent d'ailleurs pas de conclure au caractère incitatif de cette mesure : en Autriche, qui est l'un des trois seuls pays de l'Union européenne à avoir abaissé la majorité électorale en deçà de 18 ans, l'enthousiasme suscité par l'acquisition du droit de vote est vite retombé, puisque le taux de participation des jeunes de 16 et 17 ans ne dépasse pas celui des jeunes de 18 à 24 ans.
En tout état de cause, une modification aussi substantielle du corps électoral ne saurait intervenir à quelques mois seulement du premier tour du scrutin présidentiel. En prévoyant une entrée en vigueur au 1 er janvier 2022, l'article 5 de la proposition de loi serait ainsi contraire au principe de stabilité du droit électoral, que cette commission et le Sénat ont entendu consacrer il y a moins de deux ans. Au demeurant, si nous étions prêts à consentir à une telle dérogation à ce principe, il serait impossible, de l'aveu même du ministère de l'intérieur, de procéder au recensement puis à l'inscription sur les listes électorales d'1,7 million de jeunes en l'espace de quelques mois.
Dans ces conditions, il me semble que la priorité est moins d'ouvrir le droit de vote à de nouvelles tranches d'âge que d'inciter les jeunes déjà dotés du droit de vote à en faire usage. Nous sommes en effet sensibles à l'urgence de ramener les jeunes aux urnes. Pour cela, il convient de les accompagner dans l'apprentissage de la citoyenneté, en amont et en parallèle de leur accession à la majorité.
Dans le cadre scolaire, il apparaît préférable de s'appuyer sur les enseignements existants afin de former les citoyens de demain, plutôt que de créer un nouvel enseignement obligatoire.
L'enseignement des sciences politiques et de l'histoire de la vie française et européenne, prévu par l'article 2 de la proposition de loi, recouvre largement les objectifs et le contenu de disciplines enseignées du primaire au lycée telles que l'histoire-géographie, mais aussi et surtout l'enseignement moral et civique.
Je souhaite souligner que ce dernier enseignement fait l'objet d'une évaluation au sein des épreuves du diplôme national du brevet, et depuis l'année scolaire 2019-2020, de celles du baccalauréat. Les programmes actuels permettent donc d'ores et déjà de former les élèves au fonctionnement des institutions et aux enjeux de la démocratie.
Par ailleurs, au sein de la société, de nombreuses formes de participation civique destinées aux jeunes âgés de moins de 18 ans sont à encourager, comme l'engagement associatif ou encore le service civique. Nous pouvons tous, en tant qu'élus, prendre notre part en la matière.
S'agissant enfin des dispositifs de participation à l'échelon local, il nous est proposé de rendre obligatoire la création d'un conseil de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et les départements.
Je tiens à rappeler que les collectivités locales se sont déjà largement approprié ces dispositifs favorisant l'engagement citoyen des jeunes, puisque près de trois quarts des régions et deux tiers des départements ont déjà institué de tels conseils, et que de nombreuses communes s'engagent aussi dans cette démarche. J'estime qu'il est primordial de faire confiance à cette intelligence du terrain plutôt que d'imposer, d'en haut, des obligations trop uniformisées.
Martine Filleul présente ce texte comme un tout. Afin d'en préserver la philosophie générale, je vous propose donc de rejeter l'ensemble de cette proposition de loi.
M. Éric Kerrouche . - Je vous remercie pour votre travail, mais je ne suis pas en accord avec vos conclusions.
J'ai entendu quelques arguments, notamment de droit. Le problème constitutionnel a été tranché par le Conseil d'État en 1974 lors de l'abaissement de l'âge de la majorité de 21 à 18 ans. L'article 3 de la Constitution que vous avez cité signifie non pas que seuls les Français majeurs disposant du droit de vote sont électeurs, mais que tous les Français majeurs le sont. Vous vous abritez derrière un argument qui n'en est pas un pour rejeter ce texte.
Par ailleurs, il existe déjà une pluralité de majorités. L'âge de la majorité civile, celui du droit de vote et celui de l'éligibilité ne coïncident que depuis 2011. Dès 16 ans, les jeunes peuvent participer à la création d'une association, être pompiers volontaires ou salariés. Pour certains, il paraît plus difficile d'accorder le droit de vote aux jeunes de 16 ans que d'abaisser la majorité pénale au même âge !
S'agissant de la socialisation, les avis sont certes partagés, mais la plupart des spécialistes s'accordent à dire qu'un « tunnel d'apprentissage électoral » qui commencerait à 16 ans permettrait une accommodation à la vie politique durablement bénéfique. Du reste, la question se pose avec d'autant plus d'acuité que les jeunes sont la tranche d'âge qui est la plus concernée par l'abstentionnisme. Cet apprentissage précoce permettrait ainsi de renouveler la cohorte des électeurs en favorisant des habitudes politiques plus précoces.
Les études qui ont été conduites sur le sujet montrent que l'abaissement de la majorité pourrait contribuer à augmenter la participation, car au-delà du phénomène de nouveauté, les jeunes répondraient positivement à la confiance qui leur est accordée.
Du reste, il n'est pas uniquement proposé de décréter un abaissement de l'âge électoral, mais de l'accompagner par des dispositifs renforcés ou nouveaux. S'il y a un domaine dans lequel notre décentralisation est défaillante, c'est bien la participation des citoyens.
Nous voterons ce texte et sommes en désaccord avec la manière dont il a été présenté par la rapporteure.
Mme Cécile Cukierman . - Notre groupe s'interroge sur la pertinence des mesures proposées pour améliorer la prise en compte des jeunes dans les politiques publiques et lutter contre l'abstention. La proposition, inscrite à l'article premier, d'abaisser le droit de vote à seize ans pose question. Cela reviendrait en effet à déterminer des majorités différentes selon les situations : pour pouvoir voter, se porter candidat ou être considéré comme majeur pénalement.
Cet abaissement de la majorité électorale de
dix-huit à seize ans ne peut en outre être comparé
à son abaissement de vingt et un à dix-huit ans en
1974. Si un jeune de seize ans d'aujourd'hui n'est pas comparable à un
jeune du même âge d'il y a quarante ans, il n'en reste pas
moins un mineur, sur lequel il faut veiller à ne pas faire peser trop de
responsabilités
- notamment celles impliquées par le
droit de vote.
Par ailleurs, de nombreuses collectivités instaurent des conseils de jeunes, des conseils des seniors, etc. Si je suis réticente à l'idée de cloisonner ainsi les citoyens, j'ai toujours défendu la libre administration des collectivités territoriales. Pour cette raison, inscrire l'obligation de l'institution de tels conseils dans la loi ne me paraît pas judicieux. Sans volonté politique locale à l'oeuvre, ce ne serait qu'une mascarade. A contrario , de telles initiatives, portées localement, peuvent constituer de belles expériences pour les jeunes concernés.
Il est vrai néanmoins que les conseils des jeunes se montrent souvent assez suivistes par rapport aux décisions prises par les adultes. Mais cela tient au fait que l'adulte est, pour le meilleur et pour le pire, une figure tutélaire.
Les cours d'éducation civique existent, au collège et au lycée, et sont sanctionnés régulièrement par des évaluations. Une séquence spécifique est consacrée, dans les cours d'histoire de quatrième et de troisième, à la construction du système politique français et de ses institutions. De mon expérience d'enseignante, il résulte que les élèves qui obtenaient les meilleures notes aux contrôles d'éducation civique ne sont pas devenus les citoyens les plus assidus au cours des scrutins. Le problème est ailleurs.
Inscrire dans la loi le caractère obligatoire de l'enseignement de l'histoire de la vie politique française et européenne constituerait une marque de défiance terrible à l'égard des enseignants. De plus, la vie politique européenne et l'histoire européenne n'ont, à mon sens, pas leur place dans nos programmes, contrairement à l'histoire française.
De manière générale, la présence de cet article 2 me surprend, car elle tend à faire croire que rien ne serait à fait à l'école pour prodiguer cet enseignement et qu'il faudrait passer par la loi pour y remédier. La réalité est bien plus complexe.
M. Guy Benarroche . - La situation de la démocratie participative en France est telle que j'approuve la volonté de nos collègues de tenter d'y trouver des solutions, dont rien ne prouve qu'elles ne seront pas efficaces. Sans résoudre intégralement le problème, elles pourront en effet aider à y parvenir.
Nous voterons cette proposition de loi. Je souhaiterais toutefois améliorer l'inscription des jeunes sur les listes électorales. En effet, de nombreux jeunes gens ne votent pas parce qu'ils sont mal inscrits.
M. François Bonhomme . - Peut-on considérer qu'à seize ans on est entièrement constitué, alors même que l'apprentissage scolaire se termine à dix-huit ans ? Disposer d'une formation suffisante pour pouvoir influer sur le cours collectif de son pays nécessite de passer par un certain cursus.
En revanche, la question de l'abaissement de la responsabilité pénale à seize ans n'est pas du même ordre. En effet, si la violence des jeunes a évolué, leur intérêt pour la chose publique a peu changé.
L'introduction d'une telle mesure à quelques mois de l'élection présidentielle paraît en outre malvenue.
Par ailleurs, instaurer un conseil des jeunes de manière obligatoire et rigidifiée me semble contrevenir à la libre administration des collectivités locales. Les communes ont pris de nombreuses initiatives pour impliquer les jeunes dans la vie publique. Or cette implication peut prendre diverses formes - y compris parfois des formes contestables, comme le blocage de routes par le mouvement « Extinction Rébellion ».
L'âge auquel on obtient le droit de vote doit être calé sur un certain stade de maturité. À cet égard, l'âge de dix-huit ans me paraît un bon équilibre.
M. Marc-Philippe Daubresse . - Au cours de la très large concertation avec les associations représentatives des jeunes qui a présidé à l'élaboration des 47 propositions du Livre vert pour la jeunesse de Martin Hirsch, publié en 2009, l'idée d'abaisser le droit de vote à seize ans n'est apparue à aucun moment. Elle n'a été proposée que plus tard, par l'Union nationale lycéenne (UNL).
En 2009, nous étions loin d'avoir tiré toutes les conséquences de la majorité à dix-huit ans - en matière d'éligibilité, de responsabilité civile, etc . La revendication principale était de donner à de jeunes gens la possibilité d'être responsables d'associations dès seize ans. Nous l'avons fait, sous la présidence de Nicolas Sarkozy - pour un succès qui s'avère plutôt mitigé onze ans après.
L'éducation nationale, et singulièrement l'éducation civique, joue effectivement un rôle majeur dans la montée en puissance des jeunes dans la vie publique. Il faut donner plus de moyens à l'éducation nationale pour réaliser cette mission. Le service civique constitue par ailleurs une mesure efficace.
Ce n'est pas par le biais d'une proposition de loi votée juste avant l'élection présidentielle que nous arriverons à résoudre le problème de la participation des jeunes à la vie publique. Il existe d'autres moyens pour les encourager à prendre des responsabilités dans la vie démocratique.
Mme Nadine Bellurot , rapporteure . - Monsieur Kerrouche, en 1974, le Gouvernement ne voulait pas dissocier durablement les majorités, mais procéder par étape. La doctrine actuelle conteste l'avis du Conseil d'État rendu à cette époque.
Monsieur Daubresse, il faut effectivement favoriser l'apprentissage de la vie politique, mais ce dernier peut prendre différentes formes.
Madame Cukierman, tous les enseignants assurent en effet l'éducation civique des élèves.
Il me paraît également important de ne pas obliger à la constitution de conseils des jeunes et de laisser aux collectivités plus de liberté dans leur organisation.
Il convient enfin de tenir compte de la maturité des jeunes et surtout de les protéger. Nous connaissons l'influence des réseaux sociaux sur la jeunesse. Mais aider la jeunesse et la protéger ne passe pas forcément par l'abaissement du droit de vote à seize ans. Pour toutes ces raisons, je vous propose de rejeter cette proposition de loi.
En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif du projet de loi.
Je vous propose d'indiquer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à la majorité électorale, aux enseignements obligatoires dans l'enseignement secondaire relatifs à la citoyenneté et à la formation afférente des enseignants du secondaire, et à l'institution et aux modalités de fonctionnement des conseils de jeunes.
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1 er
L'amendement COM-1 rectifié n'est pas adopté.
L'article 1 er n'est pas adopté.
Article 2
L'article 2 n'est pas adopté.
Article 3
L'article 3 n'est pas adopté.
Article 4
L'amendement COM-2 rectifié n'est pas adopté.
L'article 4 n'est pas adopté.
La proposition de loi n'est pas adoptée.
Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1 er |
|||
M. PACCAUD |
1 rect. |
Suppression de l'article 1 er qui abaisse la majorité électorale à 16 ans |
Satisfait
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Article 4 |
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M. PACCAUD |
2 rect. |
Suppression de l'obligation de création d'un conseil de jeunes dans toutes les communes de plus de 5 000 habitants et les conseils départementaux |
Satisfait
|