N° 138 SÉNAT SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021 |
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 novembre 2020 |
RAPPORT GÉNÉRAL FAIT au nom de la commission des finances (1) sur le projet de loi de finances , adopté par l'Assemblée nationale, pour 2021 , Par M. Jean-François HUSSON, Rapporteur général, Sénateur |
TOME III LES MOYENS DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DISPOSITIONS SPÉCIALES (seconde partie de la loi de finances) |
ANNEXE N° 3 AGRICULTURE, ALIMENTATION, FORÊT ET AFFAIRES RURALES COMPTE D'AFFECTATION SPÉCIALE : DÉVELOPPEMENT AGRICOLE ET RURAL |
Rapporteurs spéciaux : MM. Vincent SEGOUIN et Patrice JOLY |
(1) Cette commission est composée de : M. Claude Raynal, président ; M. Jean-François Husson, rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Bernard Delcros, Vincent Éblé, Charles Guené, Mme Christine Lavarde, MM. Dominique de Legge, Albéric de Montgolfier, Didier Rambaud, Jean-Claude Requier, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, vice-présidents ; MM. Jérôme Bascher, Rémi Féraud, Marc Laménie, Stéphane Sautarel, secrétaires ; MM. Jean-Michel Arnaud, Arnaud Bazin, Christian Bilhac, Jean Bizet, Mme Isabelle Briquet, MM. Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Thierry Cozic, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Philippe Dominati, Mme Frédérique Espagnac, MM. Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Christian Klinger, Antoine Lefèvre, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Hervé Maurey, Sébastien Meurant, Jean-Marie Mizzon, Claude Nougein, Mme Vanina Paoli-Gagin, MM. Paul Toussaint Parigi, Georges Patient, Jean-François Rapin, Teva Rohfritsch, Pascal Savoldelli, Vincent Segouin, Jean Pierre Vogel. |
Voir les numéros : Assemblée nationale ( 15 ème législ.) : 3360 , 3398 , 3399 , 3400 , 3403 , 3404 , 3459 , 3465 , 3488 et T.A. 500 Sénat : 137 et 138 à 144 (2020-2021) |
LES PRINCIPALES OBSERVATIONS
DES RAPPORTEURS
SPÉCIAUX
1. La mission confirme l'évolution regrettable intervenue en 2017 avec la suppression du programme 149 spécifiquement consacré à la politique en faveur de la forêt. Les rapporteurs spéciaux persistent à s'interroger sur la conformité de la confusion des crédits pour la forêt avec ceux consacrés à l'économie agricole avec les termes de l'alinéa 6 de l'article 7 de la loi organique du 1 er août 2001 relatif aux programmes budgétaires, dans la mesure où les objets de ces politiques publiques ne sont pas les mêmes. Rappelant qu'ils avaient exprimé le souhait que les services concernés sollicitent l'avis des parlementaires des commissions des finances des deux chambres, pour avis, avant d'engager de telles démarches, ils ne peuvent que constater le maintien d'une confusion budgétaire aggravée l'an dernier par l'inclusion des crédits de la pêche et de l'aquaculture dans le programme 149. Ces restructurations budgétaires peuvent bien faciliter la gestion des crédits en exécution rendue difficile par des sous estimations récurrentes de besoins chroniques, elles affectent sérieusement la portée de l'autorisation budgétaire. Les demandes formulées par le Sénat sont régulièrement négligées, sur ce point comme sur bien d'autres.
2. Le présent projet de loi de finances propose de doter en 2021 la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » (AAFAR), portée par le ministère de l'agriculture et de l'alimentation de 2,959 milliards d'euros en autorisations d'engagement (AE) et 2,973 milliards d'euros en crédits de paiement (CP) , soit, respectivement, une baisse de 1,2 % pour les AE et une hausse de 1,1 % pour les CP. Au cours de l'examen du projet de loi de finances par l'Assemblée nationale, ces crédits ont été augmentés de 6,15 millions d'euros après l'adoption de quatre amendements (dont deux identiques) destinés, l'un, à compenser la suppression de la recette affectée pour financer le développement de la plateforme numérique Expadon 2 de délivrance des certificats sanitaires à l'exportation (amendement du Gouvernement de 2 millions d'euros), l'autre, à effacer les effets des schémas d'emplois négatifs de quatre opérateurs, dont, en particulier l'Office national des forêts, (amendement présenté par Mme Anne-Laure Cattelot de 3,7 millions d'euros) et les deux derniers (initiative de nos collègues Dominique Potier et Hervé Pellois pour 450 000 euros) à soutenir les fermes DEPHY, instruments importants d'un plan Ecophyto 2 + en échec.
3. Ces évolutions globales sont tributaires de dynamiques très contrastées des interventions des trois programmes de la mission . Les programmes 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » et 215 « Conduite et pilotage des politiques de l'agriculture » voient, le premier, ses crédits augmenter de 29,8 millions d'euros, le second, de 12,5 millions d'euros, pour un total de 42,3 millions d'euros. Le programme 149, qui porte l'essentiel des subventions aux exploitations, subit une réduction des crédits de paiement de 10,9 millions d'euros. Pour les autorisations d'engagement, le repli des dotations programmées au sein du programme 149 atteint 87,2 millions d'euros (- 4, 8 %). Ces évolutions nominales se traduiront par un repli des interventions en faveur des agriculteurs encore plus marqué une fois prise en compte l'inflation prévue en 2021 (0,6 %) et une fois les corrections de périmètre mises en oeuvre pour ne compter que les crédits d'intervention « actifs » du programme 149, à l'exclusion des crédits « passifs » du programme.
4. Les crédits du plan de relance doivent être évoqués, même s'ils n'ont pas du tout la même nature que les crédits de la mission AAFAR et même s'ils sont mis sous la responsabilité, non du ministère de l'agriculture, mais de celui des comptes publics. Ils s'élèvent à 1,1 milliard d'euros en autorisations d'engagement, mais seulement 390 millions d'euros en crédits de paiement. L'architecture des interventions proposées aurait mérité d'être mieux articulée avec celle de la mission AAFAR. En l'absence de cette opération de transparence, et d'une information minimale sur les conditions de mise en oeuvre du « plan de relance », présenté comme axé sur la transition agro-écologique et sur la souveraineté alimentaire, on observera que la programmation budgétaire en question est principalement consacrée à des soutiens au secteur du végétal (plan protéines végétales, haies, forêts) les productions animales étant essentiellement soutenues dans l'aval de la filière (plan abattoir), et, plus éventuellement, à travers l'annonce de concours publics à l'investissement (agro-équipements). L'impact des mesures du plan de relance, qui n'est pas appelé à se prolonger au-delà de 2022, souffre d'un déficit d'évaluation ex ante, tant au regard des bénéficiaires ultimes, les exploitants eux-mêmes étant loin d'être les cibles exclusives des interventions envisagées, qu'au regard des capacités d'une absorption durable des actions envisagées par l'appareil de production dans ses volets agricole et péri-agricole. À titre d'exemple, il est assez incertain que le plan de développement des protéines végétales débouche sur une augmentation de la production nationale consommée au regard d'un contexte marqué par des désavantages comparatifs internationaux inchangés et sans doute trop faiblement compensés par les soutiens programmés. Il aurait été judicieux de mieux garantir que les interventions programmées modifieront bien les conditions structurelles de la production agricole et forestière française, et de ne pas négliger la nécessité pressante d'accompagner les exploitations dans la crise à laquelle elles sont confrontées. En toute hypothèse, l'analyse des crédits de la mission AAFAR, qui obéit à des dynamiques propres, indépendantes de celles qu'entend enclencher le plan de relance ne saurait être modulée à raison d'un plan qui ne doit pas servir de justification à une réduction de « l'ambition » agricole française incarnée dans les dotations de la mission AAFAR et du compte d'affectation spéciale « développement agricole et rural », ambition de maintenir une agriculture diversifiée et maillant le territoire et d'accompagner les entreprises agricoles dans les défis très lourds qu'elles doivent affronter.
5. La branche agricole de production primaire n'a pas pu compter sur un soutien clair lors de la première phase de la crise sanitaire en cours. Si des interventions ont été annoncées au profit de la viticulture, en plusieurs étapes successives, les exploitants agricoles ont été rangés au titre des secteurs appelés à ne bénéficier que sous des conditions strictes aux dispositifs de sauvegarde. Il manque sur ce point un compte rendu des effets des dispositions adoptées. En ce qui concerne les exonérations de contributions sociales, on doit, par exemple, regretter que le rapport devant faire le bilan de l'application de l'article 65 de la troisième loi de finances rectificative pour 2020 n'ait pas été rendu disponible, regret d'autant plus vif que les dispositions adoptées sont susceptibles de modifier sensiblement les conditions de l'exécution budgétaire en 2020 et en 2021, compte tenu des règles posées de non-cumul. En outre, alors que le ministre des comptes publics lors de la discussion au Sénat du projet de loi de finances rectificative pour 2020 a pu évoquer une enveloppe de 330 millions d'euros mobilisée pour tout le secteur de l'agriculture en 2020, il est assez étonnant que lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2021, le ministre ait pu indiquer que le rattachement budgétaire de cet engagement devait être compris dans la mission « Plan de relance » créée en 2021. L'information budgétaire sur des éléments aussi fondamentaux manque manifestement de rigueur, ce défaut ressortant accentué par la mention dans les réponses au questionnaire des rapporteurs spéciaux d'une imputation des soutiens de crise sur le programme 149 de la mission. De façon générale, un diagnostic sur l'impact de la crise sur la mise en oeuvre des actions publiques financées par la mission fait défaut, dans leur dimension opérationnelle (des pans entiers de l'infrastructure de pilotage de l'agriculture ont été affectés par la situation, parmi lesquels des éléments aussi essentiels que ceux portant sur la maîtrise du risque sanitaire) tandis que la gestion des interventions a pu être affectée. Dans ces conditions, l'exécution budgétaire en 2020 appelle des informations complémentaires.
6. Dans ces conditions, la question de la sincérité de la programmation budgétaire, qui était revenue dès le projet de loi de finances initiale pour 2020, se pose avec une acuité renouvelée. S'agissant de l'exécution de 2020 et celle-ci se prolonge sur l'année 2021, marquée par une orientation baissière des dotations, malgré un ressaut de la provision pour « dépenses imprévisibles ». Au-delà de la dimension strictement juridique de cette question, il faut en regretter les effets sur l'autorisation parlementaire et sur les conditions de l'exécution budgétaire.
7. Les conditions de la programmation budgétaire de 2019 ne permettaient d'assurer les charges encourues au cours de l'exercice, avec de possibles effets de débord sur l'année 2020. La programmation du budget en 2020 a donné lieu à deux avis défavorables du contrôleur budgétaire et comptable ministériel (pour les programmes 149 et 206 de la mission) au regard de sa soutenabilité. Les impasses de financement identifiées sont particulièrement élevées sur le programme 149. Même en ne tenant pas compte des risques majeurs que représentent le Brexit ou la peste porcine africaine , les impasses de financement ont été estimées à 100,8 millions d'euros sur le seul programme 149. Le projet de loi de finances rectificative en cours d'examen confirme en partie cette prévision en ouvrant 50 millions d'euros pour combler le déficit de financement du fonds national de gestion des risques en agriculture, cette ouverture n'étant pas destinée à financer les impacts des calamités agricoles de 2020 dont les indemnisations seraient reportées sur 2021.
8. La programmation budgétaire de la mission pour 2021 est en pratique difficile à apprécier compte tenu des incertitudes sanitaires, climatiques, économiques et budgétaires, ces dernières renvoyant aux risques d'apurement et à l'articulation entre les différents régimes d'allègements de cotisations sociales, mais aussi aux conditions de la transition entre deux cadres financiers européens. La dotation pour « dépenses imprévisibles » est fixée au niveau de l'exécution prévue pour 2020. Elle aura enregistré un excédent de dépenses par rapport à la programmation initiale (190 millions d'euros contre 174,8 millions d'euros) malgré des apurements européens un peu moins élevés qu'envisagé, mais qui restent trop lourds (78,1 millions d'euros en 2020). Pour 2021, les risques d'apurement excèdent le niveau de la dotation programmée. S'ils se concrétisaient, les besoins de financement non pourvus ne pourraient être financés autrement que par la ponction de lignes budgétaires ou de nouvelles demandes de crédits présentées au Parlement en cours d'année 2021. Les rapporteurs spéciaux relèvent que ces dernières années la trésorerie d'opérateurs de la mission, parfois déjà dégradée, a été sollicitée pour couvrir des charges non budgétées. Ils observent également que les besoins de paiement ont été considérablement allégés par le recours à des désengagements s'autorisations d'engagement pour des montants considérables (plus de 580 millions d'euros cumulés sur 2019 et 2020).
9. On perçoit par-là les limites de la dotation pour imprévus ouverte en 2018, pour 300 millions d'euros ramenés à 200 millions d'euros en 2019 et de nouveau réduite dans le projet de loi de finances pour 2020, de 25,2 millions d'euros, évolution que les rapporteurs spéciaux tendent à considérer comme peu compatible avec une exigence de sincérité budgétaire.
Lors de sa création, les rapporteurs spéciaux avaient exprimé une certaine perplexité face à cette nouvelle ligne budgétaire . Si, de prime abord, elle pouvait témoigner d'un progrès de sincérité budgétaire, elle pouvait également être analysée comme un outil susceptible d'affecter la nécessaire rigueur de programmation des interventions du programme 149. En outre, les conditions de sa programmation ne semblaient de prime abord pas cohérentes avec son objet, puisqu'elle devait être employée à assumer des dettes d'apurement ne faisant pas débat. Les rapporteurs spéciaux constatent que, durant ces premières années, la provision n'a été que marginalement destinée à financer les impacts des risques environnementaux et climatiques, servant principalement à payer les corrections financières infligées à la France et à couvrir des impasses de financement également prévisibles. Une sorte de détournement de l'objet de la dotation pouvait ainsi être déploré avec pour effet un épuisement des réserves du fonds national de gestion des risques en agriculture (FNGRA) et un allongement des délais de traitement des demandes. Si la situation a évolué du fait de la réduction des pénalités financières appliquées à la France, la provision pour dépenses imprévisibles n'en a pas moins été sous dotée en 2020, obligeant à une gestion budgétaire tendue et ne favorisant pas la mise en oeuvre d'un calendrier d'indemnisation satisfaisant.
Les rapporteurs spéciaux recommandent à nouveau que les aléas de l'exploitation agricole soient envisagés dans une ligne distincte de celle dotée pour couvrir les dysfonctionnements de la gestion des aides et qu'ils soient financés à proportion de risques en accroissement tendanciel sensible. Il conviendrait également que le rythme et les moyens des travaux du conseil national de gestion des risques en agriculture soient mis à niveau afin d'accélérer les indemnisations.
10. Alors que l'agriculture est de plus en plus confrontée à des risques de toutes natures il importe d'améliorer les moyens de couverture des risques. Dans ce cadre, le ministère de l'agriculture indique qu'a été lancée à l'été 2019 une consultation élargie de l'ensemble des parties prenantes sur les voies d'amélioration des outils de gestion des risques en agriculture . Cette consultation est le préalable à l'organisation de réunions d'un groupe de travail dédié émanant du Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire (CSO), qui devaient se tenir de septembre à décembre 2020. Les résultats de l'évaluation à mi-parcours du PNGRAT menée en 2019, assortie de recommandations, doivent contribuer à cette réflexion visant à proposer les évolutions au dispositif dans le cadre de la prochaine PAC. Il conviendra de suivre avec attention les prolongements de cette réflexion. Par ailleurs, la résolution sur l'assurance récolte adoptée par le Sénat , qui s'est inspirée des travaux d'évaluation mentionnés, mérite d'être suivie d'effets. Elle suppose un renforcement des moyens financiers de la couverture des risques afin d'inciter les exploitants à mieux s'assurer et d'accompagner une réduction du seuil de déclenchement de la mutualisation. En attendant, si force est de s'inquiéter de la perspective d'un déficit de ressources du FNGRA pour assumer les charges des événements climatiques et environnementaux en 2020, il convient aussi, malgré un certain frémissement, de relever l'inertie de la pénétration de l'assurance récolte.
11. L'instauration par la loi de finances pour 2019 d'une déduction visant à favoriser la constitution d'une épargne de précaution (DEP), qu'il faut saluer, n'aura qu'un maigre intérêt pour les nombreuses exploitations pour lesquelles l'épargne reste un objectif irréel. Il faut rappeler que plus de 50 % des agriculteurs disposent d'un excédent brut d'exploitation inférieur à 34 000 euros, le résultat courant avant impôts n'étant pour 50 % des exploitants que de 14 000 euros, soit un niveau où les incitations fiscales ne « mordent » pas. 5 % des foyers fiscaux agricoles acquittent 77 % de l'impôt sur le revenu agricole. Au demeurant, à ce stade, les effets de la DEP sont nettement moindres que ceux qui avaient été exposés par le Gouvernement, et, au total, la suppression des déductions accessibles antérieurement s'est traduite par une réduction globale de l'avantage fiscal. La diffusion de l'assurance auprès des exploitants s'impose d'autant plus que les refus d'indemnisation opposés à un pourcentage élevé de demandes présentées dans le cadre des calamités naturelles, qui peut atteindre certaines années plus d'un cinquième des demandes, repose souvent sur le défaut de respect des conditions d'assurance par les demandeurs.
12. Les crédits de paiement prévus au titre de la protection sociale agricole , qui couvre les compensations des exonérations de cotisations sociales accordées aux exploitants principalement au titre de l'emploi de salariés saisonniers, sont programmés en hausse de 10 millions d'euros après une baisse de l'ordre de 17,5 millions d'euros, l'an dernier.
Malgré les aménagements obtenus par les parlementaires, en particulier par les sénateurs, l'allègement du coût du travail des salariés saisonniers a été réduit avec un impact négatif pour les employeurs s'élevant, selon certaines estimations, à 28 millions d'euros. Compte tenu du taux de chômage important que connaît la France, des enjeux de compétitivité liés au coût du travail dans une Europe socialement très hétérogène, et des priorités d'une politique agricole dirigée vers la transition agro-écologique, qui est intense en emplois, il importe de mieux défendre l'employabilité en agriculture. Ceci suppose notamment de pérenniser un mécanisme d'allègements qui, en l'état, reste borné à 2022. Par ailleurs, il faut compter avec les surcoûts engendrés par la situation sanitaire qui ne semblent faire l'objet d'aucun accompagnement particulier, les crédits consacrés à la sécurité au travail restant inertes à un faible niveau (387 865 euros).
13. On rappelle que la mission ne finance qu'une faible partie des concours publics à l'agriculture (moins de 15%) qui, ces dernières années, se sont modifiés vers une structure reposant davantage sur les allègements fiscaux et sociaux, aux dépens des soutiens sur crédits, qu'ils soient européens ou nationaux. Cette évolution, qui n'a pas que des avantages, oblige en tout cas à une parfaite vigilance sur une composante des soutiens publics à l'agriculture (au total, plus de 21,7 milliards d'euros en 2021) qui tend à devenir une modalité privilégiée du renforcement des concours à cette branche d'activité.
14. À ce propos, les rapporteurs spéciaux s'étonnent que les dépenses fiscales recensées par le projet annuel de performances demeurent altérées par une très incomplète estimation et par l'inclusion d'un avantage fiscal qui ne profite pas principalement aux exploitants agricoles auxquels sont imputés la totalité des moins-values fiscales résultant du taux réduit de taxe sur le gazole non routier, dont, au demeurant, le régime a été modifié en cours d'année.
15. Les rapporteurs spéciaux relèvent plus globalement que les crédits ouverts en 2021 pour financer des dépenses de soutien aux exploitations agricoles , absolument nécessaires à la viabilité de nombre d'entre elles (sans les subventions agricoles au sein desquelles les aides au développement rural représentent un tiers de la subvention moyenne par exploitation, 30 % des entreprises du secteur auraient un excédent brut d'exploitation négatif), s'inscrivent en baisse.
16. L'appréciation du budget ne peut être indépendante des conditions générales de la programmation et de la gestion des aides agricoles. Les dépenses du programme 149 et une partie de celles du programme 206 faisant l'objet d'un cofinancement européen, encadré par les règlements financiers européens correspondants, on observe que le financement de mesures majeures liées aux objectifs du développement agricole rural (FEADER) du deuxième pilier de la PAC a été de plus en plus assuré ces dernières années par des ponctions sur le premier pilier de la politique agricole commune (PAC). Or, malgré ces transferts, certaines lignes consacrées au développement rural (assurance récolte, crédits pour le développement de l'agriculture biologique...) se révèlent sous-dotées ou sous-consommées, ouvrant la perspective de nouveaux transferts de charge au détriment des aides du premier pilier ou, plus probablement, à des restrictions d'accès aux aides préjudiciables pour les exploitants qui ont répondu à l'appel du Gouvernement en faveur de la transition agro-écologique et qui posent de manifestes problèmes d'égalité de traitement. Il faut enfin souhaiter qu'aucun dégagement d'office n'intervienne s'agissant des engagements non consommés.
17. Dans ce contexte morose, les interventions agricoles du programme 149 perdent une dimension offensive axée sur la modernisation des entreprises agricoles , nécessaire pour relever, par un niveau d'investissement plus fort que celui, très faible, observé ces dernières années, les défis de la concurrence internationale et européenne. À cet égard, la baisse des crédits de modernisation portés par la mission atteint 22 millions d'euros tandis qu'il s'agit d'une ligne budgétaire régulièrement sous consommée. Les entreprises agricoles bénéficiaires du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) demeurent fort peu nombreuses (4 % en 2020) tandis qu'une partie croissante, mais non documentée, des crédits est destinée à des fonds dont les conditions de gestion demeurent à ce jour à préciser. Dans ce contexte, les annonces du plan de relance (107 millions d'euros en crédits de paiement) seraient bienvenues si elles étaient assorties des précisions qui à ce jour font défaut.
18. L'augmentation des crédits destinés à financer les mesures agroenvironnementales et climatiques (MAEC) et les aides aux exploitants impliqués par l'agriculture biologique (+ 25 millions d'euros) relevée l'an dernier, qui reflétait moins un accent mis sur les projets correspondants que les effets d'un retour à un calendrier plus normal des paiements et du déroulement d'une programmation financière confrontée, les années précédentes, à des difficultés importantes, fait long feu en 2021. Les crédits baissent (- 12,3 millions d'euros en crédits de paiement et jusqu'à 108 millions d'euros en autorisations d'engagement, divisées par presque deux). Les sous financements ont conduit le ministère de l'agriculture et de l'alimentation à annoncer qu'il mettrait fin aux aides au maintien de l'agriculture biologique et à transférer sur les Agences de l'eau et in fine sur les agriculteurs et les bénéficiaires des interventions des agences la charge du financement d'une proportion croissante, et désormais majoritaire, des aides à l'agriculture biologique.
19. La baisse des dotations au titre de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN) est peu compatible avec les objectifs d'accroissement de la part des exploitations aidées et avec les besoins d'accompagnement des nombreux exploitants (3 800) exclus du bénéfice de cette aide du fait de la réforme du zonage. La consommation de l'ICHN paraît en retard au vu du solde de trésorerie positif relevé par la CBCM.
20. Les moyens consacrés à l'installation diminuent de plus de 7 millions d'euros (crédits et dépense fiscale cumulés). Les conditions générales de l'attractivité de l'activité agricole entourent la consommation effective de ces crédits d'incertitudes. Les besoins de renouvellement de la population agricole sont considérables à brève échéance. Ils ne sont pas provisionnés.
21. Les crédits relevant de la mesure dite « grands prédateurs » sont noyés dans une ligne destinée à financer d'« autres actions environnementales et pastoralisme ». Cette ligne de crédits, en baisse de 2 millions d'euros, devrait être scindée afin de mieux rendre compte des moyens consacrés à lutter contre la prédation. La lisibilité budgétaire est encore affectée par le fait que les indemnisations sont à la charge du ministère de l'environnement, le ministère de l'agriculture et de l'alimentation gérant les soutiens à la protection des troupeaux. Il est donc difficile de vérifier l'adéquation des provisions aux enjeux. Ces derniers sont marqués par une forte extension de la zone de présence du loup, qui engendre des besoins nouveaux. Ils devraient conduire à réduire le soutien aux autres bénéficiaires de la ligne de crédits.
22. La politique de confortation de l'hydraulique agricole bénéficie de faibles crédits. Les perspectives de modifications climatiques structurelles appellent une réaction susceptible d'en anticiper les effets, en gardant à l'esprit la conciliation nécessaire des usages.
23. L'annonce d'une reprise du calendrier normal des paiements des subventions agricoles après plusieurs exercices où des apports de trésorerie remboursables ont servi de médiocres palliatifs, pouvait être considérée comme une des rares bonnes nouvelles budgétaires de l'année 2019 . Elle paraît en bonne voie. Les rapporteurs spéciaux rappellent leur souhait que les services fiscaux restent attentifs à corriger leur appréciation de la situation des exploitants en tenant compte du fait que les cumuls de subventions perçues dans le cadre de ce rattrapage correspondent à des exercices fiscaux indépendants les uns des autres, afin de préserver l'équité de l'imposition. Par ailleurs, les besoins de mise à niveau de l'infrastructure de paiement, s'ils sont moindres que ceux constatés au cours de la période la plus récente (une grande partie au moins du registre parcellaire graphique serait désormais conforme) n'ont pas complètement disparus. Les modules informatiques des programmes structurant ISIS et OSIRIS de l'ASP demandent de nouveaux investissements et les contrôles (dont l'insuffisance a été l'un des motifs majeurs des corrections financières prononcées contre la France) réclament des effectifs. Dans ces conditions, si l'augmentation des dotations destinées à l'ASP, bien que coûteuse (+ 15,4 millions d'euros l'an dernier, près de 17 millions d'euros en 2021 compte tenu d'un apport du fonds de transformation de l'action publique, à apprécier dans le contexte d'un budget global déprimé), peut être approuvée au moins à titre transitoire, la réduction du plafond de l'emploi de l'agence et celle des effectifs des directions des territoires et de la mer chargés de gérer les paiements et les contrôles de ces paiements pour le compte de l'ASP suscite une inquiétude. Si la chaîne de paiements agricoles appelle des modernisations, tant que celles-ci ne sont pas intervenues, il convient de s'assurer qu'elle soit à même d'enfin fonctionner de façon satisfaisante. Reste que l'essentiel est bien d'apporter le choc de simplification de l'architecture des interventions agricoles, une architecture qui doit reposer sur une meilleure connaissance des réalités technico-économiques exploitants.
24. La mauvaise exécution des crédits pour la pêche et l'aquaculture est très préoccupante , en particulier dans un environnement sanitaire dégradé et alors que le Brexit se précise.
25. La mission « Développement agricole et rural » correspond au compte d'affectation spéciale éponyme, dit « CAS-DAR » . Ses recettes proviennent du produit d'une taxe affectée dont le montant est évalué à 126 millions d'euros pour 2021 . La prévision de recettes, très incertaine, pourrait être dépassée en exécution. Le CAS n'est pas financé par les entreprises de l'amont ni de l'aval au motif qu'elles ne bénéficient pas de ses interventions. Cette affirmation n'est pas strictement exacte et elle ne tient pas compte des bénéfices secondaires que ces entreprises peuvent retirer des dépenses du CAS. Celui-ci, du fait d'exécutions inférieures aux dotations, a accumulé des réserves qui pourraient être mobilisées devant une baisse éventuelle du produit de la taxe mentionnée ci-dessus et des crédits reportables qui offrent des capacités d'intervention très supérieures aux crédits ouverts au titre de l'année 2021. Cette situation pourrait justifier une réduction des prélèvements effectués sur le chiffre d'affaires des exploitations agricoles ou un abondement des capacités d'engagement au-dessus des crédits demandés.
Elle permettrait d'éviter le risque que les ressources disponibles ne soient employées à des finalités sans rapport avec l'agriculture dans le cadre de régulation de crédits. L'évaluation des interventions de CAS conduit à s'interroger sur les résultats obtenus. Les contrôles mis en oeuvre mettent en évidence des lacunes récurrentes dans la gouvernance des crédits délégués aux organismes.
Les interventions du CAS, particulièrement stratégiques au regard des ambitions du développement rural et des préoccupations des Français, n'ont pas vocation à constituer une réserve de crédits d'abondement . En dépit des avancées constatées, la justification des dépenses reste encore insuffisante pour s'assurer que les crédits concourent efficacement à des objectifs stratégiques.
26. Les rapporteurs spéciaux regrettent la nouvelle stagnation des dotations de la mission prévues en faveur de la forêt (seule une extension des missions d'intérêt général de l'ONF permet d'augmenter les crédits, visuellement, de 2 millions d'euros) tout en relevant que le plan de relance comporte, sous cet angle, des moyens supplémentaires (82 millions d'euros en crédits de paiement et 200 millions d'euros en autorisations d'engagement) essentiellement destinés, à ce stade, à financer des technologies de cartographie fine des espaces forestiers (la technologie LIDAR) et des opérations de reboisement. Il faut espérer que cette priorisation apporte une réelle valeur ajoutée à la gestion forestière, qui, sous plusieurs angles manquent de moyens plus élémentaires (dessertes, protection contre les incendies, stockage) tandis que l'aval de la filière a subi un effondrement de ses capacités. Quant aux reboisements envisagés, un manque certain de précision, notamment sur les variétés envisagées, doit à ce stade être relevé
27. En exécution, il arrive trop fréquemment que les crédits de l'action « forêt » ne soient pas consommés, servant de variable d'ajustement au responsable de programme. Cette situation concourt à la dégradation de la situation financière de l'ONF, qui est très préoccupante. Le projet de budget pour 2021 applique une baisse drastique du plafond d'emplois de l'établissement (baisse effacée par l'amendement susmentionné adopté par l'Assemblée nationale contre l'avis du Gouvernement) après des années pendant lesquelles le COP de l'ONF lui avait garanti une stabilité des emplois, moyennant une réduction de la part des effectifs sous statut. L'ONF supporte un taux de contribution employeur calé sur le taux en vigueur dans le régime de retraite des fonctionnaires civils de l'État (74,8 %) qui constitue une lourde charge et ne bénéficie pas des mécanismes mis en oeuvre pour assurer sur ce point des taux de neutralité concurrentielle comme c'est le cas dans d'anciens monopoles de l'État (Orange, La Poste). Par ailleurs, l'ONF n'est pas en mesure de couvrir les coûts des fonctionnalités écologiques de son activité qui ne sont pas monétisés.
28. Rappelant que les crédits du programme 149 ne sont qu'une faible partie de l'effort global de soutien public qui bénéficie aux acteurs du secteur forestier, ils remarquent que les avantages fiscaux consentis pour la forêt , peu évalués, sont justifiés par les particularités des activités forestières mais pourraient accentuer leur orientation vers l'investissement, la mise en valeur et l'assurance forestière. Les moyens du CNPF dont les compétences s'exercent sur la grande majorité de la forêt française mériteraient d'être renforcés, en particulier dans la période de dégradation très préoccupante de l'état sanitaire de certains massifs.
29. Le nouveau contrat d'objectifs et de performance de l'Office national des forêts (ONF) est en voie de conclusion. Un retour sur le COP en vigueur jusqu'à la fin de l'année conduit à faire ressortir des objectifs de mobilisation de la ressource forestière globalement satisfaisants, compte tenu de la part plus grande que doit prendre la production de bois façonné. Il reste que les évolutions par rapport à l'ancien COP étaient sensibles avec de moindres ambitions des objectifs de l'opérateur en termes de mobilisation de la ressource bois (6,5 millions de mètres cube par an au lieu de 6,8 millions en forêt domaniale, 8,5 millions de mètres cube par an au lieu de 9,3 millions dans les forêts des collectivités). Les objectifs de la transition énergétique, pour avoir révisé à la baisse la contribution du secteur bois énergie, conduisent à élever l'effort de mobilisation de la ressource, mais aussi de reboisement, pour satisfaire les différents usages du bois, ce qui suppose des efforts de collecte. Les éventuels conflits d'usage pouvant se présenter doivent être arbitrés au profit des utilisations les plus valorisées de la ressource et un effort particulier accompagne la production de bois-matériaux. Les adaptations apportées au COP de l'ONF doivent être rendues compatibles avec l'équation financière des activités de l'ONF. Les rapporteurs spéciaux rappellent que le COP a été conclu sur la base d'une participation des communes forestières de France qui doit être respectée par l'État avec de sa part un effort de respect des engagements.
30 . Le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » consacré au fonctionnement de la direction générale de l'alimentation (DGAL) et de l'Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES) est doté en hausse de près de 30 millions d'euros (le Gouvernement a ajouté 2 millions d'euros pour combler un déficit de taxe affectée au développement de la plateforme numérique Expadon 2) principalement du fait d'un alourdissement de près de 20 millions d'euros des dépenses de personnel en lien avec la perspective du renforcement des contrôles sur les échanges internationaux (dans le contexte du Brexit) et d'un alourdissement des charges d'indemnisation des exploitants frappés par des calamités sanitaires. Cette politique a fait l'objet d'un contrôle budgétaire dont les conclusions ont été présentées par les deux précédents rapporteurs spéciaux de la commission des finances en 2018 autour de 61 recommandations, dont certaines peuvent supposer de profonds réaménagements du cadre d'exercice de la maîtrise des risques sanitaires et une prise de conscience des déficits de moyens (parmi lesquels les vétérinaires).
La situation sanitaire connaît des tensions constantes avec des épisodes de crises exceptionnelles dans un contexte où l'attention a pu être polarisée sur de graves incidents impliquant le bien-être animal. Par ailleurs, les produits phytosanitaires font l'objet d'une attention renforcée, tandis que les scientifiques doivent encore s'attacher à mesurer des effets d'accumulation de certains produits, tout au long de la vie.
Les risques sanitaires liés à l'apparition de cas de peste porcine à nos frontières sont considérables comme ceux résultant de la tuberculose bovine.
Le rapport CAP 2022 prenant la suite des observations des parlementaires a souligné le défaut de nos capacités de maîtrise des risques, préconisant une mise à niveau des contributions des bénéficiaires des interventions publiques qui, devant faire l'objet d'un débat serein, ne trouve pas de traduction dans le projet de loi de finances. On ne peut considérer telle l'augmentation de la redevance de pollution diffuse, étrangement introduite dans ce débat.
Dans ces conditions, il est plus qu' étonnant que le quatrième projet de loi de finances rectificative pour 2020 récemment déposé par le Gouvernement consacre l'annulation de 19 millions d'euros de crédits de paiement sur un programme dont les moyens sont insuffisants pour couvrir l'ensemble des besoins de maîtrise des risques sanitaires, particulièrement aigus dans le contexte actuel.
Dans ce contexte, le projet de budget pour 2021 ne traduit pas la montée des risques et pas davantage les objectifs de réduction des intrants alors même que l'estimation des besoins liés au Brexit reste assez floue. Certains aspects de la maquette de performances suscitent la perplexité. Il en va ainsi notamment de l'indicateur relatif à l'engagement de sortie du glyphosate, dossier mal engagé après le désistement du principal lauréat de l'étude de phase 1 lancée par l'ANSES pour approfondir la connaissance de la toxicité de la substance.
En application de l'article 49 de la loi organique relative aux lois de finances, pour le retour des réponses du Gouvernement aux questionnaires budgétaires concernant le présent projet de loi de finances, la date limite était fixée au 10 octobre 2020.
À cette date, 75 % des réponses au questionnaire budgétaire étaient parvenues à vos rapporteurs spéciaux.