EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 19 octobre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Pascal Savoldelli, rapporteur spécial, sur la mission « Remboursements et dégrèvements ».
M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial de la mission « Remboursements et dégrèvements ». - La mission « Remboursements et dégrèvements » retrace les dépenses budgétaires résultant mécaniquement de l'application des dispositions prévoyant des dégrèvements, des remboursements ou des restitutions d'impôt. Le caractère mécanique de ces dépenses implique que les crédits de la mission soient évaluatifs ; ils ne constituent pas un plafond, à la différence des missions budgétaires classiques.
La mission est composée de deux programmes, l'un consacré aux remboursements et dégrèvements d'impôts d'État, l'autre aux mêmes opérations pour les impôts directs locaux.
Pour 2022, 124 milliards d'euros de crédits sont demandés au titre de la présente mission, soit une hausse d'un peu plus de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances pour 2021. Il s'agit de la première mission du budget de l'État en crédits de paiement. Pour la première fois, elle est dépassée en autorisations d'engagement par l'ouverture de 165 milliards d'euros sur la mission « Engagements financiers de l'État », pour financer le cantonnement de la dette covid.
Le niveau relativement limité de cette hausse masque en réalité le maintien d'un fort dynamisme des restitutions de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Celles-ci devraient être en augmentation de plus de 10 % en 2022, du fait de la croissance ininterrompue du nombre de dossiers déposés par les entreprises.
Je commencerai par aborder les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État. Les dépenses du programme 200 ont augmenté de 55 milliards d'euros depuis 2013. Ce montant considérable justifierait un renforcement des dispositifs d'évaluation des politiques publiques financées par le programme, ainsi que l'augmentation des moyens affectés au contrôle, en particulier en matière de fraude à la TVA. À titre de comparaison, l'augmentation des crédits en sept ans correspond à la totalité des crédits dédiés annuellement à la mission « Enseignement scolaire ».
Les remboursements et dégrèvements d'impôts d'État sont évalués à 124 milliards d'euros en 2022. Ce montant est en augmentation de 1,5 milliard d'euros par rapport à la loi de finances initiale pour 2021, dans le prolongement de la hausse quasi ininterrompue de ces crédits depuis 2010.
Plusieurs paramètres permettent d'expliquer cette augmentation. Les remboursements de crédits de TVA, qui sont particulièrement dynamiques, représentent, en valeur, la part la plus importante des remboursements et dégrèvements d'impôts d'État. Avec 63,5 milliards d'euros évalués pour 2022, ces opérations devraient atteindre leur plus haut niveau historique. En moins de dix ans, la sous-action relative aux restitutions de TVA a augmenté de 13,5 milliards d'euros. Il est nécessaire de fournir une information approfondie aux parlementaires sur les causes de cette trajectoire en hausse.
En outre, le programme 200 retrace les coûts des contentieux fiscaux, notamment des contentieux relevant du droit de l'Union européenne, dont la charge pour l'État est très élevée. Les contentieux des organismes de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM), de la taxe additionnelle sur les dividendes et du précompte mobilier devraient représenter respectivement 11 milliards d'euros, 9,5 milliards d'euros et 5 milliards d'euros.
Je relève dans mon rapport la priorité donnée par les institutions de l'Union européenne aux marchés et à l'égalité de traitement entre les entreprises, au détriment d'autres objectifs qui me semblent prioritaires, tels que l'urgence sociale, économique et environnementale.
En outre, la course au moins-disant en matière de fiscalité des entreprises, au niveau européen tant que mondial, conduit à réduire toujours davantage le niveau d'impôt sur les sociétés. Mais on ne s'interroge jamais sur le niveau le plus juste d'imposition des entreprises dans une société avancée. Je salue les avancées réalisées dans le cadre de l'OCDE pour une imposition minimale des entreprises, bien qu'elles me paraissent insuffisantes : les critères de chiffre d'affaires, la marge bénéficiaire à 10 %, les stratégies comptables favorisant l'endettement, la complexité fiscale ou encore le nombre de signataires de l'accord invitent à relativiser la portée de celui-ci.
J'ai fait le choix cette année de m'intéresser au crédit d'impôt recherche (CIR). Son coût, en dépit de variations conjoncturelles, est en forte hausse depuis la réforme de 2008. Alors qu'il s'établissait à 1,7 milliard d'euros en 2007, il devrait atteindre 7,4 milliards d'euros en 2022. Ainsi, le coût du dispositif a plus que quadruplé en quinze ans. La réforme de 2008 a consisté à porter le crédit d'impôt à 30 % des dépenses de recherche et développement (R&D) des entreprises en deçà du seuil de 100 millions d'euros, et à 5 % au-delà. Le rapport intitulé « Examens de l'OCDE des politiques d'innovation : France 2014 » indique que le coût pour le budget de l'État a explosé suite à la réforme de 2008.
Le principal effet du CIR est d'offrir aux entreprises bénéficiaires des réductions d'impôts significatives. L'Institut des politiques publiques (IPP), dans une étude de juin 2021, relève, pour les petites et moyennes entreprises (PME), les effets positifs du CIR sur l'emploi des ingénieurs et sur la croissance du chiffre d'affaires des entreprises. Cependant, les différents travaux récents peinent à établir les effets positifs du CIR sur la R&D des entreprises de taille intermédiaire (ETI) et des grandes entreprises.
D'après les estimations qui m'ont été communiquées, les cinquante premières entreprises éligibles au CIR concentrent, à elles seules, près de 45 % du bénéfice du dispositif. Les 200 premières entreprises représentent quant à elles près des deux tiers du coût total. En ce qui les concerne, les effets du dispositif ne sont pas documentés. La question de l'efficience du dispositif doit donc pouvoir être posée. Ainsi, le passage d'un seuil de 100 à 10 millions d'euros pour la prise en charge de 30 % des dépenses n'affecterait que deux cents entreprises, pour une économie de près de 4 milliards d'euros.
Les entreprises en question bénéficient déjà de la trajectoire de baisse de l'impôt sur les sociétés, soit d'un taux normal d'imposition établi à 25 % en 2022. Cette trajectoire de baisse pourrait, a minima , être l'occasion de rationaliser cette niche fiscale. Les moyens dégagés pourraient permettre d'abonder directement le budget de la recherche, alors que la France est encore très en deçà de l'objectif fixé à 3 % du produit intérieur brut (PIB) fixé par la stratégie de Lisbonne pour les dépenses de recherche. En 2017, la dépense intérieure de recherche et développement des entreprises (Dirde) de notre pays s'est élevée à 49,5 milliards d'euros, soit 2,21 % du PIB. À titre de comparaison, elle atteignait 3,21 % du PIB au Japon, 4,55 % en Corée du Sud, 2,79 % aux États-Unis et 3,04 % en Allemagne.
Face au constat unanime d'un décrochage de la recherche en France, dans un contexte très concurrentiel, nous devons redoubler d'ambition pour favoriser la recherche. Nous ne saurions nous satisfaire d'un dispositif fiscal inefficient pour favoriser la recherche au sein des grandes entreprises.
Les crédits du programme « Remboursement et dégrèvements d'impôts locaux », quant à eux, enregistrent une nouvelle baisse à la suite de celle qui a été constatée en 2021. Cette diminution est bien moins importante que celle du précédent PLF, puisque les crédits, qui étaient passés de 23 milliards d'euros à 6,9 milliards d'euros entre 2020 et 2021, s'établissent à 6,6 milliards pour 2022. Ses causes demeurent inchangées : la réforme de la taxe d'habitation et des impôts de production continue de produire ses effets sur le niveau des crédits.
La réforme de la taxe d'habitation doit se poursuivre en 2022, avec une exonération de 65 % pour les 20 % des ménages les plus aisés ; elle s'achèvera en 2023, avec une exonération totale de cette catégorie de ménages.
Après une baisse de 2,3 milliards d'euros entre 2020 et 2021, les impôts de production enregistrent une nouvelle baisse de 350 millions d'euros en 2022, laquelle s'explique par l'abaissement de 3 à 2 % du plafonnement de la contribution économique territoriale (CET) en fonction de la valeur ajoutée des entreprises.
Au-delà de ces éléments chiffrés, la réforme des impôts de production, comme celle de la taxe d'habitation, génère une perte d'autonomie financière pour les collectivités : les recettes perçues via la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) sont désormais remplacées par une fraction de la TVA. Cette nouvelle recette est très sensible à la conjoncture ; de surcroît, elle n'est pas sécurisée, ce qui ne permet pas de limiter l'impact d'une crise économique sur les collectivités.
Les recettes issues de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) et de la cotisation foncière des entreprises (CFE) sont remplacées par un prélèvement sur recettes. Cette compensation prive, une nouvelle fois, les collectivités de leur pouvoir de taux et ne présente aucune garantie dans son montant ou sa durée.
Le Gouvernement a voulu diminuer le poids de la fiscalité locale, via la réforme des impôts de production, pour améliorer la compétitivité des industries françaises et l'attractivité de certaines régions. Mais cette réforme ne favorise pas l'industrie dans la mesure où la baisse de la CVAE est applicable à toutes les entreprises, ce qui implique que les plus gros gains, calculés au niveau départemental, touchent non pas les départements qui comptent le plus d'industries, mais ceux qui comptent le plus d'entreprises. Ainsi, Paris et les Hauts-de-Seine, qui ne comptent que très peu d'établissements industriels, vont concentrer respectivement 890 millions d'euros et 711 millions d'euros des baisses d'impôts.
Dans ce contexte, il est peu probable que cette réforme ait un impact sur la répartition territoriale des implantations industrielles, puisqu'elle s'applique uniformément au niveau national et qu'elle ne sera pas en mesure d'accroître l'attractivité et l'emploi dans certaines régions, notamment dans celles qui sont le moins industrialisées. D'autant plus que le lien entre impôts de production et compétitivité n'est pas établi, comme l'indiquent les données OCDE « Impôt sur les biens et services ». La fiscalité locale est loin d'être la préoccupation majeure des entreprises, contrairement au cadre de vie, aux dessertes ou aux bassins d'emploi.
M. Jean-François Husson , rapporteur général. - Le rapporteur spécial s'est livré à un exercice peu évident. Il a, sans commettre de digressions trop importantes, fait sentir combien l'application des remboursements et dégrèvements l'interpelle. Cette mission budgétaire n'est qu'une conséquence mécanique de dispositifs répondant à des obligations auxquelles nous ne pouvons pas nous soustraire. Ainsi, je suis pour ma part favorable à l'adoption des crédits de la mission.
M. Thierry Cozic . - Avec la disparition du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE), le CIR représente aujourd'hui la première dépense fiscale. Selon vous, ses effets positifs sur l'effort de recherche des ETI et des grandes entreprises ne seraient pas démontrés. Ne serait-il pas pertinent de conditionner le CIR à des critères environnementaux ?
L'an dernier, vous encouragiez le Gouvernement « à mieux proportionner les moyens de la lutte contre la fraude à la TVA et à s'inscrire dans une stratégie de long terme de lutte contre la fraude. » Chaque année, cette fraude implique une perte de recettes particulièrement importante pour les finances de l'État. En décembre 2019, la Cour des comptes évaluait la fraude à la TVA à près de 15 milliards d'euros. La stratégie que vous proposiez il y a un an a-t-elle été mise en oeuvre par l'État ? A-t-on des résultats positifs ?
M. Jérôme Bascher . - Alors que le Gouvernement a révisé ses prévisions de croissance, les dégrèvements ont-ils été affectés ?
M. Pascal Savoldelli , rapporteur spécial. - Je ne possède pas d'informations sur l'avancée de la nouvelle stratégie engagée en matière de lutte contre la fraude à la TVA ; je peux simplement dire qu'elle doit être une bataille de longue haleine. Nous devrions demander au Gouvernement de fixer plus clairement des étapes, de façon à structurer les résultats dans le temps.
Dans mes travaux, j'ai réfléchi à conditionner le CIR à des critères. Je n'ai pas, à ce titre, envisagé de critère environnemental. C'est plutôt la protection de la santé publique qui m'a préoccupé dès le départ. Le CIR bénéficie de façon massive à la santé via la recherche pharmaceutique. Les enjeux posés par la pandémie sont tels qu'il faudrait réfléchir à instituer des taux différents de versement du CIR aux entreprises qui s'engagent dans la recherche en santé publique. Mais ce serait complexe à mettre en oeuvre et heurterait la liberté d'entreprendre.
Quant au passage du seuil de 100 millions d'euros à 10 millions d'euros, il faut en faire l'analyse et en débattre, et trouver le bon véhicule législatif. Je propose de consacrer plus à la recherche publique, cela aiderait des structures qui ont d'importants défis à relever.
Enfin, sur la question de la révision de la croissance pour 2021, celle-ci entraine mécaniquement une diminution des restitutions d'impôt sur les sociétés en 2022. Les résultats des entreprises devraient en effet être meilleurs qu'anticipés en 2021.
Je n'ai pas souhaité relancer le débat sur l'ensemble des politiques qui sous-tendent les remboursements et dégrèvements et c'est pour cette raison que je vous propose un vote favorable pour les crédits de la mission.
La commission a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission « remboursements et dégrèvements ».
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Réunie à nouveau le jeudi 18 novembre 2021, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a procédé à l'examen définitif de l'équilibre, des missions, des budgets annexes, des comptes spéciaux et des articles rattachés de la seconde partie.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - La commission a adopté sans modification les crédits de la mission, de même que l'Assemblée nationale en première délibération. L'Assemblée nationale a également adopté un article additionnel 50.
Le rapporteur spécial vous propose de confirmer l'adoption des crédits de la mission.
L'article 50 vise à ce qu'un rapport soit remis par le Gouvernement au sujet des intérêts moratoires dus par l'État aux contribuables dans les contentieux fiscaux. Ceux-ci représentent des montants très importants pour la mission - près de 800 millions prévus pour 2022, de sorte que le rapporteur spécial vous propose d'accepter la demande de rapport et d'adopter l'article 50 sans modification.
La commission a confirmé sa décision de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, des crédits de la mission.
Après avoir pris acte des modifications apportées par l'Assemblée nationale, elle a décidé de proposer au Sénat l'adoption, sans modification, de l'article 50.