Rapport n° 158 (2021-2022) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 17 novembre 2021

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N° 158

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 17 novembre 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à créer une commission d' enquête sur la situation de l' hôpital et le système de santé en France ,

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir le numéro :

Sénat :

138 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 17 novembre 2021, la commission des lois a examiné, sur le rapport de son président, François-Noël Buffet , la recevabilité de la proposition de résolution n° 138 (2021-2022), présentée par Bruno Retailleau e t les membres du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés, tendant à créer une commission d'enquête sur la situation de l' hôpital et le système de santé en France .

Compte tenu de son objet, cette proposition de résolution a été envoyée au fond à la commission des affaires sociales.

Le groupe Les Républicains a fait savoir qu'il demanderait la création de cette commission d'enquête au titre de son « droit de tirage ». Prévue à l'article 6 bis du Règlement du Sénat, cette procédure permet à chaque groupe politique d'obtenir, de droit, une fois par année parlementaire, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information.

Conformément à l'article 8 ter du Règlement, la commission des lois s'est prononcée sur la recevabilité de la proposition de résolution .

Le rapporteur a constaté que l'objet de la commission d'enquête envisagée portait, au sens large, sur la gestion de services publics
- l'organisation et le financement du système de santé, l'accès aux soins, le fonctionnement et le rôle de l'hôpital public - et non sur des faits déterminés.

Il a indiqué que la proposition de résolution entrait donc bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux sur l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours, et qu'elle respectait les conditions de recevabilité posées par ce même article et par le Règlement du Sénat.

En conséquence, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution était recevable . Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .

I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE PAR LE « DROIT DE TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE

Chaque groupe politique du Sénat a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire 1 ( * ) .

Le groupe politique à l'origine de la demande de création a, en outre, le droit d'obtenir que la fonction de président ou de rapporteur soit confiée à l'un de ses membres 2 ( * ) .

Article 6 bis du Règlement du Sénat

« 1. - Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. La demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information est formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des Présidents qui doit en prendre acte.

« 2. - La fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres. »

Article 6 ter du Règlement du Sénat

« 1. - La demande de création d'une commission d'enquête en application de l'article 6 bis prend la forme d'une proposition de résolution qui détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.

« 2. - Les alinéas 3, 4 et 5 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition et à la désignation des membres de la commission d'enquête sont applicables. »

Communément appelé « droit de tirage », ce droit attribué à chaque groupe du Sénat, qu'il se soit ou non déclaré d'opposition ou minoritaire , a donné une réelle consistance au nouvel article 51-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Celui-ci prévoit en effet que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein » et « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ». S'il n'était pas nécessaire, en tout état de cause, qu'une telle disposition figurât dans la Constitution pour que les règlements fussent en mesure de déterminer les droits des groupes - ce qu'ils font depuis le début du XX ème siècle -, cette disposition assure la reconnaissance au niveau constitutionnel des groupes politiques et de leur rôle au sein des assemblées.

Lorsqu'un groupe demande la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information et fait connaître son intention d'utiliser à cette fin son « droit de tirage » annuel, la Conférence des présidents prend acte de la demande. Cette prise d'acte vaut création de la commission d'enquête ou de la mission d'information.

Depuis juin 2009, vingt-quatre commissions d'enquête ont été créées sur le fondement du « droit de tirage » :

- sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1v), créée en 2010 ;

- sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée en 2012 ;

- sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, créée en 2012 ;

- sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée en 2012 ;

- sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée en 2013 ;

- sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée en 2013 ;

- sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, créée en 2013 ;

- sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée en 2014 ;

- sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays, créée en 2014 ;

- sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession, créée en 2015 ;

- sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, créée en 2015 ;

- sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée en 2015 ;

- sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, ainsi que sur l'impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, créée en 2016 ;

- sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi dans la durée, créée en 2016 ;

- sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen, créée en 2016 ;

- sur l'état des forces de sécurité intérieure, créée en 2018 ;

- sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État Islamique, créée en 2018 ;

- sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République, créée en 2018 ;

- sur la souveraineté numérique, créée en 2019 ;

- et sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, créée en 2019 ;

- sur les problèmes sanitaires et écologiques liés aux pollutions des sols qui ont accueilli des activités industrielles ou minières, et sur les politiques publiques et industrielles de réhabilitation de ces sols, créée en 2020 ;

- sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières, créée en 2020 ;

- sur l'influence croissante des acteurs du secteur privé sur la détermination et la conduite des politiques publiques, créée en 2021 ;

- sur les processus ayant permis ou pouvant aboutir à une concentration dans les médias en France et d'évaluer l'impact de cette concentration dans une démocratie, créée en 2021.

En outre, la commission des lois a constaté l'irrecevabilité de deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête au titre du « droit de tirage » :

- en 2017, sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie 3 ( * ) , en raison de l'existence de plusieurs enquêtes et informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (diligentées au principal sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, au parquet de Paris ainsi qu'au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne) ;

- et en 2018, sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France 4 ( * ) , en raison de l'existence de plusieurs informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (notamment sous les qualifications de corruption de mineurs, d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, de viols sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité ou sur personne vulnérable, ou encore de non-dénonciation et de non-assistance à personne en péril).

Depuis juin 2009, deux commissions d'enquête ont été créées selon la procédure normale , hors droit de tirage :

- sur les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen, créée en 2019 ;

- et, en 2020, sur l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion.

À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a repris en 2014 le dispositif sénatorial du « droit de tirage » 5 ( * ) , en instaurant un nouveau mécanisme similaire de création d'une commission d'enquête : chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle qui précède le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information, la Conférence des présidents prenant acte de cette création, sous réserve des règles de recevabilité applicables à la création d'une commission d'enquête 6 ( * ) .

Auparavant, le mécanisme instauré à l'Assemblée nationale par la résolution du 27 mai 2009 permettait seulement à chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire de demander , une fois par an, la mise d'office à l'ordre du jour d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à condition qu'elle fût recevable, mais celle-ci pouvait être modifiée par la commission saisie au fond de la proposition et rejetée en séance (à la majorité des trois cinquièmes des députés).

L'Assemblée nationale a également repris en 2019 un autre mécanisme déjà en vigueur au Sénat et vecteur de pluralisme : la possibilité offerte aux groupes d'opposition ou minoritaires de choisir la fonction
- président ou rapporteur - qu'ils exerceront dans le cadre d'une commission d'enquête dont ils sont à l'origine 7 ( * ) (auparavant, à l'Assemblée, il était seulement prévu que la fonction de président ou de rapporteur revienne de droit à un membre du groupe à l'origine de cette demande... mais c'était la majorité qui choisissait la fonction qu'elle préférait exercer, généralement celle de rapporteur 8 ( * ) ).

II. LE CONTRÔLE DE LA RECEVABILITÉ D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION TENDANT À CRÉER UNE COMMISSION D'ENQUÊTE DANS LE CADRE DU « DROIT DE TIRAGE »

Lorsque le « droit de tirage » porte sur la création d'une commission d'enquête, l'article 6 ter du Règlement du Sénat prévoit que la demande prenne la forme d'une proposition de résolution qui « détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion ».

L'exercice du « droit de tirage » pour la création d'une commission d'enquête ne dispense pas du contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution tendant à cette création. 9 ( * )

Cette obligation de contrôle de recevabilité était rappelée dès le rapport du sénateur Patrice Gélard sur la proposition de résolution ayant introduit le mécanisme du droit de tirage en juin 2009 (après avoir constaté que « la création de la commission d'enquête ne ferait pas l'objet d'un vote du Sénat », il indiquait ainsi que « la création de l'organe de contrôle serait donc automatique, sous réserve, pour les demandes de création d'une commission d'enquête, d'un contrôle de recevabilité minimal » 10 ( * ) ).

Elle a été fermement réaffirmée par le Conseil constitutionnel lorsqu'il a statué sur la conformité à la Constitution de ces dispositions 11 ( * ) , et réitérée lors de l'introduction d'un dispositif similaire par l'Assemblée nationale 12 ( * ) .

Aux termes de l'article 8 ter du Règlement du Sénat, le contrôle de recevabilité d'une résolution tendant à la création d'une commission d'enquête est effectué par la commission des lois , qu'elle soit, ou non, saisie au fond de la proposition de résolution.

Article 8 ter du Règlement du Sénat

« 1. - Sous réserve de la procédure prévue à l'article 6 bis , la création d'une commission d'enquête par le Sénat résulte du vote d'une proposition de résolution, déposée, renvoyée à la commission permanente compétente, examinée et discutée dans les conditions fixées par le présent Règlement.

« 2. - Cette proposition détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.

« 3. - Lorsqu'elle n'est pas saisie au fond d'une proposition tendant à la création d'une commission d'enquête, la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale émet un avis sur la conformité de cette proposition avec les dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.

« 4. - La proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut excéder vingt-trois.

« 4 bis . - Toutefois, lors de l'inscription à l'ordre du jour de l'examen de la proposition de résolution, la Conférence des Présidents peut décider de déroger à ce plafond, dans la limite de l'effectif minimal d'une commission permanente mentionné à l'article 7.

« 5. - Pour la désignation des membres des commissions d'enquête dont la création est décidée par le Sénat, une liste des candidats est établie par les présidents de groupe et le délégué des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, conformément à la règle de la proportionnalité. Il est ensuite procédé selon les modalités de constitution des commissions permanentes prévues aux alinéas 3 à 10 de l'article 8.

« 6. - Tout membre d'une commission d'enquête ne respectant pas les dispositions du IV de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 précitée relatives aux travaux non publics d'une commission d'enquête peut être exclu de cette commission par décision du Sénat prise sans débat sur le rapport de la commission après que l'intéressé a été entendu.

« 7. - En cas d'exclusion, celle-ci entraîne l'incapacité de faire partie, pour la durée du mandat, de toute commission d'enquête.

Le contrôle de recevabilité par la commission des lois consiste à s'assurer du respect par la proposition de résolution de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, aux termes duquel :

- « les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés , soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales » ;

- « il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours » ;

- et les commissions d'enquête « ne peuvent être reconstituées avec le même objet avant l'expiration d'un délai de douze mois à compter de la fin de leur mission ».

Enquête sur des faits déterminés ou enquête sur la gestion :
une procédure différenciée de vérification de la recevabilité

En 1991, le législateur a regroupé 13 ( * ) , sous l'unique dénomination globale de « commissions d'enquête », les anciennes commissions d'enquête et les commissions de contrôle (lesquelles avaient pour objet de contrôler spécifiquement le fonctionnement d'une entreprise nationale ou d'un service public).

Pour autant, cette unification d'ordre terminologique n'a pas remis en cause la dualité existante entre les anciennes commissions d'enquête stricto sensu , portant sur des faits, et les commissions d'enquête chargées de contrôler la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale, dualité qui entraîne une procédure différenciée de vérification de la recevabilité :

- en effet, dans la première hypothèse , c'est-à-dire en cas d' enquête sur des faits déterminés , la pratique traditionnellement suivie pour les anciennes commissions d'enquête continue d'être observée par la commission des lois : le président de la commission demande au Président du Sénat de bien vouloir interroger le garde des sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits en cause ;

- dans la seconde hypothèse , comme pour les anciennes commissions de contrôle, cette procédure de consultation du garde des sceaux ne s'impose pas en raison de l'objet même de la commission , qui est d'enquêter non sur des faits déterminés, mais sur la gestion d'un service public ou d'une entreprise nationale.

Par conséquent, lorsque la commission des lois est chargée d'examiner la recevabilité d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, sa tâche consiste non seulement à déterminer si cette création entre bien dans le champ de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 mais aussi si la consultation du garde des sceaux s'impose ou non .

En outre, il convient de s'assurer que, conformément à l'alinéa 4 de l'article 8 ter du Règlement, la proposition de résolution fixe le nombre des membres de la commission d'enquête, qui ne peut excéder vingt-trois .

Dans le cadre du « droit de tirage », ce contrôle de recevabilité doit s'opérer, le cas échéant, dans des conditions compatibles avec le délai, établi par l'alinéa 1 de l'article 6 bis du Règlement, selon lequel la demande de création d'une commission d'enquête doit être formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des présidents qui doit prendre acte de cette demande.

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : LA RECEVABILITÉ DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Dans le cadre d'un « droit de tirage », la compétence de la commission des lois se limite strictement à l' examen de la recevabilité de la proposition de résolution .

L'article unique de la proposition de résolution présentée par Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés, tend à créer une commission d'enquête de dix-neuf membres sur le système de santé et la situation de l' hôpital .

L'effectif de la commission d'enquête n'excéderait pas vingt-trois membres , respectant ainsi le Règlement du Sénat.

La proposition de résolution n'a pas non plus pour effet de reconstituer avec le même objet une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois .

Aux termes de l'article unique de la proposition de résolution, l'objectif de la commission d'enquête serait de faire le bilan du « système de santé » et de « la situation de l'hôpital » .

Certes, le rapport de la commission d'enquête sur « l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid-19 et de sa gestion », publié le 8 décembre 2020, traitait en partie de l'organisation du système de santé, mais sous le seul angle de la gestion des crises pandémiques et des leçons à tirer de l'épidémie de covid-19 14 ( * ) . Or, si la question de la crise sanitaire actuelle n'est pas absente du contexte qui sous-tend la présente demande de commission d'enquête, l'objet de cette dernière est beaucoup plus large.

En effet, les auteurs de la proposition de résolution déplorent « un modèle [de santé] à bout de souffle », malgré un effort budgétaire important 15 ( * ) , qui n'a pas fait l'objet de « réforme structurelle ou globale », alors qu'il devra faire face à une « triple transition démographique, épidémiologique et technologique ».

Selon l'exposé des motifs de cette proposition de résolution, la commission d'enquête devrait tout d'abord établir un constat des « nombreux dysfonctionnements de notre système de santé », puis en « identifier les causes ». Parmi les dysfonctionnements cités figureraient notamment : « la carence en personnel soignant », « le délai d'attente de plus en plus long pour avoir un rendez-vous en médecine de ville » ou encore « les déserts médicaux ». Il faut observer à cet égard que le sujet des déserts médicaux a fait l'objet de deux rapports d'information récents du Sénat, publiés par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable 16 ( * ) d'une part, et la délégation aux collectivités territoriales 17 ( * ) , d'autre part.

Le champ de la réflexion retenu est très complet et concernerait « les questions liées à la formation et à la rémunération des personnels de santé », le « financement de la santé » , « la gouvernance des établissements de soins » , « l'organisation de la permanence des soins » et « la place respective du public et du privé ».

Une fois ce bilan effectué, la commission d'enquête pourrait, à l'aune de « l'objectif prioritaire de tout système de santé » selon la proposition de résolution, à savoir « le maintien en bonne santé de la population et l'accès aux meilleurs soins pour tous », formuler des propositions pour :

- « améliorer l'accès aux soins dans un souci de proximité et de rationalisation des coûts » ;

- « répondre aux difficultés que connaît l'hôpital (en particulier la situation des personnels soignants et la place de l'université et de la recherche dans l'hôpital) ;

- et, enfin, « assurer une répartition efficace des missions et des rôles entre médecine publique et médecine privée ».

Il apparaît que cette commission d'enquête devrait donc notamment faire porter ses investigations sur les politiques publiques menées en matière d' organisation et de financement du système de santé, de conditions d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, ainsi que sur le fonctionnement de l'hôpital public , son rôle au sein du système de santé et son articulation avec le secteur privé (cliniques et professionnels libéraux).

Le champ d'investigation retenu porte bien sur la gestion d'un service public au sens large , non sur des faits déterminés.

Ainsi, la proposition de résolution entre bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 précitée, au titre de la gestion d'un service public, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux aux fins de connaître l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours.

Dès lors, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution n° 138 (2021-2022) était recevable.

Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .

EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 17 NOVEMBRE 2021

La commission désigne M. François-Noël Buffet rapporteur pour avis sur la proposition de résolution n° 138 (2021-2022) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, présentée par M. Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur pour avis . - Notre commission doit se prononcer sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France, présentée par Bruno Retailleau et les membres du groupe Les Républicains, apparentés et rattachés.

Après une étude attentive, il s'avère que ce texte respecte l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et ne pose donc pas de difficulté particulière de recevabilité.

D'une part, il n'a pas pour effet de reconstituer une commission d'enquête ayant achevé ses travaux depuis moins de douze mois.

Certes, le rapport de la commission d'enquête sur « l'évaluation des politiques publiques face aux grandes pandémies à la lumière de la crise sanitaire de la covid 19 et de sa gestion », publié le 8 décembre 2020, traitait en partie de l'organisation du système de santé, mais sous le seul angle de la gestion des crises pandémiques et des leçons à tirer de l'épidémie de covid-19.

Or, si la question de la crise sanitaire actuelle n'est pas absente du contexte qui sous-tend la présente demande de commission d'enquête, l'objet de cette dernière est beaucoup plus large.

D'autre part, il porte sur la gestion de services publics, puisque la commission d'enquête devrait notamment faire porter ses investigations sur les politiques publiques menées en matière d'organisation et de financement du système de santé, de conditions d'accès aux soins sur l'ensemble du territoire, ainsi que sur le fonctionnement et le rôle de l'hôpital public et son articulation avec le secteur privé.

Aussi, je vous invite à constater la recevabilité de cette proposition de résolution, sans qu'il soit nécessaire d'interroger le garde des sceaux.

La commission constate la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France.


* 1 Introduites initialement en juin 2009 à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, ces dispositions figurent désormais à l'article 6 bis du Règlement du Sénat.

* 2 Dispositions introduites en mai 2015.

* 3 Proposition de résolution n° 101 (2017-2018) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie.

* 4 Proposition de résolution n° 24 (2018-2019) tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France.

* 5 Résolution du 28 novembre 2014.

* 6 Articles 141, alinéa 2, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale.

* 7 Articles 143, alinéa 3, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale, dans leur rédaction résultant de la résolution n° 281 du 4 juin 2019.

* 8 Rapport n° 1955 de Sylvain Waserman sur la proposition de résolution de Richard Ferrand tendant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale (p.142).

* 9 Comme le rappelle explicitement l'alinéa 2 de l'article 6 ter « Les alinéas 3, 4 et 5 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition et à la désignation des membres de la commission d'enquête sont applicables. »

* 10 Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l08-427/l08-427.html

* 11 Décision n° 2009-582 DC du 25 juin 2009, Résolution tendant à modifier le règlement du Sénat pour mettre en oeuvre la révision constitutionnelle, conforter le pluralisme sénatorial et rénover les méthodes de travail du Sénat , considérants 5 et 6.

* 12 Décision n° 2014-705 DC du 11 décembre 2014, Résolution tendant à modifier le règlement de l'Assemblée nationale.

* 13 Loi n° 91-698 du 20 juillet 1991 tendant à modifier l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relatif aux commissions d'enquête et de contrôle parlementaires.

* 14 En particulier la deuxième partie du rapport intitulée « Une organisation sanitaire et médico-sociale de guerre : une riposte essentiellement hospitalière et des stratégies de soins sans coordination », et la quatrième partie intitulée « Remédier aux insuffisances d'une gouvernance dépassée par la crise ».

* 15 « Les dépenses de santé en France sont plus élevées de deux points de PIB que la moyenne des pays de l'OCDE, sans produire un résultat satisfaisant ».

* 16 Déserts médicaux : L'État doit enfin prendre des mesures courageuses !
Rapport d'information n° 282 (2019-2020) de Hervé Maurey et Jean-François Longeot, fait au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, publié le 29 janvier 2020 et consultable à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/notice-rapport/2019/r19-282-notice.html

* 17 Les collectivités à l'épreuve des déserts médicaux : l'innovation territoriale en action , rapport d'information n° 63 (2021-2022) de Philippe Mouiller et Patricia Schillinger, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales publié le 14 octobre 2021 et consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2021/r21-063-notice.html

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