TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE M. OLIVIER DUSSOPT, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA RELANCE, CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS (3 NOVEMBRE 2021)

M. Dominique de Legge , président . - Nous entendons cet après-midi le ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics, M. Olivier Dussopt, sur le deuxième et, sans doute, dernier projet de loi de finances rectificative (PLFR) pour l'année 2021.

Ce PLFR révise légèrement le scénario macroéconomique pour l'année en cours, avec une croissance attendue désormais à 6,25 % du PIB au lieu des 6 % annoncés en septembre dernier. Le déficit public serait de 8,1 % du PIB en 2021, soit une légère amélioration par rapport à la prévision de septembre, les mesures nouvelles étant notamment compensées par les moindres charges de service public de l'énergie et par l'amélioration de la situation économique.

S'agissant du budget de l'État, en revanche, le déficit budgétaire serait aggravé de 7,8 milliards d'euros par rapport au montant annoncé en septembre, notamment en raison de la compensation à la sécurité sociale de la nouvelle indemnité inflation et d'autres mesures que le ministre pourra nous présenter plus en détail.

L'ampleur des révisions en cours de discussion du projet de loi de finances (PLF) est assez inédite et suscitera, je n'en doute pas, de nombreuses questions.

M. Olivier Dussopt, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la relance, chargé des comptes publics . - Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, quelques mots pour vous présenter ce projet de loi de finances rectificative, dont je souhaite moi aussi qu'il soit le dernier de l'exercice.

Nous sommes aujourd'hui dans un contexte différent, celui d'une sortie de crise - en tout cas, nous l'espérons - d'un point de vue tant sanitaire qu'économique, qui se caractérise par la fin de la période du « quoi qu'il en coûte » et de la réponse à la crise sous forme de mesures d'urgence. Au cours de ces dix-huit derniers mois, nous avons mis en oeuvre des aides massives en engageant 37 milliards d'euros au titre du fonds de solidarité et 35 milliards d'euros au titre de l'activité partielle, prévu la possibilité pour l'État de prendre des participations au capital d'entreprises considérées comme stratégiques, répondu aux besoins des établissements de santé et accompagné les ménages les plus fragiles.

Je tiens à souligner l'engagement et le soutien que le Parlement a apporté à ces mesures : sur chacun des PLFR d'urgence, les deux chambres ont toujours répondu présent. Nous avons eu des discussions constructives. J'ai aussi pu mesurer la compréhension du Parlement lorsque j'ai eu à vous présenter, il y a quelques mois, un décret d'avance pour un montant important, qui a ensuite été régularisé lors du projet de loi de finances rectificative du mois de juillet dernier.

Si le contexte est différent, c'est aussi parce que le taux de croissance a été revu à la hausse et que le climat économique s'est largement amélioré. La preuve en est la diminution du taux de chômage à 7,6 %, taux le plus bas depuis plus de quatorze ans. Cela nous conduit à déposer un projet de loi de finances rectificative qui retrouve la nature des PLFR présentés depuis le début du quinquennat. Nous avons en effet toujours considéré ces textes comme des outils de fin de gestion, d'ajustement budgétaire, et nous ne souhaitons pas, par conviction et presque par doctrine, qu'ils soient l'occasion de réformes fiscales, encore moins avec effet rétroactif, car c'est là l'une des clés de la stabilité et de la lisibilité fiscale pour l'ensemble des ménages. C'est la raison pour laquelle ce PLFR se concentre très majoritairement sur des ajustements budgétaires. Il nous permet de vous proposer une révision de la trajectoire macroéconomique, qui se traduit également par l'actualisation de l'article liminaire du projet de loi de finances - une révision que je proposerai à la fin de la première lecture à l'Assemblée nationale ou dans le cadre des tableaux d'équilibre du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS).

Le PLFR poursuit trois objectifs principaux.

Le premier concerne la gestion des crédits consacrés au financement des mesures d'urgence.

Nous avons, avec votre concours, ouvert plusieurs milliards d'euros de crédits dans la loi de finances initiale pour 2021, mais aussi dans la loi de finances rectificative pour 2021. Grâce à une reprise économique plus forte que ce que nous envisagions, environ 8,1 milliards d'euros de ces crédits d'urgence ne seront pas consommés au 31 décembre prochain. Sur ce montant, 4 milliards d'euros correspondent à ce que l'on pourrait qualifier de reste à payer pour le fonds de solidarité et le remboursement de l'activité partielle, puisque les entreprises ont plusieurs mois après la mise en oeuvre de ces mesures pour faire leur demande de remboursement, pour les modalités propres au compte d'affectation spéciale permettant des prises de participation, et pour le financement du dispositif de prise en charge des coûts fixes qui accompagne la fin du fonds de solidarité ainsi que du dispositif spécifique dit « des fermetures ». Nous mettrons à profit la possibilité de report sur l'exercice 2022 pour mobiliser ces fonds et payer ce que nous devons au titre des mesures d'urgence.

Nous proposons ensuite de réserver 2 milliards d'euros à titre prudentiel. Nous espérons ne pas avoir à mobiliser ces crédits : s'ils ne sont pas engagés à la fin du premier trimestre, ils seront annulés comme le prévoit la procédure. Ce montant vise à faire face à un éventuel ressaut épidémique ou à une difficulté particulière : dans la période qui couvre les quatre premiers mois de l'année, il peut être utile, y compris en termes de calendrier parlementaire, de prévoir cette possibilité, plutôt que d'escompter une disponibilité pour l'examen d'un PLFR d'urgence.

Enfin, nous souhaiterions annuler 2,1 milliards d'euros de mesures d'urgence qu'il ne nous paraît plus utile de conserver. Pour être plus précis, il s'agit d'annuler de manière comptable 2,6 milliards d'euros, mais d'ouvrir 500 millions d'euros au titre de la compensation des exonérations.

Le deuxième objectif du PLFR concerne non pas les mesures d'urgence, mais la mission « Plan de relance ». Elle obéit au principe que nous avions fixé lorsque cette dernière vous a été présentée il y a un peu plus d'un an : celui d'un redéploiement entre les mesures les plus efficaces et celles qui sous-consomment les crédits prévus. De manière globale, à la fin de l'année 2021, de redéploiements concerneront 8 milliards sur les 100 milliards d'euros du plan de relance. En effet, 600 millions d'euros ont fait l'objet de redéploiements lors de l'examen de la loi de finances rectificative de juillet dernier, 1,2 milliard dans le cadre de la loi de finances pour 2022 et 2,3 milliards d'euros dans le PLFR que je vous présente aujourd'hui, soit un total légèrement supérieur à 4 milliards d'euros. Les autres 4 milliards d'euros ne nécessitent pas de mesures législatives puisque le principe de fongibilité nous permet de procéder à ces redéploiements par voie réglementaire.

Quelles sont les mesures du plan de relance qui font l'objet d'une sous-consommation ou d'annulations de crédits ? Elles sont souvent liées à des cycles économiques : je pense notamment à la prime de conversion qui, au titre de l'année 2021, aura été sous-consommée à hauteur de 70 millions d'euros. Nous vous proposons également d'annuler 750 millions d'euros au titre des appels de garantie dans le cadre des prêts garantis par l'État (PGE) pour l'année 2021, car le nombre de défaillances a été infinitésimal.

Quelles seront les mesures abondées de nouveau ? Certaines ont été annoncées, comme Territoires d'industrie ou la prolongation des aides au recrutement d'apprentis ou d'alternants. Des dispositifs seront reconduits, comme le fonds Friches avec des décaissements de 350 millions d'euros en 2022 - le second appel à projets est en cours, l'instruction des dossiers commencera autour du 15 novembre pour des décisions prises entre la fin de l'année 2021 et le début de l'année 2022. Je pense à l'appel à manifestation d'intérêt auprès des autorités organisatrices de mobilité pour les investissements en matière de transports en site propre pour 400 millions d'euros, au plan Vélo pour 150 millions d'euros ou encore à l'abondement des dispositifs en matière de soutien à l'agriculture.

Enfin, le PLFR a un troisième objet, qui correspond à sa nature même : il permet l'ajustement des crédits en fin de gestion. Les montants sont importants, puisque, hors remboursements et dégrèvements, nous proposons l'ouverture de 12,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 9,1 milliards d'euros en crédits de paiement et l'annulation de 8,8 milliards d'euros en autorisations d'engagement et de 7,3 milliards d'euros en crédits de paiement. Les schémas que nous avons retenus pour les annulations comme pour les ouvertures sont simples.

Les annulations concernent : des sous-consommations constatées qui font consensus entre mes équipes et celles des ministères concernés ; des crédits placés en réserve de précaution de manière très classique ; et des dispositifs sous-mobilisés du fait du regain économique. Conformément à nos engagements, nous vous proposons d'annuler la provision de 1,5 milliard d'euros pour les dépenses accidentelles et imprévues. Aucune des annulations que nous proposons n'entraîne de remise en cause de programmes, projets ou équipements.

Les ouvertures de crédits les plus importantes concernent le ministère du travail et de l'emploi à hauteur de 2,54 milliards d'euros. Nous voulons financer une partie du plan d'investissement dans les compétences (PIC) des personnes les plus éloignées de l'emploi, comme l'a annoncé le Premier ministre, à hauteur de 1,4 milliard d'euros. À ce titre, nous vous proposons d'ouvrir, dans le cadre du PLFR, 900 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 480 millions de crédits de paiement et, dans celui du PLF, 500 millions d'euros en autorisations d'engagement et 780 millions en crédits de paiement. Nous proposons d'attribuer à France compétences une compensation à hauteur de 2 milliards d'euros, un montant qui nous paraît correspondre à la part du déficit de 2021 de France compétences liée à l'attrition des recettes du fait de la pression de la masse salariale servant de base au calcul de la taxe d'apprentissage, mais aussi des dépenses supplémentaires entraînées par le coup de booster mis sur l'apprentissage.

Une autre ouverture importante concerne le ministère de la transition écologique et solidaire, avec la volonté de doter l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf) de 100 millions d'euros de compensation pour des pertes de recettes constatées, et de financer le chèque énergie à hauteur de 600 millions d'euros, dont 253 millions d'euros de crédits de paiement. Je précise qu'il existe parfois une différence entre le montant total des ouvertures et le montant total des projets financés, dans la mesure où les ministères peuvent aussi faire l'objet d'annulations et de redéploiements en interne, ce qui explique quelques différences à la marge.

Nous proposons d'ouvrir 500 millions d'euros en crédits de paiement au ministère de l'agriculture pour compléter les dispositions prévues pour indemniser les conséquences de l'épisode de gel. Le Premier ministre s'était engagé à hauteur de 1 milliard d'euros : ce montant sera atteint.

Nous souhaitons aussi ouvrir 277 millions d'euros de crédits pour compenser des pertes de recettes des opérateurs culturels et des acteurs culturels.

En matière de relations avec les collectivités territoriales, nous prévoyons près de 200 millions d'euros pour le fonds de stabilisation départemental, mais aussi pour financer quelques éléments de dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), ainsi que poursuivre, au titre de l'année 2021, le paiement par l'État de l'aide à l'achat des masques par les collectivités.

Au titre des solidarités, nous proposons une ouverture de crédits de plus de 320 millions d'euros avec notamment 130 millions d'euros pour faire face à un surcoût de la prime d'activité au cours de l'année 2021 par rapport à nos prévisions, et 90 millions d'euros pour faire face à un coût plus élevé que prévu de l'allocation aux adultes handicapés (AAH).

En matière d'aide publique au développement, nous proposons des ouvertures à hauteur de 194 millions d'euros. Cela concerne, pour 125 millions d'euros, le programme ACT-A ( Access to COVID-19 Tools Accelerator ), sur lequel le Président de la République s'est engagé, et, pour un peu moins de 90 millions d'euros, des programmes d'aide humanitaire, notamment pour l'accueil des Afghans sur le sol français après les rapatriements et l'aide à la société civile.

Deux points nécessitent peut-être une attention particulière. En ce qui concerne les armées, nous sommes passés entre 2017 et 2021 de 450 millions à 1,2 milliard d'euros de provisionnement du coût des opérations extérieures (OPEX). Malgré ce montant qui n'avait jamais été atteint, le surcoût des OPEX avoisine les 340 millions d'euros, auxquels il faut ajouter un surcoût lié au prix du carburant.

Nous avons pris la décision de dégeler des crédits de la réserve de précaution pour permettre au ministère des armées d'autofinancer une partie importante de ce surcoût OPEX, mais, à titre exceptionnel par rapport aux années précédentes, 150 millions d'euros de crédits supplémentaires serviront à accompagner le ministère notamment dans la prise en charge des coûts liés à la réorganisation du dispositif Barkhane et aux évacuations d'Afghanistan.

Enfin, la plus importante ouverture de crédits, à hauteur de 3,6 milliards d'euros, que nous vous proposons concerne le financement de l'indemnité inflation, dont le coût est de 3,8 milliards d'euros.

Si l'on examine le total des ouvertures et des annulations de crédits, il en ressort la conclusion suivante : hors indemnité inflation et hors compensations aux opérateurs - France compétences et les opérateurs culturels -, la norme de dépenses pilotables qui était établie à 290,5 milliards d'euros est tenue pour l'année 2021. La révision du scénario macroéconomique que nous avons soumise au Haut Conseil des finances publiques (HCFP), lequel a rendu un avis qualifiant de plausible la révision de la prévision de croissance de 6 % à 6,25 %, engendre des recettes supplémentaires. En tenant compte de ces recettes, la prévision de déficit public, qui était de 8,4 % lors de la présentation au conseil des ministres du projet de loi de finances, serait ramenée à 8,1 %. Le déficit public de 2022 serait de 5 % et, dans le même temps, la dette publique, que nous attendions à 117,8 % du PIB en 2021, serait de 115,3 % et en 2022, au lieu de 116,3 %, elle passerait à 113,5 %. J'ajoute que le taux de prélèvements obligatoires en 2022 s'établirait à 43,4 %, ce qui est un dixième de point inférieur à notre prévision au moment de la présentation du PLF.

Depuis que nous avons transmis notre scénario de révision des hypothèses macroéconomiques au Haut Conseil des finances publiques, l'Insee a publié des chiffres extrêmement encourageants pour le troisième trimestre avec une croissance trimestrielle à 3 %, en indiquant que l'hypothèse de croissance à 6,25 % était non seulement plausible mais tout à fait réalisable, voire déjà réalisée et qu'il était possible que la croissance définitivement constatée soit supérieure à ce taux. Ce serait une bonne nouvelle ! Nous serons fixés en tout état de cause début 2022. Toutes les recettes supplémentaires générées par une croissance supérieure à 6,25 % permettront de diminuer le déficit public, qui s'établit aujourd'hui à 8,1 %, pour peut-être nous approcher de 8 % ou de 7,9 %.

Enfin, un mot qui sort du cadre de la loi de finances rectificative : conformément à ce que nous avions annoncé lors de notre audition sur le projet de loi de finances, le Gouvernement déposera devant l'Assemblée nationale un certain nombre d'amendements : l'un, à hauteur de 550 millions d'euros, pour le financement du contrat d'engagement jeune, et d'autres pour traduire les annonces faites par le Président de la République sur le plan d'investissement France 2030. Nous proposons, sur la mission « Investissements d'avenir », qui serait rebaptisée pour inclure la notion de France 2030, d'ouvrir 34 milliards d'euros en autorisations d'engagement, avec 30 milliards d'euros de crédits et 4 milliards d'euros de mobilisation de fonds propres. Nous proposerons à l'Assemblée nationale d'inscrire dans le PLF pour 2022, 3,5 milliards d'euros au titre de France 2030, dont 2,8 milliards d'euros relèvent de crédits très directement mobilisables et 700 millions d'euros de concours en fonds propres pour les acteurs économiques.

M. Dominique de Legge , président . - Je vous remercie de votre intervention, monsieur le ministre. Je ferai deux observations rapides.

Vous évoquez la couverture, à titre exceptionnel, du surcoût OPEX. Je vous rappelle qu'elle est prévue dans la loi de programmation militaire, et que c'est donc de façon tout à fait exceptionnelle que vous appliquez la loi ! Néanmoins, vous ne l'appliquez pas parfaitement, puisque vous avouez vous-même que vous ne couvrirez que 150 millions sur les 340 millions d'euros.

Vous avez commencé votre propos en disant que le « quoi qu'il en coûte » était terminé. Je voudrais être certain que les économies ou les recettes supplémentaires qui pourraient découler d'une amélioration du contexte iront bien à la résorption de la dette et non à de nouvelles dépenses, comme celles que vous allez nous proposer dans le budget pour 2022.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Monsieur le ministre, je vous remercie pour la clarté de votre présentation, et pour avoir tenu un certain nombre d'engagements, comme le fait de ne pas augmenter la fiscalité. Néanmoins, d'autres engagements ne l'ont pas été, et je voudrais déplorer des dérapages répétitifs. Je veux parler du PLF pour 2022 qui était pour le moins incomplet lorsqu'il a été présenté par le Gouvernement, ce qui ne me paraît pas respectueux des institutions, pas plus d'ailleurs que de notre démocratie qui, pour bien vivre, nécessite que l'on ait un débat éclairé, en temps voulu, et non, comme nous le vivons ces derniers jours, des annonces dispersées visant à maintenir la politique du « quoi qu'il en coûte » jusqu'à Noël. Durant ce quinquennat, c'est la première fois - j'espère que ce n'est pas lié à l'élection d'avril prochain - que l'on constate de tels dépassements.

S'agissant du PLFR, je voudrais revenir sur deux éléments macroéconomiques. Vous retenez une prévision de croissance de 6,25 % pour 2021, alors que, sans être grand clerc, on peut présager qu'elle sera finalement plus importante puisque l'acquis de croissance est de 6,6 %. Je n'ose pas croire que vous anticipiez une contraction de l'activité au quatrième trimestre car ce n'est pas dans vos habitudes. Pourquoi ne pas avoir intégré les dernières données conjoncturelles ?

Surtout pourquoi n'avez-vous pas revu les hypothèses d'inflation pour 2021, alors qu'elles sont dépassées depuis la fin du mois d'octobre, et que c'était déjà prévisible au moment de la saisine du Haut Conseil des finances publiques ? Pouvez-vous nous indiquer les raisons qui vous ont conduit à ne pas intégrer ces modifications dans le PLFR ?

J'aborderai enfin l'indemnité inflation, que j'appellerai « indemnité carburant-inflation », annoncée en réaction à l'envolée des prix des carburants. Il apparaît certes nécessaire d'être attentif au pouvoir d'achat des ménages modestes, souvent captifs de la flambée des prix, mais le dispositif concerne aussi bien les personnes contraintes d'utiliser leur véhicule tous les jours que les ménages qui n'en ont pas ou l'utilisent peu, jusqu'à 2 000 euros de revenus mensuels. Pourquoi avoir choisi une cible si large ? Si le coût de la vie continue à croître au premier semestre 2022, y aura-t-il une nouvelle indemnité inflation ? Confirmez-vous que son montant est identique que le bénéficiaire touche le revenu de solidarité active (RSA) ou qu'il ait un revenu de 1 990 euros par mois ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué . - J'ai indiqué dès sa présentation que le PLF serait complété par des amendements et me suis engagé à ce qu'ils soient déposés dès la première lecture à l'Assemblée nationale. Nous nous trouvons sur une ligne de crête entre la réponse aux besoins et la maîtrise des dépenses publiques. Pour autant, hors indemnité inflation et compensation aux opérateurs, la norme de dépenses est respectée.

Nous avons saisi le HCFP le 22 octobre dernier, date à laquelle nous n'avions pas connaissance des chiffres rendus publics par l'Insee le 30 octobre. Nous n'aurions pu anticiper un taux de croissance si élevé.

Il existe un débat sur le niveau d'inflation en 2022. Nous espérons qu'elle ne dure pas. L'indemnité inflation vise à répondre à la problématique de l'augmentation des prix du carburant et de l'énergie. L'augmentation de l'électricité sera « capée » à 4 % et un chèque de 100 euros sera versé aux ménages les plus modestes. Les contraintes techniques sont considérables s'agissant du ciblage. Aussi, nous avons choisi des critères de simplicité et de rapidité. La prime concerne les Français dont le revenu individuel est inférieur à 2 000 euros - le revenu médian s'établit à 1 940 euros - soit 70 % de nos concitoyens. La priorité est donnée à l'employeur principal, lequel versera la prime avant d'en être remboursé. Les travailleurs indépendants et les salariés à domicile de plusieurs employeurs la recevront de l'Union de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales (Urssaf). La prime sera versée en décembre 2021 à la majorité des salariés et des indépendants, en janvier 2022 pour les personnes inscrites à Pôle Emploi et aux bénéficiaires des prestations des caisses d'allocations familiales (CAF), en février au plus tard aux étudiants et aux agents publics. Le travail à réaliser pour éviter les doublons apparaît, en effet, considérable.

Afin de verser les crédits nécessaires aux caisses de sécurité sociale, à Pôle Emploi et au Centre national des oeuvres universitaires et scolaires (Cnous), 3,6 milliards d'euros sont inscrits au PLFR. Le projet de loi de finances comprend, quant à lui, une enveloppe de 200 millions d'euros pour le paiement de la prime aux agents publics, ainsi qu'aux retraités de la fonction publique et de certains régimes spéciaux. Cette allocation, ponctuelle, bénéficiera à 38 millions de Français.

M. Charles Guené . - Je vous remercie pour la clarté de votre exposé. J'ai eu, en première intention, une réaction similaire à celle du rapporteur : il me semble dommage de ne pas intégrer aux prévisions les chiffres connus. Il y a là une stratégie qui interroge... Disposez-vous d'informations sur l'évolution de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) ? Les collectivités territoriales en ont besoin pour établir leur budget.

M. Stéphane Sautarel . - Je vous remercie pour votre présentation synthétique. Les estimations du Gouvernement apparaissent prudentes s'agissant de l'inflation. Qu'anticipez-vous dans ce domaine, notamment sur d'éventuelles conséquences sur les taux d'intérêt ?

Le solde structurel demeure élevé en 2021 comme en 2022. Est-ce vraiment la fin du « quoi qu'il en coûte » ?

L'Afitf bénéficie de 100 millions d'euros de crédits supplémentaires au titre du projet de loi de finances rectificative, alors que ses besoins sont estimés à 250 millions d'euros. Cette dotation sera-t-elle suffisante ?

Enfin, vous avez évoqué des crédits complémentaires pour les collectivités territoriales. Cette manne concernera-t-elle les zones de montagne qui devaient faire l'objet d'un décret spécifique ?

M. Jérôme Bascher . - Avec quelle prévision de croissance respectez-vous la norme de dépenses ?

Vous transformez les recettes supplémentaires de 2021 en nouvelles dépenses pour faire face à la crise. Comment allez-vous concrètement les traduire, notamment le revenu d'engagement jeune, dans le projet de loi de finances pour 2022 ? S'ajouteront-elles aux 165 milliards d'euros de la dette covid ?

M. Patrice Joly . - Vous êtes revenus à une approche orthodoxe et antérieure à la crise de l'endettement, à laquelle il manque une mise en perspective sur les besoins en investissements écologiques, économiques et sociaux. Vous pilotez des ratios plus que des politiques...

Certaines mesures peuvent de prime abord sembler intéressantes, à l'instar de l'indemnité inflation, mais les Français attendent mieux qu'une charité ponctuelle : ils souhaitent une augmentation des salaires.

La justice fiscale, pilier de notre démocratie, est également absente du texte, tandis que l'allégement de la taxe d'habitation, la suppression de l'impôt de solidarité sur la fortune, la réduction des impôts de production et l'évasion fiscale coûtent plusieurs milliards d'euros.

M. Rémi Féraud . - Ce projet de loi de finances rectificative présente des recettes et des dépenses supplémentaires. Avez-vous calculé le montant des non-recettes, soit ce que coûte la diminution de l'impôt sur les sociétés, des impôts de production et l'allégement d'une tranche supplémentaire de la taxe d'habitation ? Ces crédits, auxquels vous avez renoncé, auraient pu contribuer au désendettement ou permettre de conduire de nouvelles politiques.

Il existe un débat, s'agissant du pouvoir d'achat, sur la réalité des chiffres. Vous avez, ce jour, donné un entretien au journal Les Échos , dans lequel vous indiquez que le pouvoir d'achat des 10 % de ménages les plus modestes a augmenté deux fois et demie plus que celui des 10 % de ménages les plus aisés. Je suppose qu'il s'agit de pourcentages... Disposez-vous d'informations complémentaires ?

Mme Christine Lavarde . - S'agissant de l'Afitf, chat échaudé craint l'eau froide... Nous avons eu une mauvaise surprise l'an passé. Or, l'article 2 du projet de loi de finances rectificative opère un mouvement similaire à l'article 3 de la loi du 30 novembre 2020 de finances rectificative pour 2020 en réaffectant les recettes des amendes au compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers ». L'étude d'impact ne dit rien des conséquences pour les collectivités territoriales. Disposez-vous de simulations ? Il ne faudrait pas que les communes se voient prélever des sommes dans quelques mois...

M. Olivier Dussopt, ministre délégué . - Monsieur Guené, notre prévision de croissance correspond à notre visibilité d'alors. Nous n'imaginions pas que l'Insee publierait des chiffres si élevés. Si nous la dépassons, les recettes fiscales et sociales connaîtront une augmentation dont nous constaterons le montant en février 2022. Mécaniquement, ce surplus contribuera à la réduction du déficit de 2021.

Les recettes fiscales des collectivités territoriales ont augmenté de 2,5 % en 2021, notamment grâce aux droits de mutation à titre onéreux (DMTO), qui, au 30 septembre, enregistraient une croissance de 30 % par rapport à 2019. En outre, celles qui bénéficient d'une fraction de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) profitent de son dynamisme, soit 5,8 % d'augmentation entre 2020 et 2021. À titre de comparaison, la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) n'a crû que de 2,5 % en quinze ans. En revanche, la CVAE devrait reculer de 1,1 % en 2021 - nous nous y attendions - puis de 4,5 % à 5 % en 2022. Nous resterons vigilants s'agissant des effets sur les collectivités territoriales concernées.

Monsieur Sautarel, nous espérons que l'inflation se calme en 2022. S'agissant du solde structurel, de nombreux observateurs, dont le HCFP, estiment que la rapidité des évolutions économiques en rend la lecture complexe.

Nous sommes convaincus que les crédits supplémentaires permettront de couvrir les besoins de l'Afitf, mais il conviendra de travailler à une affectation plus efficiente des crédits. Sur ce point, madame Lavarde, les communes de la région parisienne se trouvent dans une situation particulière.

Enfin, le fonds Avenir montagnes sera doté de 170 millions d'euros redéployés par le projet de loi de finances rectificative.

Monsieur Bascher, l'évaluation de la norme de dépenses ne tient pas compte de l'inflation : il s'agit d'une évolution en euros. En volume, en considérant l'inflation et les nouvelles dépenses, la dépense publique croît de 1 % à 1,1 %. Il faudrait effectivement limiter son augmentation à 0,8 % pour atteindre un déficit à 3 % en application de la norme européenne.

Le contrat d'engagement jeune coûtera 550 millions d'euros par an ; un amendement sera déposé en ce sens à l'Assemblée nationale. Il ne grèvera pas le solde pour 2022, puisqu'il était déjà intégré à l'évolution des dépenses.

Monsieur Joly, j'assume d'avoir une vision orthodoxe de la dette. Elle a vocation à être remboursée. Trop élevée, elle obère les capacités d'action. Nous devons y être attentifs. En l'état des hypothèses macroéconomiques, le ratio de la dette publique sur le PIB diminue lorsque le déficit atteint 3 %, ce qui correspond au critère européen.

L'allégement de la fiscalité, notamment de la taxe d'habitation, a rendu du pouvoir d'achat aux ménages. J'assume également les 6 milliards d'euros consacrés au crédit d'impôt recherche (CIR), qui a montré son utilité. De même, les réductions opérées sur l'impôt sur les sociétés - la baisse de son taux représentant 6 milliards d'euros de recettes en moins en 2022 - et sur les impôts de production sont nécessaires à notre politique de l'offre.

Mes propos sur le pouvoir d'achat reprennent les chiffres de l'Insee, qui indiquent qu'entre 2007 et 2011, il a crû de 1,4 % par an en moyenne, puis de 0,3 % entre 2012 et 2017, avec des années d'évolution négative. Entre 2017 et 2022, le pouvoir d'achat a enregistré une croissance comprise entre 1,6 % et 1,7 %, avec une évolution plus favorable en pourcentage pour les premiers déciles du fait de la progressivité des prélèvements.

Mme Sylvie Vermeillet . - Comment la croissance a-t-elle influencé le niveau d'épargne des Français, qui aurait crû de 267 milliards d'euros selon la Banque de France ? Quelle est votre stratégie pour la mobiliser ?

M. Michel Canévet . - Il me semble normal d'examiner un projet de loi de finances rectificative en temps de crise. Je me réjouis d'y constater une augmentation des recettes fiscales, notamment un dynamisme de l'impôt sur les sociétés. Cela correspond-il à la vitalité économique ou au rattrapage rendu nécessaire par une sous-estimation ? Il apparaît également logique que la croissance de la consommation entraîne une augmentation des recettes de TVA. Nous pouvons toutefois regretter le déséquilibre entre les annulations de crédits et les nouvelles inscriptions.

L'indemnité inflation coûte cher et son versement pèsera sur les entreprises comme sur les collectivités territoriales. Elle créera également des situations d'iniquité, notamment au détriment des familles monoparentales, puisque seul le revenu individuel est considéré.

France compétences recevra deux milliards d'euros en plus des 750 millions d'euros prévus. Pourquoi une telle augmentation de crédits ? Avez-vous constaté des difficultés de gestion ?

S'agissant de la prime à la conversion, veillons à ne pas bouleverser un marché automobile atone. Il faut maintenir cette aide et revoir parallèlement le barème de l'indemnité kilométrique qui favorise les grosses cylindrées au détriment des véhicules électriques.

M. Pascal Savoldelli . - Je m'interroge sur la sincérité politique de ce texte. La France n'a pas obtenu le deuxième versement de 4,8 milliards d'euros du plan de relance européen. Nous n'avons reçu que 11 % des 40 milliards d'euros promis.

Nous allons prochainement examiner un projet de loi de finances dont les prévisions d'inflation viennent d'être retoquées. Nos concitoyens s'interrogent...

Quant au pouvoir d'achat, l'indice des prix à la consommation harmonisé, qui prend en compte l'énergie, fait état d'une augmentation de 2,4 % en août, de 2,7 % en septembre et de 3,2 % en octobre. Certes, vous proposez une rallonge de 100 euros sur le chèque énergie, mais cet effort s'autofinancera grâce à l'augmentation de la TVA sur les prix de l'énergie. Ce dispositif concerne 5,8 millions de Français dont le revenu fiscal est inférieur à 10 800 euros, pour lesquels l'augmentation du gaz devrait atteindre en moyenne 453 euros. Vous comprendrez donc ma question relative à la sincérité politique...

M. Vincent Delahaye . - Nous vous avions crédité de cette sincérité au début du quinquennat, mais je peine à y croire encore en regardant vos prévisions obscures de recettes.

En 2021, la TVA et l'impôt sur les sociétés ont été sous-évalués : voilà une bonne surprise pour les élections... En revanche, l'impôt sur le revenu augmente de 4 % en 2021 puis de 7 % en 2022, alors que des réductions ont été annoncées. Est-ce grâce à l'augmentation des revenus ou à la retenue à la source ?

M. Olivier Dussopt, ministre délégué . - Je ne puis répondre à Mme Vermeillet, car les données relatives à l'épargne ne sont pas connues au-delà du deuxième trimestre. La reprise économique du troisième trimestre de 2021 est expliquée par l'Insee par un rebond de l'investissement et, surtout, de la consommation des ménages auquel la mobilisation de l'épargne a pu contribuer. Déjà, 22,4 milliards d'euros d'épargne ont été investis dans des produits de financement de France Relance.

Monsieur Delahaye, à chaque texte financier, nous avons intégré les prévisions connues de recettes fiscales. L'impôt sur les sociétés reposant plutôt sur l'exercice précédent, l'évolution constatée dans ce texte relève davantage de la TVA et des DMTO.

La réduction de la première et de la deuxième tranches de l'impôt sur le revenu a été prise en compte dès 2020 avec une perte de recettes de 5 milliards d'euros. Le prélèvement à la source a amélioré le recouvrement, déjà très satisfaisant, de 0,6 % à 0,7 %. De fait, la croissance prévue pour 2022 est essentiellement liée au dynamisme des revenus et de l'emploi : la France a déjà créé 435 000 emplois aux deux premiers trimestres de 2021.

Monsieur Canévet, l'indemnité inflation me semble nécessaire pour accompagner la reprise. Nous avons privilégié la simplicité du recours et la rapidité du décaissement. L'éligibilité sera calculée sur les dix premiers mois de 2021 et le mois d'octobre servira de référence. Nous avons travaillé avec des sociétés de logiciels pour éviter une procédure trop coûteuse. Nous avons également agi sur le chèque énergie : après un versement de 150 euros au printemps, les ménages recevront 100 euros supplémentaires en décembre.

Il faut effectivement mener une réflexion sur le fonctionnement de France compétences. Il est d'ores et déjà prévu que la structure reçoive sa dotation en un seul versement.

Enfin, la prime à la conversion, sous-consommée en 2021, sera reconduite en 2022.

Monsieur Savoldelli, le bouclier tarifaire va limiter à 4 % l'augmentation du prix de l'électricité et bloquer celui du gaz à son niveau d'octobre. Il s'agit d'un engagement important, évalué à 5,1 milliards d'euros pour la seule électricité. Les aides versées - 12 milliards d'euros - auront largement dépassé le gain de 4 milliards d'euros obtenu par l'État du fait de la hausse des prix de l'énergie.

La France a reçu 13 % des sommes promises dans le cadre du plan de relance européen. La Commission européenne ayant modifié les modalités de versement, nous percevrons en janvier 2022 un deuxième versement de 7,4 milliards d'euros.

L'Insee, enfin, a évalué l'évolution de la pauvreté : elle a légèrement reculé en France en 2021, tandis que le coefficient de Gini, qui mesure les inégalités sociales, est resté stable durant les quinze dernières années. Ce constat prouve l'efficacité de notre système redistributif et des mesures prises pendant la crise.

M. Dominique de Legge , président . - Merci, monsieur le ministre, pour vos réponses.

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