C. LA CRÉATION D'UN PROGRAMME PUBLIC DE MÉDICAMENTS ESSENTIELS : UNE SOLUTION QUI S'IMPOSE DE PLUS EN PLUS DANS LE DÉBAT

La puissance publique se retrouve de plus en plus démunie pour contraindre les entreprises pharmaceutiques à satisfaire à leur obligation d'approvisionnement approprié et continu du marché national 14 ( * ) . Face à une industrie pharmaceutique qui fait de plus en plus primer la recherche de la rentabilité sur la couverture des besoins des patients, le recours à une solution publique qui permette à l'État d'assurer la continuité de l'accès des patients à des médicaments essentiels est désormais envisagé par plusieurs pays.

Dans son rapport 15 ( * ) de septembre 2018, la mission d'information du Sénat sur les pénuries de médicaments et de vaccins a préconisé, dans sa proposition n° 8, l'institution d'« un programme public de production et distribution de quelques médicaments essentiels concernés par des arrêts de commercialisation, ou de médicaments « de niche » régulièrement exposés à des tensions d'approvisionnement , confié à la pharmacie centrale des armées et à l'agence générale des équipements et produits de santé . » Le niveau de criticité des médicaments concernés aurait été évalué par une cellule nationale de gestion des ruptures d'approvisionnement sur le base de plusieurs critères, dont « [la] place dans l'arsenal thérapeutique, [l'] étroitesse de la population cible, [l'existence d'un] site de production unique, [l'] absence d'alternative, [l'] historique de ruptures répétées et [le] processus de fabrication complexe ».

La feuille de route du Gouvernement pour 2019-2022 dans la lutte contre les pénuries de médicaments, présentée par la ministre des solidarités et de la santé en juillet 2019, comprenait une action n° 20 visant à « expertiser la mise en place d'une solution publique permettant d'organiser, de façon exceptionnelle et dérogatoire, l'approvisionnement en MITM dans les cas d'échec des négociations avec les laboratoires concernés. » 16 ( * )

Dans son rapport 17 ( * ) au Premier ministre de juin 2020 sur les moyens de lutter contre les pénuries de médicaments essentiels, M. Jacques Biot examine les conditions dans lesquelles un partenariat public-privé pourrait être développé pour sécuriser l'approvisionnement du marché français en un certain nombre de molécules rares, exposées à de forts risques de tension ou ayant fait l'objet d'un arrêt de commercialisation. Il conclut ainsi qu'« une production “publique privée” pourrait permettre selon ses instigateurs, en théorie et sous réserve de disposer de ressources humaines compétentes expérimentées et motivées (donc sélectionnées et rémunérées à l'identique du secteur privé), de lutter contre certaines pénuries de médicaments de faible volume susceptibles d'être retirés du marché (ou l'étant déjà) , ce qui ne représente qu'une partie des difficultés mais permettrait d'améliorer les possibilités thérapeutiques. Serait ainsi concerné, au sein de la catégorie des médicaments essentiels, un petit groupe de molécules “de niche” choisies sur la base de critères liés à leur approvisionnement ».

En outre, plusieurs dispositifs étrangers, publics ou à but non lucratif, de production et de distribution de médicaments constituent des exemples prometteurs.

Exemples étrangers de production publique
ou à but non lucratif de médicaments

• Le pôle de production de médicaments essentiels de la fondation Oswaldo Cruz (Fiocruz) au Brésil :

Institution de recherche brésilienne de renommée internationale, la fondation Oswaldo Cruz, également dénommée « Fiocruz », dispose d'un laboratoire pharmaceutique fédéral « Farmanguinhos » , créé en 1976 et localisé à Rio de Janeiro, qui produit, sur demande du ministère fédéral de la santé ou des entités publiques mettant en oeuvre divers programmes sanitaires publics prioritaires, des médicaments essentiels afin de couvrir les besoins du « système unique de santé » brésilien. Il dispose d'une capacité de production de plus de 2,5 milliards d'unités de médicaments par an . Les 35 références de médicaments produits par le laboratoire comprennent des antiinfectieux, dont plusieurs antiviraux indiqués dans le traitement de l'infection par le VIH et des hépatites virales et des médicaments contre la tuberculose, des antiparasitaires, des médicaments du système cardiovasculaire, des antiparkinsoniens, des antidiabétiques ou encore des antinéoplasiques. À titre d'exemple, le laboratoire produit l'association antivirale emtricitabine-ténofovir, notamment utilisée dans la prophylaxie pré-exposition (PrEP) contre l'infection au VIH.

• Le groupement sans but lucratif Civica Rx aux États-Unis :

En septembre 2018, plusieurs acteurs du monde de la santé, à l'initiative de sept groupements sanitaires et trois structures à visée philanthropique, se sont associés pour créer une entreprise sans but lucratif et sans capital-actions en vue de produire ou de passer des marchés pour l'acquisition de médicaments exposés à de fortes tensions d'approvisionnement ou d'importantes augmentations de prix et de garantir ainsi des volumes de médicaments aux hôpitaux et cliniques à un prix fixe , quelle que soit la quantité achetée. Initialement focalisée sur la fourniture de 14 médicaments, l'entreprise Civica Rx assure, à ce jour, l'approvisionnement des établissements de santé pour 40 médicaments et envisage de monter à 100 références d'ici 2023 . Pour mener à bien ses missions, la compagnie s'appuie sur des partenariats avec des entreprises et sous-traitants pharmaceutiques.

• Les entreprises pharmaceutiques du secteur public sous autorité ministérielle en Inde :

En mars 2020, l'Inde comptait cinq entreprises centrales du secteur public (« Central Public Sector Enterprises ») placées sous le contrôle administratif du département des produits pharmaceutiques au sein du ministère des produits chimiques et fertilisants . Ces entreprises ont été créées dans l'objectif de garantir l'indépendance du pays dans l'approvisionnement en médicaments essentiels à des prix abordables.

• La production publique de médicaments essentiels dans le cadre du « Service sanitaire coordonné » en Suisse :

Comme le rappelle le rapport précité de 2018 de la mission sénatoriale sur les pénuries de médicaments et de vaccins, la pharmacie de l'armée suisse peut être chargée d'assurer, dans le cadre du « Service sanitaire coordonné », l'approvisionnement du pays en médicaments essentiels. Elle est alors appelée à fabriquer directement ces médicaments ou à en confier la fabrication à des entreprises pharmaceutiques dans le cadre de contrats de garantie . En 2016, le Conseil fédéral suisse a formulé plusieurs propositions relatives à la sécurité de l'approvisionnement du pays en médicaments, dont la possibilité de confier le soin à la pharmacie de l'armée à « produi [re] des médicaments (assortiment de base) dans des cas précis et [à] attribue [r] des mandats de production à des petits sites de production » 18 ( * ) .

Source : Commission des affaires sociales

Dans la continuité et la cohérence de ces exemples, l' article 1 er de la proposition de loi propose l'institution d'un programme public du médicament , dont la mise en oeuvre serait assurée par un pôle public ad hoc .


* 14 Découlant de l'article 81 de la directive 2001/83/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 novembre 2001 instituant un code communautaire relatif aux médicaments à usage humain, cette obligation est inscrite à l'article L. 5121-29 du code de la santé publique.

* 15 Pénuries de médicaments et de vaccins : renforcer l'éthique de santé publique dans la chaîne du médicament , rapport d'information n° 737 (2017-2018) de M. Jean-Pierre Decool, fait au nom de la mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins, déposé le 27 septembre 2018.

* 16 Ministère des solidarités et de la santé, « Lutter contre les pénuries et améliorer la disponibilité des médicaments en France », feuille de route 2019-2022, 8 juillet 2019.

* 17 Rapport par M. Jacques Biot pour la mission stratégique visant à réduire les pénuries de médicaments essentiels, remis au Premier ministre le 18 juin 2020.

* 18 Rapport du Conseil fédéral en réponse au postulat Heim (12.3426) du 4 juin 2012, Sécurité de l'approvisionnement en médicaments , 20 janvier 2016.

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