B. UNE MÉMOIRE RECONNUE PAR LES POUVOIRS PUBLICS
Parallèlement à ce travail scientifique pour établir les faits et les causes qui, malgré des divergences persistantes, a permis de dégager sur le 17 octobre 1961 et ses conséquences un certain nombre de consensus , un travail de mémoire s'est engagé porté par des associations et par des historiens militants. Depuis 2001, une cérémonie à lieu à Paris, organisée par la municipalité, à laquelle le Président de la République s'est associé en 2021.
Le 17 octobre 2012, le Président François Hollande publiait une déclaration ainsi rédigée : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d ' une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. »
Le 23 octobre 2012, le Sénat a pour sa part adopté la résolution proposée par Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de ses collègues, demandant la reconnaissance par la France de « la réalité des violences et meurtres commis à l'encontre de ressortissants algériens à Paris et dans ses environs lors de la manifestation du 17 octobre 1961 » et la réalisation d'un lieu du souvenir à la mémoire des victimes.
Le 17 octobre 2021, un communiqué de presse de la présidence de la République évoquait la répression « brutale, violente, sanglante » de la manifestation du 17 octobre 1961 et indiquait : « les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République.
La France regarde toute son Histoire avec lucidité et reconnaît les responsabilités clairement établies. Elle le doit d'abord et avant tout à elle-même, à toutes celles et ceux que la guerre d'Algérie et son cortège de crimes commis de tous côtés ont meurtris dans leur chair et dans leur âme. Elle le doit en particulier à sa jeunesse, pour qu'elle ne soit pas enfermée dans les conflits de mémoires et construise, dans le respect et la reconnaissance de chacun, son avenir. »
Cette déclaration intervient après la remise, le 20 janvier 2021, du rapport de l'historien Benjamin Stora, chargé en juillet 2020 par le Président de la République de « dresser un état des lieux juste et précis » sur la mémoire de la colonisation et de la guerre d'Algérie 5 ( * ) , qui, parmi une trentaine de préconisations, propose la constitution d'une Commission « Mémoires et vérité » chargée d'impulser des initiatives communes entre la France et l'Algérie sur les questions de mémoires. Cette commission pourrait « notamment proposer :
« - La poursuite de commémorations, comme celle du 19 mars 1962, demandée par plusieurs associations d'anciens combattants à propos des accords d'Evian, premier pas vers la fin de la guerre d'Algérie. D'autres initiatives de commémorations importantes pourraient être organisées autour : de la participation des Européens d ' Algérie à la Seconde guerre mondiale ; du 25 septembre, journée d'hommage aux harkis et autres membres de formations supplétives dans la guerre d'Algérie ; de la date du 17 octobre 1961, à propos de la répression des travailleurs algériens en France. À tous ces moments de commémorations pourraient être invités les représentants des groupes de mémoires concernés par cette histoire. »
Au regard de la reconnaissance de l'événement et des préconisations du rapport Stora, la proposition de loi propose d'aller plus loin dans la voie de la reconnaissance et de la commémoration en les prévoyant par la loi.
Les « lois mémorielles »
Sur le plan juridique, la reconnaissance d'un événement par le législateur est dépourvue de portée normative. Le Conseil constitutionnel a eu au moins à deux reprises, en 2012 (décision n° 2012-647 DC du 28 février 2012, loi visant à réprimer la contestation de l'existence des génocides reconnus par la loi) et en 2017 (décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, loi relative à l'égalité et à la citoyenneté), l'occasion de le rappeler. Le législateur est libre de reconnaître des faits mais les conséquences qui peuvent découler de cette reconnaissance sont limitées. Il ne peut attacher de conséquences pénales à la reconnaissance d'un événement : seule une décision de justice peut qualifier pénalement des faits.
* 5 Rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie, Benjamin Stora, janvier 2021.