Rapport n° 81 (2021-2022) de Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 20 octobre 2021
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AVANT-PROPOS
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EXAMEN EN COMMISSION
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LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
N° 81
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2021-2022
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 octobre 2021
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur la proposition de résolution européenne en application de l'article 73 quinquies du Règlement, tendant à renforcer et uniformiser la lutte contre les violences fondées sur le genre ,
Par Mmes Pascale GRUNY et Laurence HARRIBEY,
Sénateurs
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-François Rapin , président ; MM. Alain Cadec, Cyril Pellevat, André Reichardt, Didier Marie, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, André Gattolin, Henri Cabanel, Pierre Laurent, Mme Colette Mélot, M. Jacques Fernique , vice-présidents ; M. François Calvet, Mme Marta de Cidrac, M. Jean-Yves Leconte, Mme Catherine Fournier , secrétaires ; MM. Pascal Allizard, Jean-Michel Arnaud, Jérémy Bacchi, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Philippe Bonnecarrère, Pierre Cuypers, Laurent Duplomb, Christophe-André Frassa, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, M. Daniel Gremillet, Mmes Pascale Gruny, Véronique Guillotin, Laurence Harribey, MM. Ludovic Haye, Jean-Michel Houllegatte, Patrice Joly, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Pierre Louault, Victorin Lurel, Franck Menonville, Mme Catherine Morin-Desailly, M. Louis-Jean de Nicolaÿ, Mmes Elsa Schalck, Patricia Schillinger .
Voir les numéros :
Sénat : |
847 (2020-2021) et 82 (2021-2022) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
Conformément à l'article 73 quinquies du Règlement du Sénat, la commission des affaires européennes est saisie d'une proposition de résolution européenne n° 847 (2020-2021), de Mmes Nathalie Goulet et Annick Billon tendant à renforcer et à uniformiser la lutte contre les violences fondées sur le genre .
L'objet de cette proposition est de demander l'élaboration d'une directive européenne sur la mise en place d'un cadre juridique commun pour lutter contre les violences fondées sur le genre. Cette demande s'inscrit dans un calendrier particulier puisque la Commission européenne devrait publier une initiative législative, sur le sujet, le 8 décembre prochain.
Le présent rapport s'articule autour d'un état des lieux du sujet et d'une partie plus prospective concernant l'initiative en cours de la Commission. Sont également présentés les éléments à l'appui des quelques modifications proposées sur le texte initial.
I. LES VIOLENCES DE GENRE, NOTAMMENT FAITES AUX FEMMES : UNE RÉALITÉ EN FRANCE ET DANS L'UNION EUROPÉENNE
A. LES STATISTIQUES RÉVÈLENT UN PHÉNOMÈNE MASSIF TANT EN FRANCE QUE DANS LE RESTE DE L'EUROPE
En préalable, il convient d'observer que le terme « violences de genre » - qui désigne « tout type d'acte préjudiciable perpétré contre une personne ou un groupe de personnes en raison de leur sexe, de leur genre, de leur orientation sexuelle et/ou de leur identité de genre, réels ou perçus » 1 ( * ) - est principalement utilisé pour évoquer les violences faites aux femmes, au vu des statistiques en la matière .
Toutefois, les violences de genre peuvent également affecter d'autres personnes, comme, par exemple, la communauté LGBTQ+ (lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et autres personnes qui ne correspondent pas à la norme hétérosexuelle ou aux traditionnelles catégories de genre, dites binaires) qui peuvent subir des violences fondées sur leur orientation sexuelle réelle ou perçue et/ou leur identité de genre. En outre, bien que statistiquement très faibles, les hommes peuvent également être victimes de violence fondée sur le genre .
Au vu des éléments précédents et de la proposition de résolution européenne examinée, les rapporteures ont choisi de centrer leur analyse sur la question des violences à l'égard des femmes .
Ainsi, la dernière étude de l'Agence européenne des droits fondamentaux de 2015, menée auprès de 42 000 femmes des 28 pays de l'Union, montrait qu'environ une femme sur trois avait subi des violences physiques et/ou sexuelles depuis l'âge de quinze ans . Cette étude est relativement ancienne, en raison de l'insuffisance de données complètes et comparables, ce que ne peuvent que regretter les rapporteures. Toutefois, le phénomène demeure patent ; une hausse de ces violences a été constatée avec la crise sanitaire et le développement du cyber-harcèlement .
En France, la dernière étude disponible révélait que 102 femmes avaient été tuées en 2020 : il s'agit d'un chiffre en baisse par rapport aux années précédentes, mais qui ne signifie toutefois pas une diminution des violences conjugales : par exemple, pendant le premier confinement imposé en raison de la pandémie de Covid-19, 45 000 appels ont été passés au numéro d'urgence 3919 entre le 16 mars et le 10 mai 2020, avec un pic à 29 400 appels au mois d'avril, soit trois fois plus qu'en janvier et février de la même année.
B. DES DISPOSITIFS RÉCENTS VISENT À ENDIGUER CES VIOLENCES
Le Grenelle sur la lutte contre les violences conjugales, lancé en septembre 2019 par le Gouvernement, a toutefois permis de nombreuses avancées. Il a marqué une véritable prise de conscience, encouragée également par le mouvement #MeToo .
Ce « Grenelle » a abouti à des dispositifs législatifs - à savoir notamment les lois n°2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille et n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales - et des mesures importantes .
La législation récente, en matière de lutte contre les violences faites aux femmes
Parmi les dispositifs législatifs votés récemment pour lutter contre les violences faites aux femmes, peuvent être citées :
*la loi n° 2019-1480 du 28 décembre 2019 visant à agir contre les violences au sein de la famille, qui comprend cinq grands chapitres avec notamment :
- le renforcement de l'ordonnance de protection des victimes de violences : la loi dispose désormais explicitement qu'un dépôt de plainte préalable n'est plus nécessaire et que le juge aux affaires familiales doit statuer dans un délai maximal de six jours à compter de la fixation de la date d'audience ;
- le retrait de l'autorité parentale ou de son exercice dans le cas où les père et mère sont condamnés comme auteurs, coauteurs ou complices d'un crime ou délit commis sur leur enfant ou l'autre parent ;
- l'élargissement du port du bracelet anti-rapprochement, dans le cadre désormais de la procédure de l'ordonnance de protection ou bien avant ou après jugement, à titre de peine de l'auteur des violences, à la demande ou avec le consentement exprès de la victime ;
- la loi prive de la pension de réversion le conjoint condamné pour avoir commis un crime ou délit à l'encontre de l'époux ;
- l'accès au logement : à titre expérimental, pour 3 ans, instauration d'un dispositif d'accompagnement financier, sous conditions de ressources, pour les victimes quittant le logement conjugal ou commun et bénéficiant d'une ordonnance de protection ;
- le téléphone grave danger (TGD) : le procureur de la République peut attribuer un TGD à une victime si l'auteur est en fuite ou lorsqu'une demande d'ordonnance de protection est en cours devant le juge aux affaires familiales ;
*la loi n° 2020-936 du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, qui vise notamment à :
- autoriser le juge à suspendre le droit de visite et d'hébergement à l'égard des enfants pour les personnes placées sous contrôle judiciaire, durant la phase d'enquête ou d'instruction ;
- interdire le recours à la médiation civile ou pénale en cas de violences ou d'emprise ;
- décharger les enfants et petits-enfants de l'obligation alimentaire qu'ils ont à l'égard de leur parent condamné pour violences conjugales ;
- porter à dix ans d'emprisonnement et 150 000 euros d'amende les peines encourues en cas de harcèlement sur conjoint lorsque celui-ci a conduit la victime à attenter à sa vie ;
- permettre au médecin de signaler aux autorités compétentes des faits de violence exercée au sein du couple lorsqu'il existe des éléments laissant craindre que la victime majeure se trouve sous l'emprise de l'auteur et qu'elle est en danger immédiat. Le professionnel de santé doit s'efforcer d'obtenir l'accord de la victime. En cas d'impossibilité d'obtenir cet accord, il doit l'informer du signalement fait au procureur de la République ;
-renforcer la répression de certains agissements comme le harcèlement au sein du couple ou encore la lutte contre l'exposition de mineurs à la pornographie.
Source : Direction générale de la cohésion sociale
Parmi les dispositifs encouragés à la suite du Grenelle, peuvent également être cités le bracelet anti-rapprochement et le « téléphone grave danger » (TGD) - dont 341 (pour le premier) et 2 310 (pour le second) ont été déployés au 31 août 2021 - ou encore la mise en oeuvre 24h/24h, 7j/7 du numéro d'appel 3919.
Une mesure a également retenu l'attention des rapporteures, il s'agit de la possibilité pour les victimes de violences de signaler les faits à la justice, directement depuis l'hôpital où les violences ont été constatées. Ce dispositif est notamment mis en oeuvre au CHU d'Amiens.
Le numéro d'urgence 3919 et le
téléphone grave danger :
deux mesures importantes de
lutte contre les violences, encouragées par le Grenelle
* Le numéro 3919 étendu 24h/24 7j/7 : créé et porté par la Fédération Nationale Solidarité Femmes (FNSF), le 3919 assure depuis 2014 un premier accueil téléphonique des femmes victimes de violences, de leur entourage et des professionnels concernés. Les répondants de la plateforme les orientent vers tout numéro et point d'accueil utiles. Cette organisation s'appuie, pour ce faire, sur de nombreux partenariats associatifs. Déjà expérimenté en 2020 par la FNSF pour une écoute 24h/24 et une accessibilité de sa ligne d'écoute, l'extension de la ligne a été officialisée le 25 mai 2021, lors de la signature d'une nouvelle convention pluriannuelle d'objectifs entre l'État et la FNSF.
Dès le 28 juin 2021, le 3919 a vu ses horaires étendus 24 heures sur 24 du lundi au vendredi, ainsi que son accessibilité aux personnes en situation de handicap (personnes sourdes, malentendantes et ayant des troubles du langage). Ce service anonyme et gratuit est désormais joignable 24H/24 et 7j/7 depuis le 30 août dernier.
* Le dispositif « téléphone grave danger » (TGD ) : sous pilotage du ministère de la justice, ce dispositif permet à la victime de joindre, en cas de grave danger, un service de téléassistance accessible 7j/7 et 24h/24. Cette plate-forme téléphonique reçoit les appels et évalue la situation. Après l'analyse de la situation, le téléassisteur, relié par un canal dédié aux services de la police nationale et aux unités de la gendarmerie nationale, demande immédiatement l'intervention des forces de l'ordre. Ce dispositif permet également la géolocalisation du bénéficiaire.
Fin 2020, 1 716 téléphones (1 615 en métropole et 101 outre-mer - Guadeloupe, Martinique, Guyane et La Réunion, soit une progression annuelle de 41 %) étaient déployés pour être attribués à des victimes. En 2020, la plateforme d'écoute a reçu 28 200 appels et les forces de l'ordre ont été sollicitées 1 185 fois ; 5 115 bénéficiaires de TGD (soit une progression annuelle de 92 %) ont été reçus par les associations pour au moins un entretien préalable ou d'accompagnement et 20 143 entretiens ont été réalisés au titre du TGD (soit une augmentation annuelle de 73 %).
Au 1 er août 2021, 2 310 TGD étaient déployés et 1 652 actifs, avec un objectif gouvernemental de 3 000 téléphones déployés fin 2021 , comme annoncé par le Premier ministre en juin dernier à la suite de la remise du rapport des inspections sur le féminicide de Mérignac.
Source : Direction générale de la cohésion sociale
Malgré ces avancées, des efforts du Gouvernement demeurent attendus par les acteurs de terrain, notamment sur la mise en oeuvre des mesures promises, particulièrement en matière d'hébergement, et sur la montée en charge de ces dispositifs, comme le téléphone grave danger.
Concernant l'échelon européen, il est intéressant de noter que, pour certaines de ces mesures, la France s'est inspirée des pays européens , comme l'Espagne pour le téléphone grave danger ou même la Suède pour les mesures d'accompagnement protégé.
Les rapporteures n'ont malheureusement pas pu obtenir de note comparative sur le sujet, dans le cadre de leurs auditions. Toutefois, d'après les entretiens réalisés, il ressort que l'Espagne fait figure de pays particulièrement avancé en la matière, avec une volonté politique forte et une approche systémique reconnue . Bien que les rapporteures conviennent qu'aucun modèle ne peut être qualifié de parfait, elles encouragent les pays de l'Union européenne - au premier rang desquels la France - à s'inspirer de ces exemples étrangers réussis. Il apparaît ainsi plus que nécessaire que la Commission européenne puisse favoriser l'échange de bonnes pratiques entre les pays de l'Union européenne sur le sujet .
II. MALGRÉ L'AMPLEUR DU PHÉNOMÈNE, L'ÉLABORATION D'OUTILS JURIDIQUES EUROPÉENS POUR L'ENDIGUER BUTE SUR DE NOMBREUX OBSTACLES
A. LA RATIFICATION DE LA CONVENTION DU CONSEIL DE L'EUROPE (DITE « D'ISTANBUL ») EST ACTUELLEMENT DANS UNE IMPASSE POLITIQUE
L'Union ne dispose pas aujourd'hui d'un cadre juridique commun et contraignant consacré aux violences de genre: seuls des principes d'égalité et de non-discrimination sont énoncés , notamment dans la Charte des droits fondamentaux et certains articles des traités 2 ( * ) . Des instruments spécifiques sectoriels existent mais ne sont pas spécifiques à ces violences. Il s'agit notamment de la directive 2011/99/UE relative à la décision de protection européenne en matière pénale et de la directive 2012/29/UE établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité.
Le seul cadre global pertinent aujourd'hui, au niveau européen, est la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (dite « Convention d'Istanbul »). La Convention pose un cadre contraignant pour la prévention des violences, la protection des victimes et la poursuite pénale des agresseurs. Elle définit les notions de violence domestique, de violence sexiste ou de violence de genre mais c'est avant tout un outil pratique qui, pour la première fois, centre son approche sur les victimes.
Adoptée en 2011 et entrée en vigueur en 2014, cette Convention d'Istanbul a été signée par tous les États membres et ratifiée par 21 d'entre eux 3 ( * ) . En juin 2017, elle a également été signée par l'Union européenne mais sa ratification est aujourd'hui toujours en suspens.
Le champ de la Convention d'Istanbul relève, pour partie, des compétences de l'Union européenne et, pour partie, de celles des États membres. Dès lors, cette convention est appelée à devenir un accord mixte. Par coutume, la ratification des traités internationaux fait l'objet d'un commun accord entre États membres au Conseil quand ils relèvent de compétences partagées. En ce qui concerne la Convention d'Istanbul, un tel préalable n'a pu être obtenu.
Saisie en juillet 2019 par le Parlement européen, la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) vient de rendre un avis à ce sujet le 6 octobre dernier. La Cour exclut que la recherche d'un commun accord puisse constituer un blocage et réaffirme le principe d'un vote à la majorité qualifiée en la matière . Cependant, si le blocage institutionnel est désormais levé, il est probable que, s'il devait être inscrit bientôt à son ordre du jour, ce dont il n'est pas question pour le moment, le texte rencontrerait une minorité de blocage au Conseil.
B. L'ÉLABORATION DE NORMES PAR L'UNION EUROPÉENNE SE HEURTE À DES DIFFICULTÉS D'ORDRE JURIDIQUE
Face à cette impasse politique, la Commission a proposé en mars 2020 une nouvelle stratégie pour l'égalité des genres et annoncé une initiative législative pour atteindre les mêmes objectifs que la Convention . La proposition devrait ajouter la violence faite aux femmes 4 ( * ) dans les « Eurocrimes » . Elle devrait également reprendre les éléments essentiels de la Convention 5 ( * ) . Le 15 septembre dernier, dans son discours sur l'état de l'Union, Mme von der Leyen a confirmé la publication de ce texte avant la fin de l'année. La date prévue est le 8 décembre prochain . L'objectif est clairement de le présenter avant la Présidence française de l'Union européenne, laquelle pourrait faire avancer les négociations.
Ce texte a néanmoins pris du retard. Le délai d'un an initialement annoncé n'a pas été respecté, en raison de quelques difficultés juridiques liées à la base légale dudit texte. En effet, l'article 83 paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) autorise l'adoption de directives pénales dans les « domaines de criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière » .
En ce qui concerne leur assimilation aux « Eurocrimes » , les féminicides et violences de genre ne remplissent pas les deux critères indispensables de l'article 83 paragraphe 1 du TFUE précité : s'ils sont effectivement d'une particulière gravité, ils ne présentent pas de caractère transfrontalier. Ne relèverait donc de cette catégorie dans le futur texte que le harcèlement en ligne si l'on reste à base légale constante.
Le Parlement européen a de son côté adopté le 16 septembre dernier une résolution contenant des recommandations à la Commission pour modifier cet article 83 §1 du TFUE et y intégrer la violence fondée sur le genre dans la liste des domaines de criminalité qu'il vise expressément, qui pourrait dès lors servir de base juridique pour une directive axée sur les victimes, visant à prévenir et à combattre toutes les formes de violence fondée sur le genre, en ligne et hors ligne.
En ce qui concerne les autres bases juridiques 6 ( * ) possibles de la directive, celles-ci ne permettent pas d'harmonisation globale, seulement la détermination de règles minimales, en particulier en matière pénale.
Tout ceci n'est cependant que conjecture puisque le texte ne sera présenté que début décembre. Les rapporteures craignent cependant que la directive annoncée soit avant tout un patchwork de mesures pour pallier ces difficultés.
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En conséquence, les rapporteures proposent d'amender la proposition de résolution européenne, déposée par Mmes Nathalie Goulet et Annick Billon, en tenant compte des éléments précités , en vue de son renvoi à la commission des lois.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission s'est réunie le mercredi 20 octobre 2021 pour l'examen du présent rapport. À l'issue de la présentation faite par les rapporteures, le débat suivant s'est engagé :
M. André Reichardt . - Je félicite les auteures et rapporteures ; la mobilisation que nous constatons traduit l'intérêt pour ce sujet, c'est un progrès quand nous aspirons à une action forte à l'échelon européen. Une observation : en changeant le titre, pour mentionner seulement les violences faites aux femmes, on exclut les violences faites aux hommes, qui sont certes statistiquement très faibles, comparées aux violences faites aux femmes, mais qui existent cependant. Je crois que nous devrions en tenir compte, de même qu'il faut inclure les violences faites, en raison du genre, aux LGBTQ+.
M. Ludovic Haye . - Le harcèlement en ligne est transfrontalier, est-il de ce fait distinct du cyber-harcèlement ? Les deux doivent-ils être traités à part, ou intégrés ?
M. François Calvet . - Vous dites que l'Espagne est en avance, ce n'est pas ce que nous constatons dans les territoires qui lui sont frontaliers. À Perpignan, l'exploitation sexuelle des femmes bat son plein avec le trafic routier venu d'Espagne, rien ne change malgré l'action conduite depuis des années, nos voisins le savent bien - la Province de Catalogne a même proposé d'intervenir à nos côtés.
M. Jean-François Rapin , président . - Effectivement, mais il est possible qu'il y ait un décalage dans le temps entre l'adoption de normes nouvelles, et leur application effective. L'avance des Espagnols semble en tout cas reconnue en matière législative.
Mme Marta de Cidrac . - Je salue le travail de la Délégation aux droits des femmes sur ce sujet. Le changement de titre de la PPRE ne me choque pas, tant les chiffres des violences faites aux femmes sont alarmants ; il est important que le message porte loin et que nous pointions précisément ce que nous visons - d'autant que notre pays est directement concerné, beaucoup de femmes, en France aussi, subissent des violences.
Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Les auteures de cette PPRE nous ont demandé d'en changer le titre, j'ai respecté leur volonté. Cela dit, je m'étais également interrogée, d'autant que la question du genre est déjà effective dans le droit mais que, statistiquement, les violences s'exercent très majoritairement sur des femmes.
Nous ne distinguons pas le harcèlement en ligne et le cyberharcèlement, les deux sont intégrés dans la PPRE.
Quant à l'avance normative espagnole, elle ne fait pas de doute et elle est le fruit d'une volonté politique effective, qui explique que nos voisins ont avancé plus vite que nous : je crois que c'est utile de le reconnaître. Lors de nos auditions, des écarts d'application entre régions espagnoles nous ont été rapportés, qui expliquent sans doute le constat dressé par notre collègue. En 2020, le Groupe d'experts du Conseil de l'Europe sur l'action contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique (GREVIO) a publié son premier rapport sur l'Espagne, rapport qui déplorait effectivement d'importantes différences découlant de l'importante autonomie des régions espagnoles.
M. André Reichardt . - Je n'ai pas d'opposition effective au changement de titre de la PPRE, je le dis d'autant plus librement qu'il y a deux mois, j'ai assisté au colloque organisé par la Délégation aux droits des femmes, sur les violences faites aux femmes mannequins : il me semble que l'idée d'une PPRE est venue alors.
Mme Laurence Harribey , rapporteure . - C'est exact.
M. André Reichardt . - Cependant, je crois utile de mentionner, dans le texte de la PPRE, que les violences visées sont aussi celles qui sont faites en raison du genre.
M. Ludovic Haye . - Attention, aussi, à ne pas créer de doublons avec les mécanismes d'alerte qui existent déjà, comme la ligne d'urgence de l'Éducation nationale contre le cyber-harcèlement.
Mme Laurence Harribey , rapporteure . - Effectivement, il faut y veiller. Les auditions nous ont donné des pistes de travail intéressantes qu'il nous faudra poursuivre.
La commission a conclu à l'adoption de la proposition de résolution européenne ainsi modifiée.
Proposition de résolution européenne
tendant à
renforcer la lutte contre les violences faites aux
femmes
Le Sénat,
Vu l'article 88-4 de la Constitution,
Vu l'article 2 du traité sur l'Union européenne,
Vu les articles 8 et 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatifs au principe de l'égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre l'exploitation sexuelle des femmes,
Vu le chapitre I er de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne,
Vu la convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique signée à Istanbul le 11 mai 2011,
Vu la directive 2011/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2011 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes et remplaçant la décision-cadre 2002/629/JAI du Conseil,
Vu la directive 2011/99/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 relative à la décision de protection européenne,
Vu la directive 2012/29/UE du Parlement européen et du Conseil du 25 octobre 2012 établissant des normes minimales concernant les droits, le soutien et la protection des victimes de la criminalité et remplaçant la décision-cadre 2001/220/JAI du Conseil,
Vu la communication de la Commission du 5 mars 2020 intitulée : « Une Union de l'égalité: stratégie en faveur de l'égalité entre les hommes et les femmes 2020-2025 »,
Vu la résolution 2021/2035 pour l'identification de la violence fondée sur le genre comme un nouveau domaine de criminalité énuméré à l'article 83, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne du 16 septembre 2021 du Parlement européen,
Considérant que l'État de droit nécessite le respect des principes fondamentaux de l'égalité entre les hommes et les femmes ;
Considérant les difficultés rencontrées pour consacrer un cadre juridique commun dans le droit européen en matière de lutte contre les violences subies par les femmes ;
Considérant l'absence d'une législation européenne spécifique à la lutte contre les violences fondées sur le genre et notamment subies par les femmes ;
Considérant les ambitions annoncées par la stratégie de l'Union européenne en faveur de l'égalité hommes-femmes 2020-2025 ;
Demande au Gouvernement d'élaborer avec ses partenaires européens un cadre juridique commun à la lutte contre les violences faites aux femmes, qu'elles soient physiques ou sexuelles ;
Demande l'élaboration d'une directive européenne sur la mise en place d'un cadre juridique commun à la lutte contre les abus et les violences faites aux femmes, reprenant les dispositions de la convention d'Istanbul ;
Souhaite notamment que cette directive européenne enjoigne aux États membres l'établissement de mesures visant à lutter contre toutes les formes de violence faites aux femmes, dont :
- des mesures pénales minimales, mesures définies au préalable selon les standards préétablis par les institutions du système juridique européen,
- des mesures de prévention, de soutien et de protection des victimes de telles violences, facilitant notamment l'accès des victimes à la justice, dès le premier signalement des violences, y compris en milieu hospitalier,
- des mesures visant à assurer la coopération entre les États membres et l'échange de bonnes pratiques, d'informations et d'expertise ;
Invite le Gouvernement à faire valoir cette position dans les négociations au Conseil.
LA RÉSOLUTION EN CONSTRUCTION
Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la résolution en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :
https://www.senat.fr/tableau-historique/ppr20-847.html
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
- Mme Ernestine RONAI , co-présidente de la commission « violences de genre » au Haut Conseil à l'Égalité entre les femmes et les hommes (HCE) et responsable de l'Observatoire départemental des violences faites aux femmes en Seine-Saint-Denis ;
- Mme Hélène FURNON-PETRESCU, cheffe du Service des droits des femmes et de l'égalité (SDFE) de la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), et Mme Catherine LESTERPT, son adjointe ;
- Mme Constance DELER , cheffe du secteur Parlements, Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) ;
- Mme Vanessa EL KHOURY-MOAL, cheffe du bureau justice pénale et civile, Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) et Mme Amandine MANZOLI, son adjointe ;
- Mme Mathilde ARNAL, adjointe au chef du bureau solidarité santé, jeunesse et culture, Secrétariat général des affaires européennes (SGAE) ;
- Mme Yasmine BEAUVINON EL BOUSTANI, adjointe de la conseillère juridique, Secrétariat général des affaires européennes (SGAE).
* 1 Rapport explicatif à la Convention du Conseil de l'Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique.
* 2 L'article 2 du traité sur l'Union européenne et les articles 8 et 83 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne relatifs au principe de l'égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre l'exploitation sexuelle des femmes.
* 3 Belgique, Danemark, Allemagne, Estonie, Grèce, Espagne, France, Croatie, Irlande, Italie, Chypre, Luxembourg, Malte, Pays-Bas, Autriche, Pologne, Portugal, Roumanie, Slovénie, Finlande, Suède. La Pologne l'a ratifiée en 2015 mais a annoncé en juillet 2020 son intention de se retirer du traité.
Les pays bloquant la ratification sont 6 pays de l'Est : Bulgarie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Slovaquie et République Tchèque.
* 4 Il s'agissait d'introduire dans l'article 83 § 1 du TFUE des mesures supplémentaires pour prévenir et combattre des formes spécifiques de violence sexiste, dont le harcèlement sexuel, la maltraitance des femmes et les mutilations génitales féminines.
* 5 Elle devrait comprendre une définition commune des violences et des sanctions pénales minimales. Des mesures devaient être prises pour combattre les violences sexistes, le harcèlement, la maltraitance, les mutilations génitales, les mariages forcés, les avortements et les stérilisations forcées. Devrait être également ajoutée une recommandation sur la prévention des pratiques préjudiciables, portant notamment sur la nécessité de mesures préventives efficaces et reconnaissant l'importance de l'éducation. La recommandation devrait aussi aborder le renforcement des services publics, les mesures de prévention et de soutien, le renforcement des capacités des professionnels et l'accès à la justice centré sur les victimes.
* 6 Article 78§2 sur l'asile, article 82§2 sur la coopération judiciaire et policière, article 84 sur la prévention et article 336 sur le statut des fonctionnaires de l'Union. Aux termes du paragraphe 2 de l'avis de la CJUE du 6 octobre 2021 : « la base juridique matérielle appropriée pour l'adoption de l'acte du Conseil portant conclusion par l'Union de la partie de la convention d'Istanbul faisant l'objet de l'accord envisagé, au sens de l'article 218, paragraphe 11, TFUE, est composée de l'article 78, paragraphe 2, de l'article 82, paragraphe 2, ainsi que des articles 84 et 336 TFUE ».