CHAPITRE III
TIRER
LES CONSÉQUENCES DE LA CRISE SANITAIRE
Article 36
Adaptation du
dispositif de prise en charge exceptionnelle
par l'assurance maladie en cas
de risque sanitaire grave
Cet article adapte le dispositif permettant l'adaptation des règles de prise en charge par l'assurance maladie en cas de situation exceptionnelle.
La commission vous demande d'adopter cet article modifié par les amendements qu'elle a adoptés.
I - Un dispositif dérogatoire dont la crise sanitaire a montré la nécessité mais également les limites.
A. Une possibilité de dérogation aux règles encadrant les prestations d'assurance maladie introduite par la LFSS pour 2019
L'article 54 de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2019 174 ( * ) a créé un article L. 16-10-1 du code de la sécurité sociale (CSS) permettant d'adapter, en cas de situation exceptionnelle, certaines règles relatives à la prise en charge par l'assurance maladie des frais de santé et au versement de certaines prestations en espèces (indemnités journalières notamment). Cette disposition avait été introduite alors que l'épidémie de Zika avait montré la nécessité de renforcer, dans certaines situations exceptionnelles, la prise en charge des assurés sociaux.
Les circonstances exceptionnelles visées sont celles dans lesquelles « la protection de la santé publique le justifie, en cas de risque sanitaire grave et exceptionnel, notamment d'épidémie ».
Les dérogations sont mises en oeuvre par décret et peuvent concerner :
- la participation financière des assurés au titre du ticket modérateur, de la participation forfaitaire de l'assuré d'un euro pour toute consultation ou acte médica l et la franchise à la charge de l'assuré pour les médicaments, les actes paramédicaux et les transports sanitaires ;
- la prise en charge par l'assurance maladie des dépassements d'honoraires pour les actes et prestations ;
- la prise en charge par l'assurance maladie des dépassements tarifaires sur les dispositifs médicaux et les prothèses dentaires ;
- le forfait journalier hospitalier ;
- les conditions dans lesquelles est limitée à certaines situations la prise en charge par l'assurance maladie obligatoire de certaines prestations ou produits de santé ;
- les conditions et délais pour bénéficier des indemnités journalières, notamment le délai de carence préalable à leur versement et les délais d'envoi à la caisse primaire d'assurance maladie ou à la caisse de mutualité sociale agricole du certificat d'arrêt de travail et de notification de l'employeur.
Il est précisé que les dérogations ne peuvent être prévues que pour les actes et prestations directement en lien avec le risque sanitaire en cause et pour les assurés exposés à ce risque. Les mesures prises par décret peuvent l'être pour une durée maximale d'une année.
Ce décret est soumis aux dispositions de l'article L. 200-3 du CSS qui prévoit la consultation des caisses nationales de sécurité sociale (en l'espèce les caisses d'assurance maladie) sur « tout projet de mesure législative ou règlementaire ayant des incidences sur l'équilibre financier de la branche ou entrant dans leur domaine de compétence ».
B. Une faculté largement utilisée pendant la crise sanitaire mais qui a montré ses limites
1. Les dérogations mises en oeuvre par voie règlementaire
Dès le mois de janvier 2021, la mise en oeuvre de mesures d'isolement a conduit le Gouvernement à recourir à la faculté qui lui est offerte par l'article L. 16-10-1 du CSS, notamment afin de permettre le versement d'indemnités journalières à des personnes ne remplissant pas les conditions pour bénéficier d'un arrêt de travail pour raisons médicales 175 ( * ) .
Le décret du 31 janvier 2020 a ensuite été modifié à plusieurs reprises au cours de la période épidémique, notamment afin d'améliorer les conditions de prises en charges de certains actes (téléconsultations, tests PCR...).
Mesures règlementaires prises durant
l'épidémie de covid-19
sur la base de l'article
L. 16-10-1 du CSS
Décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus |
Versement d'indemnités journalières (IJ) dérogatoires sans application du délai de carence, ouverture des droits pour les retours de zone épidémique, les cas contacts, les parents contraints de garder leur enfant et les personnes vulnérables à haut risque de développer des formes sévères de covid-19. |
Décret n° 2020-227 du 9 mars 2020 |
Dérogations aux stipulations conventionnelles relatives à la télémédecine : - à la majoration hors parcours de soins pour les téléconsultations (TLC) ; - aux conditions de prise en charge et de limitation du nombre d'actes de télésanté réalisés ; - à la prise en charge des actes de télésoin réalisés par téléphone pour certaines populations. |
Décret n° 2020-277 du 19 mars 2020 |
Dérogations aux stipulations conventionnelles relatives à la télémédecine : - possibilité de réalisation d'acte de télésoin et les conditions de prise en charge pour les IDE ; - prise en charge des téléconsultations par téléphone. |
Décret n° 2020-459 du 21 avril 2020 |
Prise en charge à 100 % des soins en centres ambulatoires Covid. |
Décret n° 2020-520 du 5 mai 2020 |
Prise en charge à 100 % des tests PCR. |
Décret n° 2020-549 du 11 mai 2020 fixant les conditions temporaires de prescription et de renouvellement des arrêts de travail par le médecin du travail |
Autorisation de prescription d'arrêts de travail pour les assurés atteints ou suspectés d'infection au covid-19, ou faisant l'objet de mesures d'isolement Covid par les médecins du travail. |
Décret n° 2020-637 du 27 mai 2020 |
Prise en charge à 100 % des tests sérologiques, y compris pour des dépistages en masse dans les établissements de santé, sociaux et médico-sociaux. Prise en charge à 100 % des consultations post-confinement pour les personnes vulnérables et les personnes souffrant d'une ALD. |
Décret n° 2020-859 du 10 juillet 2020 |
Non prise en compte des arrêts de travail dérogatoires délivrés aux personnes identifiées comme « cas contact » dans le calcul des durées maximales de versement des indemnités journalières et pas d'application du délai de carence. Prise en charge intégrale des tests sérologiques prescrits aux personnels des services départementaux d'incendie et de secours pour le covid-19, quelle que soit l'indication. Prolongation jusqu'au 31 juillet 2020 de la prise en charge intégrale de la consultation complexe proposée suite au déconfinement aux personnes vulnérables et aux personnes atteintes d'une affection de longue durée. Prolongation jusqu'au 31 décembre 2020 des dérogations conventionnelles à la télémédecine. |
Décret n° 2020-952 du 31 juillet 2020 |
Prolongation jusqu'au 15 septembre de l'adaptation des conditions de prise en charge par l'assurance maladie obligatoire des consultations complexes de certains assurés suite à la levée du confinement. |
Source : Annexe 9 au PLFSS 2021
2. L'intervention en urgence du législateur pour pallier les limites du dispositif
Si la période récente a démontré la pertinence du dispositif créé par la LFSS pour 2019, il a aussi révélé certaines de ses insuffisances dans le contexte d'une crise inédite telle que celle que nous connaissons actuellement.
Premièrement, l'article L. 16-10-1 du CSS ne vise que les règles applicables aux assurés du régime général et à ceux du régime agricole.
Deuxièmement, si cet article permet de prévoir des règles dérogatoires s'agissant du niveau de prise en charge des actes et prestations, il ne permet pas la prise en charge d'actes ou prestations non remboursés par la sécurité sociale.
Troisièmement, le dispositif actuel ne permet pas de prendre des mesures ayant un effet rétroactif.
Enfin, la disposition limitant les dérogations aux actes et prestations directement en lien avec le risque en cause et pour les assurés exposés à ce risque a pu sembler restrictive au vu des mesures nécessaires pour limiter la propagation de l'épidémie de covid-19.
Un certain nombre de mesures, complémentaires de celles prises sur le fondement de l'article L. 16-10-1 du CSS, ont ainsi été prises par ordonnances ou par la loi, faute de pouvoir être prises par décret.
Adaptations des règles relatives aux prestations
de sécurité sociale
relevant du domaine de la loi prises mises
en oeuvre
pendant l'épidémie de covid-19
Loi n° 220-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19 (art. 8) |
Suppression du délai de carence pour tous les arrêts de travail jusqu'à la fin de l'état d'urgence sanitaire. |
Ordonnance n° 2020-312 du 25 mars 2020 relative à la prolongation des droits sociaux |
Prolongation des droits à la CSS et à l'AME. |
Ordonnance n° 2020-428 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions sociales pour faire face à l'épidémie de covid-19 |
Prise en charge à 100 % des téléconsultations et télésoins. Non prise en compte des arrêts de travail pris pendant l'état d'urgence sanitaire pour le calcul de la durée maximale de versement des IJ. Attribution de l'allocation de remplacement maternité aux non-salariés agricoles vulnérables ou contraints de garder leurs enfants. |
Source : Annexe 9 au PLFSS 2021
II - Une adaptation du champ des dérogations possibles
A. L'adaptation du dispositif créé en 2008
Le présent article modifie l'article L. 16-10-1 du CSS afin de tenir compte des insuffisances constatées au cours de la période épidémique.
Premièrement, la rédaction proposée prévoit non pas une « adaptation » mais une « amélioration » des conditions ouvrant droit au bénéfice des prestations sociales. Cette modification permet d'assurer que les mesures dérogatoires ne pourront être que plus favorables aux assurés.
Deuxièmement, le champ des mesures dérogatoires qui peuvent être prises sur la base de l'article L. 16-10-1 est élargi afin qu'elles puissent concerner :
- la prise en charge par l'assurance maladie de frais de santé non remboursés ;
- les conditions d'ouverture de droits à la complémentaire santé solidaire ou à l'aide médicale d'État ;
- les conditions de résidence nécessaires à l'affiliation à l'assurance maladie ;
- la durée maximale de versement des IJ ;
- les délais de recours préalables en matière de contentieux de la sécurité sociale et de traitement de ces recours ;
- les conditions d'attribution de l'allocation de remplacement pour maternité versée aux assurées du régime agricole, aux termes d'un amendement du Gouvernement adopté en séance publique par l'Assemblée nationale.
Les actes et prestations pouvant faire l'objet de dérogation pourront être non seulement ceux qui sont en lien direct avec le risque en cause mais également qui seraient nécessaires « à la limitation de la propagation des effets de ce risque ». Les bénéficiaires de ces dérogations ne seraient plus uniquement les assurés mais les « personnes exposées de manière directe ou indirecte » au risque.
Troisièmement les mesures dérogatoires pourront concerner les prestations en espèces versées non seulement aux assurés du régime général et du régime agricole mais également ceux relevant d'autres régimes obligatoires d'assurance maladie, maternité ou décès.
Il est enfin précisé que le décret pris sur le fondement de l'article L. 16-10-1 est dispensé des consultations obligatoires prévues à l'article L. 200-3. Les conseils d'administration des caisses concernées doivent néanmoins être informés. Les mesures pourront avoir un effet rétroactif, dans la limite d'un mois.
B. Un cadre spécifique créé pour l'année 2021
Les dispositions dérogatoires prises en janvier 2020 ne peuvent, aux termes de l'article L. 16-10-1 du CSS sur la base duquel elles ont été prises, être appliquées pour une durée supérieure à un an.
L'Assemblée nationale a adopté un amendement du Gouvernement donnant une base légale à leur prolongation jusqu'au 31 décembre 2021.
Le III du présent article, ajouté par cet amendement, prévoit ainsi, dans les même cas que ceux mentionnés à l'article L. 16-10-1, la possibilité pour le Gouvernement de prévoir par décret des dérogations portant sur :
- les conditions d'ouverture de droit aux prestations en espèces de l'assurance maladie, invalidité et décès et notamment des indemnités journalières pour les personnes qui font l'objet d'une mesure d'isolement, d'éviction ou de maintien à domicile et qui se trouvent dans l'impossibilité de continuer à travailler ;
- les modalités de participation des assurés aux frais de tests de dépistage de la covid-19.
Il est précisé, comme à l'article L. 16-10-1 que ces dérogations ne peuvent être prévues que pour les actes et prestations directement en lien avec le risque en cause ou nécessaires à la limitation de la propagation des effets de ce risque et pour les personnes exposées de manière directe ou indirecte à ce risque. Le décret mettant en oeuvre ces dérogations est en outre dispensé des consultations obligatoires.
C. Une transposition aux indemnités complémentaires versées par l'employeur
Les indemnités journalières versées par l'assurance maladie en cas d'arrêt de travail sont complétées, pour les salariés éligibles, par un complément versé par l'employeur en application de l'article L. 1226-1 du code du travail.
En cohérence avec l'ouverture dérogatoire des arrêts de travail aux salariés placés à l'isolement ou devant garder des enfants, plusieurs mesures ont été prises durant la période d'état d'urgence sanitaire afin d'assouplir provisoirement les conditions d'éligibilité à ce complément.
Si certaines de ces mesures relevaient du domaine règlementaire 176 ( * ) , deux ordonnances ont par ailleurs été prises sur la base de l'article 11 de la loi du 23 mars 2020 177 ( * ) .
Mesures du domaine de la loi relatives au
complément employeur
prises pendant l'épidémie de
covid-19
Ordonnance n° 2020-322 du 25 mars 2020 adaptant temporairement les modalités d'attribution de l'indemnité complémentaire prévue à l'article L. 1226-1 du code du travail |
Suspension de la condition d'ancienneté, de la condition liée à la présentation d'un certificat médical sous 48 heures et de la condition de soin dans un État européen. Suspension de l'exclusion de certains salariés (salariés à domicile, saisonniers, intermittents et temporaires). Renvoi à un décret aménageant les délais et modalités de versement. |
Ordonnance n° 2020-428 du 15 avril 2020 portant diverses dispositions sociales pour faire face à l'épidémie de covid-19 (art. 9) |
Application rétroactive des dispositions dérogatoires. |
Afin de permettre au Gouvernement de mettre en oeuvre de telles dispositions par voie règlementaire à l'avenir, le présent article introduit un nouvel article au sein du code du travail inspiré de ce que permet l'article L. 16-10-1 du CSS en matière de prestations d'assurance maladie.
Une faculté de dérogation serait ainsi ouverte en cas de risque sanitaire grave tel que prévu à l'article L. 16-10-1 du CSS et les dérogations prévues ne pourraient durer plus d'un an tout en pouvant avoir une portée rétroactive limitée à un mois.
Les dérogations prises sur la base de ce nouvel article pourraient concerner :
- la condition d'ancienneté ;
- la condition liée à l'incapacité médicalement constatée de travailler ;
- la condition liée au soin en France ou dans un État européen ;
- l'exclusion de certaines catégories de salariés ;
- le taux et les modalités de calcul de l'indemnité complémentaire, ainsi que le délai de carence, bien que ces éléments relèvent déjà du domaine règlementaire et peuvent être modifiés à tout moment par décret.
III - Une adaptation bienvenue mais des précisions nécessaires
A. Une adaptation du dispositif aux besoins constatés qui est la bienvenue
La crise sanitaire que notre pays traverse a prouvé la nécessité du dispositif introduit par la LFSS pour 2019 tout en mettant en lumière ses insuffisances.
L'élargissement des possibilités de dérogation proposées par le présent article semble donc bienvenu.
B. Un cadre pour 2021 qu'il convient de préciser
Il est pertinent que la durée des dérogations aux règles législatives que le Gouvernement peut mettre en oeuvre par décret soit limitée dans le temps. Toutefois le caractère exceptionnel de la situation que nous traversons rend nécessaire la prolongation de certaines des mesures prises depuis janvier 2020 au-delà du délai d'un an.
Son caractère évolutif justifie par ailleurs de ne pas inscrire dans la loi de manière définitive les règles dérogatoires qui seront applicables en 2021, afin de laisser au Gouvernement la possibilité d'adapter les mesures en cours d'année.
Alors que le dispositif adopté par l'Assemblée nationale reprenait strictement les termes de l'article L. 16-10-1, mentionnant un « cas de risque sanitaire grave, notamment d'épidémie », la commission a adopté un amendement ( n° 177 ) du rapporteur tendant à citer plus explicitement l'épidémie de covid-19.
C. Une transposition aux indemnités complémentaires du code du travail qui n'a pas sa place en loi de financement de la sécurité sociale
L'indemnité complémentaire à laquelle ont droit les salariés placés en arrêt de travail est financée par leur employeur. Ce n'est pas une prestation de l'assurance maladie.
La fiche d'évaluation préalable de cet article évoque l'idée selon laquelle le complément employeur concourt à une meilleure couverture des arrêts maladie, ce qui aurait un impact sur leur volume et donc, in fine , sur les dépenses de l'assurance maladie au titre des indemnités journalières. Une indemnisation moins généreuse inciterait au contraire les salariés à travailler tout en étant malades, ce qui peut conduire à une dégradation de leur état de santé, et donc à des arrêts plus longs.
Or, si une telle corrélation peut être vérifiée dans le cas d'arrêts de travail pour raisons de santé, on ne peut attendre le même effet s'agissant d'arrêt de travail imposés à des personnes bien portantes dans le cadre de la lutte contre la propagation d'une épidémie par exemple.
Les dérogations aux règles encadrant l'indemnité complémentaire versée par l'employeur s'analysent davantage comme une mesure visant à protéger le revenu des salariés lorsqu'ils ne peuvent pas travailler que comme une mesure permettant de lutter contre les risques sanitaires eux-mêmes.
Considérer, comme y invite le Gouvernement, que cette mesure, en incitant les Français à mieux respecter les règles d'isolement, a un impact sur les dépenses d'assurance maladie conduirait à considérer que toutes les mesures de soutien aux entreprises et aux secteurs d'activités touchés par la crise sanitaire, à commencer par celles concernant l'activité partielle, voire toutes les mesures de police administrative prises face à l'épidémie, auraient leur place en LFSS.
Le rapporteur considère au contraire que cette mesure est manifestement dépourvue d'impact sur les dépenses d'un régime de sécurité sociale, et qu'elle n'a pas sa place en LFSS.
Le Gouvernement ne semble d'ailleurs guère se faire d'illusion à ce sujet puisqu'il a demandé, dans le cadre du projet de loi autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire discuté concomitamment avec le présent PLFSS, une habilitation lui permettant de prolonger et d'adapter les dispositions prises à ce sujet pendant l'épidémie de covid-19.
Cette habilitation permettra au Gouvernement de prendre les mesures que l'urgence impose et lui laissera le loisir de proposer un dispositif pérenne dans le cadre d'un véhicule législatif adapté.
Sur proposition du rapporteur, la commission a donc adopté un amendement de suppression de cette disposition ( n° 176 ).
Votre commission vous propose d'adopter cet article ainsi modifié.
Article
37
Revalorisation et transfert à la sécurité
sociale
de l'allocation supplémentaire d'invalidité
Cet article transfère à l'assurance maladie le financement de l'ASI et annonce la revalorisation, par décret, du plafond de ressources pour y prétendre.
La commission vous demande de supprimer cet article.
I - Le dispositif proposé : transfert à l'assurance maladie et annonce de la revalorisation de l'allocation supplémentaire d'invalidité
A. L'allocation supplémentaire d'invalidité : un minimum social complétant une pension d'invalidité
1. Une prestation certes liée à l'invalidité, mais de solidarité
L'allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) 178 ( * ) est une prestation servie aux bénéficiaires d'une pension d'invalidité ou de retraite atteints d'une invalidité générale réduisant leur capacité de travail ou leurs gains d'au moins deux tiers 179 ( * ) , mais trop jeunes pour bénéficier de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa), réservée aux plus de 65 ans.
En tant que complément visant à atteindre un minimum garanti, l'ASI n'est due que si les ressources personnelles de l'intéressé et, s'il y a lieu, de son conjoint, restent inférieures à un plafond fixé par décret 180 ( * ) . Comme d'autres minima sociaux analogues, c'est une allocation différentielle : son montant équivaut à la différence entre le plafond de ressources et les revenus de l'allocataire.
L'ASI a été sensiblement réformée par la loi de finances pour 2020 181 ( * ) et le décret du 13 octobre 2020 182 ( * ) . Un terme a d'abord été mis à l'anomalie, pour un minimum social, qui résidait dans la déconnexion du niveau de ressources garanti par l'ASI avec le plafond de ressources pris en compte pour y prétendre, en alignant les deux paramètres. Le mécanisme de récupération sur succession de la prestation, à l'effet désincitatif avéré, a en outre été supprimé.
Le pouvoir réglementaire a de plus augmenté le plafond de ressources, et rationalisé les modalités de calcul des plafonds pour les couples. Depuis le 1 er avril 2020, le plafond de ressources est ainsi de 750 euros par mois pour une personne seule, et de 1 312,50 euros par mois pour un couple 183 ( * ) . En application de l'article L. 816-3 du code de la sécurité sociale, ces montants sont indexés sur l'inflation et actualisés en conséquence au 1 er avril de chaque année. Hors coup de pouce du pouvoir réglementaire, ils évoluent donc lentement, et ils restent assez éloignés des plafonds d'autres minima sociaux comparables, tels celui de l'allocation aux adultes handicapés ou de l'Aspa, fixés respectivement à 900 184 ( * ) et 903,20 euros 185 ( * ) . Notons en outre que les règles de subsidiarité de l'AAH 186 ( * ) imposent aux personnes pouvant y prétendre d'avoir d'abord demandé l'ASI.
Au 30 juin 2019, donc avant le relèvement du plafond de ressources, le nombre de bénéficiaires s'élevait à 71 632. Ce nombre a diminué progressivement après avoir culminé, en 1985, à 139 200 personnes 187 ( * ) . Les dépenses d'ASI approchaient l'an dernier, après abondement spécifique destiné à financer la hausse du plafond, les 270 millions d'euros.
2. Une gestion complexe
Le financement de l'ASI est assuré par le budget de l'État, et retracé dans le programme 157 « Handicap et dépendance » de la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances ». Il est vrai que la corrélation de l'ASI avec les régimes d'invalidité rend cette dépense peu pilotable, puisqu'elle évolue en raison inverse de leur générosité, qui est celle de l'assurance maladie.
L'étude d'impact insiste en outre sur la complexité de sa gestion. Les dépenses entraînées par l'ASI, à l'exception de celles enregistrées par le régime général, qui font l'objet d'un remboursement direct par l'État, sont à la charge d'un fonds spécial invalidité (FSI) doté de l'autonomie financière et dont la gestion est assurée par la Caisse des dépôts et consignations.
Or, poursuit l'étude d'impact, faire transiter par un fonds spécifique 7 % de la dépense d'ASI à l'adresse d'une dizaine de régimes de sécurité sociale est une inutile complication, d'autant que cela ne dispense pas l'administration d'État de suivre la gestion de ces dépenses - avec l'assistance, imposée par les textes, d'un « comité du fonds spécial d'invalidité » qui n'a, cependant, jamais été réuni.
Circuit de versement de la dotation budgétaire au titre de l'ASI
Source : Étude d'impact
B. Le dispositif proposé : transfert du financement à l'assurance maladie
1. Une poursuite de l'effort de rattrapage du niveau de la prestation
L'exposé des motifs de l'article annonce d'abord la poursuite de l'effort de rattrapage du plafond de ressources de l'ASI par son relèvement à 800 euros pour une personne seule et 1 400 euros pour un couple, pour les allocations dues à compter du 1 er avril 2021. Une telle revalorisation devrait avoir un double effet :
- les bénéficiaires de l'ASI devraient ainsi voir le montant de leur allocation progresser de 50 euros par mois ;
- le nombre de nouveaux bénéficiaires éligibles peut être estimé à 3 390, soit une hausse de 5 %.
2. Un transfert du financement de l'ASI à l'assurance maladie
Le 1° du I. modifie l'article L. 815-26 du code de la sécurité sociale pour confier la charge des dépenses entraînées par l'attribution de l'ASI à la CNAM, au moyen d'un « fonds de financement de l'allocation supplémentaire d'invalidité ». Les recettes du fonds sont constituées d'une fraction de la taxe de solidarité additionnelle (TSA) que l'article L. 131-8, tel que modifié par l'article 18 du présent PLFSS, calibre à hauteur des dépenses que le fonds finance.
Le 2° du I. supprime le second alinéa de l'article L. 815-29, relatif au financement par l'État de l'ASI pour ce qui concerne le régime général et par le FSI pour les autres organismes débiteurs de l'allocation.
Le 3° du I. supprime la mention du FSI à l'article L. 821-1-2, relatif à la majoration pour la vie autonome, qui peut être versée aux bénéficiaires de l'ASI.
Le II. abroge le 11° de l'article L. 731-2 du code rural et de la pêche maritime, qui fait lui aussi référence au FSI.
Le III. précise que les dispositions de cet article entrent en vigueur pour les allocations dues à compter du 1 er janvier 2021. Les disponibilités, créances et dettes du FSI enregistrées à cette date par la Caisse des dépôts et consignations sont en conséquence transférées de plein droit à la CNAM. Les dépenses qui viendraient à être exposées après le 1 er janvier 2021 au titre d'allocations dues pour la période antérieure sont à la charge de l'État.
Ce transfert des dépenses d'ASI, avant mesure de revalorisation, représente une hausse de 282 millions d'euros des charges de l'assurance maladie . Le relèvement du plafond devrait avoir un coût de 36 millions d'euros, mais occasionner aussi pour l'État de moindres dépenses d'AAH à l'attention des allocataires touchant les deux prestations, économies que l'étude d'impact estime à 18 millions d'euros.
En 2022, le coût en année pleine de la revalorisation du plafond s'élèvera à 54 millions d'euros pour l'ASI, soit un surcoût net de 27 millions d'euros, une fois prises en compte les économies constatées sur l'AAH.
Impact financier de la mesure proposée
Source : Étude d'impact
La réorientation du produit de la TSA pour financer cette charge nouvelle sera compensée, nous apprend encore l'étude d'impact, par l'affectation d'une fraction de TVA correspondante, ce que confirme l'article 30 du projet de loi de finances pour 2021 déposé à l'Assemblée nationale le 28 septembre 2020.
II - Les modifications apportées à l'Assemblée nationale
L'Assemblée nationale a adopté cet article dans une rédaction modifiée par trois amendements rédactionnels du rapporteur général .
III - La position de la commission : suppression de l'article
La commission s'étonne de la faiblesse des moyens que cet article se donne pour poursuivre le double objectif de simplification et d'équité qu'affiche son exposé des motifs.
En guise de simplification, il se contente de transférer le financement de l'ASI à un fonds nouveau au sein de la CNAM. Au chapitre de l'équité, il entend certes poursuivre le rattrapage progressif des prestations voisines plus généreuses.
Cet article accroît donc l'indifférence dans laquelle est tenue la littérature dénonçant depuis plus de vingt ans la complexité de l'articulation du régime d'invalidité avec les minima sociaux 188 ( * ) . Cette complexité oblige ainsi les prétendants au dispositif - qui sont, rappelons-le, des personnes invalides et pauvres - à solliciter d'abord l'ASI auprès de l'organisme versant leur pension d'invalidité, puis, éventuellement, s'ils en remplissent les conditions, l'AAH auprès de leur caisse d'allocations familiales, pour se hisser enfin au niveau de ressources garanti normalement par les minima sociaux dans notre pays.
L'an dernier encore, notre collègue Philippe Mouiller, dans son avis sur la mission « Solidarité, insertion et égalité des chances » du PLF pour 2020, saluait la réforme de l'ASI tout en recommandant de donner aux bénéficiaires de pensions d'invalidité un accès direct à l'AAH.
La Cour des comptes propose même de longue date de fusionner l'ASI avec l'AAH. « Cette mesure répondrait à un triple objectif : unifier les minima sociaux liés à une incapacité de travailler imputable à l'état de santé ; améliorer la situation des titulaires d'une pension d'invalidité les plus modestes ; simplifier les démarches de ces derniers pour bénéficier des minima sociaux auxquels ils peuvent prétendre » 189 ( * ) . La Cour estime même qu' « en tout état de cause, seule cette fusion serait à même de résoudre l'inégalité de traitement entre invalides et handicapés [...] elle répondrait à un triple objectif de simplicité, d'efficience et d'équité ». La Cour reconnaît toutefois que le coût pour les pouvoirs publics d'une telle mesure imposerait une mise en oeuvre progressive.
On s'étonnera enfin que l'étude d'impact ne fasse pas mention, ne serait-ce qu'au chapitre des hypothèses écartées, de la proposition du rapport Vachey de septembre 2020, consistant à rattacher l'ASI à la nouvelle branche autonomie, au motif que sa « logique est identique à celle de l'AAH ».
La direction de la sécurité sociale maintient en réponse que l'ASI est « intrinsèquement liée à la pension d'invalidité ». Or cela n'est vrai que sur le plan des critères pour y prétendre, car sa finalité est de pallier par la solidarité la faiblesse des mécanismes assurantiels, ce qui plaide pour lui conserver son imputation sur le budget de l'État.
La commission regrette en résumé que l'État transfère à l'assurance maladie la complexité de financement d'une prestation dont il entend poursuivre la généreuse modulation à la hausse dès lors qu'il n'en supporte plus la charge. Considérant que les assurés ne gagnent rien à ce transfert, que l'ASI conserve au moins partiellement un caractère de solidarité nationale tant que les conséquences des propositions de réforme n'ont pas été tirées et que le mécanisme proposé s'apparente dès lors à une forme de débudgétisation, la commission vous demande de supprimer cet article en adoptant l'amendement n° 178.
* 174 Loi n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019. Il se trouve que l'article 54 de cette loi était également l'article 36 du projet de loi.
* 175 Décret n° 2020-73 du 31 janvier 2020 portant adoption de conditions adaptées pour le bénéfice des prestations en espèces pour les personnes exposées au coronavirus.
* 176 Le décret n° 2020-193 du 4 mars 2020 a supprimé temporairement le délai de carence applicable au complément employeur.
* 177 Loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à l'épidémie de covid-19.
* 178 Article L. 815-24 du code de la sécurité sociale.
* 179 Article R. 815-58.
* 180 Article L. 815-24-1.
* 181 Loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
* 182 Décret n° 2020-1251 du 13 octobre 2020.
* 183 Article R. 815-19-1.
* 184 Décret n° 2019-1047 du 11 octobre 2019, article 1 er .
* 185 Article D. 815-1 du code de la sécurité sociale.
* 186 Article L. 821-1 du code de la sécurité sociale, alinéa 8.
* 187 Projet annuel de performance de la mission « Solidarité », PLF pour 2020.
* 188 Voir notamment celle de la Cour des comptes : « Rapport annuel sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale », 2010 ; référé au Premier ministre du 21 septembre 2015, « Les minima sociaux ; L'allocation aux adultes handicapés », 2019 ; Rapport annuel 2019, chapitre IV, « Les pensions d'invalidité : une modernisation indispensable au service d'un accompagnement renforcé des assurés ». Ce dernier renvoie en outre au rapport IGAS/IGF de 1998 et au rapport de l'IGF de 2003.
* 189 Rapport annuel 2019 précité, page 190.