B. LES DÉPENSES ONT EXCÉDÉ LES PLAFONDS DE LA LOI DE PROGRAMMATION DES FINANCES PUBLIQUES, TOUT EN LAISSANT UN MONTANT MOINS ÉLEVÉ D'ENGAGEMENTS RESTANT À PAYER, DU MOINS EN APPARENCE

Le rapporteur spécial rappelle, en préambule, que la mission AGTE, qui incarne pourtant l'État dans ce qu'il a de plus régalien, n'était pas considérée comme une mission prioritaire dans la programmation pluriannuelle des finances publiques précédent l'actuelle génération. Que cette dernière n'exprime plus ce concept ne change rien au constat qu'on peut tirer de la programmation des finances publiques à l'horizon de la nouvelle loi de programmation.

En 2019, comme en 2018, la mission n'aura pas respecté son plafond de dépenses tel que fixé par la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques pour les années 2018 à 2022.

Si l'excédent de dépenses a pu être réduit par une gestion économe de certains programmes d'investissement, gestion en quelque sorte sanctuarisée par les opérations infra-annuelles, les conditions de cet équilibrage ne témoignent pas de leur soutenabilité. Par ailleurs, la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques semble obsolète depuis l'origine, pour une raison essentiellement ponctuelle il est vrai.

Si l'exécution ne se solde pas par une hausse des engagements non couverts par des crédits de paiement, sinon au titre du programme 307, cet indicateur n'a qu'une signification assez limitée au vu des conditions de la gestion des crédits en 2019 et d'événements passés et, hélas, plus contemporains de l'élaboration de cette contribution.

1. Un excédent de dépenses par rapport à une programmation pluriannuelle des finances publiques, d'ores et déjà, obsolète pour le reste de la programmation

Une demande de plus de transparence

Le rapporteur spécial réitère son souhait que les documents budgétaires associés aux différentes catégories de projets de loi de finances consacrent un développement par mission et par programme et titre aux conditions dans lesquelles lesdits projets appliquent la loi de programmation pluriannuelle des finances publiques. L'information budgétaire s'en trouverait significativement améliorée, ce qui est d'autant plus nécessaire pour la mission AGTE qu'elle tend à connaître d'amples mouvements de périmètre et ainsi à sortir de son cadre initial de budgétisation (avec des répercussions sur d'autres missions budgétaires). Il renouvelle son constat que son souhait est absolument négligé.

Une interrogation de méthode

Les normes de dépenses des lois de programmation pluriannuelle des finances publiques ne couvrent pas les contributions de l'État employeur au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Or, les conditions d'emploi et de rémunération de chaque ministère varient, avec pour conséquence l'existence d'effets asymétriques sur les charges patronales d'une même norme d'évolution des dépenses de personnel. L'élasticité des dépenses brutes (c'est-à-dire des dépenses augmentées de la contribution de l'État employeur au CAS) peut ainsi varier dans des proportions significatives selon la part de l'emploi affilié aux régimes de retraite des fonctionnaires et selon la structure des rémunérations (indices ou indemnités) de chaque ministère. Il pourrait être utile de disposer d'une estimation régulière sur ce point et l'on pourrait s'interroger sur la possibilité de donner aux gestionnaires de programmes davantage de marges en fonction de l'impact sur les coûts totaux de l'emploi (y compris la contribution employeur au CAS) de leur gestion des personnels.

En toute hypothèse, il serait judicieux d'évaluer ex ante les fondements qui président pour chaque fonction administrative à la détermination de la norme de dépenses de personnel, en particulier la mesure dans laquelle cette dernière internalise les coûts complets d'un emploi. Il est assez peu douteux au regard de la déformation de la structure d'emplois de l'État, qui a connu une impressionnante montée de la part des emplois ne bénéficiant pas des régimes de retraite de la fonction publique que les normes appliquées induisent un biais de recrutement vers des emplois impliquant des cotisations employeurs inférieures à la contribution employeur ordinairement versée au compte d'affectation spéciale (CAS) « Pensions ». Or, cette dernière a dépassé très nettement les besoins d'équilibre des dépenses de pensions des fonctionnaires (contribuant ainsi à réduire le besoin de financement apparent de l'ensemble du système de retraite) de sorte qu'on peut attribuer à un surcalibrage de la contribution employeur au CAS « Pensions », un effet de contrainte fort sur les effectifs des ministères et sur leur statut.

Si l'article 8 de la loi de programmation pluriannuelle a prévu que la progression des dépenses soit limitée à 1 % en volume au cours de la période 2018-2020, pour la mission, hors échéances électorales, une norme nettement plus stricte s'applique.

Comparaisons entre la norme de dépense et l'exécution de 2019

(en millions d'euros)

Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire pour 2019

Au-delà des apparences, qui voient les dépenses excéder le plafond des autorisations de crédits fixé pour 2019, la consommation des crédits paraît en ligne avec la programmation, une fois pris en compte les effets sur le programme 232 de la gestion des remboursements de frais de campagne et, surtout, de la renonciation à la généralisation de la « numérisation » de la propagande électorale.

Le programme 307 ainsi que le programme 216 ont moins dépensé que la norme de dépenses de la loi de programmation, à hauteur, respectivement, de 15,6 et 14,2 millions d'euros. Ces résultats sont relatifs compte tenu des reports de charges envisageables, en particulier pour le programme 216.

Quant au programme 232, ses dépenses ont excédé celles prévues par la loi de programmation de 64,4 millions d'euros.

Il s'agit principalement de l'effet de la non-dématérialisation de la propagande électorale et de sa diffusion qui, intégrée à la programmation n'a pourtant pas été proposée dans le projet de loi de finances pour 2019 au titre des élections européennes, qui auraient pu constituer une bonne occasion d'en tester les effets.

Le surcoût engendré par l'absence de dématérialisation de la propagande électorale avait été estimé à 76,4 millions d'euros pour l'élection européenne, ce qui laisse supposer que si cette solution avait été appliquée, le programme 232 aurait respecté la trajectoire pluriannuelle.

2. Une augmentation des engagements non couverts par des crédits de paiement au terme de l'exercice budgétaire pour le programme 307, mais une réduction à l'échelle de la mission, dans un contexte de forte probabilité de concrétisation de charges à ce jour latentes

Les engagements non couverts par des crédits de paiement à la fin de l'exercice budgétaire ont globalement diminué, passant de 774,4 millions d'euros à 720,4 millions d'euros de fin 2018 à la fin de 2019.

Évolution des engagements non couverts par des crédits de paiement
à la fin des deux exercices budgétaires précédents

(en millions d'euros)

2017

2018

2019

Évolution 2019/2017

Évolution 2019/ 2018

Programme 307

68,386

76,517

78,351

+ 8,131

+ 1,834

Programme 232

14,378

10,266

11,234

- 4,112

+ 0,968

Programme 216

756,854

687,639

630,818

- 69,215

- 56,821

Total

771,232

774,422

720,403

- 65,196

- 54,019

Source : commission des finances du Sénat

Cette évolution, a priori satisfaisante, l'est moins quand on considère certains de ses soubassements.

Pour une partie prépondérante, les opérations concernées par l'étalement des paiements des engagements sont portées par le programme 216, notamment du fait des investissements immobiliers qu'il finance.

Les engagements du programme sont difficiles à suivre en l'état de l'information budgétaire, certaines opérations complexes pouvant donner lieu à des décomptes différés. Par ailleurs, les délais prévisionnels de réalisation des projets connaissent, structurellement, un allongement sensible. Les résultats pour 2019 doivent être pris avec d'autant plus de prudence qu'une opération importante, l'achat d'un terrain pour la cité du renseignement, a été réalisé grâce à une avance du compte d'affectation spéciale « Opérations immobilières et entretien des bâtiments de l'État » pour un montant de 113,6 millions d'euros, avance dont le plan de financement n'est pas connu à ce jour. Il faut encore prendre en considération l'estimation avancée par la Cour des comptes selon laquelle les transferts de services projetés pour 2020 (en particulier, la création d'une direction du numérique) devraient augmenter les restes à payer du programme de 150 millions d'euros.

Quant au programme 307, les engagements demeurant à couvrir connaissent une nouvelle augmentation, de l'ordre de 2,6 % après celles (de près de 50 % et 12 %) observées en 2017 et l'an dernier.

Au total, en trois ans, les restes à payer ont augmenté de l'ordre de 24 millions d'euros.

Évolution des restes à payer du programme 307 depuis 2015

Source : Cour des comptes, note d'analyse de l'exécution budgétaire pour 2019

Si les dépenses effectuées en 2019 ont permis d'assurer le paiement d'engagements demeurant pendants à hauteur de 28 % de ces derniers, les engagements de 2019 ont laissé non payés 23,2 millions d'euros de nouvelles charges.

L'information budgétaire sur cette augmentation des restes à payer est des plus succinctes. Tout juste apprend-elle que les charges restant à payer pour couvrir les engagements pris à fin 2018 se répartissent entre 37,1 millions d'euros au titre du programme national d'équipement des préfectures (PNE) et 41,2 millions d'euros au titre des marchés pluriannuels. Dans sa note d'exécution budgétaire de 2018, la Cour des comptes avait fait ressortir la dimension composite des restes à payer, indiquant qu'il peut aussi bien s'agir d'engagements correspondant à des factures de fonctionnement courant de fin d'année que de grands projets de modernisation. Une partie de ces restes à payer concernait l'an dernier la carte nationale d'identité (22,7 millions d'euros) du fait notamment d'un surcoût qui aurait dû être constaté sur ce projet, dont le règlement aurait été étalé.

Dans la note d'exécution budgétaire de l'exercice sous revue, la Cour des comptes observe que le niveau des restes payer, qui atteint une proportion élevée des dépenses du programme 307 hors titre 2 (35 %), pose un problème de conduite des projets d'équipement.

Le rapporteur spécial partage ce point de vue et demande qu'une information plus efficace soit consacrée à cette question.

Une demande pour plus de transparence

Les niveaux des restes à payer sur les engagements pluriannuels, et leur évolution, font l'objet d'une information plus ou moins développée, mais qui, dans tous les cas, doit progresser. Une présentation plus détaillée s'impose (particulièrement pour le programme 307 pour lequel l'information budgétaire est très lacunaire) afin de suivre les engagements (en les imputant aux divers instruments de gestion opérationnelle, plan national d'équipement des préfectures, schémas informatiques ou immobiliers) et les paiements correspondants en isolant l'impact des grands projets et de leur révision en cours de réalisation. Par ailleurs, un échéancier des paiements devrait figurer dans l'information budgétaire mentionnant les écarts constatés en les justifiant.

Les progrès de transparence demandés par le rapporteur spécial s'imposent d'autant plus que la mission est exposée à de nouveaux grands projets dont le suivi ne saurait être assuré par le Parlement dans les conditions de l'information budgétaire courante. S'y ajoute la considération d'une dynamique de dépenses peu maîtrisable résultant de la perspective de nouvelles charges.

Pour le programme 307, l'on doit mentionner la perspective que le retour du projet d'une carte nationale d'identité électronique, qui avait été abandonné à la suite de décisions défavorables du Conseil constitutionnel, mais qui refait surface du fait des règles adoptées par l'Union européenne, puisse se traduire par de nouveaux engagements pour le ministère, qu'il conviendra de couvrir.

Force est ainsi d'observer que certaines charges latentes pouvant s'ajouter à l'avenir, le résultat en gestion de l'Agence nationale des titres sécurisés (ANTS), qui ressort comme favorable (avec un excédent de 9,1 millions d'euros au compte de résultat et une augmentation prévisionnelle du fonds de roulement de 13,6 millions d'euros), ne traduit pas nécessairement l'équilibre fondamental de l'établissement.

Le rapporteur spécial avait également mentionné l'an dernier les risques liés, pour le programme 216, à l'activité de la commission du contentieux du stationnement payant. Le programme 216 porte 123 agents de greffe de cette juridiction spécialisée qui tend à être débordée par le flux des dossiers. À la fin de 2019, les flux de demandes entrantes ont atteint 119 578 requêtes contre 84 845 clôtures, dont une partie importante provient d'une « renonciation » des parties, renonciation gérée informatiquement, dans des conditions quelque peu contestables. Le stock augmente donc, passant de 67 608 dossiers à 95 516 dossiers. La capacité de traitement annuelle avait été estimée à 10 680 dossiers. Malgré les dégagements « numériques », elle est évidemment insuffisante et justifie la demande de la présidente de la juridiction d'un recalibrage des moyens, du moins en l'état du fonctionnement du système.

Au-delà de ces points d'attention, il faut considérer plus globalement l'impact sur la mission des projets foisonnants du ministère de l'intérieur dans un contexte marqué par un vigilantisme dont la justification appellerait en soi une évaluation complète, qui, à l'évidence dépasse de beaucoup la mission du seul rapporteur spécial.

Il faut, bien entendu, être particulièrement vigilant sur toutes les fonctions du ministère de l'intérieur, qui sont particulièrement sensibles, mais le choix des moyens n'est pas indifférent et il mériterait sans doute d'être davantage discuté dans un contexte où la sécurité des Français appelle des réponses plus diversifiées et donc plus coûteuses que celles passant par le déploiement sélectif d'hyper-moyens dans certains domaines. Dans le passé proche, un certain nombre de projets sont apparus excéder quelque peu les justifications qui leur avaient été apportées et les moyens de déploiement opérationnel qui leur avaient été consacrés.

Enfin, malgré une nouvelle (légère) baisse des dépenses de contentieux en 2019, les charges payées à ce titre à fin 2019, qui atteignent encore 87,8 millions d'euros semblent inférieures aux enjeux repérables (voir infra ).

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