N° 85
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 octobre 2020
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de l'État du Qatar et de l'accord portant reconnaissance réciproque et échange des permis de conduire entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine,
Par M. Olivier CADIC,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Christian Cambon , président ; MM. Pascal Allizard, Olivier Cadic, Olivier Cigolotti, Robert del Picchia, André Gattolin, Guillaume Gontard, Jean-Noël Guérini, Joël Guerriau, Pierre Laurent, Cédric Perrin, Gilbert Roger, Jean-Marc Todeschini , vice-présidents ; Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Philippe Paul, Hugues Saury , secrétaires ; MM. François Bonneau, Gilbert Bouchet, Mme Marie-Arlette Carlotti, MM. Alain Cazabonne, Pierre Charon, Édouard Courtial, Yves Détraigne, Philippe Folliot, Bernard Fournier, Mme Sylvie Goy-Chavent, M. Jean-Pierre Grand, Mme Michelle Gréaume, MM. André Guiol, Ludovic Haye, Alain Houpert, Mme Gisèle Jourda, MM. Alain Joyandet, Jean-Louis Lagourgue, Sébastien Lecornu, Ronan Le Gleut, Jacques Le Nay, Mme Vivette Lopez, MM. Jean-Jacques Panunzi, Gérard Poadja, Mme Isabelle Raimond-Pavero, MM. Stéphane Ravier, Bruno Sido, Rachid Temal, Mickaël Vallet, André Vallini, Yannick Vaugrenard, Richard Yung .
Voir les numéros :
Sénat : |
717 (2019-2020) et 86 (2020-2021) |
L'ESSENTIEL
Le dispositif français d'échange des permis de conduire repose, pour l'essentiel, sur de simples arrangements administratifs, voire sur le seul principe de réciprocité - c'est-à-dire sans que les modalités ne soient formalisées par écrit. Cette pratique concerne aujourd'hui une centaine d'États ou territoires n'appartenant pas à l'Espace économique européen.
La fragilité juridique de ce dispositif a été soulignée par le Conseil d'État qui, dans sa décision n° 382484 du 21 novembre 2016, a rappelé la nécessité de fonder la reconnaissance et les échanges de permis de conduire sur des accords intergouvernementaux. Or, à ce jour, un seul accord de ce type a été conclu, avec la principauté de Monaco. Les ministères de l'intérieur et de l'Europe et des affaires étrangères ont donc engagé une révision du dispositif en ce domaine, qui poursuit principalement deux objectifs :
- sécuriser juridiquement la reconnaissance et les échanges par la conclusion d'accords bilatéraux ;
- renforcer la sécurité routière en France en concluant de tels accords uniquement avec les États répondant à des critères élevés en matière de sécurité routière, de formation des conducteurs et des formateurs, de conditions de délivrance des permis de conduire et de lutte contre la fraude documentaire.
Sur la base de ces critères, il a été mis fin à la reconnaissance et l'échange avec une dizaine d'États. Par ailleurs, deux accords ont été signés, en 2018, avec le Qatar et la Chine, dont l'approbation fait l'objet du présent projet de loi .
La réglementation française prévoit la reconnaissance unilatérale de tout permis de conduire étranger (hors Espace économique européen), à la condition qu'il soit régulièrement délivré, pour une durée d'un an à compter de l'établissement par son titulaire de sa résidence normale en France, soit dix-huit mois au maximum. Les présents accords permettront d'étendre la durée de reconnaissance des permis français dans ces États, en particulier en Chine où les permis de conduire français et international ne sont pas reconnus.
Compte tenu, d'une part, du besoin de réviser le dispositif afin de le renforcer sur le plan juridique, et d'autre part, de l'intérêt que présentent ces accords pour la mobilité de nos compatriotes établis au Qatar et en Chine, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a adopté ce projet de loi , dont le Sénat est saisi en premier.
I. LA NÉCESSAIRE RÉVISION DU DISPOSITIF FRANÇAIS DE RECONNAISSANCE ET D'ÉCHANGE DE PERMIS DE CONDUIRE
A. UN DISPOSITIF JURIDIQUEMENT FRAGILE
1. Le cadre en vigueur
La reconnaissance est le mécanisme par lequel un État autorise le détenteur d'un permis de conduire étranger à conduire des véhicules sur son territoire. La durée de reconnaissance est généralement assez courte et fixée par chaque État dans sa réglementation. Elle est souvent assortie d'une obligation d'accompagnement du titre étranger par un permis de conduire international ou d'une traduction dans sa langue.
L'échange des permis de conduire intervient quant à lui lors d'une installation durable dans un autre État. Il permet d'obtenir un permis de l'État d'installation sans avoir à repasser l'examen du permis local, sur présentation d'une attestation de droits à conduire obtenue auprès des autorités compétentes de l'État d'origine. En l'absence d'accord d'échange des permis ou de pratique réciproque, il est nécessaire d'obtenir le permis local par examen avant l'expiration de la période de reconnaissance du permis étranger pour pouvoir continuer à conduire.
Le dispositif français d'échange des permis de conduire est défini aux articles R. 222-1 et suivants du code de la route.
Article R. 222-1
Tout permis de conduire national régulièrement délivré par un État membre de l'Union européenne ou partie à l'accord sur l'Espace économique européen, est reconnu en France sous réserve d'être en cours de validité.
Dans le cas où ce permis a été délivré en échange d'un permis de conduire d'un État n'appartenant pas à l'Union européenne ou à l'Espace économique européen et avec lequel la France n'a pas conclu d'accord de réciprocité en ce domaine, il n'est reconnu que pendant un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale en France de son titulaire.
Tout titulaire d'un des permis de conduire considérés aux deux alinéas précédents, qui établit sa résidence normale en France, peut le faire enregistrer par le préfet du département de sa résidence selon les modalités définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères.
Article R. 222-2
Toute personne ayant sa résidence normale en France, titulaire d'un permis de conduire national délivré par un État membre de la Communauté européenne ou d'un autre État partie à l'accord sur l'Espace économique européen, en cours de validité dans cet État, peut, sans qu'elle soit tenue de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article D. 221-3, l'échanger contre le permis de conduire français selon les modalités définies par arrêté du ministre chargé des transports, pris après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères.
L'échange d'un tel permis de conduire contre le permis français est obligatoire lorsque son titulaire a commis, sur le territoire français, une infraction au présent code ayant entraîné une mesure de restriction, de suspension, de retrait du droit de conduire ou de retrait de points. Cet échange doit être effectué selon les modalités définies par l'arrêté prévu à l'alinéa précédent, aux fins d'appliquer les mesures précitées.
Le fait de ne pas effectuer l'échange de son permis de conduire dans le cas prévu à l'alinéa précédent est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe.
Article R. 222-3
Tout permis de conduire national, en cours de validité, délivré par un État ni membre de la Communauté européenne, ni partie à l'accord sur l'Espace économique européen, peut être reconnu en France jusqu'à l'expiration d'un délai d'un an après l'acquisition de la résidence normale de son titulaire. Pendant ce délai, il peut être échangé contre le permis français, sans que son titulaire soit tenu de subir les examens prévus au premier alinéa de l'article D. 221-3 Les conditions de cette reconnaissance et de cet échange sont définies par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de la justice, du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères. Au terme de ce délai, ce permis n'est plus reconnu et son titulaire perd tout droit de conduire un véhicule pour la conduite duquel le permis de conduire est exigé.
En outre, les dispositions de la directive 2006/126/CE du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 relative au permis de conduire, sont applicables aux permis délivrés par les États membres de l'Union européenne et États parties à l'accord sur l'Espace économique européen (EEE), notamment en matière de reconnaissance des permis de conduire étrangers, de conditions de délivrance et de format des titres. Ce cadre international laisse cependant toute latitude à chaque État pour déterminer sa politique en matière de reconnaissance et d'échange.
Les permis délivrés par des États tiers sont quant à eux soumis aux dispositions de l'arrêté du 12 janvier 2012 fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les États n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen. L'instruction des demandes d'échange qui les concerne se fonde sur la liste des pays avec lesquels la France pratique l'échange des permis de conduire.
2. La fragilité juridique du dispositif a été soulignée par le Conseil d'État
La réglementation française en vigueur prévoit la reconnaissance unilatérale de tout permis de conduire étranger (hors EEE) à la condition qu'il soit régulièrement délivré, pour une durée d'un an à compter de l'établissement par son titulaire de sa résidence normale en France, soit 18 mois au maximum. Des dispositions plus avantageuses s'appliquent néanmoins aux étudiants, diplomates et fonctionnaires internationaux.
L'échange des permis de conduire se fonde, pour l'essentiel, sur de simples arrangements administratifs, voire sur le seul principe de réciprocité - c'est-à-dire sans que les modalités ne soient formalisées par écrit. Cette pratique concerne aujourd'hui 113 États ou territoires n'appartenant pas à l'Espace économique européen.
Aux termes de l'article 14 de l'arrêté du 12 janvier 2012 précité, « Une liste des États dont les permis de conduire nationaux sont échangés en France contre un permis français est établie conformément aux articles R. 222-1 et R. 222-3 du code de la route. Cette liste précise pour chaque État la ou les catégories de permis de conduire concernée(s) par l'échange contre un permis français. Elle ne peut inclure que des États qui procèdent à l'échange des permis de conduire français de catégorie équivalente et dans lesquels les conditions effectives de délivrance des permis de conduire nationaux présentent un niveau d'exigence conforme aux normes françaises dans ce domaine. Les demandes d'échange de permis introduites avant la date de publication au JORF de la liste prévue au premier alinéa du présent article sont traitées sur la base de la liste prévue à l'article 14 de l'arrêté du 8 février 1999 modifié fixant les conditions de reconnaissance et d'échange des permis de conduire délivrés par les États n'appartenant ni à l'Union européenne, ni à l'Espace économique européen. »
Ainsi qu'en dispose l'article R. 222-1 du code de la route, la liste susmentionnée doit être fixée « par arrêté du ministre chargé des transports, après avis du ministre de l'intérieur et du ministre chargé des affaires étrangères » . Or, dans sa décision n° 382484 du 21 novembre 2016 1 ( * ) , le Conseil d'État relève que cette liste n'a jamais été établie par le ministre des transports en application de ces dispositions.
Une liste des États avec lesquels la France procède ou non à l'échange réciproque des permis de conduire a pourtant été fixée par circulaire du ministre des transports en date du 22 septembre 2006 2 ( * ) . La haute juridiction souligne toutefois que l'annexe de cette circulaire fixant la liste n'a pas été mise en ligne sur le site internet relevant du Premier ministre prévu au premier alinéa de l'article 1 er du décret du 8 décembre 2008 relatif aux conditions de publication des instructions et circulaires ; dès lors, la liste est considérée comme abrogée.
En outre, le Conseil d'État considère l'existence d'un accord de réciprocité comme seul critère juridiquement valable pour permettre l'échange d'un permis de conduire étranger.
3. Pour répondre à cet écueil, l'exécutif a entamé des négociations ciblées
Une liste de 113 États et autorités dont les permis de conduire nationaux sont susceptibles de faire l'objet d'un échange contre un permis de conduire français, est publiée sur le site du ministère de l'Europe et des affaires étrangères 3 ( * ) .
À ce jour, la France n'a conclu qu'un seul accord bilatéral en la matière, avec la principauté de Monaco.
ÉCHANGE DE PERMIS DE CONDUIRE AVEC DES
ÉTATS ET TERRITOIRES
HORS ESPACE ÉCONOMIQUE
EUROPÉEN
Base juridique |
États ou territoires concernés |
Accords intergouvernementaux |
Monaco |
Arrangements administratifs ou échange de notes verbales |
Andorre, Australie, Bosnie-Herzégovine, Brésil, Canada (6 provinces 4 ( * ) ), Eswatini, États-Unis (16 États 5 ( * ) ), Iran, Macédoine du Nord et Nouvelle-Zélande |
Principe de réciprocité |
82 autres États ou territoires |
Source : ministère de l'Europe et des affaires étrangères
À titre de comparaison, nos principaux partenaires européens, qui fondent généralement l'échange des permis étrangers sur des accords bilatéraux, ne pratiquent l'échange qu'avec une dizaine d'États tiers en moyenne.
Les ministères de l'intérieur (délégation à la sécurité routière) et de l'Europe et des affaires étrangères (direction des Français à l'étranger et de l'administration consulaire) ont engagé, en 2018, une révision du dispositif en ce domaine, qui poursuit plusieurs objectifs :
- sécuriser juridiquement la reconnaissance et les échanges par la conclusion d'accords bilatéraux ;
- étendre la durée de reconnaissance des permis français dans les États parties ;
- renforcer la sécurité routière en France en concluant de tels accords uniquement avec les États répondant à des critères élevés en matière de sécurité routière, de formation des conducteurs, de conditions de délivrance des permis de conduire et de lutte contre la fraude documentaire.
Les données techniques nécessaires à cette évaluation sont obtenues localement par les représentations diplomatiques et consulaires françaises, et font l'objet d'un examen qualitatif par la délégation à la sécurité routière, au regard des règles du code de la route et divers textes réglementaires pris pour son application et afférents à la sécurité et à la circulation routières. Sont principalement examinés : les données générales relatives à la sécurité routière, les catégories de permis de conduire délivrés, les conditions d'âge ou de contrôle médical requises, les titres de conduite en circulation, leurs caractéristiques et leur sécurisation.
Les États avec lesquels la France échange actuellement ses permis font tous l'objet de cette évaluation et, selon les résultats obtenus, seront sollicités pour la conclusion d'un accord ou informés de l'arrêt de l'échange de leurs permis par la France.
Sur la base de ces critères, il a été mis fin à la reconnaissance et à l'échange de permis de conduire avec une dizaine d'États qui n'y répondaient pas. Des négociations devraient s'ouvrir prochainement avec plusieurs États américains en vue de la conclusion de tels accords. Par ailleurs, d'autres États, avec lesquels la France n'échange pas actuellement les permis de conduire, ont manifesté leur intérêt : c'est le cas notamment du Chili et de l'Inde, dont les demandes sont en cours d'examen. Enfin, il est à noter qu'Israël reconnaît, depuis juillet 2017, les permis délivrés par la France, de manière unilatérale et sous certaines conditions 6 ( * ) .
* 1 https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000033442749/
* 2 Circulaire n° 2006-78 du 22 septembre 2006 fixant la liste des États avec lesquels la France procède ou non à l'échange réciproque des permis de conduire .
* 3 https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/liste_permis_de_conduire_valables_a_l_echange_20200331_cle89bfda.pdf
* 4 Alberta, Île-du-Prince-Édouard, Manitoba, Ontario, Québec et Terre-Neuve-et-Labrador.
* 5 Arkansas, Caroline du Sud, Colorado, Connecticut, Delaware, Floride, Illinois, Iowa, Kansas, Kentucky, Michigan, New Hampshire, Ohio, Pennsylvanie, Texas et Virginie.
* 6 Source : réponse du ministère de l'Europe et des affaires étrangères publiée au Journal officiel, Sénat, débats parlementaires, questions du 27 février 2020, en réponse à la question écrite n° 13588 de Mme Évelyne Renaud-Garabedian, sénatrice, publiée au Journal officiel, Sénat, débats parlementaires, questions du 19 décembre 2019.