C. UNE ACTUALISATION QUI AURAIT DU PERMETTRE D'AJUSTER L'AMBITION DE LA LPM AU REGARD DU CONTEXTE GÉOSTRATÉGIQUE

Diverses tendances de fond auraient justifié une mise à jour stratégique d'ampleur élaborée conjointement avec le Parlement.

Tout d'abord, la LPM est construite sur l'objectif d'un effort national en faveur des armées porté à 2 % du PIB en 2025. La programmation ne prévoit toutefois aucun montant en valeur absolue ; l'absence d'actualisation de la trajectoire fixée par la loi fragilise donc la portée de la LPM.

De manière plus générale, le rapporteur spécial tient à replacer l'exécution de la LPM 2019-2025 dans un contexte d'incertitudes géostratégiques particulièrement prononcées.

La « mort cérébrale » de l'OTAN, annoncée à la suite du lancement de l'opération « Source de paix » par l'armée turque le 9 octobre 2019 contre les Forces démocratiques syriennes dans le nord de la Syrie, n'a depuis lors fait que s'accélérer, culminant récemment avec l'officialisation de l'alliance AUKUS 14 ( * ) , scellée au détriment d'un contrat d'exportation de sous-marins d'attaques entre la France et l'Australie.

La multiplication des tensions dans la zone indopacifique, où la France possède deux départements et trois territoires d'outre-mer, et dont l'alliance AUKUS constitue également un révélateur, témoigne de l'augmentation des risques non envisagés par la présente LPM.

Enfin, le risque d'un retour de conflits conventionnels doit être pris en compte. Surtout, le format actuel des armées française et européennes (en comparaison à certains pays comme la Russie) ne permet pas de décupler le niveau d'engagement sur les théâtres extérieurs, notamment en cas de confrontation à une armée de « masse » et mettant en oeuvre du matériel lourd. La présence de troupes russes à la frontière ukrainienne en avril 2021 a rappelé qu'une telle hypothèse ne pouvait être pleinement exclue . Le retour à des conflits de « haute intensité » constitue une hypothèse connue par la France.

Cette prise en compte de la « haute intensité » se traduit ainsi par la réappropriation de savoir-faire opérationnels répondant à l'ambition d'un modèle d'armée complet et par le durcissement de l'entraînement des forces terrestres.

La préparation de l'armée de terre à la haute intensité (HI)

Il s'agit tout d'abord d'intégrer de nouvelles compétences liées à l'élargissement du spectre de la conflictualité en termes de nature de la menace. Ainsi, certains domaines comme la cyberdéfense, la lutte anti-drones, la navigation terrestre ou la prise en compte des effets dans les champs immatériels sont désormais associés à tous les niveaux de la programmation opérationnelle et intégrés systématiquement dans l'élaboration des exercices interarmées ou interalliés. En outre dans le cadre de la HI, l'armée de Terre opère un durcissement de l'entraînement des forces terrestres. Elle augmente la complexité de ses entraînements par la constitution d'une force d'opposition à niveau égal, apte à la défier dans tous les domaines du combat mais aussi par la réalisation de grands exercices du niveau divisionnaire, dont la première occurrence, ORION, se tiendra en 2023.. Par ailleurs, elle adapte les conditions intellectuelles et matérielles de sa préparation opérationnelle, en mettant en oeuvre de nouvelles méthodes de formation et d'entraînement fondées sur la maîtrise de la technologie, la résilience face à sa disparition, l'initiative et l'endurance.

Source : réponse au questionnaire budgétaire

Le ministère des armées indique que ce nouveau paradigme fait l'objet de l'axe 3 de l'ajustement de la LPM, qui vise à « mieux se préparer » à prendre l'ascendant sur des adversaires plus agiles dans tous les champs de la conflictualité (voir supra, partie sur l'actualisation stratégique). L'actualisation consacre 450 millions d'euros à ce nouvel axe en deuxième partie de LPM. Il est toutefois fort probable que ce montant soit insuffisant, tant ce changement de paradigme impliquerait une réflexion capacitaire plus globale.

De même, la marine nationale a lancé en janvier 2021 le projet « Mercator, accélération 2021 » portant sur neuf projets dans les domaines du combat, de l'innovation et des ressources humaines. Le major général de la marine nationale a indiqué que ce dernier ne comprenait aucun effet budgétaire majeur, si ce n'est une augmentation des crédits inférieure à 15 millions d'euros visant à l'exploration des fonds marins et le traitement numérique de données marines. Le rapporteur spécial estime que ces actualisations stratégiques sont bienvenues, mais là encore très en deçà des besoins résultant de la préparation à la haute intensité, et plus spécifiquement pour la marine nationale à l'émergence des tensions dans la zone indopacifique.

Ces évolutions auraient justifié une réflexion sur les ambitions mêmes de la LPM pour assurer l'autonomie stratégique de la France et de l'Union européenne, et une modification de la trajectoire fixée par la loi.

Part des dépenses militaires 15 ( * ) dans le PIB
et proportion de personnel des forces armées dans la population active en 2020

(en %)

Note : la part des dépenses militaires dans le PIB contient notamment les dépenses de retraite.

Source : commission des finances, d'après Stockholm Peace Research Institute

Le rapporteur spécial rappelle que, replacée dans une perspective longue, la LPM ne constitue pas une rupture majeure en termes de part des dépenses militaires dans le PIB. La part des dépenses militaires en 2020 (retraites comprises) atteint un niveau proche de celui constaté en 2008 (du fait de la contraction du PIB consécutif à la crise financière). De même, il reste significativement inférieur à celui des années 1980 (de l'ordre de 3 %).

Part des dépenses militaires 16 ( * ) dans le PIB de la France depuis 1960

(en %)

Source : commission des finances, d'après Stockholm Peace Research Institute


* 14 Australie, Grande-Bretagne, États-Unis.

* 15 Les données sur les dépenses militaires du Stockholm International Peace Research Institute sont dérivées de la définition de l'OTAN qui englobe toutes les dépenses courantes et en capital pour les forces armées, notamment les forces du maintien de la paix, les ministères de la défense et autres agences gouvernementales participant à des projets de défense, les forces paramilitaires si elles sont jugées comme étant formées et équipées pour assurer des opérations militaires et les activités dans l'espace militaire. De telles dépenses comprennent les dépenses engagées pour le personnel civil et militaire, notamment les pensions de retraite du personnel militaire et les services sociaux pour le personnel, l'exploitation et la maintenance, l'approvisionnement, la recherche et le développement et l'aide militaire (dans les dépenses militaires du pays donateur). Sont exclues de ces dépenses, la défense civile et les dépenses attribuables à des activités militaires précédentes, telles que les prestations des vétérans, la démobilisation, la conversion et la destruction d'armes.

* 16 Ibid.

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