Rapport n° 660 (2020-2021) de Mme Annie LE HOUEROU , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 2 juin 2021

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N° 660

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juin 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi
relative à la
protection sociale globale ,

Par Mme Annie LE HOUEROU,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Patrick Boré, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Élisabeth Doineau, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Laurence Garnier, Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, M. Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, M. Olivier Léonhardt, Mmes Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Dominique Théophile .

Voir les numéros :

Sénat :

430 et 661 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 2 juin 2021 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales a examiné le rapport de Mme Annie Le Houerou sur la proposition de loi relative à la protection sociale globale .

Si la rapporteure considère que la mesure proposée contribue à améliorer l'accès aux droits et aux prestations sociales, la commission n'a pas adopté la proposition de loi , jugeant que le dispositif qu'elle propose, qui est partiellement satisfait ou le deviendra prochainement, n'apporte pas de réel bénéfice pour lutter contre le non-recours aux droits et se heurte à des difficultés de mise en oeuvre.

I. LE NON-RECOURS AUX DROITS ET PRESTATIONS : UN PROBLÈME COMPLEXE ET DES SOLUTIONS DÉPLOYÉES EN ORDRE DISPERSÉ

A. LE NON-RECOURS AUX DROITS, PHÉNOMÈNE REDOUTABLEMENT COMPLEXE

Le phénomène du non-recours aux droits et prestations est mal connu . Selon la direction statistique des ministères sociaux (Drees), la plupart des chiffres reposent sur des analyses difficilement extrapolables, si bien que « dépasser la complexité liée au manque d'information » en la matière est un « véritable défi pour la statistique publique ». Les données disponibles semblent toutefois indiquer que :

- le taux de recours à la CMU-C était estimé en 2018 entre 56 % et 68 %, et celui de recours à l'ACS entre 33 % et 47 % ;

- le non-recours aux prestations destinées aux personnes à faibles ressources est en toute hypothèse important : le taux de recours trimestriel moyen à la prime d'activité était estimé en 2016 à 73 % en effectif et à 77 % en masses financières ;

- la CNAF estime qu'entre 7,5 % et 8,2 % des allocataires de la branche famille ne recourraient pas, en 2018, à tous leurs droits ;

- le non-recours aux prestations de soutien à l'autonomie est relativement moins important, les prestations destinées aux personnes handicapées faisant partie des mieux connues des Français.

Le non-recours est un phénomène complexe . Diversifié, il s'observe tant au stade de la demande initiale qu'après celle-ci ; il est également cumulatif, en raison de l'interdépendance des aides, et dynamique, c'est-à-dire à analyser selon les parcours de vie des personnes. Il touche davantage les pères seuls, les personnes vivant en habitat précaire, les étrangers et les personnes n'ayant pas d'emploi stable.

Les raisons du non-recours sont nombreuses : la principale est liée à la complexité des démarches, qui décourage les demandeurs, voire les effraie. Sont également en cause l'ignorance des dispositifs existants ou leur méconnaissance - les personnes éligibles au RSA ayant des situations professionnelles à revenus instables étant celles qui sont le moins sûres de leur droit. Il existe enfin un non-recours volontaire, motivé par le refus de la stigmatisation ou la conviction qu'il y a toujours plus malheureux que soi.

Le non-recours d'après les données annuelles du Secours catholique (2010-2019)

Source : Non-recours : une dette sociale qui nous oblige , rapport du Secours catholique, avril 2021

B. LES OUTILS DE LUTTE CONTRE LE NON-RECOURS : ENTRE DÉMARCHES INDIVIDUALISÉES ET RÉFORMES SYSTÉMIQUES

Les moyens donnés ces dernières années à la politique de lutte contre le non-recours aux droits et prestations peuvent être regroupés en trois grandes catégories.

D'abord, les organismes responsables de la gestion des prestations ont été encouragés à mieux accompagner leurs allocataires . La lutte contre le non-recours aux droits fait partie des missions légales des caisses de sécurité sociale depuis 2018. Depuis 2014 même, les caisses d'allocations familiales ont mis en place des « rendez-vous des droits », entretiens personnalisés destinés à évaluer l'éligibilité des allocataires à différentes aides ou prestations de la branche famille, ainsi qu'à les informer et les orienter vers des dispositifs gérés par d'autres opérateurs.

Y sont en particulier examinés les droits relatifs aux prestations sociales et familiales légales, aux aides au logement, à la CMU-c et à la complémentaire santé solidaire (C2S), à l'allocation de solidarité spécifique et aux tarifs sociaux de gaz/électricité. L'article 82 de la LFSS pour 2021 renforce les possibilités de ciblage des allocataires en autorisant l'usage du dispositif de ressources mensuelles (DRM) à des fins de data-mining auprès des allocataires connus des CAF comme non-allocataires.

Ensuite, des efforts sont déployés pour mieux informer les administrés et fluidifier les échanges entre administrations . Au-delà des simulateurs en ligne proposés par les différents organismes gestionnaires, le portail numérique des droits sociaux ( mesdroitssociaux.gouv.fr ) permet aux assurés de visualiser et comprendre leurs droits, simuler leurs droits sociaux et réaliser leurs démarches en ligne relatives à la retraite, l'emploi, la santé, le logement, mais aussi les prestations de solidarité, les allocations familiales ou encore les aides extralégales de certaines collectivités territoriales.

Enfin, de grands espoirs sont fondés dans la refonte des dispositifs sociaux eux-mêmes afin de réduire la complexité dont se plaignent les usagers. Proposée par le Président de la République le 13 septembre 2018 dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté, l'idée d'un revenu universel d'activité (RUA) simplifierait par hypothèse l'accès aux différents dispositifs qu'il viendrait à remplacer. Le chantier a toutefois été ralenti, voire stoppé, par la crise sanitaire et ne pourra s'achever avant la fin du quinquennat.

Aussi intéressantes qu'elles soient, ces démarches se heurtent soit à la complexité de réformer un paysage d'aides sociales sédimentées et au temps nécessaire à leur mise en oeuvre, soit au fait qu'elles n'atteignent pas les publics les plus éloignés des dispositifs sociaux, affectés par la fracture numérique ou l'exclusion sociale - le schéma ci-dessous, issu des travaux du Secours catholique, en donne une illustration intéressante, bien que fondée sur un petit nombre de répondants.

Dématérialisation :
perception des personnes interrogées par le Secours catholique

Source : Non-recours : une dette sociale qui nous oblige , rapport du Secours catholique, avril 2021

II. SYSTÉMATISER L'EXAMEN DE L'ÉLIGIBILITÉ AUX DROITS, UNE APPROCHE COMPLÉMENTAIRE AUX CHANTIERS EN COURS

A. LA PROPOSITION DE LOI SYSTÉMATISE L'EXAMEN DE L'ÉLIGIBILITÉ AUX DROITS

La proposition de loi comporte un unique article concevant les droits et prestations par « îlots » : il distingue de grandes catégories de prestations au sein desquelles l'examen de l'éligibilité est rendu automatique, et prévoit des mécanismes poursuivant le même but entre chaque ensemble de prestations.

Le premier « îlot » est relatif aux prestations relevant du soutien à l'autonomie : l'admission au bénéfice de l'AAH, de la PCH, de l'APA ou de la carte mobilité inclusion entraîne automatiquement l'examen de l'éligibilité aux autres de ces droits et prestations qui ne lui sont pas incompatibles. Le même mécanisme est prévu pour les prestations destinées aux personnes à faibles ressources : la prime d'activité et les trois aides au logement (APL, ALF et ALS).

Les îlots sont en outre reliés entre eux : l'autorité qui prononce l'admission au bénéfice d'un droit ou d'une prestation du premier ensemble saisit sans délai les organismes compétents pour l'examen de l'éligibilité aux prestations du second ensemble. Les deux ensembles sont pareillement reliés au revenu de solidarité active (RSA), ainsi qu'à la complémentaire santé solidaire (C2S).

Lorsque l'autorité en a la compétence et dispose de tous les éléments nécessaires, elle se prononce simultanément sur l'admission de l'intéressé au bénéfice d'un ou plusieurs autres droits ou prestations prévus aux mêmes alinéas ainsi que sur l'admission du foyer au bénéfice du RSA. À défaut, elle informe le bénéficiaire qu'il sera procédé sans délai à l'examen de son dossier et lui indique l'organisme compétent. Elle peut communiquer à chacun les informations dont elle dispose sur les ressources de l'intéressé. Le texte entend par ailleurs éviter les requêtes sans objet et permettre, à la suite d'un premier refus, l'examen de l'éligibilité du demandeur à d'autres droits ou prestations, ou la saisine à cette fin de l'autorité compétente.

La rapporteure considère que la mesure proposée , qui s'inscrit dans les démarches déjà engagées par les organismes sociaux et les départements, permettrait de renforcer l'accès aux droits par une systématisation des examens d'éligibilité à un ensemble d'aides sociales, sans retarder pour autant l'octroi de l'aide initialement demandée par son bénéficiaire. Elle contribue ainsi à améliorer l'effectivité des droits sociaux, que les services publics doivent garantir à l'ensemble des citoyens. Elle éviterait à certaines personnes de se retrouver dans des situations encore plus complexes et de sombrer dans la grande pauvreté.

B. UNE APPROCHE QUE LA COMMISSION A JUGÉE INABOUTIE

La commission a d'abord estimé que l'idée sous-tendant le dispositif proposé était déjà en partie satisfaite , les MDPH instruisant par exemple depuis 2019 les demandes via un formulaire unique pouvant donner lieu à l'ouverture, par la commission compétente, d'un droit autre que celui demandé.

Elle s'est interrogée en outre sur la cohérence du périmètre retenu par le texte - l'Aspa n'en faisant par exemple pas partie - et ses conséquences pratiques : la diversité des conditions d'éligibilité aux diverses prestations, par exemple, ne permettant pas à un organisme d'examiner le droit à une prestation sur la seule base des informations recueillies à l'occasion de l'examen d'une autre prestation.

Elle a encore considéré que le dispositif proposé alourdirait les charges de gestion pour les organismes gestionnaires du fait du nombre de dossiers à instruire, voire à ré-instruire si des demandes concomitantes sont déposées. La diversité des bases ressources accroît en outre le risque de dossiers incomplets, et la diversité des dispositifs exige la formation des agents à ceux dont la charge incombe à un autre organisme que le leur.

Elle a par ailleurs fait valoir que, d'une part, les progrès en cours dans la constitution d'une base de données transversale agrégeant les revenus connus des administrations , et d'autre part le chantier du RUA, rendraient le dispositif proposé par la proposition de loi inutile, éventuellement inadapté, et possiblement dépassé puisqu'il ne vise par hypothèse que les demandeurs d'une prestation, quand le rapprochement des sphères fiscales et sociales permettra de repérer tous publics éligibles. Ces raisons l'ont amenée à ne pas adopter la proposition de loi.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Examen automatique de l'éligibilité à certaines prestations sociales lorsqu'une personne se voit ouvrir un droit à prestation

Le présent article prévoit, dès lors qu'une personne est admise au bénéficie d'une prestation sociale, l'examen automatique de son éligibilité à un ensemble d'autres prestations sociales relevant du champ de l'autonomie et des minima sociaux. La commission n'a pas adopté cet article.

I - Le dispositif proposé

Le présent article regroupe des prestations relevant du champ de l'autonomie et des faibles ressources (aides au logement et prime d'activité) afin qu'il soit procédé à l'examen automatique de l'éligibilité d'un bénéficiaire d'une de ces prestations aux autres prestations visées . Il étend ensuite cet examen au revenu de solidarité active et à la complémentaire santé solidaire et précise les conditions d'examen de cette éligibilité afin que les organismes compétents puissent être saisis et éviter les demandes sans objet ou les instructions redondantes. La nature des prestations visées, leurs conditions d'éligibilité et les guichets concernés sont répertoriés dans le tableau en page 14 .

A. Examen automatique de l'éligibilité du bénéficiaire à un ensemble de droits et prestations du champ de l'autonomie, à la prime d'activité et aux aides au logement

Le I du présent article prévoit que l'admission au bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) 1 ( * ) , de la prestation de compensation du handicap (PCH) 2 ( * ) , de l'allocation personnalisée d'autonomie (APA) 3 ( * ) ou de la carte mobilité inclusion (CMI) 4 ( * ) entraîne automatiquement l'examen de l'éligibilité du bénéficiaire aux autres de ces prestations qui ne lui sont pas incompatibles.

Il est précisé que cet examen automatique n'est pas effectué lorsqu'est octroyée l'allocation personnalisée d'autonomie à titre provisoire, en cas d'urgence attestée d'ordre médical et social 5 ( * ) ou lorsque la décision d'attribution de l'APA n'est pas prise dans un délai de deux mois 6 ( * ) .

Le II du présent article prévoit que l'admission au bénéfice de la prime d'activité 7 ( * ) , de l'aide personnalisée au logement (APL), de l'allocation de logement familiale (ALF) ou de l'allocation de logement sociale (ALS) 8 ( * ) entraîne automatiquement l'examen de l'éligibilité du bénéficiaire aux autres de ces prestations qui ne lui sont pas incompatibles.

Le III du présent article prévoit que l'autorité qui prononce l'admission au bénéfice d'une des prestations visées au I (AAH, PCH, APA ou CMI) doit saisir sans délai la CAF ou la caisse de la MSA compétente afin qu'elle procède à l'examen de l'éligibilité de l'intéressé à la prime d'activité et aux aides au logement (APL, ALF, ALS).

B. Extension de l'examen automatique d'éligibilité du bénéficiaire au revenu de solidarité active et à la complémentaire santé solidaire

Les IV et V du présent article prévoient que l'autorité qui prononce l'admission au bénéfice d'une des prestations visées au I ou au II (AAH, PCH, APA, CMI, prime d'activité, APL, ALF ou ALS) :

- doit saisir sans délai le président du conseil départemental pour l'examen de l'éligibilité et, le cas échéant, de l'admission de l'intéressé au revenu de solidarité active (RSA) 9 ( * ) ;

- doit saisir sans délai la caisse assurant la prise en charge des frais de santé du bénéficiaire pour l'examen de son éligibilité et, le cas échéant, de son admission à la complémentaire santé solidaire (CSS) 10 ( * ) .

C. Modalités de mise en oeuvre de l'examen automatique de l'éligibilité du bénéficiaire aux droits et prestations visées

Le VI du présent article précise les modalités d'action et d'information de l'usager attendues des organismes saisis d'une demande d'octroi d'une prestation visée aux I et II (AAH, PCH, APA, CMI, prime d'activité, APL, ALF ou ALS). Si l'organisme dispose de tous les éléments nécessaires, il se prononce simultanément sur l'admission de l'intéressé au bénéfice d'un ou plusieurs autres droits prévus aux mêmes I et II, ainsi que sur l'admission du foyer au bénéfice du RSA.

À défaut, l'organisme informe le bénéficiaire qu'il sera procédé sans délai à l'examen de son éligibilité aux autres prestations et lui indique les organismes chargés de cet examen . Dans ce cadre, l'organisme pourra communiquer aux autres organismes qu'il saisit les informations dont il dispose sur les ressources de l'intéressé, après l'en avoir informé. Il est enfin précisé que la date de notification au bénéficiaire du fait qu'il est procédé à l'examen de son éligibilité à d'autres prestations ouvre le délai à prendre en compte pour déterminer les conséquences du silence gardé par l'organisme. Cette dernière précision serait toutefois à concilier avec les dispositions de l'article L. 114-3 du code des relations entre le public et l'administration, qui fixe une ouverture de délais différente, puisqu'il dispose que « Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite de rejet court à compter de la date de réception de la demande par l'administration initialement saisie. / Le délai au terme duquel est susceptible d'intervenir une décision implicite d'acceptation ne court qu'à compter de la date de réception de la demande par l'administration compétente. Si cette administration informe l'auteur de la demande qu'il n'a pas fourni l'ensemble des informations ou pièces exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur, le délai ne court qu'à compter de la réception de ces informations ou pièces. »

Le VII prévoit qu'il n'est pas procédé aux examens automatiques d'éligibilité lorsque l'intéressé n'est manifestement pas éligible aux autres prestations visées ou en bénéficie déjà (ainsi que le prévoit le VII du présent article). Les dispositions de ce VII, ainsi que le fait que cet examen automatique n'est pas effectué lorsque l'admission au bénéfice d'une prestation résulte déjà d'un examen automatique d'éligibilité, sont mentionnées au début des I, II, III, IV et V du présent article afin d' éviter les requêtes sans objet et le renvoi sans fin des demandes .

Le VIII dispose qu' en cas de rejet d'une demande portant sur un droit ou prestation relevant des I à IV, l'autorité peut procéder à l'examen de l'éligibilité du demandeur à un ou plusieurs autres droits ou prestations ou saisir à cette fin l'autorité compétente . Il précise que les délais de recours contre une décision de rejet courent à compter de la notification de cette décision.

Le IX prévoit qu'après examen automatique d'éligibilité, l'autorité admettant l'intéressé au bénéfice d'un droit ou d'une prestation l'informe des éventuelles incompatibilités de ce droit ou de cette prestation. Il précise que la personne peut à tout moment y renoncer.

Droits et prestations visés par l'article unique

Prestation

Finalité / Nature

Conditions d'attribution

Guichet

Financeur

Allocation aux adultes handicapés (AAH) et majoration pour la vie autonome (MVA)

Minimum social pour personnes en situation de handicap

- Taux d'incapacité d'au minimum 80 % ou de 50 à 79 % et restriction d'accès à un emploi

- Avoir au moins 20 ans

- Sous conditions de ressources

MDPH
CAF / MSA

État

AAH pour Mayotte

Minimum social pour personnes en situation de handicap

- Taux d'incapacité d'au minimum 80 %

- Avoir au moins 20 ans

- Sous conditions de ressources

MDPH
CCSM

État

Prestation de compensation du handicap (PCH)

Aide financière destinée à compenser les dépenses liées à la perte d'autonomie de la personne handicapée

- Rencontrer une difficulté absolue pour la réalisation d'une activité du quotidien ou une difficulté importante pour au moins deux activités

- Sans conditions de ressources ; modulée selon les ressources

MDPH
Département

Département

Allocation personnalisée d'autonomie (Apa)

Aide financière destinée à compenser les dépenses liées à la perte d'autonomie de la personne âgée

- Être âgé d'au moins 60 ans

- Conditions de dépendance

- Sans conditions de ressources mais modulée en fonction des ressources et du plan d'aide proposé par le département

Département

Département

Carte mobilité inclusion

Bénéficier d'une priorité d'accès aux places réservées aux personnes en perte d'autonomie (transports, parkings, salles d'attente)

Reconnaissance d'un certain taux d'invalidité, d'incapacité ou de niveau de dépendance

MDPH (personnes handicapées)

Maison de l'autonomie (bénéficiaires de l'APA)

Département

Prime d'activité

Inciter à l'activité en compensant la modestie des revenus tirés de certaines activités professionnelles

- Avoir une activité professionnelle

- Résider en France de manière stable et effective

- Sous conditions de ressources

CAF / MSA

État

Aide personnalisée au logement (APL)

Diminuer le coût d'un logement pour un célibataire ou un couple, avec ou sans personne à charge, et qui loue un logement conventionné

- Sous condition de logement

- Sous condition de ressources

- Ne pas être rattaché au foyer fiscal de parents qui paient l'impôt sur la fortune immobilière (IFI)

CAF / MSA

État

Allocation de logement familiale (ALF)

Diminuer le coût d'un logement pour un célibataire ou un couple, avec une personne à charge, et qui loue un logement non conventionné

- Sous condition de logement

- Sous condition de ressources

- Ne pas être rattaché au foyer fiscal de parents qui paient l'impôt sur la fortune immobilière (IFI)

CAF / MSA

État

Allocation de logement sociale (ALS)

Diminuer le coût d'un logement pour un célibataire ou un couple, sans personne à charge, et qui loue un logement non conventionné

- Sous condition de logement

- Sous condition de ressources

- Ne pas être rattaché au foyer fiscal de parents payant l'impôt sur la fortune immobilière (IFI)

CAF / MSA

État

Revenu de solidarité active (RSA)

Minimum social destiné à compenser les faibles ressources d'un foyer

- Être âgé de plus de 25 ans ou assumer la charge d'un ou plusieurs enfants

- Être français ou titulaire, depuis au moins 5 ans, d'un titre de séjour autorisant à travailler.

Ne pas être élève, étudiant ou stagiaire (sauf parent isolé), ni en congé parental, sabbatique, sans solde ou en disponibilité

- Sous condition de ressources (plafond de revenus d'activité de 565 euros par mois pour une personne seule sans enfant)

CAF / MSA

Département

Complémentaire santé solidaire

Remboursement de la part complémentaire des dépenses de santé des ménages modestes

- Relever de l'assurance maladie pour ses frais de santé

- Sous condition de ressources

Assurance maladie

Assurance maladie

Source : commission des affaires sociales du Sénat

II - La position de la commission

La mesure proposée constitue un outil supplémentaire donné aux caisses de sécurité sociale et aux départements pour lutter contre le non-recours aux droits sociaux . Il complète les dispositifs existants d'information (plateformes en ligne « mes droits sociaux » et « mon parcours handicap ») et d'accompagnement (« rendez-vous des droits » des CAF) des usagers en systématisant la notification aux allocataires d'une prestation de leur éligibilité à un ensemble d'autres aides. Il permet d'agir de manière préventive pour éviter les ruptures de droits et l'éloignement des aides sociales des personnes vulnérables, en procédant, sans démarche supplémentaire de leur part, à l'instruction de leur éligibilité à plusieurs droits et prestations qu'elles n'auraient pas forcément demandés.

L'élément déclencheur des examens automatiques d'éligibilité étant l'octroi de la prestation demandée par le bénéficiaire, le mécanisme proposé ne retardera pas pour l'usager l'instruction de sa demande initiale .

Le dispositif proposé, à périmètre constant des droits et prestations sociales, a le mérite d'offrir un mécanisme applicable dans un délai raisonnable , alors que les travaux engagés par le Gouvernement pour mettre en place un revenu universel d'activité ne trouveront pas de traduction concrète avant la fin de ce quinquennat. C'est pourquoi la rapporteure soutient le dispositif proposé.

Toutefois, la commission a exprimé plusieurs réserves quant à l'opportunité et à la portée concrète de ce mécanisme d'examen automatique d'éligibilité . Le périmètre des prestations retenu, qui n'englobe pas les prestations familiales ou encore l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), semble discutable et les mécanismes proposés se heurtent à des difficultés de mise en oeuvre pour les caisses et organismes concernés : allers-retours entre organismes, faisabilité des examens d'éligibilité à des prestations aux conditions d'octroi diverses et prenant en compte des assiettes de ressources différentes.

Le mécanisme proposé , qui se borne à informer le bénéficiaire de son éligibilité à d'autres prestations , ne semble pas constituer un apport significatif pour la lutte contre le non-recours aux droits sociaux par rapport aux dispositifs déjà mis en oeuvre . Enfin, il ne s'adresse qu'aux personnes ayant déjà formulé une demande de prestation et ne vise pas les personnes les plus éloignées des aides sociales , qui ne franchissent pas la porte des guichets, et qui devraient pourtant constituer le public prioritaire des politiques de lutte contre l'exclusion et contre le non-recours aux droits sociaux.

La commission n'a pas adopté cet article.

EXAMEN EN COMMISSION

___________

Réunie le mercredi 2 juin 2021 sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission des affaires sociales a examiné le rapport de Mme Annie Le Houerou sur la proposition de loi (n° 430, 2020-2021) relative à la protection sociale globale.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons à présent le rapport de Mme Annie Le Houerou sur la proposition de loi relative à la protection sociale globale.

Mme Annie Le Houerou . - Le groupe socialiste, écologiste et républicain a inscrit à l'ordre du jour de son espace réservé du 9 juin la proposition de loi de notre collègue Rachid Temal relative à la protection sociale globale.

Avant d'aborder le contexte dans lequel s'inscrit ce texte et le dispositif qu'il propose, il me revient de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution : je considère qu'il comprend des dispositions relatives aux conditions d'examen de l'éligibilité aux droits et prestations relevant du champ de la perte d'autonomie, des minima sociaux, des aides au logement et de la complémentaire santé solidaire.

En revanche, j'estime que ne présenteraient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé, des amendements relatifs aux critères d'éligibilité de chacune des prestations visées par la proposition de loi ; à la nature, au contenu et aux conditions de versement des prestations et droits sociaux ; aux compétences des organismes débiteurs des prestations et droits sociaux pour le financement, le calcul et le versement ce ces prestations.

De tels amendements seraient donc déclarés irrecevables par notre commission en application de l'article 45 de la Constitution.

Une partie significative des destinataires des droits et prestations sociales ne les demandent pas ou renoncent à leur bénéfice par découragement.

Personne n'ignore ce phénomène de non-recours aux droits, mais nul ici ne peut s'y résigner car, qu'elle soit motivée par l'égalité réelle, la justice sociale, la générosité ou la bonne gestion, et quoi qu'on range sous ces termes, notre présence dans cette commission, mes chers collègues, présuppose notre attachement au système de redistribution patiemment échafaudé sur le programme consensuel de l'après-guerre.

Or notre tissu social, déjà tailladé par les crises et parfois par les réformes censées nous en extraire, se passerait bien de l'entaille supplémentaire que laissent l'ignorance ou le refus, par nos concitoyens les plus fragiles, de l'aide que la collectivité a pourtant conçue pour eux.

D'une part car une rupture de droits suffit parfois à déclencher un engrenage terrible pour les personnes, d'autre part car notre système de solidarité est un garant fondamental de notre pacte républicain.

La résignation devant le non-recours aux droits ne ferait d'ailleurs que l'alimenter : à constater l'extrême difficulté à le quantifier, ou à le réduire à un phénomène « frictionnel », c'est-à-dire lié temporairement aux changements de situation des personnes, on finirait vite par confirmer la pire crainte des plus précaires, selon laquelle la complexité du système est savamment entretenue. Et lorsqu'on y verrait avec soulagement des dépenses en moins, c'est sur notre conscience de législateur que pèserait encore le poids de ces « économies honteuses » dont parle le Secours catholique dans son dernier rapport.

Jugez-en plutôt : ce dernier estime qu'un tiers des allocataires potentiels du revenu de solidarité active (RSA) n'en bénéficient pas, ou encore qu'un quart des personnes éligibles aux allocations familiales ne les perçoivent pas. Le non-recours est un phénomène diversifié, qui s'observe tant au stade de la demande initiale qu'après celle-ci ; c'est un phénomène également cumulatif en raison de l'interdépendance des aides, et dynamique, c'est-à-dire à analyser selon les parcours de vie des personnes. Il touche ainsi davantage les pères seuls, les personnes vivant en habitat précaire, les étrangers et les personnes n'ayant pas d'emploi stable.

Les raisons du non-recours sont nombreuses : d'abord, l'ignorance ou la méconnaissance des dispositifs existants - les personnes éligibles au RSA ayant des situations professionnelles à revenus instables étant celles qui sont le moins sûres de leur droit. Le non-recours peut aussi être volontaire, motivé par le refus de la stigmatisation ou la conviction qu'il y a toujours plus malheureux que soi... Mais la principale cause réside dans la complexité des démarches, qui décourage les demandeurs, voire les effraie.

Les pouvoirs publics ne ménagent certes pas leurs efforts pour y remédier. Les organismes gestionnaires ont été responsabilisés dans la lutte contre le non-recours, qui fait désormais partie des missions légales des caisses de sécurité sociale. Les CAF obtiennent des résultats honorables grâce à leurs « rendez-vous des droits » ciblés sur des allocataires très choisis. De nombreuses procédures ont été simplifiées et les échanges entre administrations ont été facilités, de même que les modalités de repérage, par les techniques de data-mining, des personnes les plus en difficulté
- c'était encore l'objet de l'article 82 de la dernière loi de financement de la sécurité sociale.

En outre, des efforts importants sont déployés pour mieux informer les administrés et fluidifier les échanges entre administrations. Au-delà des simulateurs en ligne proposés par les différents organismes, le Portail numérique des droits sociaux (mesdroitssociaux.gouv.fr) permet aux assurés de visualiser et comprendre leurs droits, simuler leurs droits sociaux et réaliser leurs démarches en ligne relatives à la retraite, l'emploi, la santé, le logement, mais aussi les prestations de solidarité, les allocations familiales ou encore les aides extralégales de certaines collectivités territoriales.

Le portail « Mon parcours handicap », aura pour sa part vocation à servir de guichet unique numérique et d'entrepôt de stockage de données de situation personnelle afin de fluidifier les démarches des usagers tout au long de leur parcours de vie.

Enfin, de grands chantiers de simplification ont été lancés, tel celui du revenu universel d'activité (RUA). Le regroupement de dispositifs éclatés aura, par hypothèse, un effet de simplification immédiat dans lequel on peut légitimement placer d'importants espoirs de réduction du non-recours aux droits.

Seulement voilà : ce sont des projets complexes exigeant pour aboutir
- lorsqu'ils aboutissent - des efforts de longue haleine. Et l'accent mis sur la numérisation des démarches fait fi de la fracture numérique et de l'illectronisme... qui touche plus fréquemment ceux qui ont vocation à se servir de ces outils. Le même rapport du Secours catholique indique ainsi que près de 55 % des personnes qu'ils ont interrogées disent rencontrer des difficultés avec les démarches en ligne. Parmi ceux que l'association prend en charge, un tiers a un accès nul ou limité aux outils informatiques.

On ne saurait par conséquent prétendre que, dans la lutte contre le non-recours, on a tout essayé.

Le mécanisme contenu dans l'article unique de ce texte est original. Pour le décrire d'un mot, il systématise l'examen de l'éligibilité d'un demandeur de prestation à une liste d'autres droits et prestations connexes, et ce de manière organisée, pour plus d'efficacité. Voici comment.

Il identifie d'abord deux grandes catégories de prestations. La première est relative aux prestations relevant du soutien à l'autonomie : l'admission au bénéfice de l'allocation aux adultes handicapés (AAH), de la prestation de compensation du handicap (PCH), de l'allocation personnalisée pour l'autonomie (APA) ou de la carte mobilité inclusion (CMI) entraînerait automatiquement l'examen de l'éligibilité aux autres de ces droits et prestations qui ne lui sont pas incompatibles. Le même mécanisme est prévu pour les prestations destinées aux personnes à faibles ressources : la prime d'activité et les trois aides au logement.

Ces « îlots » de prestations sont en outre reliés entre eux par des « ponts »
- ou ces « grappes » par des rameaux, pour ceux qui préfèrent la métaphore végétale : l'autorité qui prononcerait l'admission au bénéfice d'un droit ou d'une prestation du premier ensemble saisirait sans délai les organismes compétents pour l'examen de l'éligibilité aux prestations du second ensemble. Les deux ensembles sont pareillement reliés au RSA, ainsi qu'à la complémentaire santé solidaire.

Lorsque l'autorité saisie en application d'un tel mécanisme en a la compétence et dispose de tous les éléments nécessaires, elle se prononcerait simultanément sur l'admission de l'intéressé au bénéfice d'un ou plusieurs autres droits ou prestations ainsi qu'au bénéfice du RSA. À défaut, elle informerait le bénéficiaire qu'il sera procédé sans délai à l'examen de son dossier par l'organisme compétent, qu'elle lui indiquerait alors.

Cette approche semble à la fois modeste et réaliste. D'abord, elle ne remet pas en cause les principes de notre système de protection sociale. Le paysage des aides et leurs conditions d'accès ne sont pas modifiés ; ceux qui attribuent le non-recours à leur complexité y verront sans doute une limite du dispositif proposé mais, en plein chantier relatif au revenu universel d'activité, vous conviendrez qu'il est périlleux de lancer une refonte générale des prestations sociales par voie de proposition de loi.

Le principe de quérabilité des aides est respecté, puisqu'il faut faire une demande originelle pour déclencher l'examen de l'éligibilité à d'autres prestations. On observera au demeurant que l'automaticité gagne du terrain : toute demande de RSA, par exemple, vaut demande de prime d'activité ; tout bénéficiaire du RSA a automatiquement accès à la complémentaire santé solidaire (C2S) en cochant une simple case ; et un formulaire unique permet depuis 2019 à toute maison départementale des personnes handicapées (MDPH) de proposer au demandeur d'une AAH, par exemple, la PCH et la CMI qu'il n'aurait pas pensé à solliciter.

D'aucuns feront sans doute valoir que de telles obligations d'instruction de nouveaux dossiers alourdiront les charges de gestion des organismes délivrant les prestations. D'une part, c'est difficile à évaluer. Les personnes elles-mêmes se trompent souvent de guichet : ce serait alors une simplification globale que de confier aux organismes la mission de taper à la bonne porte. Il se pourrait même que la diminution du non-recours par ce biais évite des situations de ruptures de droits en cascade et fasse faire des économies globales au système social.

Certaines dispositions du texte prévoient d'ailleurs les souplesses nécessaires, en évitant les requêtes sans objet et en permettant, à la suite d'un premier refus, l'examen de l'éligibilité du demandeur à d'autres droits ou prestations, ou bien la saisine à cette fin de l'autorité compétente. Il prévoit même que le demandeur peut renoncer à tout moment au bénéfice d'une prestation.

D'autre part, quand il serait démontré que le mécanisme proposé alourdit la gestion des prestations, on ne saurait sérieusement invoquer un tel argument pratique pour faire obstacle au respect d'un principe aussi élémentaire que celui d'accorder à chacun ce qui lui revient.

Le mécanisme ici proposé n'est sans doute pas parfait mais il apporte une solution immédiatement opérationnelle, semble-t-il, au problème du non-recours. D'ailleurs, le Sénat l'a voté, sous la forme certes d'un amendement un peu moins sophistiqué, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, après avis de sagesse du rapporteur général. Hélas, le dispositif n'a pas été maintenu dans la version définitive du texte.

Mes chers collègues, en systématisant l'examen de l'éligibilité aux prestations sociales, cette proposition de loi contribue à remplir la promesse que fait notre société aux plus fragiles. C'est pourquoi je vous propose de l'adopter.

M. Philippe Mouiller . - Je remercie la rapporteure pour son exposé très clair des enjeux de ce texte.

Nous partageons très largement l'objectif d'améliorer le recours aux prestations sociales. De nombreuses associations ont en effet montré la nécessité de faire davantage d'efforts dans ce sens.

Cela étant, après analyse du dispositif de cette proposition de loi, plusieurs aspects nous rendent sceptiques. D'abord, le périmètre de prestations retenues : celui-ci exclut par exemple l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), ou encore l'allocation d'éducation de l'enfant handicapé (AEEH).

Ensuite, le fait que tel organisme doive notifier à quelqu'un son éligibilité à telle prestation, qu'il la gère ou non, rend les responsabilités confuses : y a-t-il alors obligation de la verser, et quelle responsabilité supporte l'organisme qui s'est contenté de la notification ?

Le texte soulève encore des difficultés techniques. Les prestations destinées aux personnes handicapées sont parfois, mais pas toujours, fondées sur des critères de revenus, et exigent parfois, mais pas toujours, de remplir des critères de situation personnelle, sociale et médicale. L'examen de l'éligibilité à telle ou telle exigera des échanges d'informations, voire de nombreux allers et retours entre les organismes.

Se pose enfin la question du message politique que vous souhaitez transmettre. Ce texte ne témoigne-t-il pas d'une certaine défiance à l'égard de tous les organismes qui se sont engagés dans la lutte contre le non-recours ? Certes, le bilan n'est pas totalement satisfaisant, mais les efforts sont réels. Faut-il de cette manière accroître les contraintes pesant sur les services de l'État et les départements ?

C'est sans doute une idée intéressante pour préfigurer le futur RUA, mais le Sénat l'a pour l'heure refusé. Aussi l'avis du groupe majoritaire sera-t-il plutôt réservé.

M. Olivier Henno . - Je félicite la rapporteure pour son travail et son exposé, qui présente bien le sujet. Le non-recours peut s'expliquer par le manque d'information, l'ignorance, une forme de refus ou de pudeur, mais il peut aussi résulter d'un choix.

Nous sommes certes tous attachés à notre système de protection sociale, qui a une grande valeur. J'ai toutefois l'impression que le consensus national sur ce système est parfois moins solide qu'il ne fut.

Je ne poserai pas, comme Philippe Mouiller, de questions sur les aspects trop techniques du texte car, à l'heure des algorithmes, de tels obstacles peuvent être surmontés. La question centrale est celle de savoir s'il faut renforcer l'automaticité de l'attribution des droits et prestations. Au groupe de l'Union centriste, nous ne le pensons pas. Il faut que les demandeurs fassent une démarche, témoignent d'une forme d'adhésion au système proposé. Je ne suis pas sûr du tout que les rédacteurs du programme du Conseil national de la résistance aient songé à l'automaticité. Ce qui est fait en matière de repérage, de création de portails d'information, de rendez-vous des droits est déjà remarquable. Nous ne sommes pas favorables à une automaticité pour l'autre raison qu'elle poserait de manière biaisée la question du revenu universel d'activité, qui mériterait un autre débat, sous l'angle de la valeur travail en particulier.

Bref, le problème soulevé est réel mais nous sommes très réservés sur la pertinence de la réponse qui lui est apportée.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - À mon tour, je remercie la rapporteure pour la limpidité de son exposé et je renchéris : nous avons tous la volonté de lutter contre le non-recours car s'il existe un dispositif, ceux qui y sont éligibles doivent pouvoir en bénéficier.

Mais, vous l'avez dit vous-même madame la rapporteure : le mécanisme n'est pas parfait. Il est en outre complémentaire des efforts entrepris par les différentes caisses, qui doivent se poursuivre.

Vous avez dit encore que j'avais émis un avis de sagesse sur l'amendement ayant inspiré ce texte ; c'était un avis de principe, pour dire qu'il fallait en effet lutter contre le non-recours. Toutefois, et cela motive toujours la même réserve de ma part : nous ignorons l'impact, notamment financier, d'un tel mécanisme. Je ne suis en outre pas sûr qu'il n'introduirait pas une complexité supplémentaire. Il faudrait qu'un pilote agisse davantage contre le non-recours ; ce pourrait être le département, en lien avec les centres communaux d'action sociale, car ils sont les mieux placés pour détecter les besoins réels.

Nous ne sommes en tout cas pas au bout de la réflexion, raison pour laquelle le dispositif n'apparaît pas totalement abouti. Je préférerais pour ma part un système d'allocation unique, tel qu'il avait envisagé naguère par Christophe Sirugue. Je suis assez favorable au revenu universel, selon des modalités que nous avions détaillées, et après expérimentation. Le Gouvernement, qui parle plutôt d'une allocation unique de base pur l'ensemble des prestations sociales, semble aller dans ce sens.

Bref je crois qu'il faut trouver le moyen de donner la bonne information à ceux qui ont droit à une prestation, mais sans accorder celle-ci automatiquement, car souvent des éléments complémentaires - tels les avis médicaux - sont nécessaires. Je confirme ainsi que l'avis de notre groupe sera réservé.

M. René-Paul Savary . - Je veux bien pour ma part que l'on améliore les dispositifs, mais à condition de disposer d'une étude d'impact financière ! Cessons de vouloir régler les problèmes en les prenant par le plus petit bout, ayons une vision globale. Un tel mécanisme risque de perpétuer les effets de bords qui tiennent déjà au fait que l'on raisonne trop en silos.

Par ailleurs, accorder automatiquement le bénéfice du RSA à ceux qui y ont droit, pourquoi pas, mais pas sans aucun effort d'insertion supplémentaire. Avec ce texte, les bénéficiaires ne resteraient pas moins chez eux, sans que personne ne s'occupe d'eux. Ce serait une solution de facilité. Le plus compliqué, mais qui est le vrai service qu'il faut tâcher de rendre aux personnes en difficulté, c'est de les sortir de leurs difficultés ! Et le texte ne favorise pas cette démarche d'insertion.

Autre point très lourd de conséquences : le dispositif impose de croiser des fichiers de données personnelles. Quel est sur ce point l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ? Je ne suis pas contre l'utilisation du numérique et du big data, qui implique nécessairement d'être intrusif pour être efficace, mais à condition de faire cela de manière bien réglementée et bien encadrée.

M. Daniel Chasseing . - Je suis d'accord avec les propos de Jean-Marie Vanlerenberghe et René-Paul Savary. On peut comprendre les causes du non-recours. Le département doit cependant rester chef de file en matière sociale et c'est à ce niveau qu'il faut renforcer l'accompagnement. En outre, le versement des prestations ne doit pas être automatique : le bénéficiaire doit accepter un accompagnement vers l'emploi et la formation.

Mme Annie Le Houerou . - Monsieur Mouiller, la proposition de loi vise des groupes de prestations de base. Il est vrai que certaines prestations ne sont pas prévues : vous avez mentionné l'Aspa et l'AEEH. Il serait toutefois complexe d'ajouter l'AEEH car cette prestation concerne l'enfant à la charge du foyer et non la personne qui reçoit l'aide. Cette proposition de loi se concentre sur les minima sociaux ainsi que sur les droits qui relèvent de la MDPH en matière de perte d'autonomie.

La lutte contre le non-recours fait déjà partie des missions des caisses de sécurité sociale : la proposition de loi vient appuyer cette priorité existante. Cela ne remet pas en cause la compétence des caisses ni les actions qui ont été mises en oeuvre. Le dispositif suppose une demande initiale par la personne, laquelle génère l'examen de l'éligibilité à toutes les autres aides.

Le texte prévoit que les délais de recours ne commencent à courir qu'à compter de la notification aux personnes concernées. Des amendements pourraient peut-être améliorer le texte sur ce point, mais le risque juridique me semble limité.

Le système actuel d'aides sociales est complexe non seulement pour les bénéficiaires potentiels, mais aussi pour les professionnels. Les espaces France Services ont vocation à être des guichets uniques de proximité, ce qui suppose la formation des agents et le partage des données. On tend ainsi à reconnaître la nécessité d'une formation élargie des personnes qui sont en première ligne. Cette démarche est donc déjà enclenchée, et la proposition de loi ne fera que renforcer cette nécessité de formation.

Monsieur Henno, le dispositif proposé n'exclut pas la quérabilité des prestations, c'est-à-dire le fait que la personne fasse une première demande. En revanche, les droits de la personne devraient être regardés dans leur globalité, par « grappe » de prestations, par les professionnels du premier organisme sollicité. Si l'on crée des droits, notre responsabilité de législateur est qu'ils soient effectivement ouverts. Le but est également d'éviter que des personnes qui se trouvent en difficulté ne sombrent dans une précarité ou une pauvreté encore plus forte dont ils ne pourront pas se relever. Il s'agit donc bien d'une démarche de prévention.

L'audition de l'observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore) et la récente étude du Secours catholique montrent que beaucoup de personnes n'ont pas recours aux prestations sociales auxquelles elles pourraient prétendre car elles trouvent que les démarches sont trop compliquées et abandonnent. Elles connaissent souvent par ailleurs des difficultés psychologiques. L'objectif de cette proposition de loi est de simplifier, dans le cadre d'une première demande, l'accès aux droits. L'automaticité proposée est celle de l'examen de la situation mais non de l'attribution de l'aide.

Monsieur Vanlerenberghe, dès lors que les personnes ont un droit, il est de notre responsabilité de tout faire pour qu'elles y accèdent. Sur le plan financier, la mission des organismes et des collectivités est de servir les droits pour lesquels les personnes sont éligibles. L'évaluation financière des enveloppes doit être conforme au nombre de bénéficiaires potentiels. J'en reviens à la prévention : il s'agit aussi d'un investissement sur l'avenir permettant un meilleur accompagnement des personnes le plus en amont possible, de manière à éviter des situations plus complexes qui peuvent avoir un coût élevé pour les départements. Cela ne remet pas en cause le travail des départements en matière d'insertion, au contraire.

On voit aujourd'hui, y compris dans le contexte de crise du covid-19, que de nombreuses personnes n'ont pas recours aux soins comme elles le devraient, ce qui représente une manière de faire des économies...

Étant donné que le RUA ne verra pas le jour à court terme, la proposition de loi a pour intérêt de faciliter les choses dès maintenant.

Monsieur Savary, l'objectif est de ne laisser personne au bord du chemin. Les personnes peuvent être ainsi dans de meilleures dispositions pour remettre le pied à l'étrier, y compris sur la voie du retour à l'emploi.

Les organismes de sécurité sociale procèdent déjà à des opérations de data mining, par exemple pour améliorer le recours à la prime d'activité. La proposition de loi ne remet pas en cause ces démarches. L'objectif est que les données soient partagées de manière optimale, dans le respect des préconisations de la CNIL.

Je le répète, monsieur Chasseing, l'automaticité ne vaut que pour l'examen de l'éligibilité. La question d'un chef de file appelé à examiner l'ensemble des droits pourrait se poser : c'est déjà ce qui est recherché sur l'autonomie autour des MDPH.

Mme Catherine Deroche . - Aucun amendement n'ayant été déposé, je mets aux voix l'article unique du texte.

L'article unique constituant l'ensemble de la proposition de loi n'est pas adopté.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte de la proposition de loi initiale déposée sur le Bureau du Sénat.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 11 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 12 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 13 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 14 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du 2 juin 2021, le périmètre indicatif de la proposition de loi (n° 430, 2020-2021) relative à la protection sociale globale.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives aux conditions d'examen de l'éligibilité aux droits et prestations relevant du champ de la perte d'autonomie, des minima sociaux, des aides au logement et de la complémentaire santé solidaire.

En revanche, la commission a estimé que ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le texte déposé , des amendements relatifs :

- aux critères d'éligibilité de chacune des prestations visées par la proposition de loi ;

- à la nature, au contenu et aux conditions de versement des prestations et droits sociaux ;

- aux compétences des organismes débiteurs des prestations et droits sociaux pour le financement, le calcul et le versement ce ces prestations.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTION ÉCRITE

___________

(par ordre chronologique)

• Assemblée des départements de France

Jean-Michel Rapinat , directeur des politiques sociales

• Rachid Temal , sénateur du Val-d'Oise, auteur de la proposition de loi

• Observatoire des non-recours aux droits et services (Odenore)

Héléna Revil , chargée de recherche et responsable scientifique

• Direction générale de la cohésion sociale (DGCS)

Jérôme Jumel , adjoint à la directrice générale de la cohésion sociale

Florence Allot , sous-directrice de l'inclusion sociale, insertion, lutte contre la pauvreté

• Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA)

Virginie Magnant , directrice générale

Etienne Deguelle , directeur adjoint de la compensation

Rémi Mangin , conseiller technique

• Secours catholique-Caritas France

Delphine Bonjour , responsable du département relations institutionnelles et accès aux droits

• Contribution écrite :

Caisse nationale des allocations familiales (CNAF)

LA LOI EN CONSTRUCTION

___________

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl20-430.html


* 1 Art. L. 821-1 et L. 821-2 du code de la sécurité sociale et art. 35 de l'ordonnance n° 2002-411 du 27 mars 2002 relative à la protection sanitaire et sociale à Mayotte.

* 2 Art. L. 245-1 du code de l'action sociale et des familles.

* 3 Par erreur, le présent article vise l'art. 231-1 du code de l'action sociale et des familles alors que l'APA est régie par l'art. L. 232-1 de ce code.

* 4 Art. L. 541-3 du code de l'action sociale et des familles.

* 5 Art. L. 232-12 du code de l'action sociale et des familles.

* 6 Art. L. 232-14 du code de l'action sociale et des familles.

* 7 Art. L. 841-1 du code de la sécurité sociale.

* 8 Art. L. 821-1 du code de la construction et de l'habitation.

* 9 Art. L. 262-2 du code de l'action sociale et des familles.

* 10 Art. L. 861-1 du code de la sécurité sociale.

* 11 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 12 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 13 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 14 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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