B. UNE AUGMENTATION DES DÉPENSES EN TROMPE-L'oeIL
Dans le projet de loi de finances pour 2022, les prévisions de recettes sont stables (370 millions d'euros) par rapport à la LFI pour 2021.
En revanche, les dépenses augmentent nettement : elles passent de 275 millions d'euros l'année dernière à 420 millions , soit une progression de 52,7 %. Cette progression doit toutefois être nuancée pour trois raisons :
- le niveau de dépense reste inférieur à celui de 2020 (447 millions d'euros), qui était lui-même en diminution de 20,43 % par rapport à 2019 ;
- la quasi-totalité de cette augmentation provient de l'action 11, « opérations structurantes et cessions », dont les crédits de paiement ont été presque multipliés par 2,4 depuis 2021 ;
- les crédits rassemblés des actions 12 à 14, qui portent sur l'entretien de l'immobilier de l'État, diminuent de 3 % ;
- cette augmentation des dépenses conjuguée à une stagnation des recettes aboutit à un solde déficitaire du CAS de 50 millions d'euros alors qu'il était en excédent de 105 millions en LFI pour 2021.
L'augmentation des crédits de paiement ouverts pour le CAS « Gestion du patrimoine immobilier de l'Etat » ne doit donc pas masquer l'attrition de ses recettes. Cela risque de présenter un danger pour la valorisation du patrimoine immobilier de l'État, puisque ce déficit pourrait à terme se traduire par une contraction des dépenses.
1. Une remise en question dommageable de la sanctuarisation des dépenses d'entretien
Dans le PLF 2022, 21,57 % des crédits de paiement du CAS seraient alloués à l'action 14 « Gros entretien, réhabilitation, mise en conformité et remise en état » . Il s'agit d'une diminution importante par rapport à 2021, où ce taux était de 35 %. L'action connaît également une baisse en valeur sur les deux années, passant de 98,3 à 90,6 millions d'euros.
Le rapporteur spécial regrette vivement la diminution de ces dépenses . La cible de 30 % de crédits consacrés à l'action était un seuil pertinent pour éviter la dépréciation des biens et pour continuer de valoriser le patrimoine immobilier de l'État.
La direction de l'immobilier de l'Etat s'était également fixée comme cible de maintenir l'ensemble des dépenses d'entretien du propriétaire (c'est-à-dire les actions 12 à 14 du programme 723) au niveau de 160 millions d'euros.
En 2021 ces actions disposaient de suffisamment de crédits (165 millions d'euros) pour que cet objectif soit rempli, à condition que quasiment tous les crédits ouverts soient consommés. Sachant qu'au 30 août 2021 environ 60 % des crédits ont été consommés, il n'est pas encore possible de dire si la cible des 160 millions d'euros sera atteinte.
En 2022, la marge de manoeuvre est encore réduite puisque les actions 12 à 14 disposent exactement de 160 millions d'euros de crédits. À ce titre, il faut relever que le programme a connu plusieurs sous-exécutions notables des crédits de paiement hors période de crise, avec par exemple un écart de dépense par rapport à la LFI de - 17,4 % en 2018 et de - 20,12 % en 2019. L'exécution cette année des crédits est donc loin d'être une garantie.
Il apparaît ainsi que l'objectif des 160 millions d'euros ressemble davantage à une limite formelle qu'à une véritable sanctuarisation des dépenses d'entretien.
Le rapporteur spécial tient à rappeler l'importance, au-delà des projets structurants, des plus petits projets ou opérations d'entretien . Ce sont tous ces projets qui permettent une gestion efficace du parc immobilier et, d'un point de vue budgétaire, ils sont utiles pour éviter des dépenses futures et bien plus lourdes.
Ces projets de moindre envergure ne requièrent pas moins un haut de niveau de technicité. Pour cela, il est impératif de disposer des compétences nécessaires . Or, dans les ministères, ce sont très souvent des personnels non spécialisés qui s'occupent de cette fonction support. Le coût supplémentaire que représenterait cette professionnalisation serait très certainement plus que compensé par les améliorations ainsi permises en termes de gestion et d'entretien du parc.
Un indicateur de performance relatif à l'effort d'entretien du parc immobilier par l'État propriétaire est présenté depuis 2019 dans le document de politique transversale relatif à la politique immobilière de l'État (PIE). Il calcule ce taux d'entretien en rapportant, par mètre carré de surface utile brute, les dépenses immobilières de gros entretien-renouvellement consacrées au parc immobilier de l'État.
Le rapporteur spécial regrette de voir ce taux d'effort stagner voire diminuer (31,40 euros en 2020, contre 30 euros estimés pour 2021), alors même que les dépenses d'entretien sont primordiales à la valorisation du patrimoine immobilier de l'État . Il est par ailleurs dommageable que l'indicateur ne retienne pas d'éléments de comparaison sur ce taux d'effort ou d'indicateur d'efficacité de ces dépenses.
2. Les opérations structurantes gonflent les dépenses du CAS sans être révélatrices d'une tendance de long terme, en raison d'un solde déficitaire
L'action 11, « opérations structurantes et cessions », a progressé de 44,8 % en autorisations d'engagement et de 136,4 % en crédits de paiement. Cette progression explique quasiment à elle seule l'augmentation des dépenses de l'ensemble du CAS. Pour autant, elle ne révèle pas une montée en puissance durable du programme 723, mais un effet de conjoncture.
Les « opérations structurantes » désignent l'ensemble des travaux qui visent, à travers des modifications structurelles, à améliorer le potentiel de service. Concrètement, il s'agit principalement des travaux de remise à neuf, de restructuration et d'agrandissement. L'action inclut également les frais accessoires directement à la cession d'un bien, comme l'organisation matérielle ou les expertises techniques. Les principales opérations structurantes pour l'année à venir sont publiées tous les ans dans les documents budgétaires.
Les principales opérations structurantes prévues pour 2022
Les principales opérations à financer sur l'action 11 « opérations structurantes et cessions » en autorisations d'engagement, un préalable nécessaire au déblocage des crédits de paiement, seraient les suivantes :
- 56,4 millions d'euros pour le projet Quai d'Orsay XXI du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ;
- 30 millions d'euros pour les opérations immobilières de Saclay par le ministère de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation ;
- 29,3 millions d'euros pour le projet de Saint-Mandé mené par le ministère de la transition écologique ;
- 16 millions d'euros pour la poursuite du projet de la cité du renseignement par le ministère de l'intérieur.
Source : documents budgétaires
Les quatre principales opérations structurantes pour 2022 aboutissent à un montant de 131,7 millions d'euros en autorisations d'engagement. Ce chiffre est à mettre en comparaison avec les dépenses relatives aux quatre premières opérations structurantes de 2021, qui étaient évaluées à 40,3 millions d'euros, soit un niveau inférieur de près de 70 % par rapport à 2022.
Même si tous les crédits de paiement concernant ces opérations ne seront pas nécessairement débloqués en 2022, le cumul de ces autorisations d'engagement montre qu'une partie significative de la progression de l'action 11 vient de ces opérations structurantes « majeures ».
Il n'est bien entendu pas question de remettre en cause l'opportunité de ces travaux, qui sont nécessaires pour la préservation du patrimoine immobilier de l'Etat. Il s'agit pour le rapporteur spécial de souligner que la progression des dépenses associées aux opérations structurantes cette année n'est pas nécessairement représentative d'une tendance de long terme d'augmentation des capacités d'action du CAS.
Plus inquiétant encore : l'évolution des dépenses du CAS dépend étroitement du dynamisme des recettes. Or il est prévu que celles-ci stagnent en 2022 à 370 millions, ce qui a pour conséquence que le CAS se retrouve en déficit de 50 millions d'euros.
Sur le moyen et long terme, le dynamisme du CAS se retrouve ainsi limité, ce qui est par ailleurs écrit explicitement dans les documents budgétaires : « Les projets immobiliers structurants étant financés en tout ou partie par les produits de cessions encaissés, le montant d'AE engagées suit la tendance des encaissements de recettes de cessions, qui stagne depuis trois ans (hors encaissements exceptionnels de produit de cession). »
Ce sont pourtant les recettes qui conditionnent les dépenses visant à valoriser le parc immobilier de l'État, en vue notamment de faciliter les cessions. Un cercle vicieux pourrait donc s'installer entre chute des recettes et dégradation de l'état du parc immobilier de l'État.