B. LA CÉSURE DU PROCÈS PÉNAL, NOUVELLE PROCÉDURE DE DROIT COMMUN
C'est sur le plan procédural que les changements introduits par le CJPM sont les plus significatifs.
1. Le principe de la césure
Le nouveau code consacre la césure du procès pénal comme règle de principe 9 ( * ) , ce qui implique que chaque affaire donne lieu désormais à deux audiences : au cours de la première audience , la juridiction statue sur la culpabilité du mineur et, le cas échéant, sur les réparations accordées à la victime ; au cours de la seconde audience , elle statue sur la sanction (mesure éducative ou peine).
Dans l'intervalle, le mineur déclaré coupable est soumis à une période de mise à l'épreuve éducative , qui peut notamment comporter des mesures éducatives, mises en oeuvre par la PJJ, ainsi que des mesures de sûreté.
Afin de réduire les délais de réponse pénale, la nouvelle procédure est enserrée dans des délais courts : la première audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours ni supérieur à trois mois à compter de la convocation délivrée par le procureur de la République ; puis la juridiction fixe, au cours de l'audience de culpabilité, la date de la seconde audience, qui doit se tenir dans un délai compris entre six et neuf mois. La procédure, en première instance, serait ainsi achevée dans un délai compris entre six mois et dix jours au minimum et douze mois au plus.
Cette nouvelle organisation de la procédure présente plusieurs avantages selon ses promoteurs : en statuant rapidement sur la culpabilité, la juridiction rend possible un travail éducatif plus efficace 10 ( * ) , le mineur ne pouvant plus prétendre qu'il n'a pas commis les faits qui lui sont reprochés ; elle permet d'accorder une réparation à la victime dans un délai plus court ; et la mise à l'épreuve éducative permet à la juridiction de statuer sur la sanction à la lumière du comportement du mineur pendant cette période intermédiaire.
Ses détracteurs estiment que l'accélération de la procédure ne laissera plus au travail éducatif le temps nécessaire pour porter ses fruits et faire évoluer le mineur, ce qui pourrait favoriser le prononcé de sanctions plus sévères. En particulier, la première audience se tiendra dans un délai trop court pour que la PJJ puisse mener un travail éducatif susceptible d'amener le mineur à réfléchir sur la notion de culpabilité.
2. Une audience unique possible sous certaines conditions
Si certaines conditions sont réunies, la juridiction peut cependant statuer au cours d'une même audience sur la culpabilité et sur la sanction, le recours à l'audience unique devant être décidé « à titre exceptionnel » selon l'article L. 423-4 du CJPM.
L'audience unique n'est possible que pour des faits d'une certaine gravité : la peine encourue doit être supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement pour le mineur de moins de seize ans et supérieure ou égale à trois ans pour le mineur d'au moins seize ans.
De plus, elle n'est possible que si le mineur est déjà connu de la justice : le mineur doit avoir déjà fait l'objet d'une mesure éducative, d'une mesure judiciaire d'investigation éducative, d'une mesure de sûreté ou d'une peine prononcée dans le cadre d'une autre procédure et ayant donné lieu à un rapport de personnalité datant de moins d'un an . Ce rapport permet à la juridiction d'être éclairée sur la personnalité du mineur et de statuer sur la sanction sans qu'il soit besoin d'attendre la fin de la mise à l'épreuve éducative.
Certaines organisations syndicales de magistrats entendues par le rapporteur ont exprimé la crainte que l'audience unique ne perde rapidement son caractère exceptionnel pour devenir un mode de traitement accéléré des procédures dans des juridictions disposant de trop peu de moyens par rapport au nombre de dossiers à traiter.
Charlotte Caubel, directrice de la PJJ, a indiqué que l'étude d'impact réalisée par le ministère de la justice évaluait autour de 20 % la proportion des affaires qui seraient jugées en audience unique. Si cette proportion se trouve confirmée, l'audience unique n'aurait pas le caractère exceptionnel que lui réserve en principe le CJPM.
3. Un rôle renforcé pour le parquet
En matière délictuelle, le CJPM fait disparaître l'instruction devant le juge des enfants et accroît les prérogatives du parquet 11 ( * ) .
Entendu par la commission des lois le 29 janvier 2020, le procureur de la République de Paris, Rémi Heitz, soulignait que le CJPM « place le parquet au coeur du dispositif : c'est le procureur de la République qui orientera la procédure vers la voie qui lui paraît la plus opportune : procédure de droit commun, avec la césure, ou, éventuellement, audience unique au cours de laquelle seront traitées à la fois la question de la culpabilité et celle de la peine prononcée ; audience de cabinet ou audience devant le tribunal pour enfants ».
Ce nouveau rôle d'orientation s'accompagne de la suppression de l'instruction effectuée par le juge des enfants , qui est en pratique généralement très limitée, et, corrélativement, de la disparition de l'audience de mise en examen. Cette nouvelle organisation fait disparaître le problème constitutionnel qui pouvait résulter du cumul par le juge des enfants de la fonction d'instruction et de la présidence de l'audience de jugement .
Ce nouveau rôle d'orientation dévolu au parquet devrait favoriser la mise en place d'une politique pénale plus cohérente dans le ressort de chaque juridiction. Mais elle entraînera aussi un transfert de charges significatif vers les parquets pour mineurs 12 ( * ) , ce qui pose la question de l'ajustement des moyens qui leur sont alloués.
* 9 Il est à noter que, depuis 2011, une forme de césure du procès pénal est autorisée, puisque l'article 24-6 de l'ordonnance de 1945 permet d'ajourner le prononcé de la mesure éducative, de la sanction éducative ou de la peine. En pratique, cette possibilité est cependant rarement utilisée, la charge de travail des juridictions ne les incitant guère à organiser deux audiences si une seule peut suffire à juger une affaire.
* 10 Entendue par la commission le 13 janvier 2020, Madeleine Mathieu-Héraud, alors directrice de la PJJ, notait que « la décision de statuer plus rapidement sur la culpabilité résulte des évolutions des neurosciences et de la pédopsychiatrie, qui ont bien mis en évidence que les adolescents ont une perception du temps différente de celle des adultes. Un trop grand intervalle de temps entre la commission des faits et la réponse apportée entraîne une perte de sens pour les jeunes ».
* 11 En matière criminelle, un juge d'instruction sera naturellement toujours saisi. Ces affaires sont peu nombreuses : on dénombre chaque année autour de 300 condamnations de mineurs dans des affaires criminelles.
* 12 Dans les grandes juridictions, le parquet comporte une section spécialisée dans la délinquance des mineurs. Dans les plus petites juridictions, un magistrat du parquet est plus spécialement chargé de ce contentieux.